1 ADAM SMITH - Eric Pichet

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ADAM SMITH : LE PERE DE L’ECONOMIE
COLLECTION : COMPRENDRE LES GRANDS ECONOMISTES PAR LE TEXTE
« Qu’elles soient justes ou erronées, les idées des théoriciens de l’économie et de la politique
exercent une puissance supérieure à celle qu’on leur prête communément. En fait, ce sont
elles qui mènent le monde ou peu s’en faut. Les pragmatiques déclarés, qui se croient
totalement libres de toute influence théorique, sont généralement les esclaves de quelque
économiste défunt. Les maniaques de l’autorité, qui entendent des voix dans le ciel, ne tirent
en réalité leur inspiration que de quelque docte scribouilleur des années précédentes. Je suis
certain qu’on s’ exagère le pouvoir des intérêts acquis par rapport à l’emprise progressive
des idées.»
KEYNES, Théorie générale de l’emploi de l’intérêt et de la monnaie, 1936,
Macmillan Cambridge Press, for Royal Economic Society, chapitre XXIV, V.
2
REMERCIEMENTS
L’auteur remercie tout particulièrement Patrick AUDEBERT, Directeur de
département au groupe HEC et Maître de conférences à l’Université du Littoral pour ses
remarques méthodologiques, Claude CHANCEL, Professeur de Chaire supérieure en Classes
Préparatoires HEC au lycée Camille GUERIN à Poitiers, pour ses pertinents conseils ;
Laurence COUDERT, agrégée de Lettres Modernes, pour sa minutieuse et impitoyable
relecture ; Jean-Luc FAIVRE, Président du Comité de lecture des Editions du SIECLE, pour
ses précieuses remarques ; Hervé QUEMPER pour le soin qu’il a apporté à la mise en pages
et Jean-François TRINQUECOSTE, Professeur en Sciences de Gestion à l’Université
Montesquieu-Bordeaux IV et conseiller scientifique à Bordeaux Ecole de Management pour
ses judicieux apports. Il remercie également les étudiants du programme CESEM de Reims
Management School pour leurs innombrables et stimulantes remarques.
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ERIC PICHET
Adam SMITH, le père de l’Economie.
LES EDITIONS DU SIECLE
DU MEME AUTEUR
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L’Analyse financière sectorielle, 1991, Peyrat-Courtens.
Spéculer, 1992, Les Éditions de l’Archipel.
Le Guide pratique du MATIF, 2ème édition, 1995, SEFI.
Mémoires d’un spéculateur, traduction de Reminiscences of a stock operator, d’Edwin
Lefebvre, 1997, PFI.
Le Guide pratique des obligations, 2000, SEFI.
Où va l’argent ? 2000, Mallard Editions.
Une Marche au hasard à travers la Bourse, traduction de A random walk down
Wall Street, de G. Burton MALKIEL, 2000, PFI.
Le Guide pratique des options et du Monep, 5ème édition, 2001, SEFI.
Le Guide pratique de la Bourse, 2ème édition, 2001, SEFI.
Adam SMITH, je connais ! 2001, Mallard Editions.
Le Guide pratique de l’ISF, 4ème édition, 2002, Les Editions du Siècle.
Stock-options, théorie et pratiques, 2002, Les Editions du Siècle.
Le Guide pratique de l’impôt sur le revenu, 4ème édition, 2003, Les Editions du
Siècle.
Mais où sont les yachts des clients ?, traduction de Where are the customers’
yachts ?, de Fred SCHWED, 2003, Les Editions du Siècle.
Le Family office, 2003, Les Editions du Siècle.
RICARDO, le premier théoricien de l’Economie, 2003, Les Editions du Siècle.
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SOMMAIRE
L’esprit de la collection Comprendre les grands économistes par le texte.
Avertissement.
Introduction.
I.
LA VIE ET L’ŒUVRE D’ADAM SMITH.
1.1 Un professeur de morale à la culture encyclopédique.
1.2 La formation philosophique d’Adam SMITH.
1.3 Le livre qui fait connaître Adam SMITH : La Théorie des sentiments moraux.
1.4 L’influence des premiers pionniers de l’économie.
1.5 La Richesse des nations.
1.6 Les dernières années.
II.
LA PENSEE D’ADAM SMITH.
2.1 La nature de la richesse des nations.
2.2 Le travail, principale source de la richesse.
2.3 Le rôle-clé de l’épargne dans la prospérité.
2.4 La propension à échanger et le credo du libre-échange.
2.5 Le rôle de l’Etat et la fiscalité.
2.6 L’avenir radieux de l’économie de marché.
Conclusion : le legs d’Adam SMITH.
Lexique.
Grandes dates de la vie d’Adam SMITH.
Bibliographie.
Index des noms propres.
Index des notions.
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L’ESPRIT DE LA COLLECTION : « COMPRENDRE LES GRANDS ECONOMISTES
PAR LE TEXTE. »
« A l’inverse des Sciences de la nature dans lesquelles le dernier état de la connaissance se
suffit à lui-même, il n’est jamais inutile - bien plus, il est toujours pertinent – en Economie de
se référer aux fondateurs, de rappeler la genèse des concepts, de repérer le mode de
développement des théories, de dévoiler leurs configurations, voire même leurs
contradictions. »
Hubert BROCHIER, présentation de La Pensée économique, de Mark
BLAUG, Economica, 1981.
Chaque livre de cette collection poursuit un but simple : permettre au lecteur en un
laps de temps raisonnablement court de connaître à la fois la vie et l'œuvre d'un grand
économiste. Pour ce faire, chaque volume est volontairement limité à 150 pages et condense
tout ce qu’il faut savoir sur un auteur … et peut-être même un peu plus.
La collection « Comprendre les grands économistes par le texte » a pour objet
principal de cerner les grandes idées léguées par l'économiste étudié. On rappellera bien sûr la
vie de l'auteur, mais ce sont toujours ses idées qui occuperont le premier plan. C'est pourquoi
les ouvrages de cette collection offrent de véritables monographies, développées, complètes,
et laissant une large part aux citations. VOLTAIRE nous a appris qu'"un dictionnaire sans
citations est un squelette", il en serait de même d’un livre de vulgarisation de la pensée
économique.
Pourquoi s’intéresser aux grands économistes ?
« Etudier l’économie, ce n’est pas chercher à acquérir un ensemble de réponses toutes prêtes
à des questions économiques, c’est apprendre à ne pas se laisser induire en erreur par les
économistes. »
Joan ROBINSON, The Economics of imperfect competition, 1933
La connaissance de la pensée économique est un préalable indispensable à la
compréhension du monde dans lequel nous vivons au début du XXIème. Les grands
économistes qui se sont succédé au cours des trois cents dernières années nous laissent un
double héritage.
D'abord, leurs pensées ont constamment influencé le pouvoir politique et marqué les
politiques économiques, à leur époque (les Mercantilistes étaient des conseillers du Prince) ou
plus tard (l'influence de l'analyse marxiste sur le XXème). Les hommes politiques ont cherché
et cherchent plus que jamais la solution aux problèmes économiques qu'ils rencontrent chez
les Economistes. L'apostrophe du Dauphin à QUESNAY, le chef de file des Physiocrates, « la
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secte des Economistes », en 1750 est toujours d'actualité : "Et vous M. QUESNAY, que
feriez-vous si vous étiez le Roi?"
Ensuite ce sont les économistes du passé qui éclairent le fonctionnement actuel de
l’économie grâce aux notions qu’ils ont définies et aux théories Ŕ qu'elles se soient confirmées
ou non d’ailleurs - qu’ils ont échafaudées. Ils ont mis de l’ordre dans le paysage économique,
dans ce monde plein « de bruit et de fureur » qu’ils ont inlassablement cherché à comprendre.
Comment s’intéresser aux grands économistes ?
« Il est impossible de comprendre l’Economie, si l’on ne connaît pas son histoire. »
J.K. GALBRAITH, L’Economie en perspective, Le Seuil, 1989, page 11.
La pensée des grands économistes n’est pas toujours d’un accès facile. Chaque livre de
cette collection se propose de jouer en quelque sorte un rôle de guide dans le maquis de la
pensée économique par la mise en perspective de la vie et de l’œuvre de chaque auteur. Il a
pour vocation de débroussailler les difficultés, de mettre en valeur les grandes idées, d’écarter
ou de réduire à leur juste proportion les points secondaires de l’œuvre, mais sans la dénaturer.
Trop de professeurs, souvent éminents spécialistes de tel ou tel personnage, font une exégèse
personnelle très poussée d'un auteur qu'ils connaissent parfaitement pour l'avoir fréquenté
pendant des dizaines d’années et refusent toute autre vision, quand ils ne jettent pas, ex
cathedra, l’anathème sur les présomptueux qui osent s'écarter de leur vérité. C'est en restant
au plus près de l’auteur, en puisant abondamment dans sa pensée par le biais de larges
citations, qu'on peut assurer un haut niveau d’honnêteté intellectuelle dans la compréhension
de ces idées. Le lecteur trouvera donc dans chaque ouvrage de cette collection de nombreuses
citations de l'auteur ou sur l'auteur destinées à faciliter la mise en perspective de sa pensée.
Les spécificités de la collection « Comprendre les grands économistes par
le texte ».
« Il n’existe pas de proposition économique valable qui ne puisse être exposée correctement,
dans une langue claire, sans fioritures, et dans l’ensemble agréable. »
J.K. GALBRAITH, L’Economie en perspective, Le Seuil, 1989, page 14.
Les grands économistes ont une approche intellectuelle très différente par exemple de celle
des grands philosophes. En effet, ces derniers se posent des questions souvent abstraites et
intemporelles qui débordent largement l'époque qui les a portées : Dieu, la Liberté, l'Art, les
Sciences, etc. En revanche, en tout Economiste sommeille un alchimiste, toujours en quête de
la Pierre philosophale, celle qui apportera la prospérité aux hommes. Aussi prétendent-ils
souvent conseiller les Princes (les hommes politiques de nos jours) pour « améliorer la
situation des hommes ». La prospérité des hommes et des nations, c’est un peu leur Graal.
Pour cela, ils ne cessent d'observer hic et nunc le monde qui les entoure, de chercher à
démonter les rouages mystérieux qui assurent l'existence même de leur société, de s’interroger
sur des sujets d’actualité. Ce n'est qu'à partir de ces observations particulières et partielles
qu'ils échafaudent des théories visant à l’universalité. Comme le rappelait Max WEBER :
« nous savons tous que la science qui est la nôtre (l’économie), de même que toutes les
sciences qui ont pour objet des institutions et des événements culturels humains, sont issues
8
historiquement de considérations pratiques. Elaborer des jugements de valeur sur certaines
mesures de politique économique, tel fut le but immédiat, et au départ unique de notre
discipline »
C'est pourquoi on ne peut comprendre pleinement la pensée d'un économiste qu'en la
replaçant dans le contexte économique, social et intellectuel de son temps.
Le plan des ouvrages de la collection.
"Connaître, c'est comprendre toute chose au mieux de nos intérêts."
NIETZSCHE, La Volonté de puissance, II, 122.
Après une introduction qui rappelle l’importance de l’auteur et le situe dans son
contexte, la première partie du livre est consacrée à sa vie et à son œuvre. A ce stade, il s’agit
surtout de replacer la pensée de l’Economiste dans son époque pour éviter le grave écueil de
l’anachronisme, et surtout de rappeler que les économistes traitent toujours des problèmes de
leur temps. Au XVIIIème, Adam SMITH luttait contre les Mercantilistes avec les
Physiocrates et contre les Physiocrates avec les Industriels… On abordera successivement la
naissance de la vocation d’Economiste et le mode de réalisation de l’œuvre. On pointera à
l'occasion dans cette première partie ce qui apparaît comme une constante amusante chez les
grands Economistes (mais après tout, n'en est-il pas de même pour chacun d'entre nous ?) : les
contradictions entre les théories professées et les actes. Ainsi Adam SMITH, le père du
libéralisme, a-t-il accepté la charge (en fait une sinécure !) de commissaire des douanes pour
l’Ecosse…et la confortable pension qui y était attachée. Ce qui ne l’empêchait d’ailleurs pas
de distribuer, tout au long de sa vie, une part importante de ses revenus à des œuvres de
charité. Quant à RICARDO, le premier théoricien de l’économie, il fut un pourfendeur
impitoyable des corn laws et des rentes injustifiées que percevaient les grands propriétaires
terriens, auxquels il finit néanmoins par s'intégrer après avoir fait fortune en Bourse. Et que
dire du - mauvais - boursicoteur que fut MARX !
La seconde partie du livre présentera les principaux apports de la pensée de l'auteur. Il
s'agira, sans tomber dans la solution de facilité qui consisterait à suivre la chronologie des
œuvres, ou le plan de telle ou telle d'entre elles, de restituer la logique profonde de sa
réflexion, et d'en proposer une synthèse éclairante.
La conclusion résumera son apport à la science économique et ouvrira sur la fécondité
et l’actualité de sa pensée : en évoquant ses héritiers et ses contradicteurs, en vue de mettre en
perspective son message pour en conserver l’essence.
Un lexique, une brève notice biographique rappelant les dates importantes de la vie de
l’Economiste, une bibliographie sélective et un index des personnes et des notions, achèveront
ce parcours.
9
AVERTISSEMENT
"Tout est dans Adam SMITH."
Alfred MARSHALL, Principes d'Economie, 1890.
Un auteur incontournable.
Adam SMITH ouvre, tout naturellement, pourrait-on dire pour reprendre l’expression
fétiche de l’économiste écossais, la collection « Comprendre les Grands Economistes par
le texte. »
Il peut en effet se targuer d’une double légitimité à inaugurer la série des
grands économistes : non seulement il est le premier véritable économiste de l’histoire de
cette discipline, mais, de plus, sa pensée redevient d’une étonnante actualité. Il a même
parfois fait preuve d’une prescience tout à fait surprenante. Deux exemples pour s’en
convaincre : il fut en 1776 un des rares intellectuels opposés à la colonisation (pour des
raisons essentiellement économiques d'ailleurs) en dénonçant « l’extravagance et l’injustice
(…) de l’établissement des colonies »1. De même, il a écrit dans La Richesse des Nations,
avant la déclaration d’Indépendance, que « les colonies américaines constituent une nation
qui, en fait, deviendra très probablement la plus grande et la plus formidable qui soit jamais
au monde ».
Adam SMITH a joué un rôle très particulier dans l’histoire de la pensée économique,
puisque Jean-Baptiste SAY le qualifiait de « père de l’Economie politique ». Certes, on peut
lui trouver des ancêtres (ceux qui représentent selon BARRE la phase préscientifique de
l'économie et que l'on classe par commodité intellectuelle en trois grandes catégories, à savoir
les aristotéliciens, les mercantilistes et les physiocrates). Mais ces « pionniers de la pensée
économique »2 n’ont jamais proposé de vision globale de l’économie ; ils se sont attachés à
décrire et analyser tel ou tel aspect sans élaborer d’interprétation d’ensemble ni de lois
générales. Si Adam SMITH est incontournable, c’est aussi parce qu’il est le symbole de
l'avènement de l’économie politique au statut de discipline à part entière.
C'est pourquoi il nous faudra, pour mieux mesurer toute l'originalité de l'apport
d'Adam SMITH à la théorie économique, préciser ce qu'il doit à ses nombreux prédécesseurs,
qui font partie de la « préhistoire de l’économie", par exemple le motif de l'intérêt, clé de
voûte du système SMITHien, qui lui vient de HUME. Nous tenterons donc, comme l'a fait
SMITH lui-même dans la magistrale synthèse qu'est La Richesse des Nations, d'embrasser
d'un regard panoramique la longue lignée de ses devanciers.
On établira également les liens, très forts en ce qui concerne Adam SMITH,
entre sa pensée et celle des grands intellectuels qui l'ont précédé et dont il a assidûment
fréquenté les livres au cœur de sa splendide bibliothèque, qui rassemblait un fonds de trois
1
2
RDN, Tome 2, Livre IV, chapitre VII, page 209.
L’expression est de KEYNES.
10
mille ouvrages très éclectiques, dont un tiers en français et un tiers en latin, grec et italien. Ne
s'est-il pas un jour écrié, en présentant sa chère bibliothèque à un ami : "Rien d'autre n'est
beau en moi que mes livres !"3. Ainsi, Adam SMITH doit beaucoup à HUTCHESON qui fut
son professeur de morale.
Je souhaiterais également montrer avec force que la pensée d’Adam SMITH n’est
nullement monolithique et qu’elle ne saurait se réduire à la caricature qu’ont tenté d’imposer souvent avec succès d’ailleurs - ses contempteurs. En effet, la principale erreur que
commettent les commentateurs d’Adam SMITH est de le réduire à un ultra-libéral qu’il n’est
pas, ou de faire de lui un thuriféraire sans failles des entrepreneurs. Relisons simplement
quelques passages de La Richesse des Nations pour comprendre que le Professeur SMITH
n’avait qu'une très relative estime pour « cet esprit de monopole, cette rapacité basse et
envieuse des marchands et manufacturiers »4. Il dénonce même la conspiration des
entrepreneurs contre le bien public.
Bref, Adam SMITH est avant tout un observateur et tout le contraire d’un idéologue, il
s’est sans doute attaché, mieux que quiconque à son époque à la véritable mission de
l’économie politique qui, selon Alfred MARSHALL, consiste « à étudier l’humanité dans la
conduite de sa vie quotidienne. »5
L'analyse de la pensée de SMITH.
« Adam SMITH eut la bonne fortune d’être complètement en accord avec l’état d’esprit de
son temps. »
SCHUMPETER, Histoire de l’analyse économique, NRF, 1983, page 264.
La première partie de ce livre expose la vie et l’œuvre de l’économiste. L'analyse de la
pensée de SMITH occupe toute la seconde partie. Pour lui, la richesse vient du travail. On
étudiera donc ses définitions de la richesse, qu'elle soit individuelle ou collective, les trois
facteurs de production, le rôle-clé du travail et la détermination du salaire, la rente et les
profits. On exposera comment la division du travail engendre le surplus. La division du travail
est le processus décisif des gains de productivité, et s'applique aussi bien au niveau d'une
entreprise que d'un pays. Le surplus permet à son tour l'épargne, à laquelle l'Ecossais Adam
SMITH voue un véritable culte. On analysera comment le surplus engendre l'échange en
traitant de la loi de l'offre et de la demande, de la valeur des différents types de biens et de la
théorie de la valeur-travail. La théorie des avantages absolus sera présentée, ainsi que les
idées de SMITH en matière monétaire et bancaire. On s'intéressera à la manière dont les
nations s'enrichissent avec l'énoncé des grandes lois de la croissance. On présentera également
les solutions du professeur SMITH pour assurer la prospérité aux nations. Après la
conclusion, on trouvera un lexique, un récapitulatif des grandes dates de la vie de SMITH,
une bibliographie et un double index des personnes et des notions.
On l’a vu, une des caractéristiques de cette collection est de revenir aux textes des
grands auteurs et d’expurger leurs pensées, que les universitaires s’ingénient - parfois - à
3
Cité par HEILBRONER, Les Grands économistes, Le Seuil, 1971, page 43.
RDN, Tome II, Livre IV, chapitre III, page 88.
5
Alfred MARSHALL, Principes d’Economie politique, tome I, page 1.
4
11
masquer sous une glose oiseuse. Afin de permettre aux étudiants (ainsi qu’à tous lecteurs)
d’approfondir la pensée d’Adam SMITH, de nombreuses notes de bas de page renvoient à la
traduction de Germain GARNIER (la seconde, celle de 1822 - la première datant de 1802),
intitulée Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, (qui sera désignée
dans notre texte par l’abréviation RDN) traduction qui comprend notamment une notice
biographique de BLANQUI, des commentaires de BUCHANAN, GARNIER, MAC
CULLOCH, MALTHUS, James MILL, RICARDO et SISMONDI ainsi que des notes de J-B
SAY et qui a en outre l’avantage d’être disponible en ligne sur le site de la Bibliothèque
nationale de France, dont il faut saluer, au passage, l’apport à la diffusion de la pensée. Se
connecter sur www.bnf.fr , puis aller sur GALLICA et taper « Adam SMITH » pour ensuite
télécharger l’ œuvre maîtresse d’Adam SMITH (le temps de chargement est assez long, une
heure environ, pour les 520 pages du premier tome et les 714 pages du second).
INTRODUCTION.
"La vaste connaissance d'Adam SMITH des moindres détails et la profondeur de sa recherche
philosophique fournissent la meilleure solution à toutes les questions qui ont un rapport avec
l'histoire du commerce et avec le système de l'économie politique".
William PITT, Discours de présentation du budget aux Communes, 17 février 1792,
cité par John Rae dans Life of Adam SMITH, LONDRES, Macmillan, 1895, pages 290-291.
On n'en finirait pas de recenser les apports d'Adam SMITH, tant à l'analyse des
processus économiques concrets de son temps, qu'à l'élaboration d'une science économique
universelle. L'auteur, en 1776, de La Richesse des Nations, son œuvre-maîtresse, s'est en effet
voulu un homme complet, émule en cela des Encyclopédistes. Constamment à l'écoute des
mutations économiques qui marquent le XVIIème, il parvient, grâce à un sens aigu de
l'observation et de la synthèse, à fédérer les études et réflexions économiques préexistantes, et
à les constituer en une discipline nouvelle et autonome : l'économie politique. Il est ainsi le
premier à théoriser les principes de notre système actuel (capitaliste et libéral, fondé sur la
valeur du travail mis au service de l'acquisition des richesses) inaugurant en cela la lignée des
économistes modernes.
L’auteur de La Richesse des Nations.
« La Richesse des nations est le meilleur livre disponible de politique économique. »
Thomas JEFFERSON, président des Etats-Unis (1801-1809).
En 1776, l’éminent universitaire de GLASGOW, déjà mondialement connu pour un
livre de morale, Théorie des sentiments moraux, publié en 1759, sort un - gros - pavé de plus
de mille pages intitulé An Inquiry into the nature and causes of the Wealth of nations qui
éblouit immédiatement les Britanniques et qui sera Ŕ mal - traduit en français sous le titre
Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, ou plus communément De
la richesse des nations. Il eût sans doute été préférable de parler de la "prospérité des
12
Nations". Cette somme constitue l'un des aboutissements, appliqué à l'économie, de la pensée
du siècle des Lumières.
Un fils des Lumières et de la raison triomphante.
"Nous semblons avoir été admis à voir ce qui se passe derrière la scène".
Adam SMITH, Essais philosophiques, Paris, 1793.
A une époque où l’Economie n’existe pas encore en tant que discipline autonome, le
Professeur SMITH enseigne la morale : un domaine particulièrement vaste au XVIIIème
puisque ses cours traitent de théologie, d’éthique, de fiscalité, de politique. Cette vision très
globale du savoir convient parfaitement à un homme qui a, toute sa vie, fait preuve d'une
véritable fringale de connaissance.
Les grands empiristes, LOCKE et HUME en tête, dominent alors la philosophie
anglaise. A la suite de Roger et Francis BACON, ils secouent avec succès le carcan de la
scolastique aristotélicienne. D’Outre-Manche, souffle également un vent nouveau et Adam
SMITH subit l’influence des Encyclopédistes. Il transpose dans le domaine marchand les
idées libérales des philosophes français à savoir « le principe simple et évident de la liberté
naturelle ».
Lorsqu’il rédige La Richesse des Nations de 1767 à 1776, la « révolution rationnelle »
du XVIIème a déjà produit ses effets sur les idées politiques dans les écrits de
MONTESQUIEU, VOLTAIRE, DIDEROT ou ROUSSEAU. En matière économique,
QUESNAY, après l’Anglais PETTY, cherche à ordonnancer les faits en dehors de toute
intervention divine. Adam SMITH marque, de ce point de vue, un moment fort du long
processus d’émancipation de la science économique vis-à-vis de la pensée théologique.
A la recherche des lois naturelles, il écrit dans sa Théorie des sentiments moraux que "
la société humaine est semblable à une immense machine dont les mouvements harmonieux et
réguliers produisent une foule d'effets agréables". L'optimisme est un trait de son caractère,
allié à un sens aigu de l'observation des mutations économiques de son temps, dont il est le
premier à tirer les conséquences théoriques.
Le premier penseur de la Révolution industrielle.
"Le personnage-clé au cours de cette évolution ne fut pas le marchand, qui achetait et vendait
les marchandises, mais l'industriel, qui les produisait."
J.K. Galbraith, L'Economie en perspective, Le Seuil, 1989, page 79.
Que le premier penseur de l’économie ait été un Britannique, rien de plus normal :
l’Angleterre est alors la première puissance mondiale.
Si l’économie française est encore très nettement agricole, les Anglais ont commencé,
au tournant du XVIIème, leur révolution agricole (entre 1560 et 1640) et dès la fin du
XVIIème, les diverses lois sur les « enclosures », qui jettent la main d’œuvre sur les routes à
la recherche d’un travail, ont assuré la restructuration de l’agriculture et permis aux grands
propriétaires de concentrer entre leurs mains 80% des terres. Même si, pour certains auteurs,
les "enclosures" étaient une rationalisation qui remédiait à ce que HARDIN a appelé "the
tragedy of commons" - car les biens communs étaient dégradés par tous - cette évolution a
constitué un véritable fléau social. Thomas MORE affirme dès le début du XVIème, un rien
grandiloquent, dans l’Utopie publiée en 1516 : « Les moutons mangent les hommes ».
13
Résultat : en 1688, on compte environ 4,5 millions d’agriculteurs sur 5,5 millions
d’habitants en Angleterre et en 1768, on en dénombre plus que 3 millions sur 8,5 millions
d’habitants - et le pays importe du blé.
Si les lois sur les « enclosures » sont la cause principale de la révolution agricole,
c’est l’évolution des techniques dans le textile et la sidérurgie qui va faire naître la première
révolution industrielle. Dès 1709 DARBY découvre un procédé qui permet de passer de la
fonte au bois à la fonte au coke. Pour les historiens, cette révolution s’étend de 1760 à 1830.
La publication de la Richesse des Nations se situe donc entre l’invention de la machine à
vapeur par James WATT en 1769 et la généralisation de son emploi en 1790. Cette dernière a
permis de faire fonctionner les métiers à tisser et à filer et a poussé la filature à la
mécanisation avec la « waterframe » de ARKWRIGHT en 1768. Il s'agit, selon
HEILBRONER, d'un processus de croissance endogène. Attention toutefois à ne pas faire de
contresens : à l'époque de SMITH, la révolution industrielle est en marche, mais l'industrie
reste constituée essentiellement de petites entreprises, artisanales pour la plupart, et dirigées
par des entrepreneurs qui y investissent leurs propres capitaux. Nous sommes encore très loin,
en 1776, du capitalisme des grandes sociétés.
Adam SMITH est donc le penseur qui conceptualise l'économie moderne,
l’accélération des techniques et le développement des machines-outils ; on peut d’ailleurs lire
dans La Richesse des nations : « Chez les peuples opulents de l’Europe, on emploie à présent
de grands capitaux dans le commerce et les manufactures (et non plus dans l’agriculture). »6
S'il peut apparaître comme le visionnaire capable d'anticiper l'évolution économique en cours
à son époque (le noyau dur de la révolution industrielle serait selon les historiens situé entre
1785 et 1799, avec l'augmentation sensible de la productivité), il va synthétiser les réflexions
antérieures en matière économique et faire prendre à l'histoire de la pensée un tournant
décisif.
L’homme de la grande synthèse économique.
« En économie comme en anatomie, le tout est beaucoup plus que la somme des parties. »
J.K. GALBRAITH, La Science économique et l’intérêt général, 1973.
Il n'a quasiment rien inventé, mais il a résumé ce qui était dans l’air du temps, mieux,
il a fécondé les idées de son temps. Avant lui des précurseurs, tels Pierre de
BOISGUILBERT, William PETTY, François QUESNAY, MANDEVILLE avaient publié
des études pertinentes sur tel ou tel domaine économique. Adam SMITH a assemblé le puzzle
pendant dix ans (la durée de gestation de La Richesse des Nations). Il a intégré et critiqué des
conceptions fragmentaires, partielles et confuses que d'autres avaient laissé avant lui : c’est un
synthétiseur.
Même le passage le plus célèbre de La Richesse des Nations n’est pas de lui. Adam
SMITH se garde bien de l'avouer, mais l’on sait aujourd’hui qu’il a traduit quasiment mot
pour mot l’article "Epingles" de l’Encyclopédie paru en 1755 (Tome 5, pages 803-807) signé
par DELAIRE, un pseudonyme de DELEYRE (1726-1797).
Le père de l’Economie politique.
6
Adam SMITH, RDN, traduction Garnier, Tome I, Livre II, chapitre III, page 418.
14
« Lisez Adam SMITH comme il le mérite et vous vous apercevrez qu’avant lui l’économie
politique n’existait pas. »
J-B. SAY.
22 Le travail, principale source de la richesse.
Relisons les premières phrases de La Richesse des Nations : "Le travail annuel d’une
nation est le fonds primitif qui fournit à sa consommation annuelle toutes les choses
nécessaires et commodes à la vie ; et ces choses sont toujours ou le produit immédiat de ce
travail, ou achetées des autres nations avec ce produit. Ainsi, selon que ce produit, ou ce qui
est acheté avec ce produit, se trouvera être dans une proportion plus ou moins grande avec le
nombre des consommateurs, la nation sera plus ou moins bien pourvue de toutes les choses
nécessaires ou commodes dont elle éprouvera le besoin. Or dans toute nation, deux
circonstances différentes déterminent cette proportion. Premièrement l'habileté, la dextérité et
l'intelligence qu'on y apporte généralement dans l'application du travail et deuxièmement, la
proportion qui s'y trouve entre le nombre de ceux qui sont occupés à un travail utile et le
nombre de ceux qui ne le sont pas".7
Le travail est donc le fondement de la prospérité collective : « le fonds primitif d’une
nation »8. Si la croissance est la base de la richesse, le travail est la base de la croissance.
Encore faut-il trier le bon grain de l'ivraie, ce que fait Adam SMITH en nous proposant sa
distinction essentielle entre travail productif (utile à la société) et travail improductif (au
mieux neutre, au pire nuisible).
221 La distinction travail productif/ travail improductif.
"Il y a une sorte de travail qui ajoute à la valeur de l'objet sur lequel il s'exerce, il y en
a une autre qui n'a pas le même effet. Le premier, produisant une valeur, peut être appelé
travail productif, le dernier travail non productif".
Adam SMITH, RDN, Tome I, Livre II, chapitre III, page 410.
Est productif tout travail qui ajoute une valeur nette au produit : « ainsi, le travail d'un
ouvrier de manufacture ajoute en général à la valeur de matière sur laquelle travaille cet
ouvrier, la valeur de sa substance et le profit de son maître. »9
En revanche, tous les autres types de travail sont improductifs. Adam SMITH définit
le travail improductif comme " le travail qui ne se fixe ni ne se réalise sur aucun objet ou
chose qui puisse se vendre". « Le travail de l’ouvrier se fixe et se réalise sur un sujet
quelconque, ou sur une chose vénale qui dure au moins quelque temps après que le travail a
cessé…. Le travail du domestique, au contraire, se fixe ou ne se réalise sur aucun objet, sur
7
RDN, Tome I, Livre I, chapitre I, page 1.
RDN, Tome I, Livre I, introduction, page 1.
9
RDN, Tome I, Livre II, chapitre III, pages 410-411.
8
15
aucune chose qu’on puisse vendre ensuite. En général, ses services périssent à l’instant même
où il les rend »10. En conséquence, "un particulier s’enrichit à employer une multitude
d’ouvriers fabricants; il s’appauvrit à entretenir une multitude de domestiques" .11
SMITH a un préjugé moral à l’encontre du travail improductif : « Le travail d’un
domestique, au contraire (de celui d’un ouvrier de manufacture) n’ajoute à la valeur de rien.
Quoique le premier (l’ouvrier) reçoive des salaires que son maître lui avance, il ne lui coûte,
dans ce fait, aucune dépense, la valeur de ces salaires se retrouvant en général avec un profit
de plus dans l’augmentation de valeur du sujet auquel ce travail a été appliqué. Mais la
subsistance consommée par le domestique ne se trouve nulle part. »12 Il ne faut toutefois pas
en conclure que le travail improductif est nécessairement méprisable : « Le travail de
quelques-unes des classes les plus respectables de la société, de même que celui des
domestiques, ne produit aucune valeur ; il ne se fixe ni ne se réalise sur aucun objet ou chose
qui puisse se vendre, qui subsiste après la cession du travail et qui puisse servir à procurer par
la suite une pareille quantité de travail. Le souverain, par exemple, ainsi que tous les
magistrats civils et militaires qui servent sous lui, toute l'armée, toute la flotte, sont autant de
travailleurs non productifs. Ils sont les serviteurs de l'Etat, et ils sont entretenus avec une
partie du produit annuel de l'industrie d'autrui. Leur service, tout honorable, tout utile, tout
nécessaire qu'il est, ne produit rien avec quoi on puisse ensuite se procurer une pareille
quantité de service. La protection, la tranquillité, la défense de la chose publique, qui sont le
résultat du travail d'une année, ne peuvent servir à acheter la protection, la tranquillité, la
défense qu'il faut pour l'année suivante. Quelques-unes des professions les plus graves et les
plus importantes, quelques-unes des plus frivoles, doivent être rangées dans cette classe : les
ecclésiastiques, les gens de loi, les médecins et les gens de lettres de toute espèce, ainsi que
les comédiens, les farceurs, les musiciens, les chanteurs, les danseurs d’Opéra, etc. Le travail
de la plus vile de ces professions a sa valeur qui se règle sur les mêmes principes que toute
autre sorte de travail ; et la plus noble et la plus utile ne produit par son travail rien avec quoi
on puisse ensuite acheter ou faire faire pareille quantité de travail. Leur ouvrage à tous, tel que
la déclamation de l’acteur, le débit de l’orateur ou les accords du musicien, s’évanouit au
moment même qu’il est produit. » 13
La répartition du revenu national entre productifs et improductifs.
Le problème de la répartition des richesses préoccupe peu Adam SMITH. Il rappelle
simplement que cette répartition se fait inégalement entre productifs et improductifs.
"Les travailleurs productifs et les non productifs, et ceux qui ne travaillent pas du tout,
sont tous également entretenus par le produit annuel de la terre et du travail du pays. Ce
produit, quelque grand qu'il puisse être, ne saurait être infini, et a nécessairement ses bornes.
Suivant donc que, dans une année, une portion plus ou moins grande de ce produit est
employée à entretenir des gens non productifs, plus ou moins grande sera la portion qui
restera pour les gens productifs, et plus ou moins grand sera par conséquent le produit de
10
RDN, Tome I, Livre II, chapitre III, page 413.
RDN, Tome I, Livre II, chapitre III, page 411-412.
12
RDN, Tome I, Livre II, chapitre III, page 411.
11
13
RDN, Tome I, Livre II, chapitre III, page 414.
16
l'année suivante : la totalité du produit annuel, à l'exception des productions spontanées de la
terre, étant le fruit du travail productif."14
Outre la question, secondaire aux yeux de SMITH, de la répartition des fruits du
travail, l’économiste s’intéresse en priorité aux moyens d’accroître ceux-ci, en augmentant la
productivité : c’est tout l’intérêt de la division du travail.
222 La loi de la division du travail.
"La division du travail engendre le surplus qui engendre l'échange."
RDN, Livre I, 1.
C’est la division du travail qui est la cause principale de la richesse des nations, autrement
dit : « L’opulence naît de la division du travail ». Encore faut-il distinguer la division du
travail au sein d’une entreprise industrielle de la division sociale du travail au sein de
chaque nation comme entre les différentes nations.
2221 La division du travail dans l'entreprise.
La division du travail est le principal moteur du progrès, même si elle n'est pas le seul,
car elle entraîne la spécialisation, laquelle permet plus d’efficacité et des progrès techniques.
« Dans chaque art, la division du travail, aussi loin qu’elle peut y être portée, donne lieu à un
accroissement proportionnel dans la puissance productive du travail. C’est cet avantage qui
paraît avoir donné naissance à la séparation des divers emplois et métiers. » 15
Les causes de la division du travail.
« Cette division du travail de laquelle découlent tant d’avantages, ne doit pas être
regardée dans son origine comme l’effet d’une sagesse humaine, qui ait prévu et qui ait pour
but cette opulence générale qui en est le résultat ; elle est la conséquence nécessaire, quoique
lente et graduelle, d’un certain penchant naturel à tous les hommes, qui ne proposent pas des
vues d’utilité aussi étendues : c’est le penchant qui les porte à trafiquer, à faire des trocs et
des échanges d’une chose pour une autre. »16 Elle peut apparaître dès lors que des besoins
complémentaires naissent et que des excédents sont accumulés : « Ainsi, la certitude de
pouvoir troquer tout le produit de son travail qui excède sa propre consommation, contre un
pareil surplus du produit du travail des autres qui peut lui être nécessaire, encourage l’homme
à s’adonner à une occupation particulière, et à cultiver et perfectionner tout ce qu’il peut avoir
de talent et d’intelligence pour cette espèce de travail. »17
14
RDN, Tome I, Livre II, chapitre III, page 415.
RDN, Tome I, Livre I, chapitre I, page 8.
16
RDN, Tome I, Livre I, chapitre II, page 18.
17
RDN, Tome I, Livre I, chapitre II, page 20.
15
17
La fameuse manufacture d’épingles.
Pour illustrer ce processus, SMITH emprunte à l'Encyclopédie l'exemple fameux de la
manufacture d'épingles.
« Un ouvrier tire le fil à la bobille (sic pour bobine), un autre le dresse, un troisième
coupe la dressée, un quatrième empointe, un cinquième est employé à émoudre le bout qui
doit recevoir la tête. Cette tête est elle-même l’objet de deux ou trois opérations distinctes ; la
frapper est une besogne particulière ; blanchir les épingles en est une autre, c’est même un
métier distinct et séparé que de piquer les papiers et d’y bouter les épingles ; enfin
l’important travail de faire une épingle est divisé en près de dix-huit opérations distinctes ou
environ, lesquelles, dans certaines fabriques, sont remplies par autant de mains différentes,
quoique dans d’autres le même ouvrier en remplisse deux ou trois. J’ai vu une petite fabrique
de ce genre qui n’employait que dix ouvriers, et où, par conséquent, quelques-uns d’eux
étaient chargés de deux ou trois opérations. Mais, quoique la fabrique fût fort pauvre, et, par
cette raison, mal outillée, cependant quand ils se mettaient en train, ils venaient à bout de
faire entre eux environ douze livres d’épingles par jour : or, chaque livre contient au-delà de
quatre mille épingles de taille moyenne. Ainsi, ces dix ouvriers pouvaient faire entre eux plus
de quarante-huit milliers d’épingles dans une journée. Donc chaque ouvrier, faisant une
dixième partie de ce produit, peut être considéré comme faisant dans sa journée quatre mille
huit cents épingles. Mais s’ils avaient tous travaillé à part et indépendamment les uns des
autres, et s’ils n’avaient pas été façonnés à cette besogne particulière, chacun d’eux
assurément n’eût pas fait vingt épingles, peut-être pas une seule, dans sa journée, c’est-à-dire,
à coup sûr, pas la deux cent quarantième partie, et pas peut-être la quatre mille huit centième
partie de ce qu’ils sont maintenant en état de faire, en conséquence d’une division et d’une
combinaison convenables de leurs différentes opérations ».18
Subdiviser les tâches et spécialiser les ouvriers permet d’augmenter la productivité.
« Cette grande augmentation dans la quantité d’ouvrage qu’un même nombre de bras est en
état de fournir, en conséquence de la division du travail, est due à trois circonstances
différentes : premièrement, à un accroissement d’habileté chez chaque ouvrier
individuellement, deuxièmement à l’épargne du temps qui se perd ordinairement quand on
passe d’une espèce d’ouvrage à une autre et troisièmement enfin, à l’invention d’un grand
nombre de machines qui facilitent et abrègent le travail, et qui permettent à un homme de
remplir la tâche de plusieurs ».19
Les bienfaits de la division du travail.
« Les plus grandes améliorations dans la puissance productive du travail, et la plus
grande partie de l'habileté, de l’adresse et de l'intelligence avec laquelle il est dirigé ou
appliqué, sont dues, à ce qu’il semble, à la division du travail »20.
Ce progrès est le fruit de trois facteurs. Les simples ouvriers qui « naturellement,
appliquaient toutes leurs pensées à trouver les moyens les plus courts et les plus aisés de
remplir leur tâche particulière qui faisait leur seule occupation »21, mais surtout les fabricants
de machines ont apporté leur contribution, car « un grand nombre (des découvertes tendant à
perfectionner les machines et les outils) est dû à l’industrie des constructeurs de machines,
18
RDN, Tome I, Livre I, chapitre I, pages 7-8.
RDN, Tome I, Livre I, chapitre I, page 11.
20
RDN, Tome I, Livre I, chapitre I, page 6.
21
RDN, Tome I, Livre I, chapitre I, page 13.
19
18
depuis que cette industrie est devenue l’objet d’une profession particulière, et quelques-unes à
l’habileté de ceux qu’on nomme savants ou théoriciens ». 22
Ainsi, la division du travail est à l’origine de l’innovation dans le processus de
production : « Il semble que c’est à la division du travail qu’est originairement due
l’invention de toutes ces machines propres à abréger et à faciliter le travail. Quand l’attention
d’un homme est toute dirigée vers un objet, il est bien plus propre à découvrir les méthodes
les plus promptes et les plus aisées pour l’atteindre, que lorsque cette attention embrasse une
grande variété de choses. Or, en conséquence de la division du travail, l’attention de chaque
homme est naturellement fixée tout entière sur un objet très simple. On doit donc
naturellement attendre que quelqu’un de ceux qui sont employés à une branche séparée d’un
ouvrage, trouvera bientôt la méthode la plus courte et la plus facile de remplir sa tâche
particulière, si la nature de cette tâche permet de l’espérer. »23
Enfin, cette même division du travail accroît le bien-être général : « Cette grande
multiplication dans les produits de tous les différents arts et métiers, résultant de la division
du travail, est ce qui, dans une société bien gouvernée, donne lieu à cette opulence générale
qui se répand jusque dans les dernières classes du peuple. Chaque ouvrier se trouve avoir une
grande quantité de son travail dont il peut disposer, outre ce qu’il en applique à ses propres
besoins ; et comme les autres ouvriers sont aussi dans le même cas, il est à même d’échanger
une grande quantité des marchandises fabriquées par lui, contre une grande quantité des leurs
ou, ce qui est la même chose, contre le prix de ces marchandises. Il peut fournir abondamment
ces autres ouvriers de ce dont ils ont besoin, et il trouve également à s’accommoder auprès
d’eux, en sorte qu’il se répand, parmi les différentes classes sociales, une abondance
universelle. » 24Du coup, « entre le mobilier d’un prince d’Europe et celui d’un paysan
laborieux et rangé, il n’y a peut-être pas autant de différence qu’entre les meubles de ce
dernier et ceux de tel roi d’Afrique qui règne sur dix mille sauvages nus, et qui dispose en
maître absolu de leur liberté et de leur vie ». 25
L’avantage principal de la division du travail est donc "d'accroître cette opulence
universelle qui s’étend jusque dans les classes les plus basses du peuple".
Limites et inconvénients de la division du travail.
CONCLUSION : le legs d'ADAM SMITH
« Quoi de neuf ? Adam SMITH. »
Milton FRIEDMAN
Cette boutade, bien connue des économistes, n’en est pas moins révélatrice de la
pérennité de la pensée d’Adam SMITH et même de son grand retour en force actuellement
après l’échec final du communisme.
ADAM SMITH : OBSOLETE ET VISIONNAIRE.
22
RDN, Tome I, Livre I, chapitre II, page 14.
RDN, Tome I, Livre I, chapitre I, page 13.
24
RDN, Tome I, Livre I, chapitre I, pages 14-15.
25
RDN, Tome I, Livre I, chapitre I, page 18.
23
19
« Depuis la fin du XIXème, la société anonyme géante envahissait de plus en plus la scène
économique. Son importance était pour tout le monde une réalité, sauf pour les traités
d’économie".
GALBRAITH, La Science économique et l’intérêt général, 1973.
Le penseur du capitalisme préindustriel.
Bien sûr, le capitalisme actuel est très différent du capitalisme préindustriel de 1776.
Adam SMITH ne croyait pas au développement de la société par actions et ne pensait pas
qu'une telle structure, dans laquelle les dirigeants sont les gestionnaires de l'argent des autres,
pût fonctionner de manière rentable. L'avènement de la société par actions lui a donné tort sur
ce point.
Le triomphe de la société par actions a abouti à une situation très différente du monde
de la petite entreprise du XVIIIème. SMITH décrit un monde atomistique dans lequel les
différents acteurs (notamment les entreprises) sont trop modestes pour influencer le marché.
Au XXème, l’Etat est un acteur économique ( quoique de moins en moins) et le « big
business »26 peut biaiser le jeu de la concurrence, d’où la création dans tous les grands pays
de diverses autorités de régulation qui traquent les abus de position dominante et les ententes
illicites pour fixer les prix. Au début du XXIème, on revient sans doute, grâce au contrôle de
ces instances, à un monde proche de la concurrence pure et parfaite, sous le contrôle des
juges.
Une étonnante prescience.
Si la société par actions a conquis le monde, si les grandes entreprises exercent des
monopoles ou des oligopoles dans certains secteurs, bien loin du monde atomisé d'Adam
SMITH, certains phénomènes économiques contemporains s'interprètent parfaitement grâce
sa grille d'analyse.
26
On se référera avec profit au livre de GALBRAITH : Le nouvel Etat industriel, 1967.
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