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TIC et croissance économique :
La diversité des fractures numériques
Enseignements tirés des pays du sud et de l’est de la Méditerranée.
Adel BEN YOUSSEF1
(ADIS, Université Paris-Sud)
EDHEC Business School
Résumé2
La diffusion des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) fait l’objet de
toutes les attentions des économistes, des gestionnaires comme des décideurs publics. Il s’agit à la fois de
hautes technologies (à évolution aussi constante que rapide) et de « technologies génériques » dont
l’usage se répand dans l’ensemble de l’économie et entraîne des flots d’innovations en même temps que
de forts gains de productivité. Il en résulte un rôle majeur dans les processus de croissance et dans la
diffusion des connaissances et des savoirs (Jorgenson 2001, Gordon, 2000a et 2000b, Mairesse, Cette et
Kocuglu, 2003, Boyer, 2002, Bellon, Ben Youssef et Rallet, 2003).
La question de la forme de la vitesse de diffusion de ces technologies est essentielle. Comme à
l’intérieur d’une même population, le retard de diffusion des TIC peut conduire à une marginalisation des
territoires les plus faiblement équipés. On est alors en face de création d’une fracture numérique. En
revanche, une diffusion proportionnellement plus rapide dans ces territoires est susceptible d’induire de
véritables s dynamiques de rattrapage. On serait alors en face de création d’un dividende numérique.
C’est aujourd’hui le souhait, aussi volontariste que peu nuancé, des organisations internationales, PNUD,
OCDE, Banque Mondiale ou FMI...
Cet article aborde la question sous un angle global. Il propose une analyse économique de la
notion de fracture numérique fondée sur les écarts de performances macro-économiques des pays pour un
même taux d’équipement.
Deux objectifs seront poursuivis :
- Comprendre et caractériser de manière dynamique les canaux de transmission des TIC en performances
macro-économiques (productivité, croissance économique, emploi…).
- Définir, de manière relative, la fracture numérique à partir de l’analyse des effets différenciés des TIC
sur les performances macro-économiques des nations.
1 Université Paris-Sud, Faculté Jean Monnet, 54 bld Desgranges 92331 Sceaux-Cedex. France. + 33 (1)
40 91 19 35 ; Télécopie +33 (1) 40 91 18 56 E-mail : adel.ben-youss[email protected] et www.adislab.net
2 Une première version de ce texte a été présentée au Séminaire ARC II – CEPREMAP à Paris, le 12
janvier 2004. Je tiens à remercier, Alain Rallet (ADIS-UPS), Claire Charbit (OCDE) d’avoir rapporté une
première version de ce travail, Pascal PETIT pour des commentaires et suggestions lors du séminaire du
CEPREMAP et Bertrand BELLON pour sa relecture et suggestions de modifications. Toutes les erreurs
ou les omissions demeurent de ma seule responsabilité.
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Introduction
L’objet de cet article consiste à examiner les fondements de la thèse de la
« fracture numérique » et d’en fournir une consistance à partir de l’examen des impacts
macro-économiques de ces dernières. Notre démarche sera illustrée par l’examen de
l’état de diffusion des TIC dans les PSEM (Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée)
et d’évaluer leur potentiel en termes de développement économique.
L’hypothèse d’émergence d’une nouvelle révolution industrielle « numérique »
a été sérieusement défendue dans la littérature économique (David et Wright, 1999,
David, 2001, Von Tunzelman, 2003, Boyer, 2002). Les TIC seraient responsables d’une
transformation des modes de production, des modes de consommation et des modalités
de transactions. De nombreux économistes se sont interrogé sur les impacts de ces
technologies sur la performance des entreprises (Bakos, 2001, Fraumani, 2001, Litan et
Rivlin, 2001, Bellon, 2002 et 2003), sur les performances des travailleurs (Bresnahan,
Brynjolfsson et Hitt, (2002), Greenan, L’horty et Mairesse (2002), Greenan et
Walkowiak (2003), et plus généralement sur celles des marchés (Bailey, 1999, Rallet et
Brousseau, 1999, Varian et Shapiro, 1999, Ben Youssef et Ragni, 2003 et 2004, Aréna,
2003). D’autres se sont davantage intéressés aux performances macro-économiques
telle que la croissance économique et la productivité (OCDE 1999, Gordon 2000,
Artus, 2002, Boyer, 2002, Petit, 2003, Mairesse, 2003, Gilles et L’horty, 2003,).
L’hypothèse d’un nouveau régime de croissance tiré par les TIC est devenue crédible
notamment suite à l’accélération des performances macro-économiques en termes de
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croissance et de productivité aux Etats-Unis (Gordon, 2002a et 2002b) et plus
généralement dans les pays de l’OCDE (Colecchia et Schreyer, 2002, Jorgenson, Ho et
Stiroh, 2003). Le phénomène de « Nouvelle Economie » n’est qu’une prémisse
annonciatrice de transformations radicales à venir (Bellon, Ben Youssef et Rallet,
2003).
Si dans un premier temps, la plupart des études se sont attachées à analyser la
relation TIC-productivité-croissance d’un point de vue spécifiquement macro-
économique pour les seuls pays industrialisés, une nouvelle littérature tente aujourd’hui
de généraliser ce type de travaux aux pays en développement afin d’évaluer les effets
potentiels des TIC sur leur forme spécifique de croissance (Obijiofor 1998, Jussawalla
1999, Mansell 1999, Wong 2002). L’ensemble de ces dernières contributions part du
constat selon lequel il existerait un différentiel dans les équipements et dans les
prédispositions du tissu industriel des PVD comparativement à son homologue des pays
industrialisés à utiliser les TIC. Elles cherchent à comprendre si les TIC peuvent être à
l’origine d’un rattrapage entre les pays du Nord et du Sud ou à l’origine d’un effet de
mise à l’écart des PVD en matière de croissance économique.
La thèse de l’apparition d’une fracture numérique a été évoquée (UNDP (1999),
Quibria et alii 2002, Boyer (2002), Petit (2002), OCDE, 2001, Wong, 2002, Antonelli,
2003, M’henni et Methamem (2004)). Parmi les éléments discriminatoires structurels
entre pays industrialisés et PVD, on a souligné l’écart en termes de productivité. Sous
l’effet des TIC cet écart augmenterait. Il s’en suivrait une marginalisation des pays
concernés.
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Les menaces d’une fracture numérique sont accompagnées d’autant
d’espérances. Dès lors que les TIC sont capables d’augmenter la productivité et le
potentiel de croissance, elles pourraient conduire les PVD a accélérer leur rattrapage.
On parle alors de dividende numérique.
En se gardant des généralisations, force est de reconnaître que, pour un ensemble
de raisons qui se cumulent, l’opportunité ouverte par les TIC, n’a rien de comparable
avec les autres recettes mises en pratique par les institutions internationales (OMC,
Banque Mondiale, FMI,…) pour accélérer la croissance des PVD (libéralisation,
déréglementation, taux de change,…). On est en face d’une approche globale qui
dépasse pour une fois les caractéristiques macro-économiques et y associe des
dynamiques fondées sur les institutions et les organisations micro-économiques, les
savoirs, l’innovation et l’accélération des productivités. Les TIC constituent un
instrument de rationalisation et de renouvellement de la production, des circuits de
distribution et de l’ensemble des chaînes de création de la valeur.
Alors que la majeur partie de la littérature consacrée à la fracture numérique
aborde la question des impacts macro-économiques sous l’angle de l’homogénéité des
trajectoires technologiques des pays face aux TIC, nous proposons une grille de
lecture fondée sur la notion de trajectoire différenciée. Les conditions nécessaires à
l’émergence d’un régime de croissance tiré par les TIC dans les PSEM seront prises
pour terrain d’analyse.
Pour ce faire, nous proposerons de discuter la notion de fracture numérique dans
une première section et d’en comprendre les diverses facettes.
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La seconde section soulignera les principaux canaux de transmission des TIC
sur la croissance économique.
Ceci nous permettra de proposer, dans une troisième section, une définition des
« fractures numériques relatives », reflétant les niveaux d’incapacité de certains pays de
bénéficier pleinement de l’ensemble des effets des TIC.
La quatrième section présentera l’état de la diffusion des TIC dans l’espace
euro-méditerranéen et discutera l’ensemble des effets soulignés pour les PSEM.
Section 1 : Les définitions de la fracture numérique.
Le concept de « fracture numérique » ne renvoie pas à une définition précise et
stabilisée. A l’instar de « nouvelle économie », ce terme a été popularisé par les médias
et les décideurs publics suite aux différences de réactions devant les questions de
l’Internet, de la téléphonie mobile, du haut débit ou de la couverture territoriale. Il
désigne au sens large les inégalités économiques et sociales générées par les
technologies de l’information et de la Communication. Cette notion se décline en
fonction de la problématique et du contexte abordé. Tantôt elle désigne la non
accession de certaines catégories sociales aux TIC. Ainsi aux Etats-Unis, le débat porte
sur la non accession de certaines catégories de la population aux services de base
(Téléphone) ou à l’Internet. En Europe, le débat porte davantage sur la couverture
géographique de certains territoires par les opérateurs privés de téléphonie en relation
avec les effets des vagues de déréglementation. Ainsi, une fracture « géographique »
marginalise certains territoires et certaines populations. En France, le débat a porté sur
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