L’ACTUALITÉ 1ER MAI 2015 } 39
ÉCONOMIE SOULAGER LA SOUFFRANCE
DU PEUPLE GREC
par Pierre Fortin
Faut-il punir un peuple parce que son gouver-
nement a fait l’erreur de laisser tomber sa
monnaie pour l’euro ?
La Grèce est l’un des pays les moins riches
d’Europe. La dépression qu’elle subit depuis sept
ans dépasse l’entendement. En 2007, son revenu
national (PIB) était de 235 milliards d’euros. Si la
croissance s’était poursuivie au même rythme que
dans les 15 années précédentes, il aurait augmenté
de 50 milliards de 2007 à 2014. C’est l’inverse qu’on
a observé : le PIB grec a diminué de
60 milliards, un écart de 110 mil-
liards d’euros entre ce qu’on atten-
dait et ce qui s’est produit. C’est
énorme pour une petite économie
comme celle de la Grèce. Le quart
des adultes et la moitié des jeunes
sont présentement au chômage.
Une opinion répandue attribue
les difficultés du pays aux défi-
ciences « structurelles » de son éco-
nomie : réglementation excessive,
fiscalité complexe, corruption endé-
mique, etc. Ces déficiences sont
réelles, mais il est illogique de leur
attribuer la responsabilité de la dépression actuelle.
Présentes dans les décennies antérieures, elles n’ont
pas empêché la Grèce de connaître une croissance
économique plus rapide que la moyenne européenne
au courant des années 1990, par exemple.
L’explication la plus plausible est que les contre-
coups de la récession mondiale de 2008-2009 sur
la Grèce ont été amplifiés démesurément par le fait
que le pays a abandonné sa monnaie, la drachme,
pour adhérer à l’euro, en 2001.
Cela a provoqué un énorme afflux de capitaux vers
le pays et entraîné un boum économique jusqu’en
2007. Les prix de l’immobilier ont doublé. L’inflation
a fait bondir les coûts de production. Mais quand la
bulle immobilière a éclaté, que les entreprises
grecques ont perdu tout avantage compétitif et que
la récession mondiale a frappé, les Grecs ont essuyé
une crise bancaire, une dépression économique et
une explosion du déficit budgétaire et de la balance
des paiements tout à la fois. La « tempête parfaite ».
Pris de panique, les investisseurs européens ont cessé
de prêter aux banques et au gouvernement grecs,
sauf à des taux d’intérêt inabordables.
Le pays était coincé. Il ne pouvait pas déprécier la
drachme afin de redresser la compétitivité de ses
entreprises et de relancer l’économie, puisqu’elle
avait disparu. Il ne pouvait pas non plus faire appel
à sa banque centrale pour fournir d’urgence les
liquidités dont les banques privées et le gouvernement
avaient besoin. Dans la zone euro, les prêts de dernier
recours ne pouvaient provenir que d’organismes
européens ou internationaux : la Commission euro-
péenne, la Banque centrale européenne et le Fonds
monétaire international (FMI).
Ces trois institutions ont accepté
de prêter les milliards requis en
2010, mais en imposant un plan
d’austérité infiniment plus sévère
que dans tout autre pays européen.
Jusqu’en 2014, le gouvernement
grec s’y est conformé, et si bien que
le FMI a qualifié sa performance
de « réussite extraordinaire qui
défie toute comparaison interna-
tionale ». Les données du FMI
indiquent que le degré d’austérité
appliqué par la Grèce en quatre
ans a été de deux à trois fois plus
important qu’en Irlande, au Portugal et en Espagne,
où les compressions ont aussi été très dures.
Le remède a tué le patient. En acceptant de
prêter à la Grèce, le FMI avait annoncé qu’en 2014
le plan d’austérité permettrait au PIB grec de
remonter à son niveau de 2009 — 220 milliards
d’euros. Or, il s’est trompé de 20 % : le PIB grec a
atteint non pas 220, mais 175 milliards d’euros en
2014 ! L’austérité a eu des conséquences beaucoup
plus graves que prévu sur l’économie réelle.
De la souffrance est venue la colère. En décembre
dernier, les Grecs ont élu un gouvernement qui
conteste le plan d’austérité. Afin de modérer la
pression, il réclame que les cibles de surplus bud-
gétaires encore plus dures imposées pour 2015 et
2016 soient réduites et que la période de rembour-
sement de l’emprunt soit allongée.
Il faut espérer qu’une entente sera conclue entre
parties raisonnables. Sinon, la Grèce pourrait
quitter la zone euro et cesser de payer ses créan-
ciers. Tout le monde y perdrait : les créanciers,
l’Europe, le gouvernement et les banques grecs et,
surtout, le peuple lui-même.
Depuis 2007,
le PIB de la
Grèce a fondu
de 40%.
ÉVOLUTION DU REVENU NATIONAL
DE LA GRÈCE DE 2007 À 2014
2007 2009 20112008 2010 2012 2013 2014
170
180
190
200
210
220
230
(Source : OCDE)
MILLIARDS D’EUROS
JOHN KOLESIDIS / REUTERS