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On peut se demander si l’aveuglement n’est pas une caractéristique des comportements
économiques. Aveuglément dans les phases d’expansion et d’euphorie, quand les acteurs
économiques pensent que les temps heureux ne finiront jamais car « this time is different »
(Reinhart et Rogoff, 2009). Aveuglement dans les périodes de crise où chacun recherche les
coupables dans les actions des uns et des autres qui, par leur maladresse, leur ignorance ou
leur avidité, ont mis à mal un système « si parfait » qui permettait de générer tant de profits
faciles à certains et prodiguait tant de confort intellectuel à d’autres, économistes et autres
« experts », convaincus d’avoir enfin mis en place un système conforme à leurs modèles qui,
bien sûr, ne pouvaient pas être faux. N’est-ce pas Lucas1, un des tenants de la théorie dite « des
anticipations rationnelles », qui déclarait en 2003 : « Nul ne peut contester à la macro-
économie son plein succès : Le problème de la prévention d’une nouvelle dépression, qui était
son problème crucial, a été pleinement résolu ».
Certes, la crise mondiale que nous connaissons est forte et durable et son issue est encore très
incertaine2, tant la période qui l’a précédée a été marquée par des déséquilibres majeurs et
généralisés : explosion du crédit, boom immobilier, « bulles spéculatives » sur de nombreux
actifs avec un écrasement rare de toutes les primes de risque, poussée sur les prix des matières
premières et des produits alimentaires….. Mais, est-elle pour autant exceptionnelle dans ses
manifestations essentielles ? Certainement non. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à
l’historique des crises qui ont marqué ces deux dernières décennies3. Pourtant, face à un tel
phénomène, la tentation est grande de s’en tenir à la surface des phénomènes. Du côté
américain de l’Atlantique, les analyses des économistes et autres commentateurs4 tournent
autour de deux thèmes : (1) Le président du Federal Reserve Board, Allan Greenspan, est
coupable5, d’une part, d’avoir maintenu les taux d’intérêt directeurs trop bas et trop
longtemps après la crise de 2001 (dite « Crise Internet ») et , d’autre part, d’avoir été trop
complaisant avec les marchés financiers en leur faisant croire qu’ils seraient toujours soutenus
en cas de faiblesse trop appuyée6 ; (2) le processus d’octroi des crédits dits « subprimes »7 a été
fautif et, derrière lui, c’est toute une chaine du désastre qui s’est mise en place : titrisation de
mauvaises créances, structuration de ces dernières avec des effets leviers trop importants,
1 Presidential Lecture, American Economic association, 2003
2 Ecrit en Septembre 2011 alors que les marchés donnent de nouveaux signes inquiétants de faiblesse.
3 Voir le tableau présenté page X
4 Cooper(2008), Fleckenstein (2008), Morris (2008),Philips (2008), Turner (2008), Kaufman (2009), Lowy (2009), Mauldin et Tepper (2011)],
5 Une bonne revue des critiques adressées à ce Président du Fed, longtemps loué avant d’être voué aux gémonies, se trouve dans Fleckenstein
(2008) qui a sous-titré son livre sur Greenspan : « The Age of Ignorance at the Federal Reserve ».
6 C’est ce que les marchés ont appelé: “The Greenspan’s put”.
7 Crédits hypothécaires dits « subprimes » : crédits accordés à des ménages à la situation financière fragile, en dessous du seuil minimal FICO
(credit scoring) fixé pour bénéficier d’un prêt qualité « prime » (taux d’intérêt plus bas en raison d’une prime de risque moins élevé).