96 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 34, “Le rapport à l’image”
de la Biblia Pauperum, Grégoire le Grand
prend soin de ne pas réduire l’image à
être une simple répétition visuelle du
texte ; à côté des deux fonctions principa-
les qui sont celles d’instruire et de fixer
la mémoire (anamnèse), l’image possède
également une troisième fonction que
Grégoire le Grand appelle la componc-
tion. Il s’agit d’une fonction affective,
que l’on pourrait rapprocher [d’une]
‘esthétique de l’expérience’ : le fait de
voir des scènes représentées suscite chez
le fidèle une émotion qui favorise l’expé-
rience religieuse. » (J. Cottin, Prédication
et images, p. 635-636)
Malgré cette argumentation, l’usage
de l’image dans l’Église conduisit à une
fixation sur le concret et le visible, à
l’oubli de la transcendance, à une dérive
païenne et à un détournement idolâtrique
de l’image.
C’est du moins le constat que firent les
Réformateurs environ huit siècles après
la mise en avant de la Bible des illettrés
par le pape Grégoire le Grand.
On sait que les Réformateurs s’éle-
vèrent – mais à des degrés divers et
variables – contre les abus qu’ils avaient
constatés au sujet de l’utilisation des
images dans le culte et les dévotions
publiques et privées par le catholicisme
de leur temps. Ils se référaient pour cela,
comme cela avait été fait auparavant par
certains théologiens chrétiens, ainsi que
dans d’autres religions, aux interdic-
tions de l’image faites déjà par l’Ancien
Testament (Exode 20, 2-6) et aussi à
l’invitation, dans le Nouveau Testament,
d’adorer Dieu « en esprit et en vérité ».
(Jean 4, 24)
Martin Luther, que l’on dit de toute
façon et sans doute à juste titre, être de
tous les Réformateurs celui qui est le
plus proche de la sensibilité catholique,
ne rejetait pas totalement l’utilisation des
images en contexte ecclésial, puisqu’il
leur reconnaissait une valeur pédagogi-
que. Bien qu’à ma connaissance il ne leur
ait jamais appliqué cette dénomination,
elles font en quelque sorte partie, pour
lui, des adiaphora, des choses indiffé-
rentes ou secondaires. Son Grand Caté-
chisme était d’ailleurs illustré, alors que,
paradoxalement, le Petit Catéchisme, des-
tiné explicitement à l’usage des familles,
au sein desquelles tout le monde ne savait
pas lire, n’était, lui, pas illustré. Il est vrai
aussi que des images et des symboles à
contempler et à lire ou à interpréter exis-
taient à l’époque à tous les coins de rue
(églises, crucifix, calvaires, etc.).
Jean Calvin et Huldrich Zwingli
avaient, quant à eux, pris position pour
un iconoclasme assez sévère et rigoureux,
afin d’enlever du culte et de la pratique de
la foi toute trace païenne.
Ainsi, l’adoration, sous la forme de
l’écoute de la Parole, devait se faire dans
un espace le plus dépouillé possible, sans
images, qu’elles soient sacrées ou non,
sans statues, sans représentations, sans
mobilier même, autre qu’une table pour
l’autel et des bancs et chaises (les plus
rudes et inconfortables possibles). Tout
cela est relativement bien connu.
Aujourd’hui les données ont un peu
changé et évolué dans le protestantis-
me et il faut tordre le cou à un cliché
encore trop répandu. Pour le dire avec
J. Cottin : « On tend maintenant à diffé-
rencier entre une tradition protestante,
par nature iconoclaste, et la théologie
protestante, plus ouverte à une certaine
conception de l’image. Quant à la pra-
tique ecclésiale actuelle, elle accueille
même favorablement les images (caté-
chèse, mission, présence dans les médias,
méditation, expression liturgique), mais
sans que cet accueil soit, sauf exception,
véritablement réfléchi, théologiquement,
esthétiquement ou spirituellement. »
(Encyclopédie du Protestantisme, article
« Iconoclasme », p. 712)
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Les images trouvent maintenant leur
place dans l’enseignement de la religion,
d’une part, parce que l’on a bien compris
et depuis assez longtemps, dans les Égli-
ses – protestantes incluses
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–, la nécessité
de s’adresser et de parler à tout l’homme,
et donc à tous ses sens, et pas seulement,
comme c’est le cas pour l’emploi exclusif
de la Parole, à l’intellect, à la pensée et à
l’ouïe, et, d’autre part, parce que l’on a
re-découvert l’importance de la commu-
nication non-verbale, dont l’usage des
images fait partie.
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L’image sous toutes ses formes : des-
sins, peintures (dans des Bibles illustrées),
statuaires, tableaux, photos, mosaïques, et
plus récemment la télévision, le cinéma,
la BD, les logiciels d’ordinateurs (ou les
CDRom), voire la publicité, ont trouvé
droit de cité et d’usage comme outils
dans la catéchèse et l’enseignement de la
religion dans le ou les protestantismes ;
l’image y est considérée, non pas tant,
comme ce fut longtemps le cas dans le
catholicisme, comme ancilla theologiae,
servante de la théologie, mais comme
servante de la pédagogie et de la didacti-
que. Ainsi l’illustration biblique, notam-
ment, se porte plutôt bien et représente
un moyen privilégié de transmission de
l’histoire biblique à un public contempo-
Illustration 2 – La résurrection de Jésus-Christ, in De la Bible à l’image, p. 127