L`utilisation de l`image dans l`enseignemenrt de la religion

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BERNARD KAEMPF
Faculté de Théologie prostestante
Université Marc Bloch
<[email protected]>
L’utilisation de l’image
dans l’enseignemenrt
de la religion
Remarques
préliminaires et
définitions
■
1) Importance du contexte
Dans ce qui suit, je me placerai du
point de vue du protestant luthérien
alsacien que je suis et qui a à faire professionnellement avec cette confession,
puisque j’enseigne la théologie pratique
ou pastorale, ce qui requiert une bonne
connaissance du terrain et un contact
quasi permanent avec lui. Cet arrièreplan sera peut-être perceptible dans ce
que je serai amené à dire, mais j’espère
cependant que mes réflexions et propos
sauront dépasser l’horizon purement
confessionnel et régional et se révéler
pertinents dans d’autres contextes religieux.
Je ferai également, – et je ne suis
évidemment pas le seul à tenir cette
position – une distinction entre l’enseignement de la religion en milieu scolaire
et l’enseignement de la religion au sein
d’une communauté croyante, dans le
cadre de la catéchèse paroissiale ; les
objectifs ne sont, en principe, pas les
mêmes dans les deux contextes.
Dans le milieu scolaire, dans l’École
laïque et au niveau du Ministère de l’Éducation Nationale (et même si l’Alsace et
la Moselle ont un statut particulier à cet
94
égard), on a bien pris conscience, assez
récemment, de l’importance de promouvoir ce que l’on a coutume d’appeler la
culture religieuse. L’objectif explicite est
alors de familiariser les apprenants avec
telle ou telle religion ou confession, afin
qu’ils puissent la situer dans l’histoire,
et en connaître les origines, les sources
(d’où aussi l’appellation de culture biblique, quand la source est la Bible), son ou
ses fondateurs, et ce en-dehors de toute
référence ecclésiale (hormis en Alsace et
en Moselle). La matière sera, ou devrait
alors être – je suis prudent – pensée et
dispensée selon les mêmes critères que
les autres disciplines scolaires. L’accent
sera mis sur un certain nombre de savoirs
et de savoir-faire, même si le savoirêtre n’est pas absent, ou ne devrait pas
l’être – mais cela est une autre histoire.
Par contre, dans le cadre d’une
communauté croyante, l’objectif de la
culture religieuse existera certes également, mais d’autres objectifs, comme
celui de la transmission de traditions, de
valeurs, de doctrines, pour ne pas dire
de la foi, ainsi que la recherche commune de sens seront au moins autant,
sinon plus, présents. En principe on y
évoquera davantage de questions existentielles (telles que celles de Dieu, de
la personne humaine, de la relation à
autrui, de naître, vivre, mourir, renaître),
que de questions de pure connaissance.1
Bernard Kaempf
La différence au niveau des objectifs
se marquera déjà dans l’appellation, car
on parlera rarement d’enseignement de la
religion, mais plutôt de catéchèse (paroissiale ou ecclésiale), – du moins dans le
cadre de la religion chrétienne – et on
mettra au moins autant l’accent sur le
savoir-faire (célébrer, prier) et le savoirêtre (éthique), que sur l’acquisition de
connaissances pures.
Si les objectifs sont différents, ou ne
se recouvrent pas en totalité, la méthode
d’enseignement, la didactique, sera de ce
fait sans doute également différente, et,
par là même, le statut des outils, parmi
lesquels l’image qui nous intéresse plus
spécialement ici, sera lui aussi différent.
Je me situerai aujourd’hui très clairement dans une perspective de culture religieuse et ma préoccupation sera surtout
d’ordre psychopédagogique et didactique,
mais il me faudra quand même évoquer,
au moins brièvement, le contexte de la
catéchèse paroissiale.
2) L’image
Le concept d’image est pris dans son
sens et son acceptation les plus larges.
Image désignera de façon globale le dessin, la peinture, y compris la peinture
comme œuvre d’art2, les statues, mais
aussi les dessins animés, les bandes dessinées, les photos, et tous documents
disponibles actuellement sur supports
audio-visuels, y compris les logiciels
informatiques et les CDRom, en tant
qu’ils sont des tentatives pour représenter
des choses et des événements et les rendre présents et visibles, et en particulier
pour donner accès à la dimension de
l’invisible et du transcendant. Dans ce cas
l’image sera considérée à la fois comme
métaphore et comme symbole.
Et puis j’ajouterai encore, que la parole elle-même, par les mots, les sons, les
paraboles et la plastique employés, peut
très bien être ou faire image.
Il ne saurait évidemment être question
de traiter ici toutes ces catégories d’images ; en procédant par touches, je prendrai
deux exemples d’images modernes dont
l’utilisation dans le cadre de l’enseignement n’est pas encore courante, mais qui
pourrait se généraliser dans l’avenir : il
s’agit d’un document sur CDRom et d’un
ouvrage basé sur la publicité.
L'utilisation de l'image dans l'enseignement de la religion
Je me sens d’autant plus libre de proposer cette démarche que tout ou presque
a déjà été dit au sujet des images au sens
classique du terme. Un rappel historique
relativement bref à ce sujet devrait donc
suffire.
Rappel historique
■
Ce bref rappel historique a pour but de
montrer d’où nous venons, afin de mieux
savoir où nous en sommes, à défaut d’être
parfaitement au clair par rapport à ce vers
quoi nous allons.
Le débat concernant l’utilisation des
images en Église ne date pas seulement
du temps de la Réforme. La querelle des
images (cf. Christus, 66ss) remonte aux
VIe et VIIe s. et elle a ébranlé l’Empire
romain d’Orient : la controverse tournait
autour de la place de l’art dans l’Église.
L’argument, devant l’envahissement
progressif de l’image, était, déjà à ce
moment-là, que le culte rendu au Dieu
invisible est un culte « en esprit et en
vérité » et qu’il n’a donc pas besoin des
images.
Si l’iconophilie a finalement triomphé, cela était dû en partie à une sorte de
« purification » du culte de l’image, et en
partie à une réflexion théologique autour
de l’incarnation. Le raisonnement était le
suivant : en Jésus-Christ Dieu lui-même
prend corps et visage, et par lui la dimension de l’éternité entre dans l’histoire.
L’incarnation de Dieu est l’événement
décisif de l’histoire humaine, et cela nous
autorise à faire des images et à nous
appuyer sur des représentations visibles
qui reçoivent un autre statut que celui
qu’elles ont dans l’Ancien Testament.
Cette dernière réflexion se concrétise
dans des considérations pédagogiques
et didactiques, qui ont été reprises et
approfondies par la suite.
C’est surtout le pape Grégoire le Grand
qui aurait – je dis aurait, car cela est contesté par certains historiens, et je ne suis
moi-même pas assez qualifié pour me
prononcer – revêtu cette idée de son autorité et défini l’image chrétienne comme la
Bible des illettrés ou des pauvres3. Cette
formule qui convenait parfaitement à des
objectifs didactiques, cultuels et pastoraux s’est imposée sans trop de peine.
« Ainsi, dans sa définition de sa doctrine
Illustration 1 – L’ascension de Jésus-Christ, in La Bonne Nouvelle, p. 188.
95
de la Biblia Pauperum, Grégoire le Grand
prend soin de ne pas réduire l’image à
être une simple répétition visuelle du
texte ; à côté des deux fonctions principales qui sont celles d’instruire et de fixer
la mémoire (anamnèse), l’image possède
également une troisième fonction que
Grégoire le Grand appelle la componction. Il s’agit d’une fonction affective,
que l’on pourrait rapprocher [d’une]
‘esthétique de l’expérience’ : le fait de
voir des scènes représentées suscite chez
le fidèle une émotion qui favorise l’expérience religieuse. » (J. Cottin, Prédication
et images, p. 635-636)
Malgré cette argumentation, l’usage
de l’image dans l’Église conduisit à une
fixation sur le concret et le visible, à
l’oubli de la transcendance, à une dérive
païenne et à un détournement idolâtrique
de l’image.
C’est du moins le constat que firent les
Réformateurs environ huit siècles après
la mise en avant de la Bible des illettrés
par le pape Grégoire le Grand.
On sait que les Réformateurs s’élevèrent – mais à des degrés divers et
variables – contre les abus qu’ils avaient
constatés au sujet de l’utilisation des
images dans le culte et les dévotions
publiques et privées par le catholicisme
de leur temps. Ils se référaient pour cela,
comme cela avait été fait auparavant par
certains théologiens chrétiens, ainsi que
dans d’autres religions, aux interdictions de l’image faites déjà par l’Ancien
Testament (Exode 20, 2-6) et aussi à
l’invitation, dans le Nouveau Testament,
d’adorer Dieu « en esprit et en vérité ».
(Jean 4, 24)
Martin Luther, que l’on dit de toute
façon et sans doute à juste titre, être de
tous les Réformateurs celui qui est le
plus proche de la sensibilité catholique,
ne rejetait pas totalement l’utilisation des
images en contexte ecclésial, puisqu’il
leur reconnaissait une valeur pédagogique. Bien qu’à ma connaissance il ne leur
ait jamais appliqué cette dénomination,
elles font en quelque sorte partie, pour
lui, des adiaphora, des choses indifférentes ou secondaires. Son Grand Catéchisme était d’ailleurs illustré, alors que,
paradoxalement, le Petit Catéchisme, destiné explicitement à l’usage des familles,
au sein desquelles tout le monde ne savait
pas lire, n’était, lui, pas illustré. Il est vrai
aussi que des images et des symboles à
contempler et à lire ou à interpréter existaient à l’époque à tous les coins de rue
(églises, crucifix, calvaires, etc.).
Jean Calvin et Huldrich Zwingli
avaient, quant à eux, pris position pour
un iconoclasme assez sévère et rigoureux,
afin d’enlever du culte et de la pratique de
la foi toute trace païenne.
Ainsi, l’adoration, sous la forme de
l’écoute de la Parole, devait se faire dans
un espace le plus dépouillé possible, sans
images, qu’elles soient sacrées ou non,
sans statues, sans représentations, sans
mobilier même, autre qu’une table pour
l’autel et des bancs et chaises (les plus
rudes et inconfortables possibles). Tout
cela est relativement bien connu.
Aujourd’hui les données ont un peu
changé et évolué dans le protestantisme et il faut tordre le cou à un cliché
encore trop répandu. Pour le dire avec
J. Cottin : « On tend maintenant à différencier entre une tradition protestante,
par nature iconoclaste, et la théologie
protestante, plus ouverte à une certaine
conception de l’image. Quant à la pratique ecclésiale actuelle, elle accueille
même favorablement les images (catéchèse, mission, présence dans les médias,
méditation, expression liturgique), mais
sans que cet accueil soit, sauf exception,
véritablement réfléchi, théologiquement,
esthétiquement ou spirituellement. »
(Encyclopédie du Protestantisme, article
« Iconoclasme », p. 712)4
Les images trouvent maintenant leur
place dans l’enseignement de la religion,
d’une part, parce que l’on a bien compris
et depuis assez longtemps, dans les Églises – protestantes incluses5 –, la nécessité
de s’adresser et de parler à tout l’homme,
et donc à tous ses sens, et pas seulement,
comme c’est le cas pour l’emploi exclusif
de la Parole, à l’intellect, à la pensée et à
l’ouïe, et, d’autre part, parce que l’on a
re-découvert l’importance de la communication non-verbale, dont l’usage des
images fait partie.6
L’image sous toutes ses formes : dessins, peintures (dans des Bibles illustrées),
statuaires, tableaux, photos, mosaïques, et
plus récemment la télévision, le cinéma,
la BD, les logiciels d’ordinateurs (ou les
CDRom), voire la publicité, ont trouvé
droit de cité et d’usage comme outils
dans la catéchèse et l’enseignement de la
religion dans le ou les protestantismes ;
l’image y est considérée, non pas tant,
comme ce fut longtemps le cas dans le
catholicisme, comme ancilla theologiae,
servante de la théologie, mais comme
servante de la pédagogie et de la didactique. Ainsi l’illustration biblique, notamment, se porte plutôt bien et représente
un moyen privilégié de transmission de
l’histoire biblique à un public contempo-
Illustration 2 – La résurrection de Jésus-Christ, in De la Bible à l’image, p. 127
96 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 34, “Le rapport à l’image”
Bernard Kaempf
rain qui lit beaucoup moins qu’autrefois
et qui est assez déchristianisé.
L’ouvrage illustré protestant qui a
beaucoup marqué les esprits et qui a été
en usage jusque vers 1960 date de la première moitié du XXe siècle et s’appelle
La Bonne Nouvelle ; il devait familiariser
les catéchumènes avec la Bible à travers
le mode narratif. Nous présentons un
extrait qui a trait à l’ascension de Jésus
(voir illustration 1). Ce dessin ressemble beaucoup à celui qui figure dans un
livre d’origine catholique (reproduit dans
l’ouvrage De la Bible à l’image, illustration 2), mais où il représente en fait la
résurrection de Jésus .
Je voudrais ajouter encore un autre
dessin, contenu lui aussi dans la même
Bonne Nouvelle, car il a marqué – positivement mais surtout négativement – l’esprit de milliers de catéchumènes : c’est
la représentation du « sacrifice d’Isaac »
appelé aussi « ligature d’Abraham »
(illustration 3) ; beaucoup de personnes
se souviennent de ces dessins, et retrouvent derrière et grâce à eux le passage
ou l’histoire biblique correspondant ;
mais certaines disent également, et je
l’ai entendu dire plus d’une fois, que c’est
précisément cette image du sacrifice et de
l’immense couteau qui les a traumatisés
L'utilisation de l'image dans l'enseignement de la religion
dans leur jeunesse et leur a fait prendre
de la distance, aussi bien par rapport à ce
Dieu cruel que par rapport à l’Église qui
se réclame de lui.
Les enseignants de religion comme
ceux d’histoire connaissent tous bien
l’empreinte durable, mais reposant malheureusement sur des bases souvent fausses ou caricaturales, que peut laisser dans
l’esprit des élèves un film du genre peplum
ou une bande dessinée consacré(e) à un
sujet historique ou religieux.
Ces réactions sont bien la preuve, s’il
en fallait, que l’image est toujours ambivalente et sa lecture paradoxale, mais
aussi que l’image est finalement ce qui
reste lorsque l’on a tout oublié, car elle
fixe la mémoire de manière beaucoup
plus directe et efficace qu’un texte ou
qu’une parole.
C’est parce que l’on a bien pris conscience de cela, que l’on a fréquemment
recours, surtout dans le protestantisme
anglo-saxon, à des Bildpredigten, des
sermons illustrés par une image (ou une
peinture) montrée à l’assemblée cultuelle
sous forme de diapositive et commentée
en chaire par le pasteur. On aurait là en
quelque sorte un moyen terme entre la
culture biblique et la catéchèse dont il
sera question plus loin.
Illustration 3 – « Sacrifice d’Isaac » ou « Ligature d’Abraham », in La Bonne Nouvelle, p. 18
Je serais tenté de voir encore une trace
de la différence entre approche catholique et protestante de l’image, dans le fait
que du côté protestant, on confectionnera
plutôt un CDRom avec le texte biblique et ses différentes langues originelles
(hébreu et grec) accompagné d’un certain
nombre de traductions (La Bible Online),
et on y ajoutera comme seules illustrations quelques cartes géographiques
qui sont, elles, difficiles à idolâtrer ; par
contre, une maison d’édition catholique
créera plutôt un CDRom très ludique et
avec beaucoup de dessins, d’animations
et de représentations, même en 3D (Jérusalem. La Terre Sainte…)
C’est ce CDRom que je prendrai en
guise de premier exemple de l’utilisation
de l’image dans l’enseignement de la
religion à l’époque contemporaine.
Le CDRom Jérusalem.
La Terre Sainte.
Le temple
■
Ce CDRom est d’origine catholique.
Les images qu’il nous montre ne sont pas
des images de Dieu, mais des supports
pour parler de Dieu, de son œuvre, de son
peuple. Ce CD est conçu d’abord pour
transmettre des connaissances sur un
mode didactique assez classique, comme
par un livre, mais avec cependant l’interactivité et la dimension ludique en plus
(illustration 4). Il y a un premier enjeu et
une critique tout à fait formelle liés à ce
CDRom, à savoir qu’il n’est pas imprimable dans sa totalité. Il est dommage que
l’on ne puisse en saisir et imprimer que la
partie Documents : mais cela en fait déjà
un instrument de travail qui dépasse les
possibilités généralement offertes dans
un cadre individuel ou en groupe (avec
des ordinateurs mis en réseau).
Il y a cependant des enjeux plus
importants, voire existentiels.
Il est certain qu’en quittant les images, l’utilisateur de ce CDRom, qu’il
soit enfant ou adulte, pourra avoir appris
quelque chose et accru ses connaissances
bibliques, historiques et développé sa
culture religieuse concernant les trois
religions monothéistes. Il pourra même
évaluer lui-même ses connaissances à
l’aide des jeux proposés et se délivrer un
diplôme sanctionnant la qualité de son
97
savoir, en le tirant sur son imprimante. Il
s’agit donc d’une démarche didactique
presque complète, sauf qu’il y manque
la dimension sociale et communautaire
de la relation avec les autres, ce qui
représente à mon avis une lacune et un
enjeu majeurs.
L’utilisation des images du CDRom
peut se faire de manière solitaire, alors
que, s’agissant de religion, dont la manifestation comprend toujours une dimension horizontale, sociale, relationnelle,
voire communautaire, on s’attend – et cet
aspect des choses est fondamental – à ce
qu’il y ait un médiateur des images, un
tiers qui les expose et les explique.
Les CDRom font partie du règne de
l’immédiateté et de la virtualité, et pour
un enseignement vivant – surtout dans le
cadre de la religion –, il convient donc
de les accompagner, et la question de
l’incarnation à travers la relation humaine
se pose. Pour que l’image dise et exprime
le maximum de ce qu’elle peut dire, il
faut la compléter par un acte performatif.
Cet acte pourrait consister, d’une certaine
manière, dans les opérations faites sur
et avec l’ordinateur. Mais l’ordinateur
et son logiciel, pour interactifs qu’ils
puissent être, ne remplaceront jamais le
tiers incarné, le médiateur et aide à l’interprétation des images auquel on devrait
avoir droit dans le cadre de tout enseignement.
Il manque donc, quand ce genre
d’images est utilisé de manière solitaire,
le vis-à-vis, le pédagogue, le mentor,
autrui en somme ; car à quoi bon un pur
savoir, à usage purement interne, personnel et individuel, surtout à propos d’une
matière qui s’appelle la religion ?
Derrière cette question de pédagogie
et de didactique de l’utilisation des images virtuelles se profile donc bien une
question d’ordre social et éthique.7
A cela s’ajoute encore une question
d’ordre théologique : à force de présenter
et de côtoyer des images virtuelles, qui
sont pourtant en rapport avec la relation
entre Dieu (ou la transcendance) et les
Hommes, ne risque-t-on pas de voir se
renforcer l’idée que Dieu ou la transcendance est lui-même virtuel, une espèce
de deus ex machina, donc finalement
inexistant ? Marshall McLuhan a dit, sans
doute fort justement que le médium est
le message et même Le Message, ajouterais-je, mais en l’occurrence l’utilisateur
du CDRom en question devrait prendre
conscience que le Message est encore
bien plus que le médium, parce qu’il le
dépasse.
CatéPub
■
Le second exemple que je voudrais
présenter est celui de Catépub. J’exposerai d’abord les réflexions méthodologiques préliminaires et la démarche
didactique mise en œuvre par les auteurs
de l’ouvrage.
L’utilisation des images de la publicité
est inductive, puisqu’elle s’appuie sur
un phénomène universel et bien connu,
celui de la publicité ; l’image et la publicité sont ici utilisés comme support pour
accéder à une connaissance de la Bible.
A partir d’images et de clichés, qui ont
souvent trait à la religion, parce que cette
dernière en fait régulièrement usage, on
essaie de remonter aux textes bibliques
sous-jacents, de les reconstituer et de les
retrouver à partir des bribes et éléments
de connaissance qui demeurent dans notre
culture ambiante. La sociologie et la psychologie (surtout d’obédience jungienne)
ont bien montré combien « les anciens
mythes, les archétypes, les grands thèmes
religieux participent de manière vivante à
l’imaginaire contemporain qu’ils contribuent à nourrir. » (J. Cottin, Le sacré dans
la publicité, p. 73)
Catépub contient d’abord une excellente introduction sur les techniques de
persuasion de la publicité qui, parce que
toute image est polysémique, peut lui
faire dire à peu près tout (et n’importe
quoi). Dans les lignes qui suivent, je
reprendrai assez fidèlement cette introduction. (p. 6ss)
Le discours toujours grandiloquent
et exagéré de la publicité a pour but de
convaincre et de faire croire.
Le recours aux mythes – ces derniers
se caractérisent par leur refus d’expliquer
et leur regard stéréotypé sur les choses –,
et le recours au religieux en général, et
Illustration 4 – Aperçu du texte de présentation du CDRom Jérusalem. La Terre Sainte. Le temple
98 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 34, “Le rapport à l’image”
Bernard Kaempf
au christianisme en particulier, fournit
un apport iconographique considérable
aux publicitaires.
Selon Régis Debray, – et c’est une
autre façon d’exprimer ce qui a été dit
plus haut – « l’image, en Occident, est
née avec la représentation du Christ. (…)
le verbe s’est fait chair. Or, la chair, ça se
voit. On peut donc voir le verbe. L’image
c’est le corps, et le corps humanise l’esprit saint. L’image, facteur d’humanisation de l’absolu, a rendu Dieu sensible,
charnel, aimable. (D’après une interview
dans Télérama, nov. 1992)
A côté de cela il faut encore mentionner le recours de la publicité aux questions existentielles que sont : le souci de
réussite, la peur de vieillir, de mourir, le
désir de plaire, la santé, l’idéal de beauté,
la recherche de la convivialité dans les
agglomérations urbaines, les fantasmes,
la quête d’identité, et encore le souci
d’être bien.
La publicité prend donc bien en compte les questions que se posent habituel-
L'utilisation de l'image dans l'enseignement de la religion
lement les adolescents, et elle intègre
aussi celles qui ne sont pas explicitement
religieuses ou liées à la vie de l’Église
pour les utiliser à ses propres fins. Ces
questions peuvent être formulées ainsi :
Qui suis-je ? À quoi est-ce que je sers ?
De quoi ai-je besoin ? À quoi est-ce que
je me réfère ?
1) Objectifs
Les objectifs d’un enseignement de la
religion à partir de la publicité peuvent se
décrire de la manière suivante :
– apprendre à regarder et à voir ce qui
est montré, mais aussi ce qui est caché
– donner envie de décrypter l’image
publicitaire : en décodant l’ironie, le
second degré ; en se familiarisant avec les
symboles ; en analysant ce que la publicité dit de moi, des autres, du monde et de
Dieu ; en percevant le rôle sous-jacent de
la culture religieuse dans la publicité.
Dans un premier temps, estiment les
auteurs, il suffira de reconnaître l’al-
Illustration 5 – Publicité du BHV (Catépub, planche n° 9)
lusion qu’une publicité fait à un texte
biblique sans que ce dernier ait besoin
d’être connu. « La catéchèse a pour but
de conduire à l’autonomie de la personne
humaine, c’est-à-dire à la liberté de croire, de penser, d’agir, de juger sur la base
de la gratuité du salut. » (Texte du Synode
de Nantes de l’E.R.F., cité p. 10)
Ensuite il faudra :
– se confronter aux textes bibliques
et se repérer
– apprendre à dire Dieu avec le support de l’image.
Avec une telle démarche et un tel
objectif, nous nous trouvons à la frontière
des deux types d’enseignements que sont
la culture religieuse et la catéchèse en
Église, dont il a été question plus haut.
2) Grille d’analyse
L’ouvrage fournit également une grille
d’analyse des publicités, une grille dont
les points forts se rapportent : au support
de la publicité (journal, panneau, télévision) ; à la date de parution ; au destinataire et au commanditaire.
Puis vient la description visant à faire
l’inventaire de tout ce que l’on voit / lit,
avant même de procéder à quelque interprétation que ce soit : en vocabulaire technique, cela s’appelle la dénotation (ce qui
se trouve à l’intérieur de l’image).
Le description est suivie de l’interprétation, qui met l’accent sur les aspects
suivants (p. 16s) :
– la symbolique de l’image et l’importance du non-dit. L’image est presque toujours porte-parole d’un discours
implicite : « l’image est associée silencieusement à un texte sous-entendu »
(Serge Tisseron)
– les allusions culturelles (ou connotations) avec, plus spécialement, les allusions à des textes et à des mythes, ainsi
que les allusions iconographiques
Un autre point consiste à être attentif
aux effets de style ou à l’argumentaire.
Il s’agit de faire trouver et de mettre en
relief l’art de convaincre (la rhétorique)
ou les techniques de persuasion dont se
sert la publicité ; les deux procédés le plus
souvent utilisés en publicité étant ceux de
l’opposition et de la comparaison.
A titre d’illustration et en vue d’une
réflexion critique et pratique concernant
la démarche ainsi décrite, je présenterai
maintenant un panneau publicitaire mentionné dans l’ouvrage Catépub.8
99
3. Analyse du panneau publicitaire
B HV
La publicité en question est datée de
décembre 1996 et a pour cible le grand
public, et plus particulièrement les citadins parisiens (cf. p. 33s, illustration 5).
Le commanditaire en était le grand
magasin BHV, le Bazar de l’Hôtel de
Ville.
On peut voir sur l’affiche : à gauche,
deux poupons identiques, langés et couchés sur de la paille, flanqués d’un encart
informant sur les dates d’ouverture du
magasin ; à droite : le slogan et, en-dessous, le logo du BHV ainsi qu’une carte
de paiement Cofinoga.
On peut lire : le slogan « Pour Noël,
le BHV double vos Points Ciel », et deux
dates d’ouverture du magasin, les « 15 et
22 décembre ».
Quelles sont les interprétations possibles de cette image ?
Il n’est pas fait mention explicite
des deux jours correspondant aux dates
d’ouverture indiquées ; en fait, il s’agit
des deux dimanches qui précèdent Noël
et pour lesquels le BHV sera exceptionnellement ouvert. Pourquoi ne pas l’avoir
précisé ? Était-ce donc tellement évident
pour le public ? Pourquoi le non-dit ?
Serait-ce parce qu’un magasin ouvrant le
dimanche était médiatiquement incorrect
il y a quelques années encore ?
Il est à noter aussi que l’on ne montre
pas des vrais bébés !
Pour ce qui est de la symbolique de
l’image, le contexte de parution (un peu
avant Noël) détermine à 100% le message. En montrant deux poupons (et non
de vrais bébés), le BHV met en scène
des jouets qui évoquent évidemment une
invitation à faire ses achats de Noël.
La publicité joue surtout sur le chiffre 2 :
– dans le slogan, puisqu’il s’agit de
« doubler les Points Ciel »
– dans l’image qui montre deux poupons, qui peuvent induire le message
suivant « il n’y a pas un Jésus mais deux:
il y a deux fois plus de sacré » (J. Cottin,
Le sacré dans la publicité, p. 59)
– deux dimanches exceptionnellement
ouverts (15 et 22 décembre).
L’argument consiste à faire croire que
dépenser, c’est gagner : si on achète, on
gagne des « Points Ciel » et le message
qui doit s’en dégager suggère : si vous
achetez au BHV, vous êtes gagnant sur
toute la ligne, le BHV vous double la
mise !
Il ne faut sans doute pas chercher
trop loin pour trouver les allusions culturelles :
– avec un bébé langé et posé sur la
paille, il est relativement difficile, même
dans une civilisation dite post-chrétienne,
de ne pas penser à la naissance de l’enfant
Jésus ! L’évangéliste Luc, nous apprend
que Jésus est né dans une étable. Quant
aux langes, il s’agit d’un anachronisme
(car les bébés d’aujourd’hui portent tous
des couches !) qui renforce encore l’allusion à l’enfant « emmailloté » de l’évangile (Luc 2, 7)
– le « ciel » est également une thématique biblique, avec notamment la mention au début du Notre Père : « Notre
Père qui es aux cieux... ». Ainsi Jésus
est annoncé comme étant le fils de Dieu
(Luc 1, 32-35) : on pourrait encore dire le
fils ou l’envoyé du ciel.
Le BHV offre des « Points Ciel » à ses
acheteurs, c’est-à-dire des possibilités
intéressantes de réductions, notamment
pour des voyages en avion. Les lettres
majuscules et l’image du ciel font de
ces réductions une offre quasi divine ou
sacrée.
Le savoir que l’on peut en tirer touche assez directement à la théologie, ce
qui montre bien que l’ouvrage se situe
à la lisière des deux projets d’enseignement que sont la culture religieuse, d’une
part, et la transmission de traditions,
voire de la foi, d’autre part.
Au plan pédagogique et didactique,
cette publicité permet des exploitations
multiples et peut être une bonne occasion :
– d’aborder le mythe religieux et
social de Noël
– de parler du temps de l’année ecclésiastique et de sa liturgie
– de parler de déguisement, aussi ;
la méthode du Noël publicitaire est le
recours au déguisement, c’est-à-dire à un
autre habillage des produits (biens et services) ainsi que des symboles et images
qui s’y rattachent. Un exemple en est le
sapin et le Père Noël, qui sont des symboles d’origine païenne christianisés
– de parler du Père (Noël) en n’oubliant
pas le Fils (de Dieu). Le Père Noël est, on
le sait, une habile récupération commerciale de la tradition chrétienne ; il a le
titre de «père» et il donne gratuitement
100 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 34, “Le rapport à l’image”
(à condition que les parents achètent !). Il
n’est pas celui qui s’agenouillerait devant
un tout-petit en signe d’humilité et d’adoration comme l’ont fait les mages, mais
il est celui devant lequel s’agenouillent
des millions d’enfants en adoration, celui
devant lequel s’ouvrent des millions de
porte-monnaie (p. 112s)
– de parler de la date même de Noël
qui est la conséquence d’un choix tardif. Ce choix s’est fait dans un contexte
de concurrence des religions ; bien que
décidée au 4e siècle, la date même de
Noël relève déjà de ce que l’on pourrait
appeler une logique publicitaire ou une
stratégie de communication de la part de
l’empereur romain Constantin
– de parler de Noël comme fête populaire et quasi universelle. Noël est une
fête qui célèbre une naissance ; autrement
dit, Noël est ce qui nous ramène aux
sources mystérieuses de la vie
– de parler, à travers les « rois mages »,
de politique. « Quel rapport entre la fête
de Noël et ce monde de la politique et
de la science, ce monde sécularisé, pour
ne pas dire païen ? Réponse : les rois
mages. La politique était leur métier de
rois. La science, leur vocation de mages.
L’or, l’encens et la myrrhe étaient les
ingrédients de leurs fonctions, probablement même de leurs cultes païens.
Joseph et Marie n’ont pas refusé ces
présents insolites. Ils magnifiaient l’Enfant. » (p. 113)
Enjeux de l’utilisation
de ces
« images d’images »
■
Ce matériel didactique est pour ainsi
dire une réaction à l’idolâtrie du monde et
de l’image à travers l’analyse de l’image,
ou des images d’images dont est souvent
faite la publicité. Mais cette démarche
apporte un plus par rapport à la lecture
d’images autres que celles de la publicité et à la connaissance à laquelle cette
lecture donne lieu en matière de religion,
puisqu’elle offre également l’acquisition
d’une technique de décryptage des images qui peut être fort utile dans la vie de
tous les jours.
Comme l’écrit Gilbert Vincent : « Selon
ces partisans d’un réformisme culturel, la
tâche des héritiers d’un protestantisme
Bernard Kaempf
attaché à la défense du partage du sens
et aux grands desseins pédagogiques du
siècle dernier serait de contribuer à la
diffusion d’un nouveau savoir-lire, mais
concernant cette fois l’image. » (Encyclopédie du Protestantisme, p. 236)
On peut donc se servir, en l’occurrence, de la publicité comme d’un instrument didactique, non pas pour manipuler,
mais bien au contraire, pour introduire,
par une pédagogie inductive, à la Bible.
Cela ressemble un peu à la technique
du judo, qui a fait ses preuves et qui
consiste à ne pas contrer ou s’opposer,
mais plutôt à tirer dans le même sens. En
effet, pourquoi donc nier ou condamner
la profusion de symboles religieux dans
la publicité, et ne pas les mettre à profit
dans une démarche herméneutique renouvelée du discours chrétien ; et pourquoi
pas, selon l’âge du public auquel on a à
faire, l’inviter à se poser la question de
l’origine de ces symboles et, partant, de
l’auteur ou du créateur des archétypes qui
sont à la base des mythes et des images
de la publicité, pour se demander qui peut
bien les avoir imprimés (typein) un jour
dans l’âme humaine ?
Dans le cadre de la démarche de
Catépub, l’image devient en quelque
sorte un passage, une porte pour entrer
dans la Bible et la comprendre. Mais
la critique émanant de certains théologiens peut alors consister à dire que, de
centrale qu’elle devrait être, l’Ecriture
devient en quelque sorte périphérique,
et que l’image en général, et la publicité
en particulier, sont utilisées comme prétexte au texte biblique, qui ne devrait pas
avoir besoin d’un tel préalable, puisqu’il
est censé se suffire à lui-même.
Mais, par ailleurs, les images de la
publicité qui nous sont si familières
peuvent favoriser, plus que d’autres, la
réflexion et l’attitude critiques à l’égard
de valeurs propagées par la civilisation
ambiante, soit pour les approuver, soit
pour s’en démarquer. Cette démarche
relève à la fois de l’éthique, de la religion et de la culture religieuse, voire de
la transmission de valeurs, mais elle ne
prétend évidemment pas concerner la
transmission de doctrines et de traditions
religieuses particulières et elle ne cherche
certainement pas à transmettre la foi.
La transmission des doctrines et de la
foi est pourtant l’un des objectifs privilégiés de l’enseignement de la religion
L'utilisation de l'image dans l'enseignement de la religion
dans les communautés croyantes, dans les
paroisses et dans les Églises, y compris
dans ce que Bucer appelait les Églises de
maison, les familles. Ces instances ont,
bien sûr, également recours aux mêmes
images classiques que celles que nous
venons d’évoquer dans le point historique, et elles se servent même de plus
en plus de la version plus moderne des
images évoquée plus haut.
Mais ces images, si elle sont utiles
voire nécessaires, ne sont néanmoins pas
suffisantes pour susciter et transmettre
la foi et trouver la réponse à la quête de
sens de la part de l’Homme. Cependant
Catépub est manifestement à cheval sur
les deux objectifs que sont la transmission de connaissances (qui est clairement,
mais aussi exclusivement, l’objectif du
CDRom que nous avons présenté) et la
transmission de la doctrine et de la foi.
Dans Catépub l’image doit implicitement conduire au texte de la Parole, alors
que le CDRom doit accroître, par un support didactique adapté à notre temps, la
connaissance en matière de religion(s).
La polysémie des images de la publicité et leur lecture critique peuvent contribuer à une rencontre plus personnelle
avec les images, à une attitude responsable vis-à-vis de certaines orientations et
propositions de sens, donc à une ébauche
de foi personnelle, mais ceci se fera avec
l’aide d’un tiers, qui peut d’ailleurs être
et sera souvent un groupe ou une communauté.
L’ouvrage Catépub est donc bien un
instrument de travail approprié en vue
de l’utilisation de l’image, à la fois dans
le cadre de l’enseignement de la religion
visant l’acquisition d’une culture biblique et dans le cadre de l’enseignement
catéchétique, dont il sera encore question
maintenant.
Images et enseignement
de la religion dans un
cadre communautaire
ou ecclésial
■
Cet enseignement, appelé plus communément catéchèse paroissiale, est aussi
conçu comme une initiation, puisqu’il a
pour objectif de conduire dans la communauté, d’apprendre à connaître ses credos
et ses traditions, et de faire participer le
catéchumène, lorsqu’il les connaît mieux,
à toutes les formes d’expression de la vie
de son Église.
Cette connaissance est, dans ce contexte, à prendre non seulement au sens de
savoir, mais aussi, au sens étymologique
du mot, de naître avec : naître non pas
avec une image, bien sûr, ni même seulement avec une parole, mais bien avec
un être doué de parole, avec un autre ou
l’Autre, et même avec des autres, tous les
membres de la communauté.
Pour le dire autrement, et avec des termes plus classiques, il s’agira d’avoir des
connaissances, des savoirs et des savoirfaire auxquels les images, leur méditation
et leur interprétation critique peuvent
grandement et utilement contribuer : le
concept allemand de Erfahrung exprime
bien cette idée-là. Mais ces connaissances et savoirs doivent être complétés
d’Erlebnis(se), au sens d’expérience(s)
entraînant un changement en profondeur,
un bouleversement et une remise en question de toute la personne.
Cela ne se fera ni par un enseignement
traditionnel, ni avec des images, au sens
habituel du mot. D’ailleurs le verbe faire
est inapproprié, car une telle expérience
(Erlebnis) ne se provoque et ne se commande pas, mais elle s’impose, car elle a
trait au numineux.
Elle peut cependant être favorisée par
la parole et le témoignage d’autrui, par
des histoires de vie, par des narrations
diverses qui font image ; mais ce sont
alors des images verbales, par les paraboles, métaphores, visualisations, symboles et même figures rhétoriques qu’elles
contiennent. Le Erlebnis sera également
favorisé par l’attention prêtée aux visions
et aux images oniriques qui s’imposent à
nous, et qui ont pour caractéristique que
nous les entendons souvent autant que
nous les voyons, et qu’il faudrait toujours
interpréter avec l’aide et en présence d’un
ou de plusieurs tiers – ce qui souligne
encore une fois combien la dimension
communautaire déjà évoquée à plusieurs
reprises est importante.
Les images des rêves ne contribuent
que rarement à l’augmentation du savoir,
mais elles permettent de passer du sehen
au schauen, du voir/regarder à la vision.
Ces images-là permettront d’avoir non
seulement un aperçu des choses visibles,
mais de jeter un regard dans le domaine
de ce qui dépasse le visible ; elles sont
101
susceptibles, comme le dit Ricoeur en
parlant de l’œuvre d’art, « de ‘reconfigurer’ le monde de l’expérience personnelle ».
Ici et ainsi l’image devient signe, au
sens de ce qui signifie et qui fait signe,
qui renvoie à autre chose qu’à elle-même
et qu’à nous-même.
Conclusion
■
« Anthropologie de la relation à
l’image : du culte à la manipulation et
à la destruction », tel était le thème du
séminaire.
J’ai voulu montrer que dans le protestantisme il ne saurait être question
de culte de l’image. Par contre on peut
parler, me semble-t-il, d’instrumentalisation de l’image : si cette dernière est
correctement manipulée (au sens de si on
sait bien s’en servir), elle s’avère être un
outil de premier ordre pour élaborer un
savoir et des connaissances, y compris
dans le domaine de la religion et de la
culture religieuse. Cependant notre image
intérieure – celle qui est en relation avec
les visions et les rêves et qui est souvent
à la base d’une expérience (Erlebnis)
susceptible d’initier la foi – ne peut,
quant à elle, pas être instrumentalisée ou
manipulée, et il faut s’en réjouir, car cela
relativise tout le reste.
Ouvrages et articles cités
Documents didactiques cités
Encyclopédie du Protestantisme, P. Gisel (éd),
Paris, Cerf, Genève, Labor et Fides, 1995.
(articles image, iconoclasme, illustrateurs de
la Bible, art, communication, culture)
Jérôme Cottin, « Prédication et images dans le
christianisme contemporain », in Cristianesimonelle storia, Bologne, 1993, p. 625-646
Jérôme Cottin, « Le sacré dans la publicité. Une
analyse théologique », in Variations Herméneutiques n° 11, Neuchâtel, IRHS, sept. 1999,
p. 69-78
Alain Roy, « De l’image du catéchisme à l’image
dans les catéchismes : l’image dans les catéchismes du début du XXe siècle », p. 125-155,
in De la Bible à l’image. Pastorale et iconographie, sous la dir. de Claude Coulot et René
Heyer, Strasbourg, PUS, 2000
Théo Pfrimmer, Freud lecteur de la Bible, Paris,
PUF, 1982 (=Philosophie d’aujourd’hui)
Jérusalem. La Terre Sainte. Le temple au temps
d’Hérode le Grand. Strasbourg, Ed. du Signe.
[CDRom]
Titia Koen, Marie Hélène Luiggi, Catépub. Quand
la publicité parle de nous. Paris, Société des
Ecoles du Dimanches, 2001
La Bible Online. Editions Clé, 1997 (avec textes
bibliques français, grec, hébreu ; cartes ; dictionnaire biblique...) [CDRom]
Georges Weick, La Bonne Nouvelle, Strasbourg,
Editions Oberlin, 1949² (Illustrations de
Schnorr von Karolsfeld)
Ouvrages et articles non cités
Pierre-Marie Beaude, « L’auteur et l’illustrateur
en catéchèse », p. 207-219, in De la Bible à
l’image. Pastorale et iconographie, sous la dir.
de Claude Coulot et René Heyer, Strasbourg,
Presses universitaires, 2000
Yves-Marie Blanchard, « L’ambiguïté du voir selon
le VIe Evangile », p. 26-35, in Christus, n° 181,
janvier 1999 (=La traversée des images. Regarder autrement.)
Jérôme Cottin, « Luther théologien de l’image »,
in Etudes Théologiques et Religieuses, 1992/2,
p. 561-567
Bernard Reymond, Le protestantisme et les images : Pour en finir avec quelques clichés,
Genève, Labor et Fides, 1999
Claude-Henri Rocquet, « Image et icône. Une
purification du regard », p. 52-63, in Christus,
n° 181, janvier 1999 (= La traversée des images. Regarder autrement.)
Chantal Leroy, « L’Eglise et les arts visuels »,
p. 64-75, in Christus. n° 181, janvier 1999,
(=La traversée des images. Regarder autrement.)
Olivier Millet et Philippe de Robert, Culture biblique, Paris, PUF, 2001, (=Premier cycle), en
particulier les p. 407-470
Anne le Pas de Sécheval, « La réforme des
images », in Le Monde de la Bible, n° 139,
nov.-déc. 2001, p. 46-51
Pascal Sevez, « Habiter l’ambivalence des images », p. 76-84, in Christus. n° 181, janvier
1999 (=La traversée des images. Regarder
autrement.)
102 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 34, “Le rapport à l’image”
Documents didactiques non cités
Encycl’EYE. Le monde de la Bible dans vos neurones, 71260 St Albain, Ed. Clé, [CDRom]
Ichthus. Jeu multimédia. Editions Clé (7500 questions autour de la Bible). (2 disquettes)
Jésus et son message de libération, P. Thivollier et
P. Rousseau, Paris, Ed. Cheminements, 1975
[Bande dessinée en deux tomes]
Rome et le monde. Histoire, sagesse, art, Strasbourg, Ed. du Signe. [CDRom]
Notes
1. Encore qu’il y ait souvent eu des examens
pour les confirmands ou catéchumènes,
afin de tester les connaissances de ces
derniers à l’issue du catéchisme – car finalement les connaissances, c’est ce qu’il y
a de plus facile à évaluer, contrairement
à la foi.
2. Dans le cadre de l’enseignement à des
enfants et adolescents, il n’y a peut-être
pas lieu de distinguer entre image, peinture et peinture comme œuvre d’art au sens
habituel du terme. Par contre, avec des
adultes, la distinction est utile et importante, car l’œuvre d’art est susceptible
de susciter chez eux une Stimmung, une
atmosphère, un sentiment, un affect d’ordre numineux (ce qui peut aussi être le
cas chez les plus jeunes), et ils sont plus
facilement à même d’en parler, de les
exprimer pour, peut-être, les perlaborer et
aller plus loin dans l’expérience.
3. Grégoire le Grand avait forgé cette formule pour répondre à Sérénus, l’évêque
iconoclaste de Marseille, en l’an 600. Une
autre appellation encore était litteratura
laicorum, les lettres ou la littérature des
laïcs.
4. Il reste malgré tout quelques critiques
très sévères (cf. Encyclopédie, p. 235,
Vincent, article « Communication ») : « A
partir de l’accent mis par Calvin sur la
simplicité du sens, on peut tracer diverses
lignées divergentes de la manière protes-
Bernard Kaempf
tante d’aborder certains problèmes dits
de communication. D’une part, comme
il vient d’être dit, on peut chercher à
prolonger la critique des Réformateurs
contre l’apologie du « livre des idiots »,
c’est-à-dire contre une culture duale
impliquant qu’on se résigne à considérer
qu’une partie – la majorité – des gens ne
peut prendre part qu’à une communication sommaire. (…) Dans sa version la
plus dure (cf. Jacques Ellul) la critique de
la passivité (écho de la critique de la « foi
implicite ») irait jusqu’à mettre en cause la
capacité des médias audio-visuels à faire
autre chose qu’anesthésier le goût pour la
responsabilité interprétative. »
5. Le concepteur juif de la Bible (AT) que
Freud avait eue entre les mains, notamment quand il était enfant, avait également
conscience de l’importance didactique
des images. Th. Pfrimmer, écrit : p. 268, à
propos de la Bible de Philippson (datant
du milieu du XIXe siècle) : « Cet appel
constant à se représenter les faits, les
événements, les personnes, appuyé par
l’abondante illustration de qualité, favorise grandement la réflexion. Le support
visuel des gravures favorise un mouvement mental en direction des temps
historiques dont parlent les textes et de
l’archéologie qui les fait réapparaître sous
les yeux du lecteur ».
6. Et ceci notamment à cause de la faiblesse, l’imbecillitas de nos sens et de notre
compréhension, comme disait Calvin en
parlant des sacrements.
7. L’extrait suivant résume bien ce que je
veux dire. « Monique Linar insiste sur le
fait que l’enseignement ne se réduit pas
à traiter et à diffuser de l’information.
‘C’est un acte individuel complexe qui se
déroule dans la durée à partir des interactions du sujet avec son environnement’.
L’apprentissage, ce sont des émotions,
des regards, des gestes, des attitudes, aussi
bien entre élèves qu’avec l’enseignant. Un
enseignement à distance peut à cet égard
servir d’exemple: confronté à des taux
élevés d’abandon, il cherche systématiquement à resocialiser l’acte d’apprendre
par des échanges entre pairs, des visioconférences, des rédactions collectives,
un suivi individualisé, ce qui contribue
d’ailleurs à en augmenter le coût. Reste
que l’absence de rapports immédiats pose
problème. Est-il plus facile d’envoyer un
mail à son tuteur électronique que d’aller voir l’enseignant à la fin du cours ?
Philippe Breton critique ce monde sans
rencontre, où il faut se séparer physiquement pour mieux communiquer (virtuellement). » (Daniel Rallet in Pour n° 69, déc.
2000, p. 15).
L'utilisation de l'image dans l'enseignement de la religion
8. Mon choix avait été dicté par le fait que
cette publicité était d’actualité au moment
où avait lieu le séminaire, au mois de
décembre, et non pas pour manipuler
l’auditoire en essayant de faire passer un
message subliminal !
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