1"
SUPPLÉMENT"1"DU"COURS"SUR"LE"ROI"EN"SON"ROYAUME"(France)"
"
III L’IDÉOLOGIE MONARCHIQUE
Dans les trois premiers cours, nous avons vu que la dynastie capétienne avait réussi à
imposer l’ordre monarchique, de deux façons :
o La dilatation du domaine royal, par l’intégration de nouveaux territoires
(Normandie, Midi…).
o La mise en place dans ces régions de structures administratives efficaces
(baillis…).
Un autre élément est venu consolider le pouvoir capétien : l’idéologie. A partir de Philippe
Auguste, les intellectuels proches du roi ont défini et expliqué le pouvoir royal. Cette
réflexion, relayée par les rituels et les cérémonies politiques, a forgé une religion royale ; le
roi a alors bénéficié d’une aura exceptionnelle, surnaturelle.
Transition : Il s’agissait d’abord de légitimer la dynastie capétienne, dont le pouvoir était né
d’une usurpation (en 987, Hugues Capet avait mis fin à la dynastie carolingienne).
1/ LA LEGITIMITE ROYALE
a/ Un roi de sang royal
Cette recherche de légitimité ne veut pas dire que le pouvoir du roi était mis en doute. Mais
face au roi, capétien, les grands seigneurs revendiquaient leurs liens avec la dynastie des
Carolingiens (celle de Charlemagne), prestigieuse parce que plus ancienne.
Les Capétiens ont cherché à se rattacher à cette dynastie de Charlemagne :
o Philippe Auguste a épousé Elisabeth de Hainaut, qui était une princesse de sang
carolingien. Ce mariage faisait de leur fils Louis VIII un roi capétien par son père
et carolingien par sa mère. D’ailleurs, en 1200, le chanoine Gilles de Paris offrit
un poème au futur Louis VIII, intitulé Karolinus. Il le présentait comme l’héritier
du sang royal carolingien. Philippe Auguste y est qualifié d’« autre Charles ».
o Les rois capétiens choisissent comme nécropole Saint-Denis, qui était déjà celle
des Carolingiens, dans le but de démontrer la continuité du pouvoir malgré le
changement de dynastie.
o Une étape supplémentaire est franchie en 1263, lorsque saint Louis fait
réaménager les tombeaux de la nécropole.
Saint-Denis abritait 16 tombeaux de rois et reines depuis le VIIème s.
o Saint Louis a changé la place des tombeaux royaux, a placé les rois carolingiens à
droite et les Capétiens à gauche, sur le même plan. Au centre figurent les tombes
de Philippe Auguste et Louis VIII, puis bientôt la sienne : ils symbolisent la
fusion entre les deux dynasties.
o Il a également surélevé les tombes, a fait sculpter des gisants pour exalter les
corps royaux. A Saint-Denis, l’art a été mis au service de l’idéologie.
Transition : l’appartenance au sang royal ne concerne pas seulement la figure du roi. Le
lignage royal joue un rôle important.
b/ Le lignage royal
2"
La reine jouait un rôle mineur. Certes, à la mort de Louis VIII, c’est Blanche de Castille qui a
exercé la tutelle pour son fils Louis IX. Mais la plupart du temps, la reine était cantonnée à
un rôle de reproductrice.
En revanche, les frères du roi, les princes de lis, jouent un rôle croissant. Ils prennent le titre
de « princes du sang ». Ils portent la fleur de lis à leur vêtement, et sont chargés de porter
l’honneur des Capétiens.
Au XIVème, certains auteurs élaboreront des théories sur les qualités exceptionnelles
transmises par le sang royal.
Transition : exalter le sang royal, c’était glorifier la dynastie capétienne. Cela allait même
plus loin, puisque les rois se sont identifiés aux rois de l’Ancien Testament.
c/ Le roi d’un peuple élu
Les Francs revendiquaient le titre de peuple élu, à l’image du peuple juif de l’Ancien
Testament (élu et choisi par Dieu) :
o Les rois étaient sacrés à la manière des rois bibliques (David…).
o Ils se présentent comme les défenseurs de l’Eglise, notamment au moment des
Croisades.
o Cette alliance entre la royauté et l’Eglise sera encore renforcée avec la
canonisation de saint Louis. C’est d’ailleurs à partir de Philippe IV le Bel
qu’apparaît dans les documents la notion de « roi très chrétien ».
Transition : on peut aller jusqu’à parler d’une religion royale, qui s’exprimait dans les
cérémonies royales.
2/ LES CEREMONIES DU POUVOIR. L’ELABORATION DUNE RELIGION ROYALE
a/ Le sacre
La valeur du sacre n’a pas été la même tout au long de la période :
o Jusqu’à Louis VIII, le sacre faisait le roi.
o Ensuite s’est affirmée la règle de l’instantanéité : le roi devenait roi dès la mort de
son père.
o C’est au moment le sacre a perdu sa valeur politique qu’il a gagné en faste et
en solennité. Le but était de sacraliser la fonction royale.
Le sacre se déroulait un dimanche ou au moment d’une fête religieuse, à la cathédrale de
Reims (en référence au baptême de Clovis). Le déroulement était très ritualisé [Le
déroulement sera analysé en TD d’après les miniatures].
Le moment central de la cérémonie était l’onction, donnée avec une huile merveilleuse
(amenée du ciel par une colombe). Cette onction faisait du roi un souverain choisi par Dieu,
et l’assimilait à un prêtre (seuls les évêques recevaient l’onction lors de leur ordination).
Le roi recevait, au moment du sacre, les regalia, les insignes du pouvoir royal. Ces objets
étaient posés sur l’autel, ce qui leur procurait une dimension sacrée. Chaque objet avait une
signification précise :
o L’épée (épée de Charlemagne) symbolise la puissance armée du souverain.
o Les éperons d’or symbolisent son statut de chevalier.
o La tunique bleue rappelle le vêtement des grands prêtres d’Israël, dans l’AT. Elle
était ornée de fleurs de lis. Pour les Pères de l’Eglise, le lys symbolisait toutes les
vertus ; elle est également associée à la Vierge Marie.
3"
o L’anneau d’or symbolise l’alliance entre le roi et l’Eglise.
o Le sceptre (long bâton orné de fleurs de lys) symbolise la toute-puissance.
o La main de justice est un bâton court (50 cm) orné d’une main d’ivoire, avec trois
doigts ouverts (Trinité, action de bénir).
o Enfin, la couronne. Elle pesait près de 4 kg et n’était portée que le jour du sacre
(attention aux représentations). Elle était surmontée d’une coiffe de soie, pour
l’assimiler à la tiare des évêques.
C’était autant un rite politique que religieux : il visait à démontrer que le souverain était
investi d’un pouvoir religieux qui le plaçait au-dessus des laïcs. Il était d’ailleurs le seul laïc
à communier sous les deux espèces.
Un autre rituel démontre ce caractère sacré. Le lendemain du sacre, le roi avait le pouvoir de
guérir les écrouelles, une maladie ganglionnaire d’origine tuberculeuse. Ce pouvoir
thaumaturgique (de faire des miracles) est clairement associé au sacre dans les sources.
Certaines sources font remonter ce pouvoir des rois au XIème, mais il n’est cependant attesté
qu’à partir de saint Louis.
Transition : au XIIIème, le sacre ne fait plus les rois. En effet, le roi prend sa fonction à la mort
de son père. Les funérailles royales prennent alors une importance rituelle particulière : elle
permettent de démontrer la continuité du pouvoir.
b/ Les funérailles royales
Comme pour le sacre, les funérailles ont évolué vers plus de faste et de luxe. Les funérailles
de Philippe Auguste, en 1223, marquent un tournant : elles furent publiques, très solennelles
et visaient à exposer à tous le corps du roi.
Lors du défilé qui menait le corps à Saint-Denis, le roi était monté sur un chariot surélevé
(pour que tous puissent le voir). Il était revêtu des habits royaux, des insignes (regalia).
Pourquoi ce rituel ? Cela relève de la réflexion sur la Couronne et sur la continuité du corps
politique, perceptible dans la maxime politique « Le roi ne meurt jamais ». On distingue alors
deux corps du roi : un corps mortel et un corps immortel. Le corps physique du roi peut
mourir, mais le corps mystique (la Couronne) se transmet au nouveau roi.
Cette doctrine des deux corps du roi explique qu’on présente la dépouille du roi, et qu’on
acclame ensuite le nouveau roi. Au XVème, le cérémonial funèbre sera d’ailleurs ponctué par
le cri « Le roi est mort ! Vive le roi ».
Transition : les cérémonies royales ont exalté la personne royale. L’écrit a également été un
moyen de propagande efficace.
3/ DES OUTILS AU SERVICE DE LAFFIRMATION MONARCHIQUE
a/ Le droit et la pensée politique
Les XIIIème-XIVème marquent la naissance de la science politique. Une littérature politique
se développe. C’est aussi l’époque où on redécouvre Aristote (auteur entre autres de La
Politique).
Au XIIIème, le droit romain hérité de l’Antiquité a été de plus en plus utilisé dans l’entourage
du roi.
Le droit romain confortait l’autorité royale :
o Il assimilait le roi aux empereurs romains, modèle par excellence (songer au
surnom de Philippe II « Auguste »).
4"
o Il dotait le roi d’une autorité absolue. Par exemple celle de faire la loi (« ce que
plest à faire au prince doit estre tenu pour la loi » selon Beaumanoir).
Transition : on puisait également dans les modèles historiques anciens.
b/ L’histoire, instrument de propagande
Les rois s’entouraient d’intellectuels, qui s’attachaient à glorifier la figure royale. Ainsi,
Philippe Auguste a fait l’objet de nombreux récits, qui ont forgé une histoire légendaire du
roi :
o Guillaume le Breton, qui était un fidèle serviteur du roi, a écrit un poème épique,
la Philippide, sur le modèle des épopées antiques. Les ¾ du poème sont consacrés
à la bataille de Bouvines, qui assimile le roi à un nouvel Alexandre.
o Rigord, moine de Saint-Denis, a écrit les Gesta Philippi Augusti les Faits de
Philippe Auguste ») entre 1186 et 1206. C’est lui qui a donné à Philippe II le
surnom d’Auguste. Il y exalte le pouvoir souverain du roi et l’union nationale, et
fait de Philippe Auguste un roi protégé des dieux.
Rigord était moine de Saint-Denis. On a vu l’importance qu’avait prise l’abbaye dans
l’idéologie royale (comme nécropole royale notamment). C’est aussi à Saint-Denis que s’est
construite une mémoire nationale et une mémoire dynastique.
En 1180, saint Louis a demandé aux moines de Saint-Denis d’écrire une Chronique des rois
de France, en français. Il s’agissait de reprendre les chroniques anciennes pour fixer une
histoire nationale, qui serait diffusée dans les milieux laïcs cultivés (puisqu’elle était en
français, et plus en latin).
C’est le moine Primat qui a été chargé de l’entreprise, qu’il a terminée en 1274 (après la mort
de saint Louis). C’est le « Roman aux rois » (roman = œuvre écrite en français), qui sera
appelé plus tard « les Grandes Chroniques de France ». Il a forgé une image légendaire de
l’histoire des rois francs :
o Il développe la légende des origines troyennes de la monarchie française. Un fils
d’Hector, Francion, aurait quitté Troie en flammes pour s’installer en Germanie,
puis en Gaule.
o Il appuie la démarche de saint Louis en s’attachant à démontrer la continuité entre
les dynasties des Mérovingiens, des Carolingiens et des Capétiens.
Transition : dans cette historiographie à la gloire des rois, une place importante est accordée à
Clovis et Charlemagne. Ce sont des modèles royaux qu’il s’agissait d’imiter.
c/ L’image du bon roi dans les miroirs des princes
Les clercs et les intellectuels qui entourent le roi ont également composé des traités
politiques à l’usage des rois, qu’on appelle « miroirs des princes ». Ils s’attachaient à exposer
ce que devait être un bon prince.
Parmi ces Miroirs des princes, on peut citer :
o Du bon gouvernement du prince par Hélinand de Froimont, écrit pour Philippe
Auguste.
o Du gouvernement des princes par Gilles de Rome, véritable manuel d’éducation
politique confié à Philippe III pour l’éducation de son fils Philippe le Bel.
o Les Enseignements rédigés par saint Louis pour son fils Philippe III peuvent
également être classé parmi les Miroirs des princes. Il s’agit de conseils de
gouvernement destinés au futur roi.
5"
Par ces ouvrages, on donnait aux rois des modèles de comportement à suivre. Ces modèles,
ce sont les rois bibliques (David, Salomon), Charlemagne (qu’on représente davantage
comme un personne légendaire qu’historique).
A partir de 1270, le roi idéal à imiter, c’est saint Louis. Saint Louis a bcp contribué au
prestige de la monarchie capétienne. Ce prestige n’a pas attendu l’issue du procès en
canonisation, en 1297, car sa sainteté a été perçue de son vivant. C’est pourquoi le récit de
ses faits et gestes, mis par écrit par Jean de Joinville et terminé en 1309 est lu comme un
modèle de comportement à suivre (cf. TD).
CONCLUSION DU III
Le prestige de la monarchie capétienne ne n’est pas acquis seulement par les victoires
militaires ou les réformes administratives et politiques. Elle s’est forgée à travers des rites
(sacre, les funérailles), des lieux (Paris, Saint-Denis, Reims), des écrits (le droit romain,
l’historiographie).
Toute cette idéologie procède d’une mise en scène du pouvoir et d’une réflexion politique
sur la mission royale. Les rois capétiens avaient une haute image de leur fonction, et ont
exalté leur mission, présentée comme une mission divine.
L’affirmation de la « religion royale » est à la base de l’élaboration, aux XIIIème-XIVème de la
construction d’un sentiment national (la fierté, pour les sujets d’avoir un monarque
d’exception et d’appartenir au royaume). Sentiment national qui s’affirmera encore
davantage au moment de la guerre de Cent Ans.
SUPPLÉMENT"2"Louis"IX"?"un"roi"féodal"ou"un"roi"moderne"?"
Pensez"à"vous"renseigner"sur"les"historiens"qui"sont"cités"ci-dessous…."
!Roi!féodal!ou!roi!moderne!?!
"Louis"IX"était"roi"de"France"alors"que"son"grand-père"était"encore"roi"des"Francs."
La"question"qui"ouvre"le"débat"depuis"le"saint"Louis"de"Jacques"le"Goff1,"question"qui"n’est"
toujours"pas"tranchée"d’ailleurs,"est"bien"celle"de"savoir"s’il"est"un"roi"féodal"ou"un"roi"
moderne."Qu’il"soit"un"roi"réformateur"n’en"fait"pas"nécessairement"un"roi"moderne"au"
sens" où" l’entendent" J.-Ph" Genet" et" Wim" Blockmans." Certains" historiens" analysent" la"
monarchie"du"XIIIe"siècle"comme"une"vraie"monarchie"féodale"aboutie"(Thomas"Bisson)"
avec" un" roi" qui" agit" comme" un" suzerain" suprême," sommet" d’une" pyramide" dont" le"
ciment"est"constitué"par"les"dons,"l’hommage,"la"fidélité."
"Jacques"le"Goff"explique"qu’il"n’y"a"pas"d’opposition"historique"entre"roi"féodal"et"
roi" moderne" en" la" personne" de" Saint" Louis";" et" que" le" passage" de" la" féodalité" à" l’Etat"
moderne"se"fait"par"une"phase"de"monarchie"féodale"intermédiaire,"dans"laquelle"Saint"
Louis" occupe" une" position" centrale." Pour" lui," il" y" a" des" signes" d’évolution" vers" l’Etat"
moderne"déjà"sous"le"règne"de"SL":"
- Le" fait" qu’il" utilise" les" prérogatives" de" la" suzeraineté" à" la" manière" d’une"
souveraineté."Ce"roi"féodal"n’a"personne"au-dessus"de"lui,"sauf"Dieu."Il"ne"tient"
de"personne,"ne"peut"être"le"vassal"de"personne."Ne"reconnaître"personne"au"
dessus-de"lui"rapproche"la"suzeraineté"de"la"souveraineté."Il"est"dit"d’ailleurs"
«"souverain" fieffeux"»," à" la" fois" «"messire"»" et" «"votre" majesté"»." Le" sacre"
intègre" aussi" bien" les" rites" d’entrée" en" féodalité" (adoubement)" que" les" rites"
""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""
1 J. Le Goff, Saint Louis, Paris, Gallimard, 1996, p. 674-704.
1 / 15 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !