Bulletin de la Société Astronomique du Valais Romand Page 10
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Eléments de Cosmologie : Pourquoi la nuit est-elle noire ? (1)
par Alain Kohler
Introduction
Nous allons aborder, dans une suite d'articles, quelques
éléments de cosmologie. Cette discipline est certaine-
ment une des sciences les plus fascinantes de la nature
puisque ses ambitions ne sont ni plus ni moins que de
discourir sur l'Univers lui-même !
Le genre humain s'est posé de multiples questions par
rapport au cosmos, questions souvent simples en appa-
rence mais qui se sont révélées extrêmement fécondes
dans la réflexion. Pensons au questionnement de la
forme de la Terre, des mouvements des astres, etc Je
pense qu'une interrogation se détache du lot. Elle est
très innocente en apparence dans sa formulation
"Pourquoi le nuit est noire ?" mais, on le verra, elle a
posé et pose encore de multiples difficultés dans l'es-
quisse d'une bonne solution.
Autrement dit, la ou les réponses à cette question, forcé-
ment nuancées, méritent plus d'un article Le lecteur
pourra lire avec profit le livre d'Edward Harrison "Le
noir de la nuit" dont j'ai tiré la plupart des commentai-
res. Alors en route !
Quelques connaissances vers 1920
Avant que de faire un aperçu historique de la probléma-
tique, en partant de l'astronomie grecque, situons-nous
au début du 20ème siècle, vers 1920. Que savaient les
astronomes, à ce moment, en relation directe ou indi-
recte avec notre question ?
a) En 1838, Bessel mesure par la parallaxe, la première
distance entre une étoile et nous. Les mesures, de-
puis, montrent que les étoiles visibles à l'œil nu sont
distantes essentiellement dans une fourchette com-
prise entre 4 et 2000 années-lumière.
b) En 1879, Josef Stefan trouve expérimentalement la
relation qu'il existe entre la "densité lumineuse sur-
facique" (c'est-à-dire la luminosité L de l'étoile en
watts par unité de surface de cette étoile) et la tempé-
rature T de surface de l'étoile. Les fondements théo-
riques de cette relation sont exposés par son ancien
élève Ludwig Boltzmann en 1884. La loi s'écrit :
L = σ T4
4 π R2
où R est le rayon de l'étoile, L sa luminosité intrin-
sèque, c'est-à-dire le nombre total de joules qu'elle
envoie dans l'espace par seconde, σ est une constante
appelée constante de Stefan- Boltzmann, T est la
température absolue (donc en degré Kelvin) de la
surface de l'étoile.
c) En 1910, Enjar Hertzsprung et Henry Russel présen-
tent un graphique montrant la relation entre la lumi-
nosité et le type spectral (ou la température) de mil-
liers d'étoiles. Ce diagramme d'Hertzsprung-Russel
permet de mettre en évidence une séquence princi-
pale, sur laquelle se trouve notre Soleil et une grande
majorité d'étoiles, et permet de parler d'évolution
stellaire.
d) En 1920, Harlow Shapley met en évidence, en mesu-
rant les distances des amas globulaires, que le Soleil
n'est pas au centre de notre galaxie, que celle-ci est
immense (il l'estime à 300'000 années-lumière de
diamètre, la valeur actuelle étant proche de 100'000
al) et que la masse de cette galaxie est de l'ordre de
plusieurs centaines de milliards de masses solaires !
e) Une vision généralement partagée à l'époque, notam-
ment par Albert Einstein, est celui d'un Univers sta-
tionnaire (c'est-à-dire dont les observables à large
échelle ne changent fondamentalement pas dans le
temps), infini dans l'espace et éternel dans le temps.
Une question envisageable : pourquoi ne
sommes-nous pas aveuglés par les étoiles ?
Partons donc de l'hypothèse d'un Univers spatialement
infini et ayant toujours existé. Si maintenant un observa-
teur regarde dans une direction, la ligne de visée va fa-
talement rencontrer une étoile, un peu comme une forêt
d'arbre s'étendant à l'infini : notre regard tombera tou-
jours sur un tronc d'arbre, quelle que soit d'ailleurs la
distance entre les arbres puisque ceux-ci sont en nombre
infini.
Nous nous trouvons donc dans la situation d'un "ciel sa-
turé en étoiles" ce qui risque de rendre nos nuits (et nos
jours !) particulièrement lumineuses !!
Bien sûr, les étoiles ne sont pas à une même distance de
nous, donc on peut concevoir que les étoiles plus lointai-
nes brillent moins ce qui expliquerait l'observation de
nombreuses zones noires entre les étoiles, zones obser-
vables aussi bien à l'œil nu qu'avec de puissants télesco-
pes.
Mais rien n'est moins sûr. En effet. Partons de quel-
ques hypothèses simplificatrices Selon le diagramme
de Hertzprung-Russel on constate que notre Soleil est
une étoile de taille et de luminosité banales. Il est alors
assez raisonnable de considérer dans une première ap-
proche toutes les étoiles du ciel comme étant assimila-
bles à notre Soleil.
Si toutes les étoiles ont la même température que celle
du Soleil, cela se traduit selon Stefan-Boltzmann, qu'el-
les rayonnent la même puissance par unité de surface.
Oui, mais on peut argumenter qu'elles ne sont pas toutes
à une même distance et que l'intensité lumineuse perçue
diminue rapidement avec la distance !
Justement. Considérons deux étoiles identiques, l'une
à une distance r de nous, l'autre à une distance 2 r. Par
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la loi du rayonnement, l'intensité perçue de la plus éloi-
gnée est 4 fois plus faible que la plus proche. Mais, il y a
un mais, elle est aussi dans le ciel quatre fois plus petite
en surface visible. Donc, l'intensité lumineuse perçue
par unité de surface reste la même !!!
En d'autres termes, le ciel serait couvert d'étoiles dont
l'intensité perçue serait la même si l'on considère une
même surface apparente dans le ciel ! Il suffit alors de
faire une règle de trois : le Soleil dans le ciel occupe une
surface de 0,22 degré carré. La sphère leste toute en-
tière représente 41'253 degrés carrés.
Un simple rapport de ces deux nombres montre qu'un
ciel saturé en étoiles selon nos hypothèses donnerait sur
la Terre un rayonnement 190'000 fois supérieur au
rayonnement solaire !! Le réchauffement climatique se-
rait garanti depuis longtemps !!!
Il y a donc une contradiction entre le modèle et ce qui
est observé ! C'est donc une sorte de paradoxe. Paradoxe
formulé d'une manière sensiblement différente avant le
20ème siècle par deux astronomes : d'abord par le Suisse
Jean Philippe de Chéseaux vers 1740 puis par l'Alle-
mand Heinrich Olbers en 1823.
Notez que nous n'avons pas encore discuté des points a)
et d) qui concernent les distances des étoiles et la dimen-
sion de notre galaxie
Mais avant de parler de ce paradoxe d'Olbers-Chéseaux,
il conviendra d'examiner quelles ont été les multiples re-
présentations de notre Univers, car, vous l'aurez com-
pris, la noirceur de la nuit exige un modèle cosmologi-
que adéquat
à suivre...
Dans un Univers infini formé d'étoiles comparables avec notre Soleil, sites à des distances différentes, no-
tre ciel diurne et nocturne serait saturé en étoiles ayant une densité lumineuse identique à notre Soleil et
correspondant globalement à un rayonnement 190'000 fois supérieur à celui du Soleil !!
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