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l’innovation. L’initiateur de l’innovation et ses destinataires ont en effet un langage et des
connaissances spécifiques pour appréhender l’innovation. Callon et Latour ont ainsi
développé le concept de traduction, permettant de transformer « un énoncé problématique
particulier dans le langage d’un autre énoncé particulier » (Latour, 1992, p. 19). La traduction
agit par boucle progressive afin d’atteindre un accord entre les acteurs, disposant d’un langage
et d’intérêts parfois divergents (Akrich, Callon et al., 1988). Ce cadre théorique, malgré ses
limites, constitue une grille intéressante pour comprendre les phénomènes de diffusion des
innovations en gestion et notamment les difficultés liées à la vision territorialisée des acteurs
de l’organisation, souvent focalisés sur leurs intérêts propres. Ainsi, pour Bollecker (2004), le
contrôleur de gestion peut jouer le rôle de traducteur afin de résoudre les difficultés de
coordination entre autres.
Pour Hussenot (2006) la théorie de la traduction appréhende les innovations sous forme de
processus itératifs où s’entremêlent un jeu de négociation entre les acteurs et les objets
techniques. Ce qui rejoint l’idée d’Alter (2010) selon lequel l’innovation prend vie dès lors
qu’elle est « réinventée », qu’on lui confère du sens adapté au contexte culturel.
En ce qui concerne le contrôle de gestion, celui-ci a connu de nombreuses innovations
managériales, certaines ayant plus ou moins connu une forte diffusion. La théorie de la
traduction voit l’innovation comme une succession d’épreuves, ponctuées de boucles
itératives, et de transformations non prévisibles au cœur d’un réseau d’acteurs (Hussenot,
2006). Les innovations en contrôle de gestion, souvent à l’initiative du contrôleur de gestion
et/ou de la direction générale, peuvent également être vues comme une succession d’épreuves
et de transformations. L’innovation managériale est alors le fruit de négociations par boucles
progressives au sein d’un ensemble d’acteurs, à l’image du modèle ABC (Godoswki, 2003).
Parallèlement à ces opérations de traduction, se développent des opérations d’intéressement
c’est-à-dire des mécanismes permettant de déplacer les intérêts des acteurs (Akrich, Callon, et
al., 1988). En effet, les acteurs doivent également être intéressés par l’innovation pour profiter
pleinement des bénéfices de la traduction. Pour Akrich, Callon et al. (1988) le modèle dit
tourbillonnaire est mieux à même d’expliquer les phénomènes liés à l’innovation que le
modèle linéaire (suite d’étapes irréversibles). Le modèle tourbillonnaire génère des boucles
itératives où se réalisent des transformations de l’innovation. Ce qui conduit à la nécessité
d’adaptation et de compromis. Ces confrontations transforment les acteurs par le fait que ce
processus génère des savoirs, des modalités organisationnelles et des dispositifs techniques
(Hussenot, 2006). Ces boucles itératives sources de négociation impactent considérablement
le processus d’appropriation de l’innovation et est tributaire de la participation active des
acteurs qui souhaitent faire avancer le projet. Pour Akrich, Callon et al. (1988), l’innovation
« c'est l'art d'intéresser un nombre croissant d'alliés qui vous rendent de plus en plus fort ».
Au fur et à mesure des boucles itératives, le processus cumulatif favorise un intéressement
croissant des acteurs de l’organisation, notamment grâce aux porte-parole. Ce qui, in fine,
produit une dynamique de l’interprétation de l’innovation qui favorise une vision structurante
pour les acteurs (Wong, 2004).