Soins libéraux 26/04/04 16:00 Page 36 Soins Libéraux 36 Allergies alimentaires Phénomène moderne ou déjà ancien ? Le terme d’allergie apparaît pour la première fois en 1906. Il est découvert, ou réinventé, par le médecin autrichien Von Pirquet. Éthymologiquement issu du grec “allos” – autre – et “ergon” – action –, le mot signifie littéralement : réaction provenant d’un contact avec l’autre. D Infos ... Définitions Sensibilisation : lorsque l’organisme produit des immunoglobulines E spécifiques contre un ou plusieurs allergènes. Allergie : correspond à une sensibilisation accompagnée de manifestations cliniques d’hypersensibilité immédiate. Atopie : c’est une prédisposition génétique, chez certaines personnes, à synthétiser des anticorps tels que les IgE. Elle se manifeste par des affections telles que l’asthme, la rhinite ou la dermatite atopique. e Britannicus, sensible aux poils de son cheval, à Proust, sensible aux pollens, l’histoire nous donne des exemples d’allergiques célèbres. Alors, maladie moderne ou phénomène connu de longue date ? Les découvertes de la science ont permis de mieux comprendre le phénomène en expliquant successivement les différentes phases de l’allergie : l’analyse du temps et de la réaction de contact avec l’allergène, la phase de sensibilisation du patient, puis la fabrication des anticorps. Ce sont les conditions de diagnostic de l’allergie. Distinguer l’allergie L’allergie correspond à une sensibilisation accompagnée de manifestations cliniques d’hypersensibilité immédiate. C’est une réaction immunologique violente de l’organisme vis-à-vis d’une substance étrangère. À ne pas confondre avec la sensibilisation et l’atopie. L’allergie alimentaire est dépendante des IgE spécifiques contre les trophallergènes (allergènes alimentaires). Chez le petit enfant, cette présence d’IgE n’est pas confirmée ; elle n’infirme alors pas le diagnostic, mais le rend plus difficile à établir. Partant de là, on peut éliminer ce qui copie les réactions classiques, comme la réponse anaphylactique, sans mettre en cause de système immunologique. Ce sont des manifestations dues à des aliments riches en histamine Professions Santé Infirmier Infirmière N° 54 • avril 2004 comme les produits fermentés : fromages, choucroute, des boissons de même type comme le vin, des aliments fumés, en conserves, comme le thon, le maquereau, le haddock, ou encore le poisson frais et les crustacés. À côté de ceux-ci, qui contiennent de l’histamine, existent ceux susceptibles d’en provoquer la libération, comme les fraises, le fromage blanc, les œufs, mais aussi ceux contenant de la tyramine (hareng) ou de la phenyléthyl-alamine (chocolat). Parallèlement, les intolérances alimentaires dans lesquelles aucun phénomène immunitaire n’intervient sont tout simplement des aliments mal tolérés par l’organisme suite à un déficit enzymatique, ou à un défaut constitutionnel. Mécanismes Qu’est-ce qui rend une protéine alimentaire potentiellement allergisante ? C’est, en fait, le nombre de ses “épitopes”. Un épitope est une portion de protéine, potentiellement antigénique, donc susceptible de se fixer sur un anticorps spécifique : de cette liaison naît l’immunoréactivité. Cet épitope peut être séquentiel, s’il est thermo-résistant, ou conformationnel, lorsque thermolabile. Ces propriétés confirment l’incidence éventuelle d’un chauffage ayant un rôle préventif du déclenchement d’une allergie alimentaire. Le chauffage peut faire disparaître l’allergénicité d’un aliment, l’activer, mais aussi la faire apparaître suite à la création de nouveaux allergènes. La caséine, l’œuf ou encore le poisson sont ainsi thermorésistants. C’est pourquoi la pasteurisation, la stérilisation ou la congélation, comme procédés de conservation, n’ont que peu d’effets sur l’activité allergénique de ce type d’aliment. Mais l’apparition du brunissement des fruits et des légumes, par exemple, est souvent liée à la multiplication allergénique. Quelles sont ces molécules ? Les molécules allergisantes sont des glycoprotéines de poids moléculaire moyen (de 10 000 à 40 000 daltons). Un aliment peut ainsi en contenir plusieurs, de différents types, majeurs, mineurs ou intermédiaires : les trophallergènes, classés en fonction de l’intensité quantitative des réactions qu’ils produisent (60 % pour un majeur et 10 % pour un mineur). Introduites au sein d’un aliment, ces protéines se trouvent confrontées au système de défense constitué par le tube digestif : plusieurs mécanismes entrent alors en jeu. Les premiers sont de nature non immunologique, comme les enzymes de dégradation, qu’elles soient salivaires, gastriques, pancréatiques ou intestinales. Ces enzymes sont à action essentiellement chimique, mais aussi mécanique (par exemple, le mucus intestinal s’oppose à la pénétration des antigènes). Toute modification de la flore intestinale joue également un rôle, et toute perturbation favorise la survenue d’infections et accroît ainsi la perméabilité de la muqueuse. Les grosses molécules allergisantes peuvent alors passer et provoquer le déclenchement de la chaîne de l’allergie alimentaire. Soins libéraux 26/04/04 16:00 Page 37 Soins Libéraux Un ralentissement du transit intestinal peut intervenir et, dans ce cas, les grosses molécules passent à travers la bordure en brosse des cellules intestinales après avoir échappé à une dégradation enzymatique contrariée par la stase stercorale. Les seconds mécanismes sont purement immunologiques de protection, présents dans les cellules de la paroi de l’intestin grêle. Ce système comprend : – les plaques de Peyer, qui sont des organes lymphoïdes assurant la défense de l’intestin. C’est à partir d’eux que les lymphocytes préviennent l’organisme de la pénétration d’antigènes protéiques ; – les lymphocytes eux-mêmes, qui répandent l’information dans tout le système lymphoïde. En temps normal, la réponse immunitaire du tube digestif se traduit par une production d’immunoglobulines A et G et par l’activation de lymphocytes T. Si tout fonctionne correctement, tout s’arrête là. Lorsque les mécanismes de protection sont insuffisants, se déclenchent les manifestations de la réaction d’hypersensibilité retardée. C’est l’étape de sensibilisation. Si celle-ci se poursuit, comme lors d’une réintroduction de l’allergène alimentaire, les cellules Th2 provoquent la production d’IgE, médiateurs de l’allergie générée, et, avec eux, l’allergie alimentaire et ses manifestations propres. L’origine animale Il est difficile de juger de la prévalence de l’allergie alimentaire dans la population. Mais sa fréquence est certainement mésestimée si l’on considère que 30 % des chocs anaphylactiques survenus aux ÉtatsUnis sont d’origine alimentaire. À elle seule, l’allergie aux protéines du lait de vache touche 3 à 6 % des enfants. Les principales sources d’allergie alimentaire chez l’enfant sont les allergènes d’origine animal : le blanc d’œuf, le lait et le poisson. De par la gravité des manifestations qu’elle provoque, l’arachide a une place à part. Chez l’adulte, ce sont les fruits et les légumes qui sont principalement en cause. L’œuf de poule contient deux allergènes majeurs : l’ovalbumine, qui est thermosensible, et l’ovomucoïde, partiellement résistant à la chaleur et pouvant aussi induire, avec la libération d’histamine, de fausses allergies. Il peut exister une allergie croisée entre le jaune d’œuf et les plumes d’oiseaux : c’est ainsi que la consommation d’œuf peut déclencher une crise d’asthme chez des personnes allergiques aux plumes. Une allergie à l’œuf impose certaines précautions pour les vaccinations, lorsque le vaccin antiviral est obtenu à partir d’œuf embryonné (rougeole, oreillons, grippe, fièvre jaune) ; un test allergologique préalable est alors nécessaire. Parmi les produits de la mer, les crustacés sont souvent mis en cause, à juste titre : ils peuvent déclencher de fausses allergies, mais ils sont aussi susceptibles de provoquer la production d’anticorps particulièrement virulents. Là encore, il existe des réactions croisées entre certains crustacés : la crevette et le crabe, par exemple. Le chauffage ne modifie en rien les manifestations, qui peuvent être violentes : cutanées, digestives et même respiratoires. Cependant, les mollusques, souvent accusés, ne sont que rarement coupables : c’est leur contamination virale ou bactérienne qui est responsable des troubles observés après leur ingestion. Par contre, la tropomyosine est une protéine responsable d’une allergie croisée entre les escargots, les crevettes et les acariens. Lors de la cuisson des poissons, la vapeur seule ou l’odeur peuvent suffire à provoquer une crise d’asthme, par exemple. Cette allergie alimentaire au poisson (parallèlement aux fausses allergies citées plus haut) est fixée et peut apparaître au moindre contact. La protéine responsable identifiée est la protéine M issue de la morue, et des allergies croisées existent entre différents poissons, ceux de mer étant plus allergisants que ceux d’eau douce. Toutes les viandes contiennent des allergènes. Pour le porc et la charcuterie, on doit distinguer l’allergie aux protéines elles-mêmes et celle aux additifs alimentaires ou substances adjuvantes conservatrices. Dans ces derniers cas, on parle plutôt d’intolérance aux conservateurs et aux colorants. Le veau et le poulet provoquent une allergie croisée avec les plumes. En revanche, dans un régime hypoallergénique, la dinde et le lapin sont recommandés en cas d’allergie alimentaire. Mais les gibiers, faisandés surtout, riches en tyramine et en histamine, sont responsables de pseudo allergies avec nausées, diarrhée, céphalées ou urticaire. L’origine végétale Les trophallergènes végétaux sont encore beaucoup plus nombreux que les allergènes animaux. Qu’ils proviennent des légumineuses (arachide), des fruits, des légumes ou encore des céréales, ils représentent 50 % de l’ensemble des allergies alimentaires. Cette fréquence est liée, contrairement aux allergies d’origine animale, à la sensibilisation pollinique. Pour les céréales, les allergènes, très proches de ceux des protéines végétales, sont contenus dans l’enveloppe entourant le grain. Les albumines et les globulines stimulant la synthèse des IgE provoquent une authentique allergie alimentaire. Les gliadines et les gluténines constituant le gluten du blé peuvent favoriser la mucoviscidose. (voir encadré). Toutes les céréales peuvent être en cause : le blé, le seigle, l’orge, le riz ou le maïs, mais plus rarement l’avoine. Le problème avec les céréales est que leur allergénicité augmente avec la cuisson, et comme il est bien rare de les >> Professions Santé Infirmier Infirmière N° 54 • avril 2004 37 Soins libéraux 26/04/04 16:00 Page 38 Soins Libéraux 38 >> Infos ... La trousse de l’allergique alimentaire En cas d’allergie alimentaire connue, une trousse d’urgence comprend de l’adrénaline sous forme de seringue auto injectable ou ampoule d’adrénaline à casser sur un sucre et à placer sous la langue, avec également un corticoïde buvable et un antihistaminique. Un enfant porteur d’une allergie alimentaire connue doit faire l’objet en milieu scolaire d’un projet d’accueil individuel. Un livret médical portant toutes les indications doit être remis à l’infirmière scolaire. consommer crues... C’est ainsi le cas pour la consommation croissante de pop-corn. En ce qui concerne les légumineuses, l’allergie à l’arachide devient un vrai problème mondial : en Grande-Bretagne, elle tue en effet plus que celle aux hyménoptères ; aux États-Unis, 3 millions de personnes seraient touchées (Journal of Allergy and Clinical Immunology). Les deux allergènes puissants résistent à la chaleur et, de plus, en dehors de la cacahuète, l’arachide entre dans la composition de nombreuses préparations culinaires comme les gâteaux, les sauces et les glaces. Les manifestations se produisent souvent dès le premier contact. Le soja, présentant une allergie croisée avec le lait de vache, ne peut être utilisé en substitution de ce dernier en cas d’allergie (contrairement à une opinion trop couramment répandue). Parmi les légumes, les ombellifères sont souvent en cause : céleri, fenouil, carotte, persil, coriandre, cumin. Le céleri, surtout s’il est râpé et accommodé avec du citron. La pomme de terre libère des allergènes thermolabiles ; la tomate libère surtout de l’histamine, responsable de fausses allergies. Les fruits sont souvent responsables, en particulier la pomme dont l’antigène est naturellement détruit après conservation du fruit gardé 48 heures à température ambiante. La pêche est plus souvent coupable que la fraise, souvent incriminée à tort et qui ne libère que de grosses quantités d’histamine. Parmi les fruits exotiques, dont la consommation se développe, le kiwi, surtout, est puissamment allergisant, mais aussi l’avocat, la banane et, plus proches de nous, les noix ou les châtaignes. Ils présentent tous une allergie croisée au latex. Les huiles et les corps gras d’arachide, de coco, plus rarement de tournesol peuvent être allergisants. Pour les margarines, c’est fonction de leur teneur en protéines de lait Professions Santé Infirmier Infirmière N° 54 • avril 2004 de vache. Tous ces allergènes sont classiquement retrouvés dans l’alimentation, mais leur nombre s’est accru récemment avec la découverte de nouvelles potentialités. Les nouveaux allergènes Parmi les nouveaux allergènes alimentaires, les acariens Dermatophagoides pteronyssinus ou farinae contaminent les aliments ingérés. Plus discuté, mais fortement suspecté, le rôle des colorants alimentaires ou des additifs. Si la tartrazine est souvent mise en cause, pour les autres colorants, leur action est plus difficile à élucider. Ils sembleraient avoir une fonction dans le temps, augmentant la perméabilité intestinale. Des conservateurs, dont les nitrites et les nitrates retrouvés dans les charcuteries et les préparations à base de porc commercialisées sous plastique, sont également cités. Les agents de texture, de sapidité, les antioxydants, les enzymes difficiles à éviter sont responsables de manifestations allergiques. Quant aux aliments transgéniques, ils seraient censés contenir moins d’épitopes. Un point à élucider. Les colorants à éviter en cas de terrain atopique : – la tartrazine ou E102, – les colorants azoïques E122 à E127, surtout l’érythrosine E127 et le rouge cochenille E124, – E110 jaune orangé, – E104 jaune de quinoléine et E131 bleu. Diagnostic d’une allergie Deux cas sont à considérer selon l’âge du patient atteint. Si, chez le nourrisson, les manifestations cliniques sont essentiellement digestives et cutanées, chez l’enfant, le tableau est polymorphe. La diarrhée est de loin le symptôme le plus fréquent : diarrhée vraie ou, parfois, simple modification de la nature et de la fréquence des selles. En deuxième place en termes de fréquence, on trouve les vomissements, ensuite l’anorexie et les ballonnements intestinaux. Ces signes digestifs, accompagnés ou non d’urticaire ou d’œdème, peuvent révéler chez le nourrisson une allergie aux protéines du lait de vache. Devant une cassure de la courbe de poids avec une diarrhée chronique, on doit évoquer une maladie cœliaque ou une intolérance au gluten. Chez l’enfant plus grand, au premier plan, les manifestations cutanées peuvent être une urticaire, une dermatite atopique. Les symptômes peuvent cependant aussi être respiratoires : de la simple congestion nasale à la rhinorrhée, la toux chronique, une dyspnée paroxystique ou permanente. Dans ce cas, une recherche d’allergie alimentaire est justifiée. Trois fois moins fréquente que chez l’enfant, l’allergie alimentaire de l’adulte présente une richesse de tableaux cliniques liée à la richesse en allergènes. Les manifestations de premier plan sont cutanées, sous forme de dermatite atopique, d’urticaire, d’œdème laryngé, de dermite de contact, de purpura, de dyshidrose, de photodermatose ou d’aphtose buccale récidivante. Les signes aigus les plus fréquents sont l’œdème de Quincke, le choc anaphylactique, le syndrome de Lessof. Manifestation aiguë également, l’asthme allergique d’origine alimentaire est une entité connue et démontrée par les tests de provocation. Les pneumallergènes jouent ici un rôle prédominant, parfois au sein d’une allergie croisée. C’est ainsi le cas avec les escargots, le kiwi, la banane et la châtaigne, qui peuvent provoquer l’allergie croisée avec celle au latex. L’ingestion d’alcool, d’apéritifs en particulier, favorise l’apparition d’une allergie liée à un aliment consommé conjointement. C’est aussi le cas d’un traitement par bêtabloquants... et d’un exercice physique intense. Jacques Bidart