ées de « nes » dans le titre. Ainsi, nous apprenons que l’azur
n est fait à partir de lames d’argent, la rosee ne à partir du
bois de brésil (ou bois de braise), la laque ne de bourre de
laine écarlate teinte au kermès.
D’autres sources font état de la nesse des pigments. La liste
des couleurs dressée par Susie Nash d’après les comptes bour-
guignons de la n du XIVe siècle, contient une large palee de
couleurs dites nes : azur, azur d’Acre, azur pour azurer, azur
d’Allemagne, orpiment, sinople, orée, mine, mine rouge,
blanc de plomb, ynde, massicot, rose. Mais ces couleurs nes
n’ont pas été fabriquées dans les ateliers des peintres qui les
emploient. C’est le duc de Bourgogne qui les achète à l’épicier,
l’orfèvre ou le marchand pour les travaux de peinture qu’il
commande. Le peintre n’est donc employé que pour son talent
et son habilité à exécuter des scènes. En 1356, une ordonnance
pour le travail des peintures du château royal de Vaudreuil en
Normandie, mentionne bien que seront utilisées « nes cou-
leurs a huile ». La nesse des couleurs employées pour tel ou
tel ouvrage retient bien l’aention des clercs. Elle devait sans
doute garantir une certaine abilité à l’ouvrage à réaliser.
Histoire et Images Médiévales 37
Sur les miniatures, on la distingue posée sur la pierre quand la
couleur se fabrique. On doit aussi avoir un couteau pour ôter
la couleur qui s’amasse autour de la molee en broyant. Il sert
encore pour ratisser la couleur qui s’aache à l’amassee.
L’apprenti neoie la pierre, car elle lui sert à préparer toute
sorte de matières, colorées ou non. Souvent dans les récep-
taires, la pierre doit être plane et lisse. En plus de sa dureté,
qui permet de produire une couleur ne, elle ne doit pas gar-
der dans ses inégalités et pores, le précieux pigment ou colo-
rant souvent très cher ou très compliqué à fabriquer. Les opé-
rations de lavage de la pierre meent en contact direct, la peau
de l’apprenti et le pigment, généralement toxique. L’apprenti
représenté au XVe siècle a les manches de son habit relevées.
Preuve sans doute qu’il procédait régulièrement au neoyage
de la pierre. On peut supposer qu’il broyait les pigments
à la suite les uns des autres. An que les résidus de l’un ne
souillent pas la nouvelle couleur à broyer, il faut bien neoyer
sa pierre ! D’après Roger de Piles, on utilise un peu de sablon
avec de l’eau en le broyant sur la pierre avec la molee ; c’est ce
qu’on appelle récurer la pierre. Une fois l’activité de broyage
nie, la pierre pouvait être laissée à côté du peintre en aen-
dant le besoin de couleurs au fur et à mesure que l’ouvrage de
peinture avance.
DES FORMES ET DES cOULEURS
L’iconographie médiévale des enluminures nous montre
diverses formes et couleurs de pierres à broyer : rondes, car-
rées et rectangulaires ; bleue, beige, rose. Une certaine diversité
que les textes corroborent. On serait tenté d’identier la nature
des pierres représentées avec la description qu’en font les
auteurs des réceptaires mais cela reste délicat. Seule la pierre
de porphyre semble identiable. On peut dire cependant que
la comparaison de ces deux sources, écrite et iconographique
laisse entrevoir une panoplie de pierres assez diverses. Les
sources écrites nomment diéremment les natures de pierres
à broyer, les sources iconographiques représentent aussi dif-
féremment la nature des pierres par leurs couleurs et leurs
formes. Ces natures variées des pierres à broyer les couleurs
correspondent à une recherche de qualité intrinsèque des
pierres : la dureté.
Elle est clairement signiée dans les réceptaires. Il est en eet
question de pierres qualiées de dures. Cee caractéristique
des pierres ne permet pourtant pas tous les tours de main
nécessaires au travail des minerais. Et si la pierre à moudre les
couleurs est robuste, elle a cependant ses limites.
Et il faut avoir recours à un autre ustensile pour réduire en
poudre une pierre colorée. Cennino Cennini précise ceci à pro-
pos de la pierre « sanguine » : « Écrase d’abord cee pierre
dans un mortier de bronze, car si tu la cassais sur ta pierre de
porphyre, celle-ci pourrait se briser ». Plus loin sur le jaune
« giallorino », couleur articielle très dure et lourde comme une
pierre, notre auteur italien nous dit ceci : « étant donné qu’elle
est très dicile à réduire en poudre, il te convient de l’écra-
ser dans un mortier de bronze, comme tu dois le faire pour la
sanguine ». Aussi, le mortier de bronze qui sert à transformer
la pierre en pigment, entre dans les outils professionnels de
l’atelier du peintre pour un travail en amont de pulvérisation.
Les réceptaires conservent certaines recees de couleurs quali
Au XVIIIe siècle, l’Académie Royale des Sciences de Paris demande au
peintre Léonard Defrance de présenter un rapport sur la toxicité des
matériaux utilisés dans la préparation des couleurs. L’auteur dresse un
bilan accablant sur les pratiques qui ont lieu dans les ateliers, encore à
cette époque:
« Le danger continue quand le broyeur écrase la couleur sur la pierre pour
la réduire en poudre. Dès qu’elle est parvenue à une certaine finesse, le
moindre mouvement fait avec la molette en élève toujours une partie en
nuages. L’ouvrier ne peut s’exempter d’en aspirer par le nez ou par la
bouche, vu la proximité de la tête. La peau, tant du visage que celle des
bras nus en été et des mains, est couverte de cette matière. D’ailleurs,
l’inadvertance en fait répandre à terre, elle s’écrase avec les souliers, et
continuellement, elle est agitée par les pieds du broyeur, pour l’aller et le
venir des uns et des autres, ce qui distribue complètement ce poison (…).
Si à aspirer l’air imprégné de ces matières, on s’empoisonne, à plus forte
raison si on en avale directement, et c’est ce qui est presque impossible
à certains mauvais broyeurs et barbouilleurs d’éviter. Ils négligent de se
laver, ils prennent leurs repas avec les mains chargées et avec les ongles
pleins de ces matières (…). Car on se nuit de cette manière, quand on
introduit ces matières dans le corps par la peau ; on se nuit sans doute
à laisser les mains, les bras, le visage, souvent les jambes et les pieds,
chargés de cette matière ».
Notre auteur explique plus loin : « Je le répète, et on ne saurait trop
le répéter, l’on ne s’empoisonne en peignant et en broyant que par la
malpropreté. […] De ce que je viens d’exposer de la nature des couleurs
et des effets qu’elles produisent sur les peintres, les barbouilleurs et les
broyeurs, il résulte nécessairement que toutes les causes qui altèrent leur
santé proviennent de la négligence occasionnée par l’ignorance du péril. Ils
ne soupçonnent pas qu’un peu de poussière de céruse qu’ils aspirent, ou
qui couvre les mains et le visage, peut les tuer. (…) Ces ouvriers, broyeurs
et peintres, jamais on ne les
préservera de la mort, non, jamais on ne les garantira, si eux-mêmes ne sont
persuadés du danger, si eux-mêmes ne cherchent à s’en mettre à l’abri ».
Il ajoute enfin que les seules précautions à observer sont la propreté et le
soin de ne pas aspirer la poussière des couleurs. Le danger est donc encore
ignoré au XVIIIe siècle.
un rAPPorT AccABlAnT