les cancers cutanés en consultation

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LES CANCERS CUTANÉS EN CONSULTATION
DERMATOLOGIQUE A LOMÉ (TOGO)
P. PITCHE1, S. TCHAMDJA2, G. NAPO-KOURA4, P. BAKONDE6,
K. KPODZRO5, K. TCHANGAÏ-WALLA3
RÉSUMÉ
Une étude retrospective a été menée sur une période de
15 ans, afin de déterminer la prévalence et les différents
types de cancers cutanés observés au cours d’une
consultation dermatologique à Lomé.
Au cours de la période d’étude, 69 sur 25 600 nouveaux
consultants (0,02%) ont souffert d’un cancer cutané histologiquement diagnostiqué. Les cancers cutanés représentaient 7,91% des tumeurs cutanées rencontrées en
dermatologie. Les principaux cancers cutanés étaient :
la maladie de Kaposi (40 cas), les épithéliomas (10 cas),
les dermatofibrosarcomes (6 cas), les hématodermies (5
cas), le mélanome malin (4 cas), la maladie de Bowen (2
cas), la maladie de Paget (2 cas).
Exceptée la maladie de Kaposi, cette étude confirme la
rareté des cancers cutanés chez le noir africain.
Mots clés : Cancers cutanés, tumeurs cutanées,
prévalence, Lomé, (Afrique Noire).
SUMMARY
Skin cancer in dermatologic clinic in Lomé (Togo)
A retrospective study was conducted during 15 years to
determine the prevalence at the differents skin cancers
in dermatology out patient clinic in Lome. During this
period 60 of 25.600 patients seen had a skin cancer
(0,02%). The skin cancer r e p resented 7,91% of
cutaneous tumors seen in dermatology. The principal
skin cancer were : Kaposi’s sarcoma (40 cases), skin
carcinoma (10 cases), dermatofibrosarcoma protuberans (6 cases), malignant melanoma (4 cases), cutaneous
lymphoma (5 cases).
The results of this study illustrates the rarity of skin
cancer in black patients.
Key-words : Skin cancer, prevalence, Lome (black
Africa).
1 - Ancien Interne des Hôpitaux, Praticien Hospitalier, Service de Dermatovénéréologie, CHU - TOKOIN, Lomé.
2 - Interne, Service de Dermato-vénéréologie, CHU TOKOIN, Lomé.
3 - Professeur Agrégé, Chef de Service de Dermato-vénéréologie CHU-TOKOIN,
Lomé.
INTRODUCTION
Les cancers cutanés sont des affections réputées rares dans
la race noire. Mais depuis les travaux de Tuyns en 1971,
certains cancers se sont révélés relativement fréquents chez
le noir africain (16). Au Togo, les cancers cutanés représentent 11,83% de l’ensemble des cancers (10). En Europe
aux Etats-Unis, les dermatologistes sont confrontés quotidiennement aux nombres sans cesse croissants des cancers
cutanés (3,9). Ce qui est loin d’être le cas pour les dermatologistes en Afrique Noire (15).
La présente étude a eu pour objectifs de déterminer la
prévalence et les différents types de cancers cutanés rencontrés en pratique dermatologique à Lomé.
PATIENTS ET MÉTHODES
Il s’agit d’une retrospective menée de Janvier 1980 à
Décembre 1994 dans le service de Dermato-vénéréologie
du Centre Hospitalier Universitaire de Lomé - Tokoin. Ce
centre constitue la plus grande formation sanitaire du pays.
Tous les consultants en dermatologie font systématiquement l’objet d’un dossier médical comportant les données
dermographiques, cliniques et/ou paracliniques.
Ont été inclus dans cette étude, les dossiers de patients
souffrant d’un cancer cutané histologiquement diagnostiqué.
RÉSULTATS
Au cours de la période d’étude 69 des 25 600 nouveaux
consultants enregistrés dans le service ont présenté un
cancer cutané (0,02%). Ces cancers cutanés représentaient
7,91% de l’ensemble des tumerus cutanées rencontrées en
dermatologie (872 cas). Les cancers cutanés observés
étaient (Tab. 1) :
• La maladie de Kaposi : 40 cas, (57,97%), avec un sexratio égal à 12,33 et un âge moyen de 36 ans. Ses
principales localisations étaient les membres, surtout les
membres inférieurs (35 cas).
4 - Maître Assistant, service d’Anatomopathologie, CHU - TOKOIN, Lomé.
5 - Professeur, Chef de Service d’Anatomo-pathologie, CHU - TOKOIN, Lomé.
6 - Maître Assistant, Service de Pédiatrie, CHU - Campus, Lomé.
Travail du Service de Dermato-Vénéréologie - CHU - TOKOIN - B.P. 57 LOMÉ TOGO.
Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (1)
P. PITCHE , B. BAKONDE, O. TIDJANI , K. TCHANGAÏ-WALLA
16
• Les épithéliomas ; 10 cas (14,49%), dominés par les
épithéliomas spinocellulaires 7 cas (4 femmes, 3 hommes), avec un âge moyen de 40 ans. Le visage était la
localisation la plus observée (5 cas ). Ces épithéliomas
sont survenus dans 4 cas chez les albinos, dans 2 cas sur
une hypopigmentation (dont un cas sur une lésion de
lupus érythémateux chronique), 1 cas sur une ulcération
chronique de la jambe.
• Le dermatofibrosarcome de Darier-Ferrand : 6 cas
(8,69%), dont 3 hommes et 3 femmes avec un âge
moyen de 29 ans. Le tronc était la principale localisation avec 5 cas.
Le mélanome malin : 4 cas (5,79 %), observé uniquement chez les hommes, avec un âge moyen de 52 ans.
Tous les cas étaient observés aux pieds.
• Les hématodermies : 5 cas (7,24%) étaient représentées par le Mycosis fongoïde (2 cas), le lymphome de
Burkitt (1 cas), le lymphoma de Hodgkin (1 cas), et
1 cas de leucémie, lymphoïde chronique.
• La maladie de Paget : 2 cas (2,89%), observés chez
deux femmes âgées de 46 et 47 ans. Ces deux cas
étaient localisés aux seins.
• La maladie Bowen : 2 cas (2,89%) observés chez deux
femmes dont l’âge moyen était de 45 ans ; 1 cas à la
vulve et 1 cas au pubis.
Tableau n°1 : Caractéristiques épidémiologiques des cancers cutanés de notre étude
Type de
cancer
Sexe
masculin (n)
Sexe
féminin (n)
Total
n(%)
Age
moyen (ans)
Principales
localisations
Maladie de Kaposi
37
3
40 (57,97)
36
Membres
Epithélioma spinocellulaire
3
4
(10,14)
40
Face
Epithéli!oma basocellulaire
2
1
3 (4,20)
50
Face
Dermatofibrosarcome
3
3
6 (8,69)
29
Tronc
Mélanome malin
4
0
4 (5,79)
52
Pieds
Hématodermies
4
1
5 (7,24)
50
Tronc
Maladie de Paget
0
2
2 (2,89)
46,5
Sein
Maladie de Bowen
0
2
2 (2,89)
45
Vulve
Notes : % : Pourcentage par rapport au nombre total des cancers cutanés.
DISCUSSION
Exceptée la maladie de Kaposi, les résultats de cette étude
confirment l’impression générale de la rareté des cancers
cutanés en pratique dermatologique en Afrique Noire (13,
15).
Les cancers cutanés représentent 7,91% de l’ensemble des
tumeurs rencontrées en dermatologie dans notre étude.
Cette fréquence est de 1,47% à Cotonou, (15) et 3,96% à
Dakar (13).
Le maladie de Kaposi est le néoplasme cutané le plus
fréquement observé en pratique dermatologique en Afrique
Noire. Elle est en nette recrudescence ces dernières années
avec l’expansion de l’infection à VIH (7, 12). En effet la
maladie de Kaposi constitue l’une des affections opportunistes les plus fréquentes au cours du SIDA dans le monde
(7). Cette affection se localise essentiellement aux mem-
Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (1)
bres inférieurs dans sa forme endémique ; mais au cours du
SIDA, les localisations du tronc et des muqueuses sont
assez fréquentes (7, 11, 12). La maladie de Kaposi se
rencontre avec prédilection chez l’homme. Elle se caractérise en Afrique par son polymorphisme clinique et sa survenue en un âge relativement précoce (11, 14, 16).
Les épithéliomas, dominés par les épithéliomas spinocellulaires, représentent 14,49% de nos cancers (10 cas en 15
ans) ; à Cotonou, TOSSOU (15) a colligé 3 cas d’épithéliomas en 10 ans de pratique dermatologique, contre 14 cas en
3 ans à Dakar dans l’étude SENE (13). Malgré ces basses
fréquences notées çà et là les épithéliomas restent cependant les cancers cutanés les plus fréquents chez le noir
africain (11, 16). Au Togo dans une étude menée par
KOMBATE, dans le laboratoire d’Anatomie pathologique,
les épithéliomas représentaient 56,86% des cancers cutanés
(11) ; en 1971, Tuyns estimait que 38 à 83% des cancers
LES CANCERS CUTANÉS…
17
cutanés rencontrés en Afrique Noire étaient des épithéliomas spinocellulaires (16). Dans toutes les séries africaines ces épithéliomas sont dominés par les épithéliomas
spinocellulaires (11, 13, 16). En Afrique les facteurs de risques pour la survenue des épithéliomas sont l’albinisme,
les xéroderma pigmentosum, les hypopigmentations et
surtout les ulcères phagédéniques. Le rôle cancérigène des
ulcères phagédéniques tropicaux a été révélé par de nombreux auteurs (8, 11, 16), les ulcères phagédéniques sont à
l’origine de 56,9% des épithéliomas spinocellulaires dans
la série de KOMBATE (11). La différence de fréquence des
épithéliomas de notre étude par rapport à celle de
KOMBATE s’explique par le fait que le laboratoire d’anatomie pathologique étant le seul genre au Togo, il draine
tous les cas des autres services et de l’ensemble du pays.
Le dermatofibrosarcome ou tumeur de Darier-Ferrand est
une tumeur rare, nous avons relevé 6 cas en 15 ans, 1 cas a
été noté en 10 ans à Cotonou (15), un cas en 3 ans à Dakar
(13). KOMBATE a relevé 10 cas en 20 ans dans le laboratoire d’anatomie pathologie (11). Le dermatofibrosarcome
survient à tout âge sans prédilection pour un sexe.
Le mélanome malin avec 4 cas, représente 5,79% des
cancers cutanés dans notre étude, 2 cas ont été relevé en
3 ans au Sénégal (13), une cas en 10 ans à Cotonou (15).
Ces chiffres sont relativement plus élevés au Maghreb avec
10 cas en 10 ans à Tlemcen en Algérie (2), 30 cas en
13 ans à Tunis (8), 82 cas en 19 ans à Casablanca (4). Le
mélanome malin est un cancer rare chez le noir ; il se
caractérise par sa localisation aux pieds (plus particulièrement à la plante des pieds), et par la grande fréquence
des formes nodulaires (11, 13, 16).
Les hématodermies observées dans notre étude sont très
disparates. Les lymphomes cutanés épidermotropes sont
dans l’ensemble des séries africaines très rares (13, 16).
La maladie de Paget du sein est une affection essentiellement de la femme ménopausée. Elle est rare en pratique
dermatologique (13, 15).
La maladie de Bowen se rencontre dans les deux sexes.
C’est une affection peu diagnostiquée en Afrique alors
qu’elle semble relativement fréquente en Europe et aux
Etats-Unis (1, 6).
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