LES ÉCO DOCUMENTS - LUNDI 18 MARS 2013
DOCUMENTS
lou. Il va donc de soi que les prévisions arrê-
tées par le gouvernement brossent un ta-
bleau positif, alors que les autres orga-
nismes «indépendants» sont plus terre à
terre. Parfois, l’Exécutif place la barre haut
en s’assignant des objectifs trop optimistes
qui tombent à l’eau rapidement. Exemple :
la Loi de finances de 2012 avait été votée par
les élus de la nation sur la base d’un niveau
de déficit budgétaire de 5%. Résultat : au
bout du compte, l’année s’est achevée avec
un déficit à 7,4%. Cette donne devrait-elle
pousser le ministère des Finances à revoir
S
ous quels auspices s’achèvera
l’année 2013 ? Une croissance de
4,5% comme le prédit le minis-
tère des Finances ? Un peu plus
à 4,8% conformément aux prévisions du
HCP ? Ou encore 5,5% comme le prévoit le
FMI pour le royaume? Les autres indica-
teurs de l’économie marocaine font égale-
ment l’objet de beaucoup de spéculations.
Chacun des organismes spécialisés y va de
sa propre analyse : Département des études
et des prévisions financières (DEPF), HCP,
Banque Al-Maghrib, Centre marocain de
conjoncture (CMC)…Les différents orga-
nismes de statistiques se livrent une guerre
(sans merci) des statistiques avec, parfois,
des appréciations contradictoires et des dif-
férences de chiffres qui passent du simple
au double. La cause ? «Chacun des orga-
nismes qui mettent la main à la pâte a ses
propres outils d’analyse, ce qui fait quon se
retrouve avec des études qui ne sont pas sur
la même longueur d’ondes. Il aurait mieux
valu mettre en place un organisme public
des statistiques pour mettre le tout «en mu-
sique», indique l’économiste Mehdi Lahlou.
En attendant, le «marché» des statistiques
est totalement ouvert et chaque étude pro-
duite apporte son lot de polémique.
Trop de statistiques tue-t-il
la statistique ?
Depuis des années déjà, les livraisons des or-
ganismes spécialisés se suivent et ne se res-
semblent pas. Si cette année, l’écart entre les
prévisions n’est pas énorme, cela n’a pas
toujours été le cas. En 2007 par exemple, les
investisseurs et décideurs économiques ne
savaient pas où donner de la tête : un taux
de croissance attendu de 0,4% pour le CMC,
1,9% pour le HCP et 3,5% pour le ministère
des Finances. Au bout du compte, l'année
s'est achevée sur un taux de croissance de
2,5%, d'après le ministère des Finances. Les
opérateurs qui cherchent de la visibilité
pour établir leurs stratégies sont donc bien
servis ! «
Il est certain que chacun des établis-
sements arrête ses statistiques selon sa vision
des choses et son statut (public, semi-public
ou encore privé). Cela détermine en grande
partie les conclusions
», indique Mehdi Lah-
ses cartes ? Pas si sûr ! Le tandem Nizar Ba-
raka et Drissi Azami table sur un niveau de
déficit de 4,8% pour l’année en cours. Qu’est
ce qui ferait redresser la barre ? Une baisse
des charges de la compensation ? Une crois-
sance plus vigoureuse cette année ? On
verra. Mais tout cela reste la version soft de
la divergence des chiffres. Dans d’autres cas,
le gouvernement pousse le bouchon un peu
trop loin. Autre exemple : selon les chiffres
arrêtés en 2009 par le HCP, le taux d’anal-
phabétisme était de 39,7%. Une année
après, le ministère des Fiances, à travers la
DEPF, donne une autre version, avec un
taux qui ne dépasse pas 30%. Les efforts de
l’État ont-ils été aussi probants, au point de
faire baisser ce taux de 10 points en une
année ? Possible ! Une petite précision :
selon les institutions internationales, le taux
d’analphabétisme baisse annuellement de
1 à 2 points. Remarque, le HCP et le gouver-
nement n’ont jamais été sur la même lon-
gueur d’ondes.
«On ne viellera pas ensemble» !
En février dernier, le HCP annonçait que
«90% de Marocains croient que le coût de la
vie est en augmentation croissante». Le chef
du gouvernement, sous la coupole, explique
que «l’augmentation des prix de certains
produits de grande consommation n’est que
pure spéculation mensongère» (sic!). C’est
un secret de polichinelle : depuis l'entrée en
service du HCP en 2003, ses relations avec
l’Exécutif sont sur le fil du rasoir. En 2005
déjà, les divergences entre Driss Jettou et
Ahmed Lahlimi sur les prévisions écono-
miques nourrissaient une grande polé-
mique. À l'époque, l'ex-Premier ministre
avait qualifié les statistiques du HCP de
«sans fondements». Certes, le contexte po-
litique de l’époque n’arrangeait pas les
choses. Le statisticien en chef du royaume,
Ahmed Lahlimi, était l’une des chevilles ou-
vrières du gouvernement de l’alternance de
1998 sous la houlette d’Abderrahmane el-
Youssoufi. L’actuel président de la Cour des
comptes, lui, est un commis de l’État qui
avait pris les rênes du gouvernement en
2003, dans le non respect de la «méthodo-
logie démocratique», d'après l'USFP. Seule-
ment, 10 ans après, le torchon brûle tou-
jours entre HCP et gouvernement. Ce
dernier est visiblement décidé à en finir avec
les contradictions des chiffres qui brouillent
les cartes. L’idée, qui est en train de faire son
bonhomme de chemin, consiste en l’inté-
gration des aspects analyse, comptabilité
nationale et planification au niveau du mi-
nistère de l’Économie et des finances. Ce se-
rait une manière de faire passer le HCP dans
le giron de l’Exécutif à fin de le neutraliser
politiquement ! Cette approche n’est, on s'en
doute, pas du tout partagée par Ahmed
Alami Lahlimi (Voir interview).
DOSSIER RÉALISÉ PAR
ABOUBACAR Y
. BARMA ET TARIK HARI
Statistiques, la guerre des chiffres
HCP, Bank Al-Maghrib, DEPF, CMC…La production des statistiques est marquée
par l’intervention de plusieurs acteurs. Et chacun des organismes y va de sa propre
analyse avec des différences de chiffres qui passent parfois du simple au double.
●●●
Lidée, qui est
en train de
faire son
bonhomme de
chemin,
consiste en
l’intégration
des aspects
analyse,
comptabilité
nationale et
planification
au niveau du
ministère de
l’Économie et
des finances.
●●●
Le souverain a
insisté sur
deux points
importants :
l’indépendanc
e et l’obligation
de se
conformer
aux standards
internationaux
.
LES ÉCO DOCUMENTS - LUNDI 18 MARS 2013
Statistiques, la guerre des chires
II
tuation économique de tous les secteurs
d’activité, pour en tirer des conclusions qui
reflètent la réalité. Les études se font sur la
base d’un travail de terrain avec des outils
de conjoncture sophistiqués et des méca-
nismes de modélisation. Aussi, les cadres
du HCP font régulièrement le déplacement
à l’étranger pour suivre des formations,
afin de parfaire leurs compétences. Nos
études se basent sur un scan de la situation
passée et présente de l’économie du pays,
avec une projection sur le futur dans le
cadre du budget prévisionnel que nous fai-
sons annuellement. Et à partir de nos
études, le gouvernement s’assigne des ob-
jectifs qui se traduisent par un projet de loi
de finances. Et Bank Al-Maghrib, de son
côté, en tient compte pour établir sa poli-
tique monétaire et bancaire.
Mais pourquoi on se retrouve
avec des chiffres différents voire
contradictoires ?
Parce que les missions et finalités ne sont
pas les mêmes. Le gouvernement se fixe
des objectifs (taux de croissance, inflation,
déficit budgétaire…), alors que le HCP fait
des études de conjoncture sur la base de
données nationales et internationales pour
optimiser ses conclusions. Exemple : le
HCP dira que le contexte actuel permet un
tel niveau de croissance, alors que le minis-
tenir au niveau international. Le HCP est
membre de plusieurs organismes spéciali-
sés dans la statistique au niveau des Na-
tions-unies, de l’Union européenne ou en-
core dans le cadre arabe et africain. Pour
tenir nos engagements, nous avons d’ail-
leurs saisi le gouvernement par un certain
nombre de textes de loi qui donneront un
nouvel élan à notre métier.
Sur quoi portent ces textes de loi ?
Des projets qui portent sur plusieurs volets
de la statistique : une loi sur la statistique,
un outil pour mettre en place un répertoire
des entreprises ou encore un Conseil supé-
rieur de la statistique, qui regroupera tous
les intervenants (universitaires, membres
du gouvernement, société civile...). Ces do-
cuments ont été déposés auprès du gouver-
nement depuis deux ans déjà et nous
avons relancé le processus après l’arrivée
du nouveau gouvernement. Nous espé-
rons que les textes trouveront le chemin de
l’adoption très prochainement.
Face au foisonnement des études
et des chiffres (DPEF, CMC,
BAM..), la production des statis-
tiques doit-elle être réglementée
pour plus d'efficacité ?
Surtout pas. Le Maroc y perdrait à unifier les
voies et procédures des statistiques. Certes,
il y a plusieurs intervenants, mais nous lais-
sons faire le marché. Je pense que sur ce
sujet, la loi économique sera inversée : la
bonne monnaie chassera la mauvaise.
tère des Finances va se fixer un objectif
plus optimiste. Mais dans tous les cas,
s’agissant des prévisions, elles peuvent
être revues soit à la hausse soit à la baisse
en fonction du changement de contexte
économique. C’est d’ailleurs ce que nous
faisons tous les six mois. Ce qu’il faut sa-
voir, c’est que cette situation n’est pas spé-
cifique au Maroc. En France par exemple,
l’INSEE produit toujours des données dif-
férentes des prévisions du gouvernement.
Et les deux parties revoient, au vu du chan-
gement de la conjoncture, leurs prévisions.
De temps à autre, le débat sur l'in-
dépendance du HCP ressurgit.
Faut-il mettre le HCP sous tutelle
de l'Exécutif pour assurer une
meilleure coordination ?
Ce serait la pire chose qui puisse arriver.
Les statistiques ne peuvent être qu’indé-
pendantes. Le Maroc a pris une décision ju-
dicieuse en accordant plus d’autonomie au
HCP depuis 2002. Aujourd’hui, il en va de
la crédibilité de l’économie marocaine vis-
à-vis de ses partenaires. Et cette indépen-
dance des statistiques est un choix adopté
au plus haut niveau de l’État. Lors d’une
rencontre organisée récemment à l’occa-
sion de la journée mondiale de la statis-
tique, le roi a adressé aux participants un
message clair et encourageant. Le souve-
rain a insisté sur deux points importants :
l’indépendance et l’obligation de se confor-
mer aux standards internationaux. C’est
notre engagement et nous essayons de le
Les ÉCO : Le HCP produit plu-
sieurs études annuellement. Esti-
mez-vous qu'elles sont une réfé-
rence dans la prise de décisions
économiques et politiques ?
Ahmed Alami Lahlimi : Nos statis-
tiques sont reconnues pour être une réfé-
rence par toutes les institutions internatio-
nales (FMI, Banque mondiale…). Et nos
enquêtes (emploi, indice des prix à la
consommation, conjoncture…) sont les
seules sources d’information crédibles.
Maintenant, est-ce que nos études sont
prises en considération par les différents
acteurs ? Je suppose, ou en tout cas je l’es-
père bien ! Tout dépend des objectifs des
uns et des autres. Notre mission est de pro-
duire des informations sur la situation éco-
nomique et sociale du pays dans le but de
donner aux décideurs des bases et projec-
tions qui serviront dans la prise des déci-
sions économiques et politiques. Des don-
nées statistiques fiables sont le gage de
décisions efficaces.
Les statistiques du HCP sont très
souvent différentes de celles du
gouvernement ou encore de Bank
Al-Maghrib…
Le HCP est le seul organisme qui effectue
des études de conjoncture. Tous les trois
mois, nos équipes passent au crible la si-
«Mettre le HCP sous
la tutelle de l’Exécutif
serait une catastrophe»
Ahmed Alami
LAHLIMI
Haut commissaire au plan.
Le HCP vu par les Marocains !
En 2010, le HCP s’est livré à un exercice intéressant : une auto-évaluation à travers la perception des chefs de ménage marocains des statistiques qu’il produit. Résultat : sur
un échantillon de 1500 ménages, 31% des chefs de familles s’intéressent régulièrement ou de façon occasionnelle aux publication
s du HCP. Parmi ces derniers, 56% accèdent
à ses livraisons par la radio et la télévision, 19% par les journaux et 12% par le bouche à oreille. De toutes les informations statistiques qui suscitent l’intérêt des marocains,
celles concernant l’emploi et le chômage tiennent le haut du pavé avec 28%, les prix à la consommation pour 20%, l’évolution de
la pauvreté pour 18%, l’éducation et l’anal-
phabétisme pour 16% et l’économie de manière générale pour 14%. Autre indicateur : 70% de l’ensemble des chefs de ménage font confiance aux données statistiques
fournies par le HCP, à des degrés différents évidemment : 46% de façon totale ou moyenne à et à peu près 24%, alors que 11% refusent des résultats et 19% ne se prononcent
pas. En termes de crédibilité des sources institutionnelles de statistique, 58% des chefs de ménage font plus confiance au HCP, 9% aux sources étrangères et 7% autant au
HCP qu’aux sources étrangères. Petit rappel : ces chiffres sont produits par le HCP lui-même !
III
●●●
Les
statistiques
publiques sont
de nos jours
plus que de
simples outils
d’observation
des faits
socioéconomi
ques mais de
véritables
instruments
servant de
socle à la prise
de décision.
LES ÉCO DOCUMENTS - LUNDI 18 MARS 2013
Statistiques, la guerre des chires
III
Le Haut-commissariat au plan
(HCP) élaborera, pour les deux
prochaines années, trois enquêtes
de grande envergure qui permet-
tront d’actualiser les données statistiques
relatives à la situation socioéconomique du
Maroc. Il s’agit de l’enquête nationale sur la
consommation et les dépenses des mé-
nages, celle portant sur le secteur informel
auprès des ménages et une autre enquête
de structure auprès des entreprises. Ces en-
quêtes seront particulièrement attendues
puisqu’elles permettront d’appréhender
plus objectivement les avancées enregis-
trées grâce à l’action du gouvernement
pour ce qui est de l’amélioration des condi-
tions de vie des Marocains. Comme assez
souvent, la publication des données don-
nera assurément lieu à différentes interpré-
tations notamment politiques. C’est, en
effet, l’un des aspects qui témoignent de
l’évolution des statistiques au niveau mon-
dial et qui les place aujourd’hui au cœur
d’enjeux politique et socioéconomique. Les
statistiques publiques sont de nos jours
plus que de simples outils d’observation des
faits socioéconomiques mais de véritables
instruments servant de socle à la prise de
décision. En clair un outil qui assez souvent
détermine l’action politique. Au Maroc, cet
enjeu est devenu assez déterminant en ma-
tière d’action politique dans le sillage des
dispositions de la Constitution de 2011.
«Les indices statistiques sont des méca-
nismes fondamentaux aidant à la prise de dé-
cision sur des bases objectives et un langage
précis et universel dans tous les domaines na-
tionaux en relation avec les entreprises et les
ménages», avait souligné Ahmed Lahlimi,
le haut-commissaire au plan, à l’occasion
de la célébration de la journée mondiale de
la statistique, édition 2010, célébrée en
grande pompe au Maroc. Les statistiques
publiques constituent, aujourd’hui, un outil
et un moyen prépondérant de gouver-
nance. D’où l’amplification de l’intérêt
qu’elles suscitent au niveau tant des acteurs
politiques et socioéconomiques que du ci-
toyen lambda. Qu’il s’agisse des principes
de responsabilité, de reddition des comptes
ou, en général, de l’évaluation des poli-
tiques publiques, il n’y a que ces chiffres ou
données qui permettent une plus grande
visibilité et une meilleure appréciation des
indicateurs de faits socioéconomiques. Les
statistiques sont désormais devenues un
enjeu politique au cœur du développe-
ment. «L’intérêt pour la statistique s’est
accru avec lappréciation de l’intérêt pour le
développement», a confié à ce sujet Abou
Bakr Al Joundi, président de l’Instance
égyptienne centrale de la statistique en
marge des travaux du 5eforum arabe de
promotion de la statistique, organisé en
juillet 2011 à Amman, et auquel avait acti-
vement participé le HCP. Ce qui amplifie
les défis auxquels doivent faire face les or-
ganes producteurs d’informations statis-
tiques notamment sur la crédibilité et la
transparence des données élaborées. Déjà
se pose la problématique de l’accès aux in-
formations, notamment de la part du gou-
vernement. Or l’accès aux données statis-
tiques est considéré comme une des
conditions requises pour les pays émer-
gents, notamment pour les réformes struc-
turelles de leurs économies. Les initiatives
nationales, régionales et internationales se
multiplient ces dernières années pour per-
mettre une mutualisation des efforts afin
de parvenir pour les pays en retard sur ce
plan à s’intégrer à l’économie mondiale de
l’information, qui passe par les incontour-
nables statistiques.
Plateformes communes
La dernière initiative en date est celle de la
Banque africaine de développement (BAD)
qui a récemment lancé un ambitieux pro-
gramme destiné à améliorer la gestion et la
diffusion des données statistiques en
Afrique. Le projet intitulé «l’autoroute de
l’information» a pour principal objectif de
favoriser un plus large accès du public aux
statistiques officielles. Lancé en novembre
Les autoroutes de l'information
Les données statistiques sont aujourd’hui devenues un enjeu au cœur des politiques publiques. En plus d’offrir
un tableau de bord de la situation socioéconomique du pays, elles servent d’instruments de décision pour les autorités
politiques. Cette évolution a amplifié les enjeux au cœur des statistiques officielles qui se doivent de relever le défi de
la transparence et de la crédibilité. C’est pour cette raison que plusieurs initiatives ont vu le jour au niveau international
pour mutualiser les efforts permettant à un pays comme le Maroc de s’intégrer véritablement à l’économie mondiale
de l’information.
Des chires à vendre
Les statistiques sont-elles des marchandises comme les autres, c'est-à-dire pouvant faire l’objet de transactions ? Apparemment
oui, si l’on en croit Hans Rosling, un expert en économie statistique pour qui «le secteur privé doit servir de relais dans l’usage et
la commercialisation de la statistique». En plus de leur valeur économique et leur enjeu politique, la production des données
statistiques est devenue aujourd’hui une véritable niche que le secteur privé investit progressivement. Au Maroc, plusieurs ini-
tiatives privées ont vu le jour et commercialisent leurs services dans la plupart des cas aux entreprises privées. Cependant, si
les statistiques n’ont aucune valeur ou si elles ne sont pas utilisées, se pose déjà la question de l’instance chargée de la produc-
tion officielle. Doù la nécessité pour les institutions officielles en charge des statistiques de relever le défi d’être à la hauteur
des attentes des utilisateurs qui ne sont pas que les services publics. La tendance est d’ailleurs à une migration de leurs travaux
afin de pouvoir épouser celle de l’utilisateur.
2012 dans le cadre d’une initiative plus
vaste de la BAD visant à renforcer les capa-
cités statistiques en Afrique, ce programme
entend aussi appuyer les pays du continent
dans les efforts qu’ils déploient pour amélio-
rer la qualité et la diffusion des données,
tout en facilitant l’élaboration, le suivi et
l’évaluation des politiques à l’œuvre. Le pro-
gramme prévoit la création de plateformes
informatiques communes avec la mise en
place de portails de données dans l’ensem-
ble des 54 pays du continent et de 16 orga-
nisations régionales et sous-régionales afri-
caines, d'ici à la fin juillet 2013. Cette
initiative rejoint celles déjà mises en œuvre
par plusieurs autres institutions avec diffé-
rents organes marocains, notamment le
HCP. Lobjectif de ces initiatives est multiple
comme c’est le cas pour le programme de la
BAD : il s’agit en effet d’établir en temps réel,
des liens directs sur les données, entre la
BAD et les agences nationales de statis-
tiques, les banques centrales et les minis-
tères de tutelle des pays africains, d’une part
et d'associer les pays les uns aux autres,
ainsi qu’aux partenaires au développement
extérieur, d’autre part. Pour les experts, ceci
va faciliter les échanges, la validation, l'ana-
lyse et la diffusion des données. Pour garan-
tir la crédibilité de ces dernières, l’approche
qui s’appuiera sur les normes et directives
internationales, permettra, non seulement
de faciliter l'accès aux données et métadon-
nées statistiques des pays africains, mais
aussi d’améliorer la qualité des données na-
tionales afin qu’elles puissent se prêter à
comparaison. Ainsi harmonisées et plus
adéquates, «celles-ci s’avéreront, in fine, plus
fructueuses à l’usage», soutient à la BAD,
pour qui cette «initiative offre aux pays afri-
cains l’opportunité unique de prendre les de-
vants dans la mise en œuvre de normes statis-
tiques à l’échelle régionale, tout en facilitant
l’accès à leurs données respectives via une pla-
teforme commune». In fine, l'objectif propre-
ment visé est l'émergence de véritables au-
toroutes permettant la circulation des
données fiables et à la portée de tous. Com-
paré aux autres pays de la région, tant de
l’Afrique que du Moyen-Orient, le Maroc
semble avoir pris une sérieuse longueur
d’avance dans cette voie, notamment vis-à-
vis de la production des statistiques. Le prin-
cipal défi à présent, c’est de faire en sorte
qu’elles puissent, aujourd’hui et demain,
contribuer à l’effort de développement poli-
tique et socioéconomique du pays.
Haut-commissariat au plan (HCP)
Le HCP est officiellement l’organisme
principal en matière de production des
statistiques économique, démographique
et sociale, en charge de l’établissement
des comptes de la nation. Il a vu le jour en
septembre 2003, succédant à l’ancienne
direction des statistiques. Comme admi-
nistration de mission, il s’agit d’une ins-
titution qui jouit d’une indépendance
institutionnelle et intellectuelle dans
l’établissement de ses programmes et la
conduite de ses travaux d’enquêtes et
d’études. Pour réussir sa mission, le HCP
élabore des études dans les domaines de
la conjoncture, du cadrage macroécono-
mique et de la prospective. Il dispose,
également d’un observatoire des condi-
tions de vie des ménages et d’un centre
d’études et de recherches démogra-
phiques. Ces dernières années, le HCP a
multiplié les initiatives pour se confor-
mer aux normes internationales. Depuis
2005, sa production est conforme à la
norme spéciale de la diffusion des don-
nées du FMI. Le HCP joue également un
rôle important au comité directeur du
Partenariat statistique au service du dé-
veloppement à l’aube du XXIesiècle
(PARIS21), et au sein de la Commission
statistique des Nations Unies. Ce qui
n’empêche que les études qu’il mène sou-
lèvent assez souvent des polémiques. Ce-
pendant, il est le principal producteur et
fournisseur de données statistiques offi-
cielles au Maroc, en raison notamment
des moyens importants dont il dispose.
Le HCP, c’est en effet une véritable admi-
nistration disposant de plusieurs direc-
tions et représentations au niveau régio-
nal. Cette machine rompue sera
d’ailleurs à l’épreuve du prochain recen-
sement démographique de 2014, qui va
mobiliser plus de 70.000 agents. Pour lui
permettre de mieux affirmer son indé-
pendance, le haut-commissaire au plan
est nommé par le souverain et jouit du
statut de ministre. Le titulaire actuel du
poste, Ahmed Lahlimi, ancien ministre et
membre du bureau politique de l’USFP,
dirige le HCP depuis sa création et ses
sorties ne manquent pas assez souvent
de donner lieu à des interprétations poli-
tiques et parfois assez tendancieuses, no-
tamment depuis l’arrivée du gouverne-
ment actuel. Il est vrai qu’assez souvent
le timing et la publication des résultats de
certaines enquêtes coïncident avec des
moments de confrontations politiques.
DEPF (ministère de l’Économie
et des finances)
La Direction des études et des prévisions
financières joue également un rôle im-
portant dans la production des statis-
tiques officielles au Maroc. Ses travaux
sont principalement orientés vers la pro-
duction des indicateurs à caractère so-
cioéconomique. Contrairement au HCP,
à partir duquel elles tirent une partie de
leurs informations, les études de la DEPF
sont plus destinées au département de
tutelle mais elles sont également acces-
sibles au public. La DEPF a d’ailleurs
comme principale mission de «faire toute
proposition et de procéder à toute étude
Qui fait quoi et comment ?
HCP, DEPF ou CMC : au Maroc plusieurs institutions publiques ou privées sont investies dans
la production et parfois la commercialisation des informations et données statistiques. Qui fait
quoi et comment ? Les ÉCO vous dresse le panorama des institutions les plus reconnues sur
ce marché.
La société civile sy met aussi
En plus des organismes reconnus en matière de production des données statistiques au Maroc, plusieurs ser-
vices publient régulièrement des informations destinées au grand public. La plupart des ministères et des
grandes entreprises publiques disposent de services dédiés à l’élaboration de statistique parfois pour usage
interne. À cela s’ajoutent les études ou sondages spécifiques produits par plusieurs organismes privés avec une
portée limitée à certains clients à qui s’adressent ces données. Ces derniers temps, ce sont les statistiques à
caractères socioéconomiques qui ont foisonné principalement grâce aux actions des entreprises de la société
civile dont certaines réalisent leurs propres études et disposent par conséquent de leurs propres statistiques.
En somme, c'est un créneau porteur.
de nature à éclairer le ministre de l'Écono-
mie et des finances en matière de politique
économique nationale». Cependant, ses
attributions s’étendent à la mise en place
et au développement des instruments de
prévision et de modélisation du minis-
tère ainsi qu'à la création et à la mise en
œuvre des bases de données néces-
saires. Parallèlement, elle est chargée de
contribuer au perfectionnement des mé-
thodes de traitement de l'information du
ministère de l'Économie et des finances.
Le fait que les études et analyses de la
DEPF s’appuient sur les données pro-
duites par d’autres organismes pu-
bliques, notamment le HCP, la direction
de la statistique ou l’Office des changes,
atténue la portée de ses publications qui
demeurent tout de même une véritable
mine d’informations sur l’état de l’écono-
mie nationale et internationale ainsi que
sur leurs corrélations.
CMC
Le Centre marocain de conjoncture
(CMC) est l’un des organismes indépen-
dants et privés qui grâce à son expertise
s’est érigé en véritable producteur de sta-
tistiques économiques au Maroc. Il s’est
LES ÉCO DOCUMENTS - LUNDI 18 MARS 2013
Statistiques, la guerre des chires
IV
particulièrement illustré grâce à ses pu-
blications périodiques sur la conjoncture
économique qui, assez souvent, contras-
tent avec les chiffres officiels. Initiale-
ment pourtant, le CMC a été créé en 1990
par la Fondation ONA et Attijariwafa
bank. Les publications du CMC sont d’ail-
leurs destinées «aux décideurs écono-
miques» et c’est la raison pour laquelle
on retrouve parmi ses partenaires plu-
sieurs entreprises publiques ou privées,
notamment dans le secteur bancaire. Les
travaux du CMC sont particulièrement
axés sur la production d’informations,
d’enquêtes, de sondages, d’analyses et de
prévisions permettant une perception
professionnelle de la conjoncture écono-
mique et sociale. Le CMC est encadré par
un comité scientifique composé d’experts
et d’universitaires et fait également appel
à des statisticiens, analystes et enquê-
teurs rompus aux techniques statistiques
et de sondage pour répondre à des be-
soins spécifiques du Centre ou de ses
clients, notamment les institutions inter-
nationales qui lui commandent des
études. Il est dirigé par le socialiste Habib
El Malki, également ancien ministre. De
ce fait, certaines conclusions émises par
le CMC sont régulièrement tempérées par
des critiques, notamment leur interpréta-
tion politique.
Direction de la statistique (BAM)
Conformément à l’article 7 des statuts
portant loi n° 76-03 du 23 novembre
2005, Bank Al-Maghrib (BAM) a la res-
ponsabilité d’établir et de publier les sta-
tistiques sur la monnaie et le crédit. La
production de ces statistiques est réalisée
au sein de la Direction des études et des
relations internationales (DERI) par le
service des statistiques monétaires (SSM)
relevant du département des statistiques
(DS). Les statistiques monétaires pro-
duites par Bank Al-Maghrib sont
conformes, depuis juin 2010, aux pres-
criptions du manuel des statistiques mo-
nétaires et financières (MSMF) du FMI de
2000. Lobjectif étant d’harmoniser les
méthodes de calcul, d’évaluation et de
comptabilisation des opérations finan-
cières et de classification des instruments
financiers avec les pratiques internatio-
nales. Dans ce cadre BAM a mis en place,
depuis quelques mois, une nouvelle ver-
sion des statistiques monétaires qu’elle
publie régulièrement.
Les études de la DEPF
sont destinées au dé-
partement de tutelle
mais sont aussi ac-
cessibles au public.
1 / 4 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans l'interface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer l'interface utilisateur de StudyLib ? N'hésitez pas à envoyer vos suggestions. C'est très important pour nous!