LES ÉCO DOCUMENTS - LUNDI 18 MARS 2013 DOCUMENTS Statistiques, la guerre des chiffres ● HCP, Bank Al-Maghrib, DEPF, CMC…La production des statistiques est marquée par l’intervention de plusieurs acteurs. Et chacun des organismes y va de sa propre analyse avec des différences de chiffres qui passent parfois du simple au double. S ous quels auspices s’achèvera l’année 2013 ? Une croissance de 4,5% comme le prédit le ministère des Finances ? Un peu plus à 4,8% conformément aux prévisions du HCP ? Ou encore 5,5% comme le prévoit le FMI pour le royaume? Les autres indicateurs de l’économie marocaine font également l’objet de beaucoup de spéculations. Chacun des organismes spécialisés y va de sa propre analyse : Département des études et des prévisions financières (DEPF), HCP, Banque Al-Maghrib, Centre marocain de conjoncture (CMC)…Les différents organismes de statistiques se livrent une guerre (sans merci) des statistiques avec, parfois, des appréciations contradictoires et des différences de chiffres qui passent du simple au double. La cause ? «Chacun des organismes qui mettent la main à la pâte a ses propres outils d’analyse, ce qui fait qu’on se retrouve avec des études qui ne sont pas sur la même longueur d’ondes. Il aurait mieux valu mettre en place un organisme public des statistiques pour mettre le tout «en musique», indique l’économiste Mehdi Lahlou. En attendant, le «marché» des statistiques est totalement ouvert et chaque étude produite apporte son lot de polémique. Trop de statistiques tue-t-il la statistique ? Depuis des années déjà, les livraisons des organismes spécialisés se suivent et ne se ressemblent pas. Si cette année, l’écart entre les prévisions n’est pas énorme, cela n’a pas toujours été le cas. En 2007 par exemple, les investisseurs et décideurs économiques ne savaient pas où donner de la tête : un taux de croissance attendu de 0,4% pour le CMC, 1,9% pour le HCP et 3,5% pour le ministère des Finances. Au bout du compte, l'année s'est achevée sur un taux de croissance de 2,5%, d'après le ministère des Finances. Les opérateurs qui cherchent de la visibilité pour établir leurs stratégies sont donc bien servis ! «Il est certain que chacun des établissements arrête ses statistiques selon sa vision des choses et son statut (public, semi-public ou encore privé). Cela détermine en grande partie les conclusions», indique Mehdi Lah- ●●● L’idée, qui est en train de faire son bonhomme de chemin, consiste en l’intégration des aspects analyse, comptabilité nationale et planification au niveau du ministère de l’Économie et des finances. lou. Il va donc de soi que les prévisions arrêtées par le gouvernement brossent un tableau positif, alors que les autres organismes «indépendants» sont plus terre à terre. Parfois, l’Exécutif place la barre haut en s’assignant des objectifs trop optimistes qui tombent à l’eau rapidement. Exemple : la Loi de finances de 2012 avait été votée par les élus de la nation sur la base d’un niveau de déficit budgétaire de 5%. Résultat : au bout du compte, l’année s’est achevée avec un déficit à 7,4%. Cette donne devrait-elle pousser le ministère des Finances à revoir ses cartes ? Pas si sûr ! Le tandem Nizar Baraka et Drissi Azami table sur un niveau de déficit de 4,8% pour l’année en cours. Qu’est ce qui ferait redresser la barre ? Une baisse des charges de la compensation ? Une croissance plus vigoureuse cette année ? On verra. Mais tout cela reste la version soft de la divergence des chiffres. Dans d’autres cas, le gouvernement pousse le bouchon un peu trop loin. Autre exemple : selon les chiffres arrêtés en 2009 par le HCP, le taux d’analphabétisme était de 39,7%. Une année après, le ministère des Fiances, à travers la DEPF, donne une autre version, avec un taux qui ne dépasse pas 30%. Les efforts de l’État ont-ils été aussi probants, au point de faire baisser ce taux de 10 points en une année ? Possible ! Une petite précision : selon les institutions internationales, le taux d’analphabétisme baisse annuellement de 1 à 2 points. Remarque, le HCP et le gouvernement n’ont jamais été sur la même longueur d’ondes. «On ne viellera pas ensemble» ! En février dernier, le HCP annonçait que «90% de Marocains croient que le coût de la vie est en augmentation croissante». Le chef du gouvernement, sous la coupole, explique que «l’augmentation des prix de certains produits de grande consommation n’est que pure spéculation mensongère» (sic!). C’est un secret de polichinelle : depuis l'entrée en service du HCP en 2003, ses relations avec l’Exécutif sont sur le fil du rasoir. En 2005 déjà, les divergences entre Driss Jettou et Ahmed Lahlimi sur les prévisions économiques nourrissaient une grande polémique. À l'époque, l'ex-Premier ministre avait qualifié les statistiques du HCP de «sans fondements». Certes, le contexte politique de l’époque n’arrangeait pas les choses. Le statisticien en chef du royaume, Ahmed Lahlimi, était l’une des chevilles ouvrières du gouvernement de l’alternance de 1998 sous la houlette d’Abderrahmane elYoussoufi. L’actuel président de la Cour des comptes, lui, est un commis de l’État qui avait pris les rênes du gouvernement en 2003, dans le non respect de la «méthodologie démocratique», d'après l'USFP. Seulement, 10 ans après, le torchon brûle toujours entre HCP et gouvernement. Ce dernier est visiblement décidé à en finir avec les contradictions des chiffres qui brouillent les cartes. L’idée, qui est en train de faire son bonhomme de chemin, consiste en l’intégration des aspects analyse, comptabilité nationale et planification au niveau du ministère de l’Économie et des finances. Ce serait une manière de faire passer le HCP dans le giron de l’Exécutif à fin de le neutraliser politiquement ! Cette approche n’est, on s'en doute, pas du tout partagée par Ahmed Alami Lahlimi (Voir interview). ● DOSSIER RÉALISÉ PAR ABOUBACAR Y. BARMA ET TARIK HARI [email protected] [email protected] LES ÉCO DOCUMENTS - LUNDI 18 MARS 2013 II Statistiques, la guerre des chiffres Ahmed Alami LAHLIMI Haut commissaire au plan. «Mettre le HCP sous la tutelle de l’Exécutif serait une catastrophe» Les ÉCO : Le HCP produit plusieurs études annuellement. Estimez-vous qu'elles sont une référence dans la prise de décisions économiques et politiques ? Ahmed Alami Lahlimi : Nos statistiques sont reconnues pour être une référence par toutes les institutions internationales (FMI, Banque mondiale…). Et nos enquêtes (emploi, indice des prix à la consommation, conjoncture…) sont les seules sources d’information crédibles. Maintenant, est-ce que nos études sont prises en considération par les différents acteurs ? Je suppose, ou en tout cas je l’espère bien ! Tout dépend des objectifs des uns et des autres. Notre mission est de produire des informations sur la situation économique et sociale du pays dans le but de donner aux décideurs des bases et projections qui serviront dans la prise des décisions économiques et politiques. Des données statistiques fiables sont le gage de décisions efficaces. Les statistiques du HCP sont très souvent différentes de celles du gouvernement ou encore de Bank Al-Maghrib… Le HCP est le seul organisme qui effectue des études de conjoncture. Tous les trois mois, nos équipes passent au crible la si- tuation économique de tous les secteurs d’activité, pour en tirer des conclusions qui reflètent la réalité. Les études se font sur la base d’un travail de terrain avec des outils de conjoncture sophistiqués et des mécanismes de modélisation. Aussi, les cadres du HCP font régulièrement le déplacement à l’étranger pour suivre des formations, afin de parfaire leurs compétences. Nos études se basent sur un scan de la situation passée et présente de l’économie du pays, avec une projection sur le futur dans le cadre du budget prévisionnel que nous faisons annuellement. Et à partir de nos études, le gouvernement s’assigne des objectifs qui se traduisent par un projet de loi de finances. Et Bank Al-Maghrib, de son côté, en tient compte pour établir sa politique monétaire et bancaire. Mais pourquoi on se retrouve avec des chiffres différents voire contradictoires ? Parce que les missions et finalités ne sont pas les mêmes. Le gouvernement se fixe des objectifs (taux de croissance, inflation, déficit budgétaire…), alors que le HCP fait des études de conjoncture sur la base de données nationales et internationales pour optimiser ses conclusions. Exemple : le HCP dira que le contexte actuel permet un tel niveau de croissance, alors que le minis- ●●● Le souverain a insisté sur deux points importants : l’indépendanc e et l’obligation de se conformer aux standards internationaux . tère des Finances va se fixer un objectif plus optimiste. Mais dans tous les cas, s’agissant des prévisions, elles peuvent être revues soit à la hausse soit à la baisse en fonction du changement de contexte économique. C’est d’ailleurs ce que nous faisons tous les six mois. Ce qu’il faut savoir, c’est que cette situation n’est pas spécifique au Maroc. En France par exemple, l’INSEE produit toujours des données différentes des prévisions du gouvernement. Et les deux parties revoient, au vu du changement de la conjoncture, leurs prévisions. De temps à autre, le débat sur l'indépendance du HCP ressurgit. Faut-il mettre le HCP sous tutelle de l'Exécutif pour assurer une meilleure coordination ? Ce serait la pire chose qui puisse arriver. Les statistiques ne peuvent être qu’indépendantes. Le Maroc a pris une décision judicieuse en accordant plus d’autonomie au HCP depuis 2002. Aujourd’hui, il en va de la crédibilité de l’économie marocaine visà-vis de ses partenaires. Et cette indépendance des statistiques est un choix adopté au plus haut niveau de l’État. Lors d’une rencontre organisée récemment à l’occasion de la journée mondiale de la statistique, le roi a adressé aux participants un message clair et encourageant. Le souverain a insisté sur deux points importants : l’indépendance et l’obligation de se conformer aux standards internationaux. C’est notre engagement et nous essayons de le tenir au niveau international. Le HCP est membre de plusieurs organismes spécialisés dans la statistique au niveau des Nations-unies, de l’Union européenne ou encore dans le cadre arabe et africain. Pour tenir nos engagements, nous avons d’ailleurs saisi le gouvernement par un certain nombre de textes de loi qui donneront un nouvel élan à notre métier. Sur quoi portent ces textes de loi ? Des projets qui portent sur plusieurs volets de la statistique : une loi sur la statistique, un outil pour mettre en place un répertoire des entreprises ou encore un Conseil supérieur de la statistique, qui regroupera tous les intervenants (universitaires, membres du gouvernement, société civile...). Ces documents ont été déposés auprès du gouvernement depuis deux ans déjà et nous avons relancé le processus après l’arrivée du nouveau gouvernement. Nous espérons que les textes trouveront le chemin de l’adoption très prochainement. Face au foisonnement des études et des chiffres (DPEF, CMC, BAM..), la production des statistiques doit-elle être réglementée pour plus d'efficacité ? Surtout pas. Le Maroc y perdrait à unifier les voies et procédures des statistiques. Certes, il y a plusieurs intervenants, mais nous laissons faire le marché. Je pense que sur ce sujet, la loi économique sera inversée : la bonne monnaie chassera la mauvaise. ● Le HCP vu par les Marocains ! En 2010, le HCP s’est livré à un exercice intéressant : une auto-évaluation à travers la perception des chefs de ménage marocains des statistiques qu’il produit. Résultat : sur un échantillon de 1500 ménages, 31% des chefs de familles s’intéressent régulièrement ou de façon occasionnelle aux publications du HCP. Parmi ces derniers, 56% accèdent à ses livraisons par la radio et la télévision, 19% par les journaux et 12% par le bouche à oreille. De toutes les informations statistiques qui suscitent l’intérêt des marocains, celles concernant l’emploi et le chômage tiennent le haut du pavé avec 28%, les prix à la consommation pour 20%, l’évolution de la pauvreté pour 18%, l’éducation et l’analphabétisme pour 16% et l’économie de manière générale pour 14%. Autre indicateur : 70% de l’ensemble des chefs de ménage font confiance aux données statistiques fournies par le HCP, à des degrés différents évidemment : 46% de façon totale ou moyenne à et à peu près 24%, alors que 11% refusent des résultats et 19% ne se prononcent pas. En termes de crédibilité des sources institutionnelles de statistique, 58% des chefs de ménage font plus confiance au HCP, 9% aux sources étrangères et 7% autant au HCP qu’aux sources étrangères. Petit rappel : ces chiffres sont produits par le HCP lui-même ! LES ÉCO DOCUMENTS - LUNDI 18 MARS 2013 III Statistiques, la guerre des chiffres Les autoroutes de l'information ● Les données statistiques sont aujourd’hui devenues un enjeu au cœur des politiques publiques. En plus d’offrir un tableau de bord de la situation socioéconomique du pays, elles servent d’instruments de décision pour les autorités politiques. Cette évolution a amplifié les enjeux au cœur des statistiques officielles qui se doivent de relever le défi de la transparence et de la crédibilité. C’est pour cette raison que plusieurs initiatives ont vu le jour au niveau international pour mutualiser les efforts permettant à un pays comme le Maroc de s’intégrer véritablement à l’économie mondiale de l’information. L e Haut-commissariat au plan (HCP) élaborera, pour les deux prochaines années, trois enquêtes de grande envergure qui permettront d’actualiser les données statistiques relatives à la situation socioéconomique du Maroc. Il s’agit de l’enquête nationale sur la consommation et les dépenses des ménages, celle portant sur le secteur informel auprès des ménages et une autre enquête de structure auprès des entreprises. Ces enquêtes seront particulièrement attendues puisqu’elles permettront d’appréhender plus objectivement les avancées enregistrées grâce à l’action du gouvernement pour ce qui est de l’amélioration des conditions de vie des Marocains. Comme assez souvent, la publication des données donnera assurément lieu à différentes interprétations notamment politiques. C’est, en effet, l’un des aspects qui témoignent de l’évolution des statistiques au niveau mondial et qui les place aujourd’hui au cœur d’enjeux politique et socioéconomique. Les statistiques publiques sont de nos jours plus que de simples outils d’observation des faits socioéconomiques mais de véritables instruments servant de socle à la prise de décision. En clair un outil qui assez souvent détermine l’action politique. Au Maroc, cet enjeu est devenu assez déterminant en matière d’action politique dans le sillage des dispositions de la Constitution de 2011. «Les indices statistiques sont des mécanismes fondamentaux aidant à la prise de décision sur des bases objectives et un langage précis et universel dans tous les domaines nationaux en relation avec les entreprises et les ménages», avait souligné Ahmed Lahlimi, le haut-commissaire au plan, à l’occasion de la célébration de la journée mondiale de la statistique, édition 2010, célébrée en grande pompe au Maroc. Les statistiques publiques constituent, aujourd’hui, un outil et un moyen prépondérant de gouvernance. D’où l’amplification de l’intérêt qu’elles suscitent au niveau tant des acteurs politiques et socioéconomiques que du citoyen lambda. Qu’il s’agisse des principes de responsabilité, de reddition des comptes ou, en général, de l’évaluation des politiques publiques, il n’y a que ces chiffres ou données qui permettent une plus grande visibilité et une meilleure appréciation des indicateurs de faits socioéconomiques. Les statistiques sont désormais devenues un enjeu politique au cœur du développement. «L’intérêt pour la statistique s’est accru avec l’appréciation de l’intérêt pour le développement», a confié à ce sujet Abou Bakr Al Joundi, président de l’Instance égyptienne centrale de la statistique en marge des travaux du 5e forum arabe de promotion de la statistique, organisé en juillet 2011 à Amman, et auquel avait activement participé le HCP. Ce qui amplifie les défis auxquels doivent faire face les organes producteurs d’informations statistiques notamment sur la crédibilité et la transparence des données élaborées. Déjà se pose la problématique de l’accès aux informations, notamment de la part du gouvernement. Or l’accès aux données statistiques est considéré comme une des conditions requises pour les pays émergents, notamment pour les réformes structurelles de leurs économies. Les initiatives nationales, régionales et internationales se multiplient ces dernières années pour permettre une mutualisation des efforts afin de parvenir pour les pays en retard sur ce plan à s’intégrer à l’économie mondiale de l’information, qui passe par les incontournables statistiques. Plateformes communes La dernière initiative en date est celle de la Banque africaine de développement (BAD) qui a récemment lancé un ambitieux programme destiné à améliorer la gestion et la diffusion des données statistiques en Afrique. Le projet intitulé «l’autoroute de l’information» a pour principal objectif de favoriser un plus large accès du public aux statistiques officielles. Lancé en novembre ●●● Les statistiques publiques sont de nos jours plus que de simples outils d’observation des faits socioéconomi ques mais de véritables instruments servant de socle à la prise de décision. Des chiffres à vendre Les statistiques sont-elles des marchandises comme les autres, c'est-à-dire pouvant faire l’objet de transactions ? Apparemment oui, si l’on en croit Hans Rosling, un expert en économie statistique pour qui «le secteur privé doit servir de relais dans l’usage et la commercialisation de la statistique». En plus de leur valeur économique et leur enjeu politique, la production des données statistiques est devenue aujourd’hui une véritable niche que le secteur privé investit progressivement. Au Maroc, plusieurs initiatives privées ont vu le jour et commercialisent leurs services dans la plupart des cas aux entreprises privées. Cependant, si les statistiques n’ont aucune valeur ou si elles ne sont pas utilisées, se pose déjà la question de l’instance chargée de la production officielle. D’où la nécessité pour les institutions officielles en charge des statistiques de relever le défi d’être à la hauteur des attentes des utilisateurs qui ne sont pas que les services publics. La tendance est d’ailleurs à une migration de leurs travaux afin de pouvoir épouser celle de l’utilisateur. 2012 dans le cadre d’une initiative plus vaste de la BAD visant à renforcer les capacités statistiques en Afrique, ce programme entend aussi appuyer les pays du continent dans les efforts qu’ils déploient pour améliorer la qualité et la diffusion des données, tout en facilitant l’élaboration, le suivi et l’évaluation des politiques à l’œuvre. Le programme prévoit la création de plateformes informatiques communes avec la mise en place de portails de données dans l’ensemble des 54 pays du continent et de 16 organisations régionales et sous-régionales africaines, d'ici à la fin juillet 2013. Cette initiative rejoint celles déjà mises en œuvre par plusieurs autres institutions avec différents organes marocains, notamment le HCP. L’objectif de ces initiatives est multiple comme c’est le cas pour le programme de la BAD : il s’agit en effet d’établir en temps réel, des liens directs sur les données, entre la BAD et les agences nationales de statistiques, les banques centrales et les ministères de tutelle des pays africains, d’une part et d'associer les pays les uns aux autres, ainsi qu’aux partenaires au développement extérieur, d’autre part. Pour les experts, ceci va faciliter les échanges, la validation, l'analyse et la diffusion des données. Pour garantir la crédibilité de ces dernières, l’approche qui s’appuiera sur les normes et directives internationales, permettra, non seulement de faciliter l'accès aux données et métadonnées statistiques des pays africains, mais aussi d’améliorer la qualité des données nationales afin qu’elles puissent se prêter à comparaison. Ainsi harmonisées et plus adéquates, «celles-ci s’avéreront, in fine, plus fructueuses à l’usage», soutient à la BAD, pour qui cette «initiative offre aux pays africains l’opportunité unique de prendre les devants dans la mise en œuvre de normes statistiques à l’échelle régionale, tout en facilitant l’accès à leurs données respectives via une plateforme commune». In fine, l'objectif proprement visé est l'émergence de véritables autoroutes permettant la circulation des données fiables et à la portée de tous. Comparé aux autres pays de la région, tant de l’Afrique que du Moyen-Orient, le Maroc semble avoir pris une sérieuse longueur d’avance dans cette voie, notamment vis-àvis de la production des statistiques. Le principal défi à présent, c’est de faire en sorte qu’elles puissent, aujourd’hui et demain, contribuer à l’effort de développement politique et socioéconomique du pays. ● LES ÉCO DOCUMENTS - LUNDI 18 MARS 2013 IV Statistiques, la guerre des chiffres Qui fait quoi et comment ? ● HCP, DEPF ou CMC : au Maroc plusieurs institutions publiques ou privées sont investies dans la production et parfois la commercialisation des informations et données statistiques. Qui fait quoi et comment ? Les ÉCO vous dresse le panorama des institutions les plus reconnues sur ce marché. Haut-commissariat au plan (HCP) Le HCP est officiellement l’organisme principal en matière de production des statistiques économique, démographique et sociale, en charge de l’établissement des comptes de la nation. Il a vu le jour en septembre 2003, succédant à l’ancienne direction des statistiques. Comme administration de mission, il s’agit d’une institution qui jouit d’une indépendance institutionnelle et intellectuelle dans l’établissement de ses programmes et la conduite de ses travaux d’enquêtes et d’études. Pour réussir sa mission, le HCP élabore des études dans les domaines de la conjoncture, du cadrage macroéconomique et de la prospective. Il dispose, également d’un observatoire des conditions de vie des ménages et d’un centre d’études et de recherches démographiques. Ces dernières années, le HCP a multiplié les initiatives pour se conformer aux normes internationales. Depuis 2005, sa production est conforme à la norme spéciale de la diffusion des données du FMI. Le HCP joue également un rôle important au comité directeur du Partenariat statistique au service du développement à l’aube du XXIe siècle (PARIS21), et au sein de la Commission statistique des Nations Unies. Ce qui n’empêche que les études qu’il mène soulèvent assez souvent des polémiques. Cependant, il est le principal producteur et fournisseur de données statistiques officielles au Maroc, en raison notamment des moyens importants dont il dispose. Le HCP, c’est en effet une véritable administration disposant de plusieurs directions et représentations au niveau régional. Cette machine rompue sera d’ailleurs à l’épreuve du prochain recensement démographique de 2014, qui va mobiliser plus de 70.000 agents. Pour lui permettre de mieux affirmer son indépendance, le haut-commissaire au plan est nommé par le souverain et jouit du statut de ministre. Le titulaire actuel du poste, Ahmed Lahlimi, ancien ministre et membre du bureau politique de l’USFP, dirige le HCP depuis sa création et ses sorties ne manquent pas assez souvent de donner lieu à des interprétations politiques et parfois assez tendancieuses, notamment depuis l’arrivée du gouvernement actuel. Il est vrai qu’assez souvent le timing et la publication des résultats de certaines enquêtes coïncident avec des moments de confrontations politiques. DEPF (ministère de l’Économie et des finances) La Direction des études et des prévisions financières joue également un rôle important dans la production des statistiques officielles au Maroc. Ses travaux sont principalement orientés vers la production des indicateurs à caractère socioéconomique. Contrairement au HCP, à partir duquel elles tirent une partie de leurs informations, les études de la DEPF sont plus destinées au département de tutelle mais elles sont également accessibles au public. La DEPF a d’ailleurs comme principale mission de «faire toute proposition et de procéder à toute étude de nature à éclairer le ministre de l'Économie et des finances en matière de politique économique nationale». Cependant, ses attributions s’étendent à la mise en place et au développement des instruments de prévision et de modélisation du ministère ainsi qu'à la création et à la mise en œuvre des bases de données nécessaires. Parallèlement, elle est chargée de contribuer au perfectionnement des méthodes de traitement de l'information du ministère de l'Économie et des finances. Le fait que les études et analyses de la DEPF s’appuient sur les données produites par d’autres organismes publiques, notamment le HCP, la direction de la statistique ou l’Office des changes, atténue la portée de ses publications qui demeurent tout de même une véritable mine d’informations sur l’état de l’économie nationale et internationale ainsi que sur leurs corrélations. CMC Le Centre marocain de conjoncture (CMC) est l’un des organismes indépendants et privés qui grâce à son expertise s’est érigé en véritable producteur de statistiques économiques au Maroc. Il s’est La société civile s’y met aussi En plus des organismes reconnus en matière de production des données statistiques au Maroc, plusieurs services publient régulièrement des informations destinées au grand public. La plupart des ministères et des grandes entreprises publiques disposent de services dédiés à l’élaboration de statistique parfois pour usage interne. À cela s’ajoutent les études ou sondages spécifiques produits par plusieurs organismes privés avec une portée limitée à certains clients à qui s’adressent ces données. Ces derniers temps, ce sont les statistiques à caractères socioéconomiques qui ont foisonné principalement grâce aux actions des entreprises de la société civile dont certaines réalisent leurs propres études et disposent par conséquent de leurs propres statistiques. En somme, c'est un créneau porteur. particulièrement illustré grâce à ses publications périodiques sur la conjoncture économique qui, assez souvent, contrastent avec les chiffres officiels. Initialement pourtant, le CMC a été créé en 1990 par la Fondation ONA et Attijariwafa bank. Les publications du CMC sont d’ailleurs destinées «aux décideurs économiques» et c’est la raison pour laquelle on retrouve parmi ses partenaires plusieurs entreprises publiques ou privées, notamment dans le secteur bancaire. Les travaux du CMC sont particulièrement axés sur la production d’informations, d’enquêtes, de sondages, d’analyses et de prévisions permettant une perception professionnelle de la conjoncture économique et sociale. Le CMC est encadré par un comité scientifique composé d’experts et d’universitaires et fait également appel à des statisticiens, analystes et enquê- Les études de la DEPF sont destinées au département de tutelle mais sont aussi accessibles au public. teurs rompus aux techniques statistiques et de sondage pour répondre à des besoins spécifiques du Centre ou de ses clients, notamment les institutions internationales qui lui commandent des études. Il est dirigé par le socialiste Habib El Malki, également ancien ministre. De ce fait, certaines conclusions émises par le CMC sont régulièrement tempérées par des critiques, notamment leur interprétation politique. Direction de la statistique (BAM) Conformément à l’article 7 des statuts portant loi n° 76-03 du 23 novembre 2005, Bank Al-Maghrib (BAM) a la responsabilité d’établir et de publier les statistiques sur la monnaie et le crédit. La production de ces statistiques est réalisée au sein de la Direction des études et des relations internationales (DERI) par le service des statistiques monétaires (SSM) relevant du département des statistiques (DS). Les statistiques monétaires produites par Bank Al-Maghrib sont conformes, depuis juin 2010, aux prescriptions du manuel des statistiques monétaires et financières (MSMF) du FMI de 2000. L’objectif étant d’harmoniser les méthodes de calcul, d’évaluation et de comptabilisation des opérations financières et de classification des instruments financiers avec les pratiques internationales. Dans ce cadre BAM a mis en place, depuis quelques mois, une nouvelle version des statistiques monétaires qu’elle publie régulièrement. ●