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Les
statistiques
publiques sont
de nos jours
plus que de
simples outils
d’observation
des faits
socioéconomi
ques mais de
véritables
instruments
servant de
socle à la prise
de décision.
LES ÉCO DOCUMENTS - LUNDI 18 MARS 2013
Statistiques, la guerre des chires
III
Le Haut-commissariat au plan
(HCP) élaborera, pour les deux
prochaines années, trois enquêtes
de grande envergure qui permet-
tront d’actualiser les données statistiques
relatives à la situation socioéconomique du
Maroc. Il s’agit de l’enquête nationale sur la
consommation et les dépenses des mé-
nages, celle portant sur le secteur informel
auprès des ménages et une autre enquête
de structure auprès des entreprises. Ces en-
quêtes seront particulièrement attendues
puisqu’elles permettront d’appréhender
plus objectivement les avancées enregis-
trées grâce à l’action du gouvernement
pour ce qui est de l’amélioration des condi-
tions de vie des Marocains. Comme assez
souvent, la publication des données don-
nera assurément lieu à différentes interpré-
tations notamment politiques. C’est, en
effet, l’un des aspects qui témoignent de
l’évolution des statistiques au niveau mon-
dial et qui les place aujourd’hui au cœur
d’enjeux politique et socioéconomique. Les
statistiques publiques sont de nos jours
plus que de simples outils d’observation des
faits socioéconomiques mais de véritables
instruments servant de socle à la prise de
décision. En clair un outil qui assez souvent
détermine l’action politique. Au Maroc, cet
enjeu est devenu assez déterminant en ma-
tière d’action politique dans le sillage des
dispositions de la Constitution de 2011.
«Les indices statistiques sont des méca-
nismes fondamentaux aidant à la prise de dé-
cision sur des bases objectives et un langage
précis et universel dans tous les domaines na-
tionaux en relation avec les entreprises et les
ménages», avait souligné Ahmed Lahlimi,
le haut-commissaire au plan, à l’occasion
de la célébration de la journée mondiale de
la statistique, édition 2010, célébrée en
grande pompe au Maroc. Les statistiques
publiques constituent, aujourd’hui, un outil
et un moyen prépondérant de gouver-
nance. D’où l’amplification de l’intérêt
qu’elles suscitent au niveau tant des acteurs
politiques et socioéconomiques que du ci-
toyen lambda. Qu’il s’agisse des principes
de responsabilité, de reddition des comptes
ou, en général, de l’évaluation des poli-
tiques publiques, il n’y a que ces chiffres ou
données qui permettent une plus grande
visibilité et une meilleure appréciation des
indicateurs de faits socioéconomiques. Les
statistiques sont désormais devenues un
enjeu politique au cœur du développe-
ment. «L’intérêt pour la statistique s’est
accru avec l’appréciation de l’intérêt pour le
développement», a confié à ce sujet Abou
Bakr Al Joundi, président de l’Instance
égyptienne centrale de la statistique en
marge des travaux du 5eforum arabe de
promotion de la statistique, organisé en
juillet 2011 à Amman, et auquel avait acti-
vement participé le HCP. Ce qui amplifie
les défis auxquels doivent faire face les or-
ganes producteurs d’informations statis-
tiques notamment sur la crédibilité et la
transparence des données élaborées. Déjà
se pose la problématique de l’accès aux in-
formations, notamment de la part du gou-
vernement. Or l’accès aux données statis-
tiques est considéré comme une des
conditions requises pour les pays émer-
gents, notamment pour les réformes struc-
turelles de leurs économies. Les initiatives
nationales, régionales et internationales se
multiplient ces dernières années pour per-
mettre une mutualisation des efforts afin
de parvenir pour les pays en retard sur ce
plan à s’intégrer à l’économie mondiale de
l’information, qui passe par les incontour-
nables statistiques.
Plateformes communes
La dernière initiative en date est celle de la
Banque africaine de développement (BAD)
qui a récemment lancé un ambitieux pro-
gramme destiné à améliorer la gestion et la
diffusion des données statistiques en
Afrique. Le projet intitulé «l’autoroute de
l’information» a pour principal objectif de
favoriser un plus large accès du public aux
statistiques officielles. Lancé en novembre
Les autoroutes de l'information
● Les données statistiques sont aujourd’hui devenues un enjeu au cœur des politiques publiques. En plus d’offrir
un tableau de bord de la situation socioéconomique du pays, elles servent d’instruments de décision pour les autorités
politiques. Cette évolution a amplifié les enjeux au cœur des statistiques officielles qui se doivent de relever le défi de
la transparence et de la crédibilité. C’est pour cette raison que plusieurs initiatives ont vu le jour au niveau international
pour mutualiser les efforts permettant à un pays comme le Maroc de s’intégrer véritablement à l’économie mondiale
de l’information.
Des chires à vendre
Les statistiques sont-elles des marchandises comme les autres, c'est-à-dire pouvant faire l’objet de transactions ? Apparemment
oui, si l’on en croit Hans Rosling, un expert en économie statistique pour qui «le secteur privé doit servir de relais dans l’usage et
la commercialisation de la statistique». En plus de leur valeur économique et leur enjeu politique, la production des données
statistiques est devenue aujourd’hui une véritable niche que le secteur privé investit progressivement. Au Maroc, plusieurs ini-
tiatives privées ont vu le jour et commercialisent leurs services dans la plupart des cas aux entreprises privées. Cependant, si
les statistiques n’ont aucune valeur ou si elles ne sont pas utilisées, se pose déjà la question de l’instance chargée de la produc-
tion officielle. D’où la nécessité pour les institutions officielles en charge des statistiques de relever le défi d’être à la hauteur
des attentes des utilisateurs qui ne sont pas que les services publics. La tendance est d’ailleurs à une migration de leurs travaux
afin de pouvoir épouser celle de l’utilisateur.
2012 dans le cadre d’une initiative plus
vaste de la BAD visant à renforcer les capa-
cités statistiques en Afrique, ce programme
entend aussi appuyer les pays du continent
dans les efforts qu’ils déploient pour amélio-
rer la qualité et la diffusion des données,
tout en facilitant l’élaboration, le suivi et
l’évaluation des politiques à l’œuvre. Le pro-
gramme prévoit la création de plateformes
informatiques communes avec la mise en
place de portails de données dans l’ensem-
ble des 54 pays du continent et de 16 orga-
nisations régionales et sous-régionales afri-
caines, d'ici à la fin juillet 2013. Cette
initiative rejoint celles déjà mises en œuvre
par plusieurs autres institutions avec diffé-
rents organes marocains, notamment le
HCP. L’objectif de ces initiatives est multiple
comme c’est le cas pour le programme de la
BAD : il s’agit en effet d’établir en temps réel,
des liens directs sur les données, entre la
BAD et les agences nationales de statis-
tiques, les banques centrales et les minis-
tères de tutelle des pays africains, d’une part
et d'associer les pays les uns aux autres,
ainsi qu’aux partenaires au développement
extérieur, d’autre part. Pour les experts, ceci
va faciliter les échanges, la validation, l'ana-
lyse et la diffusion des données. Pour garan-
tir la crédibilité de ces dernières, l’approche
qui s’appuiera sur les normes et directives
internationales, permettra, non seulement
de faciliter l'accès aux données et métadon-
nées statistiques des pays africains, mais
aussi d’améliorer la qualité des données na-
tionales afin qu’elles puissent se prêter à
comparaison. Ainsi harmonisées et plus
adéquates, «celles-ci s’avéreront, in fine, plus
fructueuses à l’usage», soutient à la BAD,
pour qui cette «initiative offre aux pays afri-
cains l’opportunité unique de prendre les de-
vants dans la mise en œuvre de normes statis-
tiques à l’échelle régionale, tout en facilitant
l’accès à leurs données respectives via une pla-
teforme commune». In fine, l'objectif propre-
ment visé est l'émergence de véritables au-
toroutes permettant la circulation des
données fiables et à la portée de tous. Com-
paré aux autres pays de la région, tant de
l’Afrique que du Moyen-Orient, le Maroc
semble avoir pris une sérieuse longueur
d’avance dans cette voie, notamment vis-à-
vis de la production des statistiques. Le prin-
cipal défi à présent, c’est de faire en sorte
qu’elles puissent, aujourd’hui et demain,
contribuer à l’effort de développement poli-
tique et socioéconomique du pays. ●