Un souci commun aux parents et aux cellules : L’orienta*on de ses enfants Les cellules cancéreuses sont dangereuses par leur faculté à se diviser de manière incontrôlée. Mais qu’entend-on exactement par « incontrôlé » ? Le rythme des divisions est d’abord plus élevé, rendant la tumeur plus rapide à se développer que le tissu sain l’environnant. La capacité des cellules cancéreuses à s’extraire du tissu est également dangereuse, car elle est à l’origine de la dissémination cancéreuse. Or les cellules cancéreuses peuvent s’échapper d’un organe en se divisant : l’axe de leur division est alors très différent des cellules saines environnantes. Comprendre comment la cellule oriente ses divisions constitue donc un enjeu majeur de la lutte contre le cancer. Petits ou grands, on cherche à garder l’orientation La division cellulaire est essentielle aux organismes multicellulaires : c’est par mitoses successives (Encadré A) que la cellule œuf va donner un être humain composé de quelques 1013 cellules ! Nous sommes cependant bien plus qu’un simple amas désordonné de cellules : notre corps possède des axes définis (comme l’axe dorso-ventral) et nos organes ont une polarité. Cette polarité est aussi présente au niveau cellulaire : elle repose sur le positionnement contrôlé des cellules filles issues des mitoses successives. L’orientation de l’axe de division joue donc un rôle clé dans le développement de notre organisme. Ensuite, à l’âge adulte, nos cellules sont continuellement renouvelées. Les cellules mortes sont remplacées par des nouvelles, fraîchement issues d’une division. En l’absence de contrôle, les nouvelles cellules peuvent être expulsées du tissu : c’est par ce processus que certaines métastases pourraient être initiées. L’orientation, une affaire de repère Si l’orientation est importante, quelles sont les stratégies employées par une cellule pour s’orienter dans notre organisme ? Elle agit tout simplement comme on le ferait, en étant attentive à son environnement, appelé dans ce cas microenvironnement. Comme on pourrait demander son chemin à un passant, la cellule va obtenir une partie des informations auprès de ses voisines. En effet, au sein d’un tissu, les cellules communiquent via des « Velcros » moléculaires afin de s’organiser et de réagir de façon coordonnée. Ces liens qu’elles ont tissés persistent lors de la division et indiquent à la cellule en mitose où se trouvent ses voisines, et où elle dispose d’un espace disponible pour positionner ses filles. Par ailleurs, comme on pourrait s’aider du paysage pour se repérer, la cellule s’aide également des contacts établis avec la matrice extracellulaire pour s’orienter. Ce réseau secrété par les cellules constitue une base pour la cellule en division et va guider le positionnement de ses cellules filles. 2. Prophase 6. Séparation des cellules filles Condensation des chromosomes 1. Interphase 3. Cellule se divisant sur 2. Cellule déposée sur micropatron selon un axe de micropatron division défini par le patron en interphase B. Représentation des micropatrons et de la division cellulaire sur micropatrons Le charabia des bios : Mitose : C’est le moment durant lequel la cellule se divise et donne naissance à deux cellules filles. Auparavant, la cellule a pris soin de dupliquer son matériel génétique (ses chromosomes), si bien que chacune de ses filles percevra un lot identique de chromosomes. Matrice extracellulaire : Un être humain n’est pas constitué uniquement de cellules ; en réalité, une grande partie de notre corps est occupé par un réseau de molécules secrétées par nos cellules, la matrice extracellulaire. Ce réseau peut être dur et dense, dans le cas des os, ou encore mou et élastique, dans le cas de la peau. Par ses caractéristiques, cette matrice sert de point de repère aux cellules. Polarité : A la manière d’un aimant polarisé, on parle de polarité pour un tissu ou une cellule quand il est possible de lui donner un sens. Une artère est par exemple un tissu polarisé car la lumière, où circule le sang, est aisément reconnaissable de sa paroi. A l’échelle microscopique, les cellules de ce tissu, appelé épithélium, sont elles aussi polarisées. Dans un tissu sain, les divisions sont orientées de telle sorte que les cellules conservent leur polarité et restent au sein de l’épithélium Si vous êtes perdus, fiezvous à votre patron ! Axe de division 3. Metaphase Alignement des chromosomes 5. Telophase Décondensation des chromosomes 1. Microenvironnement géométrique Pour guider l’axe de division, le micropatron est constitué de matrice extracellulaire 4. Anaphase Séparation des chromosomes A. Etapes de la mitose dans le cycle de vie d’une cellule Si l’orientation des divisions cellulaires revêt un caractère important, son étude est en pratique souvent complexe. Même avec les techniques d’imagerie moderne, il est difficile d’obtenir la résolution nécessaire pour observer la division des cellules in vivo, au sein d’un tissu. Très tôt, les scientifiques ont donc cherché à isoler les cellules issues de patients, et à les cultiver au laboratoire. Cependant, déposées sur du verre ou du plastique, nos cellules sont privées des points de repère décrits ci-dessus et se divisent en positionnant leurs filles de façon imprédictible. La technique utilisée par notre laboratoire consiste donc à recréer un microenvironnement d’une forme bien déterminée afin de guider la cellule lors de sa division. Cet environnement artificiel est appelé « micropatron cellulaire » (Encadré B). Grâce à l’aide apportée par l’ARC, notre équipe a pu identifier une famille de molécules (Ezrine, Radixine et Moésine) requises pour l’orientation correcte de la division cellulaire. A la manière des tours de guets, ces molécules sont situées sous la surface cellulaire et ont donc une position toute indiquée pour surveiller les interactions avec la matrice extracellulaire. L’inactivation de ces veilleurs moléculaires empêche la cellule de sentir les forces qui s’exercent sur elle, la conduisant vers des axes de division aberrants. Vers une meilleure compréhension du développement tumoral Les micropatrons permettent de recréer in vitro un microenvironnement qui va guider l’axe de division des cellules. Cette technique nous a permis de découvrir le rôle d’une famille de molécules dans l’orientation des axes de division. Ces molécules ont été associées à de mauvais pronostics dans certains cancers et notre étude offre une explication au niveau cellulaire de ce développement tumoral, un premier pas vers une meilleure prise en charge. Activation des ERM par la kinase SLK et orientation de l’axe du fuseau mitotique dans les cellules mammifères Mickaël Machicoane