UNIVERSITE DU DROIT ET DE LA SANTE - LILLE 2 FACULTE DE MEDECINE HENRI WAREMBOURG Année 2013 THESE POUR LE DIPLOME D'ETAT DE DOCTEUR EN MEDECINE Prise en charge en psychiatrie de liaison des patients placés sous assistance circulatoire au long cours Présentée et soutenue publiquement le 19 juin 2013 à 14h00 Par Anne CLERGET Jury Président : Monsieur le Professeur O. COTTENCIN Assesseurs : Monsieur le Professeur P. THOMAS Monsieur le Professeur A. VINCENTELLI Monsieur le Docteur C. LEMOGNE Directeur de Thèse : Monsieur le Docteur C. LEMOGNE Table des matières TABLE DES MATIERES ...................................................................................................................... 8 INTRODUCTION ................................................................................................................................. 10 I L’ASSISTANCE VENTRICULAIRE .............................................................................................. 14 1 DEVELOPPEMENT DES TECHNIQUES, HISTORIQUE ET DESCRIPTION DU MATERIEL ........................................... 14 2 INDICATIONS................................................................................................................................................... 20 3 COMPLICATIONS ............................................................................................................................................. 22 4 PRONOSTIC ..................................................................................................................................................... 23 II ASPECTS PSYCHOLOGIQUES .................................................................................................... 24 1 REACTIONS A LA MALADIE ............................................................................................................................. 25 2 CHEZ L’INSUFFISANT CARDIAQUE ................................................................................................................... 28 a) Impact psychologique de l'insuffisance cardiaque ................................................................................... 28 b) Impact des facteurs psychologiques sur le pronostic de l'insuffisance cardiaque ................................... 30 3 CHEZ LE TRANSPLANTE : ................................................................................................................................ 33 a) Conséquences psychologiques de la greffe .............................................................................................. 33 b) Rôle des facteurs psychologiques sur le pronostic de la greffe ................................................................ 36 4 CHEZ LE PATIENT PLACE SOUS ASSISTANCE CIRCULATOIRE AU LONG COURS.................................................. 38 a) Qualité de vie et handicap fonctionnel..................................................................................................... 39 b) Retentissement psycho-social ................................................................................................................... 41 III ROLE DU PSYCHIATRE DE LIAISON...................................................................................... 48 1 BILAN PRE-THERAPEUTIQUE ........................................................................................................................... 49 a) Le paradigme du bilan pré-greffe ............................................................................................................ 49 b) Recommandations spécifiques à l’assistance ........................................................................................... 50 c) Attentes des médecins somaticiens vis-à-vis du psychiatre ...................................................................... 51 2 CONSIDERATIONS ETHIQUES ........................................................................................................................... 53 3 ASPECTS PSYCHIATRIQUES ............................................................................................................................. 55 a) Morbidité psychiatrique ........................................................................................................................... 55 b) Impact de la morbidité psychiatrique sur le pronostic............................................................................. 60 c) Aspects thérapeutiques ............................................................................................................................. 63 IV CAS CLINIQUES ............................................................................................................................ 68 1 MONSIEUR B. .............................................................................................................................................. 68 2 MONSIEUR T. .............................................................................................................................................. 78 3 MADAME L. ................................................................................................................................................. 83 V DISCUSSION GENERALE ............................................................................................................. 89 1 AVANTAGES ET CONTRAINTES DE LA BIBLIOGRAPHIE DANS CE DOMAINE....................................................... 89 2 SPECIFICITES DE L’ASSISTANCE VENTRICULAIRE GAUCHE .............................................................................. 90 3ATTENTES DES CARDIOLOGUES ....................................................................................................................... 92 CONCLUSION ..................................................................................................................................... 96 8 ANNEXE ................................................................................................................................................ 98 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................................ 99 9 INTRODUCTION La psychiatrie de liaison remplit aujourd’hui une série de missions, à l’interface entre la psychiatrie et la médecine somatique, au sein d’un trinôme : psychiatre de liaison-patientsoignants, et avec un spectre clinique allant de la maladie mentale caractérisée jusqu'aux réactions psychologiques normales face à la maladie. Elle est destinée à répondre aussi bien aux besoins des patients hospitalisés ou suivis dans les services de médecine, qu’à ceux de leur entourage voire des soignants qui en ont la charge. Il s’agit d’une approche transversale, où psychiatres et somaticiens échangent leurs expertises sans se référer prioritairement à un organe malade, mais en privilégiant l’approche globale de la personne, dans son environnement médico-psycho-social, dans l’objectif d’un bon déroulement des soins. Il s’agit d’aider le patient à supporter la situation, notamment sur le plan émotionnel, tout en y faisant face dans la réalité. Néanmoins, pour pouvoir se détacher des aspects techniques, il est paradoxalement important que les équipes de liaison soient le plus familières possible des avancées médicales des services dans lesquels elles interviennent. C’est dans ce contexte que les patients pris en charge dans les services de cardiologie, et tout particulièrement ceux en insuffisance cardiaque terminale chez qui les questions de « vie et de mort » sont au centre des problématiques, avec toutes les conséquences psychiques en découlant, sont régulièrement amenés à rencontrer les membres de l’équipe de psychiatrie de liaison. Le terme d’insuffisance cardiaque désigne l’ensemble des signes et symptômes dus à une incapacité du cœur à adapter le débit sanguin aux besoins fonctionnels et métaboliques des différents organes. L’origine de l’atteinte est variable. Il s’agit d’une affection chronique dans la majorité des cas (cardiopathie hypertensive, cardiopathie ischémique, maladie valvulaire cardiaque, cardiomyopathie...), mais elle peut aussi être aiguë (infarctus du myocarde, 10 myocardite, intoxication médicamenteuse, décompensation d’une insuffisance cardiaque chronique préexistante…). La première manifestation de l’insuffisance cardiaque chronique est une limitation de la tolérance à l’effort. Apparaissent ensuite asthénie et dyspnée, pour des efforts de moins en moins importants. S’y ajoutent de manière plus ou moins brutale, des signes cliniques caractéristiques comme une tachycardie, une polypnée, des râles crépitants pulmonaires, un épanchement pleural, une turgescence jugulaire, une hépatomégalie et des oedèmes périphériques. En France, les données épidémiologiques dont on dispose concernant l’insuffisance cardiaque sont régionales (enquêtes des observatoires régionaux de santé, des réseaux sentinelles et de l’assurance maladie). Elles sont relativement peu nombreuses et ne permettent pas de connaître l’incidence avec précision. Sa prévalence est estimée par la Société Européenne de Cardiologie entre 2 et 3 %, augmentant avec l’âge, après 75 ans. La prévalence globale de l’insuffisance cardiaque augmente du fait du vieillissement de la population. Dans les formes les plus sévères de la maladie, la mortalité atteint 20 à 30 % par an. Les progrès du traitement médicamenteux, l’utilisation de défibrillateurs implantables, la resynchronisation cardiaque, l’organisation du suivi et l’éducation donnée au patient, ont permis d’améliorer la survie. Mais ces progrès ont aussi pour conséquence une augmentation de la prévalence des insuffisances cardiaques avancées. La transplantation cardiaque, traitement de référence dans cette situation, reste limitée par la pénurie d’organes à environ 400 transplantations par an en France selon l’Agence de biomédecine pour l’année 2012. L’attente sur liste de greffe ne cesse d’augmenter avec pour corollaire la mortalité en attente de greffe cardiaque. 11 Malgré tous les efforts de recherche depuis des dizaines d’années, et les progrès effectués en immunologie et dans le domaine de la transgénie, la xénotransplantation (greffe d’un organe issu d’une autre espèce) reste du domaine de la recherche. Aujourd’hui, l’actualité fait place au cœur artificiel de Carpentier et Matra, dont la commercialisation devrait avoir lieu fin 2013, pouvant dans un futur plus ou moins proche modifier les pratiques. Les patients en insuffisance cardiaque terminale, en attente de greffe cardiaque ou contreindiqués pour la greffe sont donc à ce jour placés, en l’absence de contre-indication, sous assistance circulatoire mécanique, mono-ventriculaire gauche, dont les progrès technologiques apportent des résultats encourageants. Il s’agit de substituer une pompe au ventricule défaillant, afin d’améliorer la perfusion tissulaire et de restaurer les principales fonctions d'organe mises à mal par l'insuffisance cardiaque. Le nombre de malades en bénéficiant est estimé à environ 150 par an en France, mais la population cible définie par la Haute Autorité de Santé est estimée entre 600 et 1800 patients par an. L’assistance ventriculaire est vitale chez les patients en bénéficiant. Les contraintes au quotidien sont lourdes et imposent un remaniement complet des habitudes du patient, étant branchés 24h/24 sur un générateur fixe au repos ou sur batteries externes pour se déplacer. Il est par ailleurs contraint à un traitement médicamenteux lourd et un risque de complication important. Ces nouvelles conditions de vie ne sont donc envisageables par le patient et ses proches, que par la mise en jeu immédiate du pronostic vital sans le dispositif. Ces patients illustrent la capacité de l’être humain à s’adapter à des contraintes parfois extrêmes lorsque l’enjeu est celui de la vie ou de la mort. L’objectif de ce travail est ici de mettre en lumière les problématiques posées par la prise en charge en psychiatrie de liaison de ces patients particuliers que sont les patients en assistance circulatoire au long cours. 12 Dans un premier temps nous aborderons l’historique, la description du matériel, les indications, complications et le pronostic d’un tel traitement. Dans un second temps, nous traiterons des aspects psychologiques que nous envisagerons à la lumière des connaissances acquises concernant les patients insuffisants cardiaques et transplantés, allant du plus général au plus spécifique. Ensuite sera envisagé le rôle du psychiatre de liaison, en considérant le bilan pré-thérapeutique à réaliser, les considérations éthiques autour des décisions prises, ainsi que l’aspect psychiatrique à proprement parler. Puis nous aborderons des situations cliniques concrètes, en décrivant les cas de trois patients sous assistance circulatoire au long cours. Nous terminerons par une discussion générale. 13 I L’assistance ventriculaire Afin d’assurer au patient un soutien émotionnel tout en l’aidant à faire face à la réalité de sa pathologie, le psychiatre de liaison doit anticiper le parcours de soin, connaître la pénibilité des techniques mises en oeuvre et leurs contraintes physiques. Il doit également connaître le rôle du patient dans ses soins et les alternatives thérapeutiques. Cette connaissance est d’autant plus importante que le psychiatre de liaison évolue dans un univers médico-chirurgical où la qualité de ses connaissances en ce domaine aura un impact direct sur le retentissement des transmissions qu'il pourra laisser et la pertinence des décisions qu'il prendra. 1 Développement des techniques, historique et description du matériel Depuis les premiers travaux expérimentaux de Michael de Bakey et la première implantation d’un appareil d’assistance de cœur placé en dérivation, effectuée par Kantrowitz en 1966, la communauté scientifique et médicale a tenté de reproduire le coeur naturel. A l'heure actuelle, aussi prometteur que soit le cœur artificiel de Carpentier et Matra pour les années à venir, il ne peut être proposé comme alternative thérapeutique. Cependant, de nombreux systèmes d’assistance circulatoire mécanique ont été développés et proposés aux patients. Il s’agit de dispositifs pouvant suppléer totalement ou partiellement les fonctions circulatoires normalement exercées par le cœur, afin de préserver ou de restaurer les grandes fonctions de l’organisme. Dans les systèmes de première génération, tous les éléments étaient situés à l’extérieur de l’organisme du malade : 14 - les ventricules cardiaques artificiels reposant sur l’abdomen du patient (reliés aux ventricules cardiaques par des canules traversant la paroi thoracique), aspirant puis refoulant le sang par une pompe pneumatique, et ceci à la vue du malade. - le système de contrôle - la source d’énergie Cette méthode d’assistance, de par son encombrement ne pouvait se concevoir que chez des patients qui restaient hospitalisés. Puis sont apparues des dispositifs où la pompe (ventricule artificiel) est placée en intracorporel, avec un système de contrôle placé, lui, en extracorporel. Ces systèmes présentaient cependant plusieurs inconvénients. D’une part, une consommation d’énergie élevée, et d’autre part, la nécessité que le dispositif possède des valves afin d’orienter le flux sanguin (du ventricule gauche du patient vers la pompe et enfin vers l’aorte sans refoulement), ce qui entraînait un risque accru de thrombose. Afin de diminuer les risques de complications et d’augmenter l’autonomie du patient, il était nécessaire de développer de nouveaux systèmes. Les progrès technologiques ont permis le passage à des machines de dernière génération, qui présentent de nombreux avantages. Elles sont de taille réduite, implantables en intracorporel (intra-thoracique), silencieuses, sans valve. Leur consommation en énergie est raisonnable, ce qui permet un allègement du système de batteries et une autonomie meilleure. Aujourd’hui, deux familles d’assistance circulatoire intra ou extra-corporelles sont utilisées au quotidien : - les « dispositifs légers », utilisés sur de courtes durées (21 jours) et aidant à passer un cap réanimatoire difficile, ayant des indications cardio-circulatoires ou respiratoires. 15 - les « dispositifs lourds » qui suppléent la fonction circulatoire et assurent la survie sur une plus longue durée. Parmi eux, il en existe deux types : les dispositifs à flux pulsatile ou à flux continu. Ses indications sont purement cardiologiques. Les assistances ventriculaires gauches sont les plus répandus des dispositifs de longue durée à l’heure actuelle, permettant, de par leur caractère le plus souvent intracorporel, une plus grande autonomie et une sortie de l’hôpital, dans le but d’un retour du patient dans son environnement quotidien. En 1994, la Food and Drug Administration a donné son accord au premier dispositif d’assistance mécanique ventriculaire gauche, comme pont vers la transplantation, permettant aux patients de vivre en dehors de l’hôpital en attente d’un greffon. En 1999, un dispositif portatif électrique était approuvé pour des recherches, comme une alternative au traitement médical seul de l’insuffisance cardiaque terminale des patients contre-indiqués pour la greffe cardiaque. La thérapie définitive par assistance ventriculaire fut approuvée en 2002 par la Food and Drug administration comme alternative à la transplantation, suite aux résultats de l’étude REMATCH (The Randomized Evaluation of Mechanical Assistance Treatment of Congestive Heart Failure), menée aux Etats Unis1. Cette étude a comparé sur 1 an un traitement médical optimal à un traitement par assistance ventriculaire gauche, chez 129 patients, en insuffisance cardiaque sévère, contre indiqués pour la greffe. Il s’agit de l’étude clinique disponible ayant le meilleur niveau de preuve à ce jour. Parmi ces nouvelles pompes, le HeartMate II® (figures 1 et 2), assurant un débit sanguin à flux continu, développé en 2000, est actuellement le système le plus largement implanté dans le monde. Il est plus petit et plus durable que les premières générations. Ce ventricule artificiel a en effet une durée de vie estimée à 10 ans environ, en sachant qu’il peut être changé si besoin. La moitié des patients sous ce dispositif peuvent rentrer à domicile. 16 Les patients présentés par la suite dans les cas cliniques bénéficient de ce dispositif. Il est donc important de pouvoir en faire la description avec précision. Sur le plan technique, sa taille réduite permet son implantation au contact du cœur lors d’une chirurgie à cœur ouvert. La pompe est placée en dérivation du ventricule gauche. Cette pompe est connectée à un ordinateur par l’intermédiaire d’un câble qui sort au niveau de la paroi abdominale. L'ordinateur gère le fonctionnement de la pompe électromagnétique, son débit (qui varie en fonction du rythme cardiaque), ainsi que tous les messages de fonctionnement ou d’alerte. L’énergie nécessaire au fonctionnement est donnée par deux batteries qui sont connectées à l’ordinateur. Chaque paire de batterie assure une durée d’autonomie de dix heures environ. Au-delà, le patient doit changer les batteries par une autre paire, préalablement chargée. Quand une batterie se décharge, l’appareil bipe ; le patient a alors 15 min pour changer la batterie, lui imposant ainsi un quotidien réglé autours des charges, décharges des batteries. Au domicile, le patient dispose d’un générateur qui est branché sur le secteur d’alimentation électrique classique. Ce générateur assure d’une part la charge des batteries dont le patient dispose et d’autre part, le patient peut connecter son assistance au générateur directement afin d’assurer l’alimentation quand il se débranche des batteries. Le câble de connexion est relativement long (1,5 mètre environ), ce qui permet une certaine mobilité autours de l’appareil sans avoir à repasser sur batteries. En pratique, le générateur est placé dans la chambre du patient et assure l’alimentation pendant la nuit, tout en rechargeant les batteries. En cas d’orage, ou de coupure électrique au domicile, le générateur a une autonomie interne de 30 minutes. L’assistance continue donc de fonctionner, mais le générateur émet dans le même temps une alarme sonore indiquant au patient qu’il doit se connecter aux batteries précédemment chargées. 17 Service de Chirurgie cardio-vasculaire ; CHU de Toulouse ; communiqué de presse 2008 18 Service de Chirurgie cardio-vasculaire ; CHU de Toulouse ; communiqué de presse 2008 Les contraintes au quotidien sont donc importantes :2 - changer fréquemment les batteries ; - tester chaque jour le système ; - changer le filtre du ventilateur chaque semaine ; - éviter les décharges fortes en électricité statique ; - éviter les mouvements extrêmes ; - se protéger de l’humidité et du risque d’infection (comme décrit par la suite). 19 De plus, même avec les appareils les plus récents, la prise d’anticoagulants (anti-vitamine K per os) au long cours est capitale, avec une surveillance régulière de l’INR (International Normalized Ratio) à maintenir entre 1,8 et 2,5, ce qui est en soi un traitement contraignant. 2 Indications Comme nous l'avons vu en introduction, deux populations de malades peuvent être distinguées 3,4 : - En situation aigüe : défaillance aiguë ventriculaire non contrôlée par un traitement optimal, en l’absence d’alternative thérapeutique conventionnelle (médicamenteuse, et/ou interventionnelle et/ou chirurgicale), correspondant le plus souvent au choc cardiogénique aigu ; - De manière programmée: patients en insuffisance cardiaque chronique terminale, avec défaillance ventriculaire irréversible (Fraction d’éjection ventriculaire inférieure à 25%, stade 3 ou 4 NYHA, VO2 max inférieure à 12ml/kg/min) (cf. annexe) malgré un traitement optimal et correspondant au déclin progressif de la fonction cardiaque, au terme d’une concertation pluridisciplinaire. Chez les patients placés sous assistance de longue durée en raison du caractère irréversible de leur insuffisance cardiaque, plusieurs situations cliniques sont possibles : 1) L’attente d’une transplantation cardiaque si le patient est éligible (la plus fréquente des situations) ; 20 2) La thérapie définitive : assistance circulatoire comme traitement à part entière, chez le patient inéligible pour la greffe cardiaque ; 3) L’attente de récupération myocardique chez les patients en choc cardiogénique secondaire à une cause réversible (rare en pratique) ; 4) Enfin, parfois, la distinction n’est pas claire pour des raisons médicales ou sociales; on parle d’attente d’une décision médicale. Les contre indications à une assistance circulatoire mécanique sont4: - Troubles psychiatriques mettant en péril l’observance du traitement, - Dysfonction pulmonaire sévère, hypertension artérielle pulmonaire fixée, - Insuffisance respiratoire chronique sévère, - Insuffisance hépatique sévère (cirrhose, hypertension portale…), - Troubles majeurs de la crase sanguine ; Hémorragie incontrôlée, - Lésions irréversibles du système nerveux central, accident vasculaire cérébral récent, - Syndrome septique et maladie inflammatoire systémique active ou suspectée non contrôlée, - Maladie systémique avec atteinte de plusieurs organes, - Affection de mauvais pronostic lorsque l’espérance de vie est inférieure à 2 ans ou néoplasie active, - Rupture septale non traitée, - Cachexie ou surface corporelle < 1,2 m2. Enfin, concernant l’âge, il est possible d'implanter ce type de dispositif chez les patients de 70 ans ou plus.5 21 3 Complications Les objectifs principaux des premières études ont porté sur l'efficacité et la tolérance de ce traitement, comprenant l’efficacité des différents types de dispositifs, et la comparaison de ce traitement par assistance aux deux autres traitements proposés, qui sont le traitement médicamenteux optimal, et la transplantation cardiaque. Les chiffes suivants ne sont qu’approximatifs. En effet, la variabilité des résultats rapportés dans la littérature est en partie liée à l’hétérogénéité de l’état pré-opératoire des patients. Les risques de complication sont d’autant plus élevés que le malade implanté est dans un stade très avancé de l’insuffisance cardiaque et possède des facteurs de risque de base 6. Les complications les plus communes sont d’abord infectieuses 4. Présentes dans 30 à 50 % des cas, elles altèrent significativement la qualité de vie. Elles peuvent avoir pour point de départ n’importe quelle partie du matériel, mais les infections de câble sont de loin les plus fréquentes. Leur prévention passe par une réadaptation physique et cardiaque associée à des mesures éducatives, une prise en charge optimale d’un éventuel diabète, de bonnes mesures d’hygiène et notamment en ce qui concerne les soins de plaies, une bonne qualité de nutrition et l’éviction au maximum de traumatismes au niveau du câble (ceinture de sécurité en voiture par exemple). Viennent ensuite les complications neurologiques, avec l’accident vasculaire cérébral au premier plan, chez 25 à 40% des patients, puis dans 26% des cas environ des complications hémorragiques (le plus souvent directement liées à la prise d’anticoagulants oraux), et enfin des complications liées directement au dispositif (de plus en plus rares) comme des complication très tardives de câble. 22 4 Pronostic L’étude REMATCH menée aux Etats Unis en 2001 montre que la survie à 1 et 2 ans avec assistance est meilleure qu’avec traitement médicamenteux optimal seul (52% versus 25% à 1 an, 23% versus 8% à 2 ans, p = 0,008), au prix d’une augmentation des effets secondaires78. Durant les dix dernières années, la survie à un an est passée à 52% pour les dispositifs pulsatiles et 68% pour les dispositifs à flux continu, allant jusqu’à 98% pour les patients en attente de transplantation. En 2008, un essai contrôlé randomisé3 incluant 200 patients non éligibles pour la transplantation cardiaque a montré qu’à 2 ans, la survie, sous les dispositifs les plus récents à débit continu était de 58% (vs 24% pour les dispositifs pulsatiles, p = 0,008) 9 . La durée de vie après implantation d’une assistance en thérapie définitive ou attente de transplantation est de 4 à 6 ans10,11, avec moins de complications et moins de changement d’appareil sous assistance à débit continu que sous assistance pulsatile. Sur le plan neurocognitif, aucune différence de performances neurocognitives entre les dispositifs pulsatiles et continus n’a été mise en évidence de 1 à 24 mois. Ces performances sont stables dans le temps et ont tendance à s’améliorer (perception visuelle, mémoire auditive, mémoire visuelle, fonctions exécutives, langage, rapidité d’exécution)12. 23 II Aspects psychologiques « Le cœur est l’organe privilégié de l’affect, la métaphore de l’amour, du chagrin et de la nostalgie ainsi que de la haine, de la violence et de la colère » 13. Il rassemble à lui seul d’importantes charges affectives et symboliques et représente l’organe vital par excellence. Il est d’ailleurs tout à fait familier d’entendre que quelqu'un à « le cœur sur la main », en a « le cœur brisée », a « le cœur bien accroché », pour évoquer la générosité, la tristesse ou le courage. A contrario, une personne avec un « cœur de pierre » ou « sans cœur », laisse généralement une impression de froideur ou de cruauté. On comprend donc d’emblée l’impact psychologique que peut avoir toute pathologie cardiaque, ne serait-ce que sur un plan symbolique. Cet impact sera d’autant plus important si la maladie survient de manière brutale, une longue évolution de celle-ci permettra au patient une adaptation progressive. Depuis plusieurs dizaines d’années maintenant, la psychologie de la santé tente de mieux comprendre les réactions des sujets face à une pathologie somatique ainsi que les facteurs favorisant ou contrariant leurs ajustements à celles-ci. De façon générale, il nous a paru important d’envisager dans un premier temps les grandes notions apportées en psychologie de la santé concernant les réactions face à la maladie, pour comprendre de manière globale le patient sous assistance circulatoire. Puis, considérant qu’il se trouve dans le spectre des insuffisants cardiaques au stade terminal dont le traitement de référence est la greffe cardiaque, nous traiterons des aspects psychologiques des patients sous assistance circulatoire après avoir développé les connaissances acquises concernant les insuffisants cardiaques et transplantés. 24 1 Réactions à la maladie Dans « Le normal et le pathologique », Georges Canguilhem expose que les pathologies chroniques (dont fait partie l’insuffisance cardiaque) ont pour seul dénominateur commun l’impossible reconquête d’un état de stabilité des normes physiologiques. Il s’agit d’un évènement non choisi, non désiré, annonçant la perspective d’une menace pouvant être vitale, dont les conséquences sur le plan émotionnel sont déterminantes quant à l’adaptation du patient lui-même à la nouvelle situation. Ce changement de vie s’accompagne d’un travail de deuil, non pas lié à la mort, mais à la perte. Tout l’enjeu sera de consentir à vivre selon une nouvelle réalité, celle imposée par la maladie et de faire le deuil de la vie antérieure perdue. Freud, dans « Introduction à la psychanalyse », insiste sur l’atteinte narcissique que représente la maladie, impliquant une régression et un surinvestissement de l’organe malade qui sort de sa méconnaissance habituelle. Le patient malade chronique est avant tout un individu singulier par son âge, son sexe, son histoire de vie, ses expériences passées, sa culture, ses traits de caractère, son entourage social et familial. Ses représentations de la maladie lui sont propres, ainsi que ses émotions. La maladie prend donc un sens dans sa réalité interne, elle provoque une rupture, une discontinuité dans son existence, et le sujet doit, pour y faire face, mobiliser une partie de son énergie psychique. Elle peut donc déclencher des réactions variables. Dans l'adaptation à la réalité externe, le prix à payer pour la survie est l’acceptation des contraintes thérapeutiques qu’elle impose, et d’un changement de mode de vie souvent radical. Il s’agit pour le patient de « vivre avec » tout cet ensemble. Ainsi, on peut retrouver plusieurs types de réactions à la maladie : Au premier rang de celles-ci, se trouvent les réactions anxieuses. Il s’agit le plus souvent d’un processus normal d’adaptation à la menace vitale et aux conséquences directes de la 25 maladie (souffrance physique et l’altération des liens affectifs et sociaux). En envahissant tous les champs psychiques, elle devient pathologique, et nécessite une prise en charge. Fréquentes dans les maladies chroniques ou sévères, les réactions dépressives viennent en réaction à l’altération à l’image idéale invulnérable et infaillible que se fait de lui-même le sujet. Elles peuvent être masquées par des plaintes somatiques, ou exprimées par le malade, au moyen de verbalisation de sentiment de dévalorisation, de fatalité, et d’abandon de tout projet et plaisir partagé. La survenue d’un épisode dépressif caractérisé est possible. Des réactions de régression et de dépendance, telles qu’une focalisation sur soi, une réduction des intérêts, une dépendance vis-à-vis de l’entourage et des soignants, un retour à des satisfactions infantiles, une intolérance à la frustration sont des processus normaux et nécessaires permettant de s’adapter à la situation nouvelle de la maladie. Peut s’y associer un mode de pensée magique telle qu’une croyance en la toute puissance du médecin ou du médicament. Cette réaction est utile au processus thérapeutique, permettant une bonne observance, mais s'efface généralement au moment de la guérison pour que le patient retrouve toute son autonomie. Si au contraire elle est trop importante en intensité ou durée, elle peut empêcher la participation active au processus thérapeutique. Une minimisation, une négation voire un déni de la maladie peuvent également survenir comme processus adaptatif à la maladie si les pensées perturbatrices sont évacuées de la conscience. Dans le cas du déni, il persiste une expérience simultanée d’une perception de la réalité en même temps qu’une négation totale de certains éléments péjoratifs ou insupportables de cette réalité. Si le déni peut faire le lit de la non-observance, celle-ci peut également être envisagée comme une condition préalable à la mise en place du déni. Ainsi, ne pas avoir à l'esprit la menace représentée par maladie suppose de ne pas avoir à suivre des traitements contraignants rappelant cette menace. 26 On peut également retrouver des réactions d’ordre narcissique. Ainsi, des patients se sentant diminués par la maladie peuvent développer la crainte de ne plus être dignes d’être aimés, ou se replier sur eux même et accentuer leur focalisation sur eux-mêmes. D’autres au contraire voient leur narcissisme renforcé par la maladie, et l’intérêt porté autours de sa propre personne malade va devenir source de nombreuses satisfactions. Ce type de réaction est fréquent quand le narcissisme domine le fonctionnement psychique, et peut parfois constituer une ressource pour encourager la participation du patient à la thérapeutique. Enfin, l’agressivité et la persécution peuvent survenir, sans être l’apanage des patients psychotiques. Il peut s’agir d’agressivité passive, verbale ou physique. Cette agressivité peut être engendrée par un sentiment de persécution, d’injustice (se considérant comme victime d’une agression, pensant plus ou moins consciemment qu’on leur veut du mal par un mécanisme de projection) ou de menace. Plus généralement, si un déséquilibre se crée entre les exigences de la pathologie et les ressources du patient, différentes stratégies de « coping » (« to cope with » signifiant faire face, en anglais) ou d’ajustement au stress engendré par ce déséquilibre, pourront être mises à l’oeuvre14. On retrouve des stratégies d’ajustement centrées autours du problème ou « coping actif », qui correspond aux tentatives cognitives et comportementales pour contrôler ou modifier une situation, comme la recherche d’informations à propos de la pathologie, d’un soutien social, l’anticipation sur le cours normal de la maladie, suivre un régime, ou faire de l’exercice physique. D’autres stratégies d’ajustement sont centrées autours des émotions, ou « coping centré sur les émotions » et correspondent aux tentatives du sujet pour contrôler ou modifier la tension émotionnelle induite par la situation. On peut y retrouver la fuite, des autoaccusations, un évitement, une minimisation des menaces soulevées par la maladie, prise 27 de distance, une adhésion à des modèles non médicaux de la maladie, voire un déni complet de la maladie. Il semble indispensable que le psychiatre puisse reconnaître ces modifications comportementales et l’origine des processus psychologiques nouveaux pour apporter au patient une réponse adaptée. Il n’y a pas de stratégie défensive idéale à la maladie, et une même stratégie, en fonction des circonstances dans lesquelles elle est mise en place peut s’avérer utile ou particulièrement dangereuse. En effet, les stratégies centrées sur l’émotion peuvent être bénéfiques quand rien ne peut être fait pour prévenir un dommage, mais si elles interfèrent avec une action adaptative nécessaire, elles deviennent nuisibles. A l’inverse, les stratégies centrées sur le problème sont utiles dans les situations où un changement est possible, mais persévérer dans de telles efforts alors que rien ne peut être fait pour améliorer la situation peut s’avérer nuisible. Enfin, il est important de noter que si la maladie est en premier lieu négative et source de souffrance, elle peut procurer des bénéfices au patient (émotionnels, sociaux, etc.) Si ces bénéfices sont plus importants que ceux retrouvés dans son fonctionnement de sujet sain, la guérison risque d’être freinée. 2 Chez l’insuffisant cardiaque a) Impact psychologique de l'insuffisance cardiaque Le patient insuffisant cardiaque est confronté à une évolution incertaine de sa pathologie15, avec en toile de fond le risque de mort subite, notamment par trouble du rythme. Dans le même temps, sans être un patient douloureux chronique, le retentissement de sa pathologie se fait directement sur sa vie quotidienne avec des symptômes invalidants au moindre geste, un 28 traitement médicamenteux parfois lourd (inhibiteurs de l’enzyme de conversion, bétabloquants, antagonistes des récepteurs béta-adrénergiques, antagonistes des récepteurs de l’angiotensine, diurétiques, traitements anti-arythmiques, agents inotropes positifs, anticoagulants, anti-agrégants plaquettaires), et des règles hygiéno-diététiques strictes à respecter: régime désodé strict, activité physique régulière, perte de poids, arrêt de l’alcool et du tabac. Ces conditions physiques entraînent une réduction globale de sa qualité de vie sociale et professionnelle, pouvant aller dans les stades les plus avancés jusqu’à un épuisement total et une cachexie rendant impossible toute activité quotidienne normale. Spontanément, se pose donc la question de la qualité de vie chez ces patients. Aujourd’hui, celle-ci est définie dans le champ des effets des maladies et de leur traitement. Ainsi, Millat 16 a pu la définir comme « la perception subjective par l’individu de son état physique (fonctionnement organique), émotionnel (état mental, psychique) et social (aptitude à engager des relations normales avec autrui) après avoir pris en considération les effets de la maladie (symptômes) et de son traitement (séquelles handicaps) ». Comparés à la population générale, il est donc évident que les patients insuffisants cardiaques présentent une qualité de vie significativement diminuée, dans les domaines physiques et psychiques et que plus la maladie est avancée, plus le retentissement est important.17 Sans surprise, le handicap physique a un impact significatif sur la qualité de vie globale 18. Concernant les stratégies de coping, il a été montré 19 que chez les patients insuffisants cardiaques, euthymiques et sans trouble anxieux, elles se mettent à l’œuvre autour de l’organisation de leur quotidien, incluant des distractions, un appui sur leur support social, et des pensées positives autours de leur pathologie. Ces patients ont tendance à se sentir au centre du management global de leur vie. Au fil des rencontres avec les cardiologues et de la dégradation de la fonction cardiaque sont envisagées (chez les patients candidats) les différentes options thérapeutiques possibles en cas 29 d'insuffisance cardiaque terminale, comme la greffe cardiaque, ou la pose d’une assistance ventriculaire. Ces marqueurs de la progression de la maladie sont volontiers associés à une importante angoisse de mort. b) Impact des facteurs psychologiques sur le pronostic de l'insuffisance cardiaque Les patients insuffisants cardiaques sont à risque de complications, telles que les troubles du rythme ventriculaires. En dehors de l’impact de la dépression sur le pronostic qui sera envisagé au chapitre III, il est à noter que les trois dernières décennies ont été marquées par la mise en évidence que des facteurs psychologiques, en particulier la sensibilité aux émotions négatives (tristesse, peur, colère) pouvait jouer le rôle de facteurs de risque de ces complications. Par exemple, une étude20 ayant évalué, sur un échantillon de 346 patients souffrant d’arythmie ventriculaire secondaire à un infarctus du myocarde, des facteurs psychosociaux pouvant en influencer l’évolution, a montré qu’un taux significativement supérieur d’arythmie était retrouvé chez les hommes de haut niveau d’anxiété et de bas niveau d’extériorisation de colère. Dans le domaine de la maladie coronarienne, principale cause d'insuffisance cardiaque, un intérêt particulier a été porté à la personnalité dite "de type D" qui associe affectivité négative (tendance à éprouver des émotions négatives) et inhibition sociale (tendance à inhiber l’expression des émotions négatives en situation interpersonnelle). En 199621, il a été démontré que ces traits étaient prédictifs d’une plus grande mortalité à long terme chez l’insuffisant cardiaque et associés à une plus grande morbidité. Ainsi, les patients dont la personnalité correspondait au type D présentaient au long cours une plus grande altération de la fonction ventriculaire, une plus faible tolérance à l’exercice, une moins bonne observance 30 thérapeutique, ainsi qu’un plus grand isolement social et une plus importante tendance à la dépression. En 2011, la personnalité de type D 22 est à nouveau présentée comme un facteur de risque d’évènements indésirables chez le coronarien, dans une étude où il est précisé qu’elle semble associée à une mortalité plus élevée à 2 ans chez le coronarien, et à un risque plus élevé de rejet de greffe cardiaque23. Cependant, cette étude précise que cette association est moins évidente chez le patient insuffisant cardiaque chronique non coronarien. Allant plus loin dans la remise en question des résultats initiaux, une autre étude montre que la personnalité de type D n’apparait pas comme un facteur prédictif de la survie à 38 mois24. C’est dans ce récent contexte qu’une revue de la littérature menée en 201225 montre que depuis 20 ans, la taille de l'effet de l'association entre pronostic et personnalité de type D a diminué considérablement. Les études les plus rigoureuses sur le plan méthodologique ne confirment pas cette association. En 2010, une étude a cherché à évaluer le retentissement de l’alexithymie sur la mortalité cardiovasculaire26. L’alexithymie est un style cognitif caractérisé par une difficulté à verbaliser ses émotions, une limitation de la vie imaginaire, un recours à l’action pour éviter ou résoudre les conflits, ainsi qu’une description détaillée des faits et des symptômes physiques. Il s’agit d’un facteur de vulnérabilité psychosomatique classique mais de faible niveau de preuve. Il a ainsi pu mettre en évidence qu’après ajustement, elle est associée à une augmentation de la mortalité cardiovasculaire chez une population de 2321 hommes suivis sur 20 ans. D’autres études sont à mener afin de mieux comprendre et préciser ce résultat. Par ailleurs, le support social semble être un élément important quant à la survie de l’insuffisant cardiaque. Il peut s’agir du réseau de soutien (correspondant à l’ensemble de personnes avec lesquelles l’individu est en relation), du soutien effectivement reçu et du soutien perçu. Il existe plusieurs types de soutien : émotionnel, informationnel ou pratique. 31 Le rôle positif du support marital chez l’insuffisant cardiaque a été mis en évidence étude 28 27 et une a montré qu’un isolement social est un facteur pronostic défavorable, associé à un risque supérieur de mortalité. Le support social permet d’augmenter l’observance au traitement notamment par un soutien au quotidien, mais aussi par une atténuation de l’anxiété du malade. Cela est également largement décrit dans une revue de la littérature datant de 200729, dans laquelle il est montré qu’indépendamment de la mortalité de l’insuffisance cardiaque, les patients en couple ont significativement moins de risque de mortalité. Cette revue met également en avant qu’une perception d’un manque d’intégration sociale, prédit une plus grande mortalité à 2 ans. En revanche, percevoir un manque de support instrumental ne prédisait pas d’une mortalité plus importante. C’est donc bien le support émotionnel qui semble jouer un rôle. L’isolation sociale est liée à une émergence d’émotions négatives responsable d’une tristesse de l’humeur. Dans le même champ d’exploration, il a été mis tout récemment en évidence 30 un lien entre des pensées et émotions positives (telles que la joie, la confiance en soi, la tranquillité et le sang froid) et une diminution de l’inflammation chez l’insuffisant cardiaque. Par ailleurs, une perception altérée de la qualité de vie par les patients représente un facteur prédictif péjoratif de l’insuffisance cardiaque, tant en terme d’hospitalisation que de survie. On comprend donc ici l’importance des croyances et des perceptions autours de l’insuffisance cardiaque sur son évolution. Le support émotionnel perçu semble également capital quant à l’observance et la lutte contre l’effondrement thymique ou anxieux dans cette pathologie évoluant inévitablement vers l’aggravation, avec une angoisse de mort allant croissante. 32 3 Chez le transplanté : Dans les cas les plus avancés d’insuffisance cardiaque où l’issue fatale semble inévitable pour le patient, et ce, avec un traitement médical optimum, la greffe peut être envisagée. Comme nous l’avons déjà dit, il s’agit du traitement de référence dans cette situation. a) Conséquences psychologiques de la greffe Malgré les années d’expérience et de recul, les sentiments des patients et de l'entourage à l'égard de cette technique restent généralement contrastées, avec la représentation d’une véritable prouesse médico-chirurgicale pouvant cependant mettre à mal l’intégrité et l’identité du patient, et faire voler en éclat leurs repères et ceux de leur entourage. En effet, toute transplantation met au défi le patient de rester « soi, tout en contenant l’organe d’un autre ». La vie avec l’organe greffé d’un mort rapproche le patient de la guérison somatique, mais l’intégration psychique passe par le sentiment d’être redevable, le patient greffé se sentant dépositaire de l’organe d’un défunt qui lui permet la vie, mais aussi par la culpabilité et, parfois, le déni. Pedinielli, en préface de « L’énigme de la greffe », indique qu’être « malade, puis greffé, c’est renoncer à la certitude d’être intouchable et se placer dans le registre de l’échec devant l’idéal du Moi, et dans la logique de la dépendance d’un autre 31». Il s’agit de procéder à un travail d’acceptation, de deuil du donneur, de l’organe mort, et de celui qu’il a été. L’annonce de la greffe contient un double message, où cohabite à la fois la détresse liée à la menace du pronostic vital, et l’espoir de retrouver une « nouvelle vie ». Elle porte en elle-même un verdict de mort ou de survie, dépendant de la mort de l’autre. L’intégrité du schéma corporel est menacée, l’angoisse de mort est réactivée et les investissements narcissiques sont remis en question. Parfois, tout se passe comme si la greffe n’était pas « mentalisable »32 avec un vide des représentations et un manque du mot pour aborder la greffe à proprement parler. Les mécanismes de défense pouvant alors être mis en œuvre sont le déni, le déplacement ou 33 l’isolement mais aussi la fuite dans l’action. Les refus de greffe ou d’assistance sont d'ailleurs très rares, les patients exprimant qu’ils n’ont pas le choix. Ainsi, l’acceptation se fait sans hésitation apparente mais ne présage pas nécessairement de l'ambivalence sous-jacente et du travail psychique à accomplir pour s'adapter. Les greffons vont en priorité aux patients en ayant besoin en « super-urgence », aux enfants, et aux patients super-immunisés, selon des critères d’équité et d’efficacité. Mais les patients n'ont en général pas d’idée précise de leur situation sur la liste d’attente. S’ouvre alors à eux une longue période de doutes et d’hyper-vigilance en attente d’un éventuel appel téléphonique les informant de l’immédiateté de leur chirurgie. Cette situation engendre des vécus de dépendance totale, d’impuissance et d’anxiété souvent importante. Différents fantasmes mortifères peuvent survenir, comme le souhait qu’il y ait plus d’accidents de la route afin d’augmenter le nombre de greffon, et par là même sa propre chance d’être greffé. C’est donc lors de ce temps d’attente qu’un suivi psychologique est utile, permettant un soutien au patient, et une évaluation psychologique indispensable en pré-greffe, comme nous le décrirons par la suite. Une étude qualitative menée en 2007, a interrogé 8 patients33 (4 transplantés et 4 sur liste d’attente) et 3 membres de leur famille lors d’un entretien semi-structuré filmé. Il en est ressorti que l’enjeu du travail du psychothérapeute est d’aider le patient et son entourage à mettre en place des stratégies de coping pour apprendre à « tolérer l’incertitude ». En post-transplantation immédiat, la sidération de la vie psychique est au premier plan, parfois associée à un délirium, comme nous le développeront au chapitre 3. Dans les premiers jours qui suivent la chirurgie, la prise de conscience de la réussite de l’intervention et la sécurité de l’hospitalisation conduisent le patient à présenter bien souvent une certaine euphorie, au moment où se concrétisent ses espérances d’avant la greffe. Cette période lui permet de se réinvestir sur le plan narcissique et de faire naître de nouveaux projets laissés en 34 suspend jusqu’alors. Là encore, le déni fait partie des processus d’ajustement les plus courants, qu’il importe de respecter, permettant de mettre en place les processus d’internalisation du nouvel organe, et mettant à distance toute tentative d’identification du donneur qui entraverait ceux-ci34. Cependant, tôt ou tard, se posera la question, chez le transplanté cardiaque, du donneur. Il pourra de manière fréquente se sentir redevable du donneur ou de sa famille. Cette question est difficilement verbalisable, et se traduit cliniquement par un sentiment de culpabilité lié à l’aspect non remboursable du don, ou aux souhaits de mort que le patient a pu émettre avant l’intervention. Cette dette pourra se déplacer sur l’équipe soignante ou les chirurgiens. A l'inverse, si des complications ont lieu, le donneur pourra être porté pour responsable, devenant ainsi « mauvais donneur ». L'adaptation psychique à la greffe nécessite un travail complexe aboutissant au mieux à un état où le patient admet le cœur greffé pour le faire sien consciemment. Il nécessite une intégration à soi et une renonciation à l’autre, en laissant dehors les caractéristiques du donneur. En effet l’anonymat du don peut être la source chez le receveur de multiples fantasmes, sur son sexe, son hérédité, sa couleur de peau, sa façon de vivre, sa religion. Ce travail passe donc par l’assimilation psychique de l’évènement traumatique, éventuellement favorisé par un suivi psychologique veillant à mettre des mots sur les émotions et les vécus fantasmatiques trop angoissants, et à d’autres moments à respecter le non-dit du patient. L’internalisation du nouvel organe aboutit quand le patient parle du greffon comme de son propre corps. On sait aujourd’hui que la qualité de vie globale est améliorée après transplantation en l’absence de rejet 35. En 2004, une étude descriptive 36, a cherché à comparer la qualité de vie avant et après transplantation chez 100 patientes volontaires (50 patientes candidates à la greffe et 50 patientes greffées depuis plus de 6 mois, non hospitalisées). Malgré les limites de cette étude (petit échantillon, sexe uniquement féminin et caractère volontaire des inclusions), 35 les conclusions sont en faveur d’une tendance à une basse qualité de vie en attente de transplantation, améliorée en post-greffe, avec de meilleurs scores de santé physique et émotionnelle, ainsi qu’un plus grand « sentiment de contrôle ». Cependant, comparées à la population générale, l’ensemble des deux groupes rapportaient une qualité de vie basse. b) Rôle des facteurs psychologiques sur le pronostic de la greffe On sait aujourd’hui que la qualité d’adaptation psychologique à l’expérience de transplantation d’organe est un des facteurs déterminant la qualité de vie et la morbidité somatique dans les années suivant la greffe. Depuis le début des années 1980, les transplanteurs ont l’habitude de s’appuyer sur un bilan psychologique avant la greffe (cf. chapitre III). De nombreuses études ont mis en avant des caractéristiques semblant être de bon pronostic. D’abord un déni du danger de mort pendant la période d’attente de greffe (à l’inverse de son évocation sous quelque forme que ce soit), une faculté à réprimer l’angoisse de mort (faculté protectrice d’une retenue émotionnelle dans un contexte de menace vitale majeure), une bonne qualité de soutien apporté par l’entourage (et plus particulièrement, la conviction du conjoint dans la réussite de la greffe), ainsi qu’un grand élan vital. Ces facteurs pourraient s'exprimer notamment à l'issue de la transplantation, lors du retour à domicile, où on note une forte recrudescence anxieuse. Un support social de bonne qualité et une implication importante du conjoint semble alors être un facteur prédictif d’une meilleure survie après greffe cardiaque37. La qualité de vie est directement liée à la capacité du patient à garder à l’esprit tout ce qu’il est nécessaire d’accomplir pour rester en vie, et dans le même temps, oublier autant que faire se peut toutes les contraintes, afin de s’investir dans des activités personnelles et sociales, voire en créer de nouvelles. Cet équilibre, nécessaire à trouver varie en fonction des singularités du patient, outre les problèmes somatiques secondaires rencontrés, le plus souvent 36 liés aux traitements anti-rejet, et étant plus ou moins invalidants. La qualité de vie est largement améliorée chez des patients ayant des pensées optimistes avant la greffe dans une étude rétrospective ayant inclus 68 patients38 à 2 et 4 ans après la greffe, et après ajustement sur l’âge, le sexe, l’état thymique avant transplantation et les dates de passation des échelles. Cependant, ni l’optimisme, ni le pessimisme n’était corrélés à un changement en termes de survie. La encore, l’importance de l’évaluation pré-greffe est mise en avant afin de pouvoir proposer les meilleures stratégies thérapeutiques après le geste. Chez 41 patients candidats à la greffe, il a pu être montré 39 que les stratégies de coping les plus communément mises en place et efficaces sont la recherche d’un support social, et l’adoption de pensées positives autours de la greffe. Beaucoup plus rarement, étaient retrouvées l’acceptation et l’évasion. Enfin, le sentiment de « contrôle de son existence » apparait être un fort prédicteur de qualité de vie, affectant directement la sphère émotionnelle, comme cela est le cas chez les patients insuffisants cardiaques. Plus généralement 40 , l’isolement social et des stratégies de coping inadaptées contribuent à la morbidité et à la mortalité des patients greffés, et étaient des éléments pronostics à prendre en compte en prégreffe. Il a également été montré qu’en post-greffe, les patients présentant des pensées hostiles et de colère, ont un plus grand risque de développer une complication. Les stratégies d’évitement en post-greffe, comme le déni et la répression des pensées en lien avec la souffrance ressentie par la pathologie, sont liées avec asthénie, tristesse de l’humeur, anxiété, douleurs et difficultés dans la vie quotidienne, influençant la survie significativement à 6 mois. L’expérience exceptionnelle de la transplantation cardiaque met donc considérablement à l’épreuve le patient et son entourage. 37 4 Chez le patient placé sous assistance circulatoire au long cours Les conséquences psychiques ne sont pas les mêmes en fonction de l’indication d’assistance circulatoire 2, et il semble important avant de s’intéresser à la littérature sur le sujet de bien les différencier. - En attente de récupération, elle est posée en urgence. L’espoir de l’équipe et du patient est qu’il retrouve son« état de base ». Les mesures de qualité de vie dans cette période sont biaisées par le fait que le patient a la plupart du temps le sentiment d’être « miraculé ». Contrairement à d’autres indications, les patients ne gèrent pas eux-même le monitoring de l’assistance. Ces patients ne sont donc pas dans les conditions pour anticiper l’impact à long terme de l’assistance circulatoire sur leur vie. Se pose malgré tout la question de l’impact traumatique de l’évènement cardiaque. - En attente de transplantation, les patients se retrouvent dans une situation de transition pouvant durer de nombreux mois, en hospitalisation, en rééducation cardiaque ou à domicile. Après un long parcours de soins dans l’insuffisance cardiaque, ils se savent arrivés au stade terminal de la maladie. Leur cœur défaillant est déjà suppléé par l’assistance mais l’espoir est celui de la transplantation. Il s’agit d’un temps propice à la maturation du projet de greffe. Cependant, il y a souvent peu de projection à long terme et le patient se focalise le plus souvent sur sa vie quotidienne jusqu’à la transplantation. Malgré tout, et comme nous le verrons par la suite, la qualité de vie est déjà améliorée grâce à l’assistance et, malgré les lourdes contraintes quotidiennes, certains patients peuvent être ambivalents quant à la transplantation. Celle-ci représente l’espoir d’un retour à une meilleure qualité de vie voire à une vie « normale » mais aussi une nouvelle chirurgie lourde, suivie d’un nouveau passage en réanimation et comportant des risques. 38 L’anxiété familiale est souvent importante, celle-ci pouvant se sentir responsable du dispositif d’assistance. Cette période est propice à la survenue de symptômes anxieux ou dépressifs mais dans une moindre mesure que pour les patients en thérapie définitive. - En thérapie définitive en effet, le traitement n’est pas curatif mais palliatif. Les études les plus récentes ont montré qu’il s’agissait de la situation la plus difficile à supporter psychiquement pour le patient. Les patients savent qu’ils garderont le dispositif jusqu’à leur décès ou décision de limitation des traitements, qui elle-même aboutira rapidement au décès. Le but ici est d’augmenter la qualité de vie dans les derniers mois (voir années) de vie du patient. Avant la pose, les patients sont souvent très symptomatiques et handicapés pendant une longue période. L’espoir précoce et le sentiment que la vie va changer aide à responsabiliser le patient vis-à-vis de la gestion de l’assistance. Cependant, plusieurs facteurs peuvent venir rapidement entrainer une déception, voire une colère, devant les limites imposées par l’assistance et la maladie : une stabilisation ou une non évolution de leur état, voire une lente détérioration ou la prise de conscience du fait que dans leur cas, la transplantation n’est pas possible. a) Qualité de vie et handicap fonctionnel Depuis l’étude REMATCH1, les études menées tendent à s’accorder sur une amélioration globale de la qualité de vie après la pose d’assistance ventriculaire. En 201141, une revue de la littérature a pu largement le montrer, et ceci tout particulièrement à trois mois après la chirurgie, avec une nette diminution des difficultés d’ordre physique liées aux symptômes d’insuffisance cardiaque terminale, de l’asthénie, une meilleure qualité de sommeil, améliorant ainsi la capacité du patient à prendre soin de lui et à se déplacer. Cette amélioration persiste à 6 mois et 1an 42,43. 39 Cette tendance est présente quelque soit le type de dispositif (pas de différence entre les appareils à flux pulsatile ou continu44) et la situation clinique (thérapie définitive, attente de transplantation ou de récupération myocardique). Afin de préciser les choses, une étude prospective a été menée chez 36 patients assistés en attente de greffe cardiaque45. Ils ont du remplir un questionnaire d’état de santé à six semaines de la chirurgie, puis à six mois. Il leur a également été posé la question : « Etes vous satisfait de votre état de santé général ?». Il n’a pas été montré d’amélioration significative dans le temps de la qualité de vie en lien avec l’état de santé, mais, chose intéressante, le degré de satisfaction globale obtenu en réponse à la question posée s’améliorait avec le temps. Allant dans le même sens que la qualité de vie, il est connu que la tolérance à l’exercice est significativement augmentée chez le patient sous assistance circulatoire entre 6 semaines et 6 mois, améliorant par là même la perception de reprise d’autonomie, si importante aux yeux des patients chez qui le pronostic vital a été présenté comme engagé quelques temps auparavant. Malgré tout, à cause du poids, de la taille et du caractère électrique de l’assistance, la limitation physique reste importante46. Ainsi, les études les plus récentes étudient les moyens à mettre en œuvre pour diminuer encore ce handicap fonctionnel. Une étude47 randomisée, menée chez quinze patients assistés en attente de transplantation (6 mois +/- 4 après la pose) montre que sur 10 semaines, un entrainement physique adapté comprenant 30 à 45 minutes de marche par jour, 45 minutes de vélo 3 fois par semaine, ainsi qu’une kinésithérapie respiratoire 3 fois par semaine, améliore les conditions physiques des patients et leur qualité de vie. D’autres études présentant des programmes physiques similaires ont été mises en œuvre, menant aux mêmes conclusions48,49. Elles permettent cependant de préciser que par cet entrainement, il n’est pas noté d’amélioration significative de la santé psychique globale, mais il est important de noter une nette tendance à une diminution des scores d’anxiété. Une autre étude44 précise les choses 40 en montrant que le retour au domicile était la condition la plus favorable pour que la qualité de vie s’améliore, avec notamment un retour possible à l’intimité dans le couple, voire à une sexualité satisfaisante50. Certains travaux mettent malgré tout en lumière les limites de cette amélioration de la qualité de vie permise par l’assistance circulatoire. En effet, reprenant les résultats de l’étude REMATCH, une étude 51menée en 2008 pointe des lacunes dans l’exploration de la qualité de vie sociale. En effet, la pose d’une assistance impose de nouvelles contraintes jamais envisagées par le patient auparavant, un remaniement complet des habitudes au quotidien, une nécessité de vivre au plus proche d’un centre de soins afin de parer à une potentielle défaillance technique, et une franche diminution des déplacements, étant toujours sous le spectre d’une éventuelle complication. De plus, une attention permanente serait portée au dispositif, altérant la qualité de vie, avec en toile de fond, la survenue possible d’une complication41. De même, une revue de la littérature52 met en avant l’importance de la sélection des candidats. En effet, il s’agit là de ne pas attendre une trop grande altération des conditions physiques du patient, chez qui alors le risque de complications serait augmenté, imposant de nombreux séjours en hospitalisation qui altèreraient sensiblement la qualité de vie des sujets. b) Retentissement psycho-social Le patient sous assistance est avant tout un patient insuffisant cardiaque au stade terminal. La menace vitale est présente en permanence, avec une angoisse de mort souvent au premier plan53. Plus encore que le défibrillateur ou tout autre dispositif soulignant à son porteur le caractère précaire de sa vie, l’assistance circulatoire, par son dispositif et sa fonction d’assurer seconde après seconde le maintien en vie du patient, le confronte inévitablement à un sentiment de perte de contrôle et de très grande vulnérabilité. 41 D’abord, par le câble reliant son cœur à la machine, l’image du corps est bouleversée. Le dispositif d’assistance entame les limites entre l’externe et l’interne. Or, dans une société où le corps est devenu objet de performance que l’on peut, grâce aux progrès médicaux réparer comme on répare une machine, c’est ici la machine qui vient l’aider. La distinction est faite entre le corps anatomique objet de science et le corps vécu du patient. On voit donc ici que poser la question du corps renvoie inévitablement à l’identité du sujet54. La pose d’assistance interroge le sujet, et parfois pour la première fois, sur son rapport au monde, aux autres et à lui-même. Même s’il n’est pas que cela, il est son corps plus qu’il ne le possède. Mais avec l’intrusion de celui-ci par l’assistance, le sujet peut se trouver dans une situation d’étrangeté vis-à vis de ce qu’il tenait jusque là pour le plus intime de lui-même. Ce corps malade devient alors propriété du corps médical et la pose d’assistance peut même, par son caractère violent, soudain et menaçant, être un évènement traumatogène en elle-même. Il faut donc pour ces patients assistés, pouvoir penser la coexistence du corps vécu et du corps anatomique pour pouvoir avancer vers la réappropriation. De plus, le patient sous assistance se trouve dans un état de dépendance absolue à l’égard de la machine pour vivre, mais également des équipes de soin en hospitalisation, et de sa famille lorsque le retour au domicile se profile. Un travail de deuil d’une vie passée doit alors s’entamer. Plusieurs études ont centré leurs recherches sur l’anxiété. En 2003, une étude multicentrique longitudinale46 a suivi 110 patients assistés en attente de transplantation, des jours suivant immédiatement la pose jusqu’à 3 mois après transplantation. Il a pu être montré chez ces patients assistés que les 10 symptômes les plus invalidants étaient d’ordre psychologique. Ainsi, au premier plan on retrouvait un sentiment de perte de contrôle de sa vie, se sachant atteint d’une pathologie cardiaque au stade terminal, potentiellement mortelle sans traitement, 42 mais également une grande nervosité avec irritabilité, des ruminations anxieuses et une tristesse de l’humeur. L’anxiété était majoritairement centrée sur des considérations financières, sociales et familiales, sachant qu’une deuxième intervention était nécessaire, dans un délai incertain. Après la transplantation, la tendance semblait s’inverser avec des symptômes physiques plus invalidants que les psychiques (douleurs et crampes musculaires, asthénie, etc.). Plus précisément, une étude menée en 200855 comparant 3 groupes : 14 patients anciennement assistés ayant récupéré leur fonction cardiaque (à 3,6 +/- 1,9 ans), 29 patients anciennement assistés et actuellement transplantés (à 3,2 +/- 2,3 ans), et enfin 29 patients transplantés sans avoir été assistés (à 3,8 +/- 0,6 ans). On retrouve un résultat attendu montrant que dans les domaines de la santé physique et psychique, les patients ayant retrouvé leur fonction cardiaque ont des scores significativement plus élevés que chez les transplantés (anciennement assistés ou non). Cette différence peut en effet être liée à moins de complication liées à l’immunosuppression, à une absence de rejet, à une meilleure fonction rénale, à moins d’infections et autres complications de greffe. Plus questionnant, on retrouve que la santé mentale est plus élevée dans les deux premiers groupes qui, eux, ont reçu l’assistance que dans le dernier groupe. Il en va de même quand on additionne les scores de santé physique et mentale. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ce résultat. On peut d’abord penser qu’il s’agit d’un biais de sélection, compte tenu de la petite taille des groupes. Mais on peut également supposer que la mise sous assistance améliore les conditions physiologiques des patients avant la greffe. Une étude56 a mesuré l’anxiété avant l’implantation de l’assistance et jusqu’à 3 mois après, chez 11 patients de 30 à 67 ans. Mesurée avant, puis à 1, 2, 3 et 4 semaines et enfin à 3 mois après. Ils retrouvent de hauts scores d’anxiété avant la chirurgie et jusqu’à une semaine, sans modification significative, puis des scores plus bas à 2 et 3 semaines. Une recrudescence 43 anxieuse était constatée au moment d’envisager la sortie. Cependant, la sortie de l’hôpital semble en elle-même, être un facteur augmentant la satisfaction dans le domaine socioéconomique et diminuant l’anxiété globale, en particulier dans les domaines familiaux, amicaux et économiques57. Mais avant le retour au domicile, l’entourage doit être rencontré et évalué, pouvant lui-même être anxieux, et source d’anxiété pour le patient. Dans une étude58 qualitative chez 6 « aidants » à qui a été posée la question : « A quoi ressemble la vie d’un patient sous assistance ventriculaire ? », les réponses montrent toutes qu’après l’anxiété et l’incertitude de la chirurgie et du séjour en réanimation éprouvant, le retour au domicile du patient nécessitait une adaptation du mode de vie, du domicile, en lien avec une nette restriction des libertés et une majoration des soins à porter au patient. Le retour au domicile semble donc être une mise à l’épreuve de l’aidant. Un support doit donc tout particulièrement lui être dédié avant et surtout après le retour au domicile. En ce qui concerne les stratégies de coping et le ressenti des patients par rapport à l’assistance, deux études59,60 montrent que l’ajustement à l’assistance est fonction de l’âge du patient. En effet, au-delà de l’ambivalence (gratitude et frustration à l’égard de l’appareil, espoir et peur d’une nouvelle chirurgie si le patient attend la greffe), indépendante de l’âge, la réinsertion socio-professionnelle semble poser problème chez le sujet jeune. Si la reprise des activités quotidiennes s’avère être une des meilleures stratégies d’ajustement, celle-ci est facilement acquise par les patients retraités une fois rentrés au domicile. Chez les patients les plus jeunes, la reprise du travail n’étant que rarement possible, les études montrent que l’adaptation à la machine est plus longue et plus difficile. Chez ces derniers, le support social jouerait un rôle important dans l’aide à l’acceptation de la machine. De fait, le rôle du support social a été examiné dans plusieurs études. 44 Il avait été montré61,62 dans le cadre de l’attente de la greffe cardiaque que l’isolement social augmentait les risques de détérioration somatiques des patients à 1 an. De manière tout à fait intéressante, une étude prospective multicentrique publiée en 2012 et incluant 313 patients63, dont le but était d’évaluer des facteurs prédictifs comportementaux et psycho-sociaux en pré greffe, a cherché à comparer les caractéristiques sociodémographiques, le stress relatif à l’attente d’une greffe et la qualité de vie, de 3 groupes de patients à « risque sur le plan psycho-social » au moment de l’inscription sur liste d’attente de greffe : - Bas risque : bas niveau de dépression et intégration sociale (14,7%), - Risque moyen : déprimé ou isolé socialement (73,8% à l’inscription sur liste), - Haut risque : déprimé et isolé socialement (11,5%). L’isolement social était défini par moins de 4 contacts par mois avec des personnes proches (amis ou famille) et l’intégration sociale représentait plus de 10 contacts par mois. Pour ces trois groupes, le nombre de patients décédés, retirés de la liste de greffe (pour aggravation ou amélioration clinique) et de transplantation en urgence a été comparé. Il a pu être montré, de manière statistiquement significative, que chez les patients à risque haut ou moyen, 10% ont été assistés contre aucun chez les patients à bas risque. De plus, ces mêmes patients étaient plus nombreux à mourir en attendant la greffe que les patients à bas risque : 19% contre 7% (p=0,049). Cette tendance persistait après ajustement sur l'âge, le sexe et les facteurs de risque médicaux. Par ailleurs, les patients à bas risque psychosocial étaient plus inquiets concernant leur familles, leur inaptitude à tenir leur rôle familial et leur emploi, alors que les patients isolés exprimaient des difficultés en lien avec un manque de soutien familial, une impossibilité de se confier à quelqu'un, une prise de distance des amis et des connaissances, une peur d’être seul si un problème cardiaque survenait au domicile, ou encore un doute du bien fondé de la décision d’une transplantation sans espoir ni soutien. 45 Synthèse On conclut donc dans un premier temps facilement à un résultat attendu, c'est-à-dire une amélioration de la qualité de vie grâce au dispositif d’assistance. Elle est significative à 3 mois et persiste dans le temps. Dans les premiers mois, de nombreux biais peuvent néanmoins rendre partiellement compte de ces résultats, tels que le soulagement d’avoir survécu ou l’aide de l’équipe médicale en service de soins intensifs, et ne pas forcément refléter la réalité du vécu à long terme. Un facteur qui semble nettement l’améliorer est le retour au domicile. Celui-ci signifie un retour partiel à l’autonomie, si cher aux yeux des patients assistés, mais nécessite des stratégies d’ajustement aux nouvelles conditions à mettre en place, expliquant que le sentiment global de satisfaction aille croissant. L’exercice physique au quotidien est largement encouragé, tendant à diminuer l’anxiété des patients assistés. Il est malgré tout important de noter le caractère précaire de cette amélioration de la qualité de vie. En effet, elle peut être nettement altérée par la survenue d’une complication, d’où la difficulté pour les chirurgiens de poser l’assistance circulatoire au bon moment, avec le risque qu'elle soit la source d’une dégradation franche des conditions de vie, responsable d’un effondrement psychique face à un espoir de « nouvelle vie » déçu. L’assistance met donc le patient à l’épreuve sur le plan psychologique. Si l’anxiété est généralement importante dans les premiers temps de l'assistance circulatoire, en lien avec des ruminations concernant le fonctionnement de l’appareil, il semble que par la suite, chez les patients greffés anciennement assistés, cette anxiété soit moins envahissante que chez le greffé n’ayant pas reçu d’assistance. On peut donc légitimement penser que l’appareil et l’épreuve qu’il représente peuvent aider le sujet, s’il est bien accompagné, à se préparer à l’expérience de la greffe. On remarque aussi que tristesse de l’humeur et isolement contribuent à une progression de la maladie et exposent à un risque de retard de prise en 46 charge. Paradoxalement, ce sont les patients déprimés et isolés qui reçoivent l’assistance, c'est-à-dire un soin chirurgical nécessitant un soutien de l’entourage important. On comprend là tout l’impact d’une évaluation psycho-sociale en tout début de parcours de soin, afin d’aborder notamment les doutes liés à la décision d’une transplantation et faciliter la résolution de difficultés émotionnelles lors d'interventions ultérieures. Enfin, on note une absence d’étude du retentissement d’un désordre psychologique chez les assistés comme facteur pronostic. 47 III Rôle du psychiatre de liaison La psychiatrie de liaison propose, à l’hôpital général, des interventions extrêmement diversifiées, comme le précise S.M. Consoli64. Sollicité par l’équipe médicale ou chirurgicale, le psychiatre est le plus souvent amené à établir un diagnostique psychiatrique chez un patient pris en charge pour une pathologie organique, mais également à contribuer au diagnostique différentiel entre troubles somatoformes (sans substrat organique) et troubles somatiques (liés à une organicité sous jacente). Dans le même temps, il lui arrive d’intervenir sur le plan thérapeutique, en prescrivant un traitement psychotrope, en orientant un patient vers une structure de soins psychiatriques, en discutant l’indication d’une psychothérapie, en jouant un rôle de médiation entre l’équipe médico-chirurgicale et les structures psychiatriques engagées dans la prise en charge d’un patient, ou encore en émettant un avis sur une mesure de protection des biens. Parallèlement, il peut être appelé à participer à une consultation conjointe avec un somaticien, à évaluer et préparer une intervention chirurgicale majeure (telle qu’une greffe cardiaque, ou pose d’assistance ventriculaire) et à participer à un staff multidisciplinaire au cours duquel le cas d’un patient difficile est discuté. Il peut également être sollicité pour assurer la formation et la sensibilisation des soignants aux difficultés psychiques pouvant être rencontrées, ainsi que leur soutien au quotidien. Enfin, une de ses spécificités est d'avoir souvent à intervenir à deux niveaux : aider le patient non seulement à surmonter les difficultés émotionnelles liées à l'impact de son état de santé somatique sur sa réalité interne, mais également à faire face de façon active à ses problèmes de santé dans la réalité externe. 48 1 Bilan pré-thérapeutique Compte tenu des conséquences psychologiques potentielles décrites plus haut, il est important de réaliser un bilan pré-implantatoire quand celui-ci est possible sur le plan technique (en dehors du contexte de l’urgence donc). Il a pour but de permettre une meilleure connaissance du patient, afin de proposer un meilleur accompagnement avant, pendant et après la pose d’assistance. Mais sur le plan national, rares sont les patients assistés rencontrés systématiquement, en dehors du contexte du bilan pré-greffe. Là encore, il semble raisonnable de s’inspirer des recommandations concernant les pratiques d’évaluation chez le transplanté. a) Le paradigme du bilan pré-greffe Le bilan pré-greffe est aujourd’hui pratiqué en routine, afin d’évaluer les conditions psychiques du patient, et ses capacités d’adaptation et repérer les contre-indications éventuelles. Celles-ci sont principalement représentées par les addictions non contrôlées : alcoolisme non sevré ou toxicomanie récente ou active. En dehors de cette situation, il est important de repérer tout ce qui pourrait faire barrage à une bonne observance ultérieure, notamment du fait de la nécessité d'une observance scrupuleuse des traitements immunosuppresseurs. En dehors de ces contre-indications, la présence d’antécédents psychiatriques ne prédit pas forcément une mauvaise observance médicamenteuse. Ils ne contre-indiquent donc pas forcément la greffe. Par exemple, il n'existe pas de contre-indication formelle en cas de schizophrénie équilibrée, de trouble bipolaire euthymique ou de trouble de personnalité. En revanche, l’équipe de psychiatrie de liaison doit, dès l’évaluation, pouvoir proposer une prise en charge la plus complète possible pour accompagner les soins et l’équipe somatique. Le psychiatre repère les facteurs de risque de trouble du comportement et de désordres émotionnels. Par un entretien semi-directif, il analyse les fonctionnements psychiques actuels 49 et passés du patient, ses capacités d’adaptation face aux évènements traumatiques de sa vie, les mécanismes de défense auxquels il est amené à recourir, le maintien éventuel d’une activité fantasmatique vis-à-vis de la greffe et, enfin, l’attente exprimée à l’égard de la greffe. En parallèle, un soutien est apporté à l’ensemble de l’équipe soignante pour les difficultés de prise en charge des patients et les contre-attitudes éventuels : déception si le patient ne répond pas aux attentes de l’équipe, hostilité si le patient n’est pas assez coopérant, etc. La rencontre de l’entourage est un moment clé, afin d’évaluer la qualité du support social, dont nous avons vu plus haut l’importance, ainsi que le degré d'adhésion des proches au projet thérapeutique. b) Recommandations spécifiques à l’assistance En dehors des situations d’urgence, la décision de poser une assistance circulatoire est complexe, pluridisciplinaire, nécessitant un bilan somatique complet, ainsi qu’une évaluation psychosociale prenant une place importante dans le processus65. Ce travail préalable psychosocial comprend une évaluation : -Du support social (quantité, qualité, conflits éventuels, ressources), comprenant l’entourage familial, amical, les conditions de logement, les situations professionnelles et financières, -Des capacités neurocognitives du patient, influençant sa capacité à comprendre les bases du traitement et à gérer le dispositif d’assistance sur le plan mécanique. Cette évaluation peut parfois être complétée d’un bilan neuropsychologique, -De la capacité à adhérer à un régime thérapeutique, -Des capacités et stratégies de coping habituelles face à la maladie chronique et ses conséquences, -De la capacité du patient à comprendre les bénéfices et risques d’une telle thérapeutique, -De la santé mentale du patient, notamment recherchant l’existence d'une dépendance à une substance (alcool, toxique). 50 Il est également important de rechercher les attentes liées à la pose de l’assistance circulatoire. Sont-elles réalistes ? Quelles sont les motivations du patient ? Quelle est la pression sociale autours de ce geste ? Qu’est ce qui lui a fait prendre cette décision ? Comment voit-il le futur avec l’assistance circulatoire ? La question se pose néanmoins de savoir jusqu'à quel point le modèle de la transplantation cardiaque est utilisable pour guider le bilan pré-implantatoire de l’assistance circulatoire. Dans les 2 cas, doivent être considérés : - La nécessité d'une prise de médicament à vie, - la capacité à soutenir une bonne relation médecin/malade pour faciliter les soins au long cours, - l’adhésion à des comportements de santé et un régime de vie complexe : réadaptation cardiaque et activité physique régulière, consultations médicales et bilans biologiques fréquents, surveillance et traitement rapide des infections, etc. Une des spécificités de l’assistance est la surveillance technique régulière, devant permettre de reconnaitre rapidement les signaux d’alerte et d’y répondre de façon efficace, tout en gardant son calme dans la manipulation du matériel dans les procédures d’urgence. De plus, l’évaluation de l’entourage semble plus qu’ailleurs primordial3, car malgré les progrès technologiques, les patients restent dépendants de leur entourage, bien plus que chez les patients greffés. c) Attentes des médecins somaticiens vis-à-vis du psychiatre Nous souhaitions ici enrichir notre travail par des extraits d'entretiens ad hoc menés avec des cardiologues, chirurgiens et réanimateurs de chirurgie cardio-vasculaire du CHRU de Lille et 51 de l’Hôpital Européen Georges Pompidou. Nous les exposons par un verbatim, puis la réflexion autours de ces échanges sera développée dans la discussion générale, en l'intégrant aux données de la littérature et aux observations cliniques du chapitre IV. A la question posée : « Qu’attendent les équipes de cardiologie ou chirurgie cardio-vasculaire de l’intervention psychiatrique dans le contexte de l'assistance circulatoire ? », voici différentes réponses : « Même importance de la prise en charge psychiatrique pour les assistés que chez les transplantés, et cela avant, pour détecter des contre indications qui ne permettraient pas une bonne observance et annihileraient donc tout bénéfice en terme de qualité de vie. Mieux vaudrait alors ne pas poser l’assistance et privilégier un traitement médicamenteux optimal. Il n’y a aucun intérêt à prolonger la vie si c’est pour la passer à l’hôpital sur complications récidivantes » (cardiologue) « En Allemagne par exemple, le travail avec les psychiatres est courant pour les patients sous assistance, afin de pratiquer la meilleure prise en charge pluridisciplinaire. » (réanimateur) « On constate tous une grande détresse psychique des patients. Il s’agit d’un évènement de vie traumatisant. Les patients sur le fil pour la greffe sont assistés, et le plus souvent, ce sont les patients les plus graves, à qui on tente de redonner de bonnes conditions physiologiques pour la greffe. La décision n’est pas systématiquement figée, mais dans une société comme la notre, il est important d’avoir des critères drastiques de sélection, afin que les patients 52 puissent tirer un maximum de bénéfice de ces dispositifs. Il s’agit de soins chers, nécessitant une longue hospitalisation, nous avons donc face à la collectivité, une obligation de moyens. » (chirurgien cardio-vasculaire) « Le psychiatre de liaison a un rôle de consultant. Son avis rentre clairement en ligne de compte au moment de la décision de pose de l’assistance, et notamment au niveau de l’évaluation sociale. Aujourd’hui, le modèle familial a explosé et les patients assistés sont le plus souvent isolés, seuls face à leur difficultés au quotidien. Il s’agit d’un chamboulement complet de la vie de nos patients, et un soutien est parfois nécessaire » (chirurgien cardiovasculaire) « L’assistance ventriculaire est encore plus éprouvante que la greffe cardiaque sur le plan psychique. Une prise en charge psychiatrique pourrait permettre de mieux repérer les idées suicidaires pouvant survenir brutalement chez des patients isolés » (cardiologue) On voit bien ici que les médecins somaticiens reconnaissent l’épreuve que constitue pour les patients la pose d’une assistance ventriculaire gauche. L’importance du bilan préimplantatoire est clairement mis en avant, afin de proposer la meilleure prise ne charge possible au patient, en anticipant au mieux les difficultés pouvant survenir après la mise sous assistance. Les aspects éthiques sont également abordés, du fait des ressources limitées de la collectivité et donc de la nécessité d’employer ces ressources pour les patients les plus à même d’en bénéficier. 2 Considérations éthiques Chaque seuil technique franchi pose de nouvelles questions éthiques. Or, la pénurie de greffons et les moyens limités dont dispose la collectivité confronte les médecins 53 transplanteurs et les psychiatres de liaison à de nombreuses problématiques individuelles et collectives et à des intérêts parfois divergents. En effet, soigner implique de juger à la fois ce qui est « possible » et ce qui est « préférable ». C’est ce qui est à l’œuvre lors de la décision de poser ou non une assistance circulatoire à un patient, que ce soit en attente de transplantation ou en thérapie définitive. Cette décision peut être remise en question lorsque le patient assisté présente des troubles psychiques, les soignants pouvant remettre alors en cause l’indication de greffe comme nous le verrons par la suite dans les cas cliniques. On voit donc bien là que cette limitation des moyens, tout comme la pénurie de greffons peuvent pénaliser les patients ayant une co-morbidité psychiatrique. Mais à l’inverse, dans le cadre de la greffe tout particulièrement, vouloir gommer toute difficulté de ces patients peut aboutir à une perte de chance pour d’autres, qui auraient pu être de meilleurs candidats. Dans les situations d’urgence, et si la position du patient n’est pas connue, plusieurs questions se posent51: « Faut il poser ou non l’assistance ? En la posant, contredit-on son choix ? Est-ce une décision que le patient et son entourage n’ont jamais voulu prendre ? » Quoi qu’il en soit, le principe de bienfaisance impose alors souvent au médecin de se donner les moyens qu’il a à disposition pour soigner son patient. Il semble toutefois que ce soit dans ces situations que les conséquences psychiques soient les plus lourdes pour le patient. Dans le cadre de la thérapie définitive, il s’agit d’un moyen de prolonger la vie, en améliorant sa qualité. Cependant, se pose la question de la façon, dont chaque individu, singulièrement, souhaite vivre sa fin de vie, compte tenu des contraintes de l’assistance citées plus haut. Le principe d’autonomie prévaut alors souvent sur celui de bienveillance. Une étude66 a inclus 91 patients insuffisants cardiaques, des stades NYHA 2 à 4, afin d’évaluer leur préférence pour 54 traiter leur insuffisance cardiaque terminale (traitement médicamenteux ou assistance au long cours). Les résultats montrent qu’indépendamment du stade de la pathologie, deux groupes de patients se dégagent : ceux qui souhaitent un allongement de la durée de vie quitte à ce que leur qualité de vie soit moins bonne, et ceux qui privilégient la qualité de vie, quitte à en diminuer sa durée. Cette décision peut donc être réfléchie très tôt dans le processus de soin de l’insuffisant cardiaque. C’est ce que recommande un article67, en précisant l’importance d’une information médicale claire, loyale et compréhensible, bien en amont. Cette information devant concerner les différentes options possibles en dehors de l’assistance en thérapie définitive, ses indications et contre-indications, la fin de vie sous assistance, les complications somatiques ou de la machine en elle-même, la qualité de vie pouvant être dramatiquement altérée dans ce cas, enfin la désactivation de l’assistance laissant alors place aux seuls soins de confort. Ceci afin que le patient donne un consentement tout à fait éclairé. De nombreuses publications68 ,69 ,70 ,71 ,72 recommandent que les questions de fin de vie soient envisagées régulièrement avec le patient et son entourage. Cette approche palliative recommandée implique un travail nécessairement pluridisciplinaire entre cardiologue, chirurgien cardiaque, médecin généraliste, psychiatre, psychologue et équipe de soins palliatifs. Tout l’enjeu ici sera d’aborder ces questions de façon singulière et adaptée à chaque patient, afin de trouver l’équilibre entre un respect du nécessaire déni (cf. chapitre II) concernant sa fin de vie prochaine, et la nécessité de planifier des directives anticipées respectant ses croyances, son histoire en dehors de l’urgence. 3 Aspects psychiatriques a) Morbidité psychiatrique La littérature concernant la morbidité psychiatrique des patients sous assistance est très restreinte. Il s’agit essentiellement d’études descriptives pilotes en appelant d’autres de 55 meilleure qualité, et c’est donc à la lumière des études menées chez l’insuffisant cardiaque et le transplanté que nous les envisagerons. Les patients insuffisants cardiaques sont, comme on a pu le voir précédemment, vulnérabilisés sur le plan psychologique et donc plus exposés que la population générale aux troubles anxieux et dépressifs. Une méta-analyse, publiée en 2006, a montré qu’au moins 1 patient sur 5 souffrant d’insuffisance cardiaque présentait un épisode dépressif caractérisé73. Ce taux varie en fonction de la gravité de l’atteinte cardiaque de la population étudiée (stade NYHA 1 : 11% ; NYHA 4 : 42%), et de la méthode utilisée (auto-questionnaires ou entretien standardisé), mais les études s’accordent pour dire que le facteur le plus influant sur ce taux est le cadre de vie, avec de 13,9% à 77,5% de patients déprimés en hospitalisation, contre 13 à 48% au domicile74. Bien que cette prévalence médiane de 20 % soit proche des chiffres trouvés dans d'autres pathologies chroniques, il a été montré par ailleurs que l’insuffisance cardiaque est l’une des pathologies somatiques les plus exposées aux gestes suicidaires75. En ce qui concerne les troubles anxieux de l’insuffisant cardiaque, leur prévalence va de 25 à 50%74. Enfin, 10 à 17% des patients souffrent d’un syndrome de stress post-traumatique 41 lié au parcours de soins. Chez le transplanté cardiaque, les soins post opératoires immédiats sont propices au délirium. Il s’agit d’un syndrome caractérisé par des troubles de la vigilance, de l’attention, de la concentration, associés à des troubles mnésiques, du comportement, ainsi que du cycle veillesommeil. Des éléments délirants sont fréquemment retrouvés, tels que des hallucinations ou des éléments interprétatifs de persécution76. Chez le patient hospitalisé, il augmente la morbimortalité et peut en lui-même conduire à un syndrome de stress post traumatique77,78. 56 Des facteurs prédisposants ou précipitants en pré-opératoire sont connus, comme l’âge, le sexe masculin, un déficit visuel ou cognitif, une dépendance alcoolique ou enfin des anomalies métaboliques. D’autres facteurs de risque peuvent être en rapport avec des aspects psychologiques ou psychiatriques tels que des symptômes dépressifs, le fait d’être faiblement satisfait de son support social ou l’utilisation de benzodiazépines avant la chirurgie. La chirurgie cardiaque et particulièrement la greffe cardiaque expose le patient au risque délirium post-opératoire 79 80 , .Les premiers mois après la greffe s’accompagnent fréquemment d’une réaction dépressive81, en lien avec un retour à une certaine réalité, après une phase d’espoir de guérison idéalisée. Cette phase dépressive précoce, qui ne constitue pas forcément un épisode dépressif caractérisé au sens du DSM, doit pouvoir être dépistée et encourager les professionnels à renforcer, au moins temporairement, le soutien psychologique. Dans la première année suivant la greffe, 63 % des patients présentent un effondrement de l’humeur (épisode dépressif caractérisé majoritairement ou dysthymie). A trois ans, l’incidence est de 25,5%. Le risque de trouble anxieux est le plus élevé la première année avec un taux de 26 %. Il s’agit le plus souvent d’un trouble anxieux généralisé, trouble panique ou encore syndrome de stress post traumatique. A 3 ans, l’incidence des troubles anxieux en général est de 18%. Dans tous les cas, la souffrance psychique est majorée à 5 ans, le plus souvent en lien avec des complications somatiques 82. Des facteurs de risque pour l’ensemble des troubles psychiatriques évalués ont été repérés : La présence d’antécédents psychiatriques avant la transplantation, le sexe féminin, la longueur de l’hospitalisation après la greffe, une condition physique précaire et un plus faible support social apporté en péri-opératoire par les proches ou les soignants. Il faut également tenir compte des effets secondaires des glucocorticoïdes et de certains immunosuppresseurs, pouvant induire des troubles du comportement, de l’humeur, voire des 57 réactions psychotiques. Mais cela est moins transposable à la situation du patient en assistance circulatoire. Concernant les patients sous assistance ventriculaire au long cours, une première étude intéressante a été menée en 200183 dans un échantillon de 153 patients greffés. Parmi ceux-ci, 63 avaient été assistés en attente de leur greffe et 90 n’avaient pas reçu d’assistance. Les patients étaient évalués de 2 mois à 1 an après la greffe. Il a été montré qu’entre les 2 groupes, les scores d’épisodes dépressifs caractérisés et des troubles anxieux n’étaient pas significativement différents. Cependant, une tendance non significative à présenter des scores plus bas de troubles anxieux et de syndrome de stress post traumatique a été notée chez les anciens assistés. Il a également été mis en évidence que les patients ayant des antécédents psychiatriques avant la transplantation sont 1,5 fois plus à risque de développer une pathologie psychiatrique en post greffe, avec ou sans assistance préalable. En ce qui concerne le syndrome de stress post traumatique, une étude84 menée en 2005 a confirmé cette tendance. En 2006, une étude uni-centrique japonaise85 a été publiée, portant sur 14 patients assistés (sans antécédents psychiatriques) en attente de transplantation, inclus entre 1997 et 2005. Selon les auteurs la période d’attente de la greffe sous assistance (313 jours en moyenne ici) est plus propice que toute autre à la survenue de troubles psychiatriques et notamment immédiatement après la pose d’assistance. Malgré le manque de significativité de leurs résultats, les auteurs ont rapporté que 64% de leurs patients avaient nécessité une prise en charge psychiatrique, avec le trouble de l’adaptation comme diagnostic le plus fréquent, suivis des troubles anxieux et de l’épisode dépressif caractérisé. En post chirurgie immédiat, 20% des patients ont présenté un délirium. 58 Une étude menée en 2011 montre que 6 mois après la pose d’une assistance circulatoire, les patients en attente de greffe ou en thérapie définitive, présentent dans plus de 25% des cas un épisode dépressif.42 Or, non seulement l’épisode dépressif est propice à la survenue d’idées suicidaires, mais le patient assisté a alors un moyen létal à disposition se trouvant être l’assistance en elle-même. Un unique « case report » 86 rapporte une tentative de suicide sous assistance avec celle-ci comme moyen létal (arrachage du cordon d’alimentation). Enfin, un article87 de 2012 confirme ce qui avait été constaté par l’étude de 2006, concluant que les complications psychiatriques font partie des complications les plus fréquentes dans les 7 premiers jours après l’implantation de l’assistance, à type de troubles thymiques, delirium, troubles du comportement, et atteignant 9,34% des complications totales chez 182 patients. Synthèse : A la lumière de cette littérature restreinte, on peut conclure que la période d’assistance en elle-même semble être propice à développer des manifestations psychiatriques, bien que le diagnostic positif d'un trouble spécifique soit rarement posé. En post chirurgie immédiat, après pose de l'’assistance circulatoire, et comme chez le patient greffé, délirium, troubles de l’adaptation et troubles anxieux semblent être au premier plan. Dans les mois suivant la mise sous assistance, il semble qu’un épisode dépressif caractérisé puisse survenir dans plus de 25% des cas. Il s’agit chez ces patients fragiles de pouvoir être vigilant à la survenue d’idées suicidaires. En effet, si le patient insuffisant cardiaque est à risque de développer ce type d’idées, l'arrêt de l’assistance (par exemple par coupure de l'alimentation) peut représenter un moyen létal en lui-même. Toutefois, chez les patients sans antécédents psychiatriques, l'assistance circulatoire peut également être associée à la diminution des troubles anxieux en post greffe, ainsi que les taux de syndrome de stress post traumatique. 59 b) Impact de la morbidité psychiatrique sur le pronostic On ne peut que constater ici l’absence d’étude concernant les conséquences de la morbidité psychiatrique sur le pronostique du traitement par assistance. Cependant, le succès de ce traitement dépend de l’adhésion au projet et de l’autonomisation du patient. Plus globalement, il a été montré que l’épisode dépressif caractérisé est un facteur prédictif majeur de l’évolution des pathologies cardiaques sévères88. Cela est notamment bien démontré dans le cas de la maladie coronarienne, mais également en ce qui concerne l'insuffisance cardiaque89. En effet, il est associé à une majoration à 1 an du risque de mortalité, ainsi que du taux de ré-hospitalisation, indépendamment de l’âge et de gravité de l'insuffisance cardiaque90. En 2011,91 il a été montré qu’un épisode dépressif multipliait par 2 la mortalité globale et la progression de l'insuffisance cardiaque (mortalité multipliée par 4 à deux ans si l’épisode dépressif est d’intensité sévère, en comparaison aux patients euthymiques74). Bien qu'association ne signifie pas causalité, sur le plan biologique, des pistes physiopathologiques crédibles existent. En effet, un épisode dépressif est associé à : - Un risque de survenue de trouble du rythme par augmentation de l’activité sympathique et/ou diminution de l’activité vagale, - Une augmentation de l’inflammation (cytokines), - Un trouble de l’agrégation plaquettaire, majorant les risques thromboemboliques. Et sur le plan comportemental il entraine une inobservance médicamenteuse mais aussi plus globale, avec notamment : - une inactivité physique moindre, une tristesse de l’humeur étant associée à un bas niveau de fonctionnement physique des patients insuffisants cardiaques92,93 . La dépression est également un facteur prédictif important de sévères limitations des activités quotidiennes à 1 60 an 94, les patients insuffisants cardiaques manifestant le plus souvent une fatigue au repos, ou au moindre exercice, et de fréquents troubles du sommeil), - un non respect des règles diététiques, - Une plus grande intoxication tabagique. On comprend donc l’importance potentielle de mieux dépister et de mieux traiter la dépression chez les patients insuffisants cardiaques. Pourtant il existe un important sousdiagnostic. Une des raisons du sous-diagnostic est le recouvrement des symptômes (asthénie, anorexie, troubles du sommeil, diminution de la libido) mais aussi l'attribution de symptômes psychologiques comme l’irritabilité, l’hostilité, la tristesse et l'anhédonie qui sont considérées comme réaction normale dans l’insuffisance cardiaque. Concernant les troubles anxieux, les études divergent sur leurs conséquences concernant le risque de mortalité, de ré-hospitalisation et de pathologie coronaire95,24. Sur le plan biologique, les mêmes pistes que pour la dépression ont été évoquées. Sur le plan comportemental, leur influence peut être positive si l’hyper-vigilance engendrée, entraine un appel plus rapide aux soignants si un problème somatique survient. En revanche si ils engendrent une réaction de déni ou au moins d'évitement, ils auront une influence négative sur la morbi-mortalité cardiaque. Concernant maintenant la transplantation cardiaque, on sait que la morbidité psychiatrique en pré et post-greffe, est connue pour être prédictive de l’évolution de l’état de santé du patient greffé 96 : - Un niveau de dépression élevé et des facteurs psychologiques comme la colère et l’hostilité sont des facteurs prédictifs de rejets chroniques accroissant le risque de mortalité. La 61 dépression étant associée à 1, 5 et 10 ans en post-greffe, à une majoration de l’incapacité fonctionnelle97,98, responsable de complications somatiques. Par exemple, il a été montré99 qu’un trouble de l’humeur entraine 2,52 fois plus de risque de décès, et qu’un antécédent de tentative de suicide augmente de 13,05 fois le risque d’infection, et de 5,44 fois le risque de décès. Par ailleurs, une complication psychiatrique en post-transplantation, est associée à un plus grand nombre de ré-hospitalisation et à une majoration du coût médical total. - Les patients souffrant de syndrome de stress post traumatique ont une mortalité augmentée, - Les complications psychiatriques prédisent une moins bonne adhésion aux recommandations médicales et une baisse de la motivation à se soigner, facteurs liés à une plus grande morbimortalité99. Une mauvaise adhésion thérapeutique joue un rôle dans 90% des phénomènes de rejets tardifs (après 1 an de transplantation) et dans 13 à 26 % des cas de décès2. Il en va de même pour la non compliance au régime alimentaire, majorant les risques d’hypertension artérielle et de diabète. Elles augmentent de 3,14 fois le risque de décès en post transplantation. De façon générale, la mauvaise observance est le plus souvent lié à des facteurs psychologiques comme : l’hostilité, la colère, des stratégies d’évitement, une faible croyance en l’efficacité des traitements, enfin des attentes en pré-greffe irréalistes. Elle entraine une augmentation de 3,4 fois le risque de décès après transplantation. Synthèse : Une association est donc démontrée entre certains facteurs psychologiques, (notamment l’hostilité, la colère, l’irritabilité présentes lors d’un épisode dépressif caractérisé, un état de stress post traumatique ou encore l’anxiété), et le pronostic cardiovasculaire mais les liens de causalité restent à établir, notamment en l’absence d’essais thérapeutiques montrant l’impact positif de la prise en charge des troubles psychiatriques sur le pronostic des patients insuffisants cardiaques ou greffés. 62 c) Aspects thérapeutiques Dans le chapitre précédent, nous avons pu constater que les troubles psychiatriques étaient fréquents chez l’insuffisant cardiaque au sens large, et particulièrement sous assistance, nécessitant une prise en charge adaptée et singulière au tableau clinique présenté. Si l'impact d'une telle prise en charge sur le pronostic cardiovasculaire n'est pas clairement démontré, il n'en demeure pas moins que l'impact de ces troubles en termes de souffrance subjective et de retentissement collectif le justifie à lui-seul. Traitement médicamenteux : Le patient sous assistance ventriculaire est un patient insuffisant cardiaque au stade terminal (cf. chapitre I). Malgré la suppléance du dispositif apporté au ventricule, les prescriptions de psychotropes doivent tenir compte de cette fragilité. Il présente parfois en conséquence une défaillance poly-viscérale, pouvant modifier la pharmacocinétique en cas d’insuffisance rénale ou hépatique, qu’il est important de prendre en considération, afin d’adapter les posologies100,101. Comme nous l’avons vu dans le paragraphe précédent, les troubles anxieux sont fréquents chez les patients sous assistance. L'absence d'interactions médicamenteuses significatives et la maniabilité des benzodiazépines en font un traitement de première intention, en l'absence des contre-indications usuelles. Leur prescription se fera facilement, sans contre-indication cardio-vasculaire, en tenant compte de la fonction hépatique, et restant vigilant à toute sédation diurne trop importante, ou à un éventuel épisode confusionnel notamment en service de réanimation. Les molécules à demi-vie courte seront privilégiées. En ce qui concerne les antidépresseurs, les tricycliques sont formellement contre-indiqués ayant pour principale complication sévère des troubles du rythme et de la conduction cardiaque. Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline doivent être 63 utilisés avec prudence chez les patients atteints de troubles cardio-vasculaire, du fait du potentiel risque d’élévation de la tension artérielle. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine ont peu d’effets indésirables cardio-vasculaires et sont donc souvent privilégiés. Cependant, ils peuvent faciliter l'apparition d'une hyponatrémie en cas d'association avec un diurétique natriurétique. D’autre part, le citalopram et l’escitalopram entrainant un allongement de l’intervalle QT102,103, ces deux molécules sont contre-indiquées chez les patients insuffisants cardiaques ou ayant présenté un infarctus du myocarde récent. Ils sont donc globalement à contre-indiquer chez les patients sous assistance. De plus, comme nous l’avons vu précédemment, le patient assisté a pour particularité d’être sous anti-vitamine K (AVK) au long cours. Il s’agit d’un élément important à considérer, compte tenu des interactions médicamenteuses fréquentes avec les traitements psychotropes, et tout particulièrement les antidépresseurs 104,105. En effet, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine sont connus pour être potentiellement inhibiteurs des cytochromes P450, isoenzymes impliquées dans le métabolisme des AVK. Cette inhibition varie en fonction de la molécule choisie 106. Ainsi il sera préférable d’utiliser chez le patient sous AVK la sertraline, ou la mirtazapine, sans inhibition notable du métabolisme des AVK, et au contraire, de contre-indiquer la prescription de fluoxétine ou de floxyfral, ayant une action inhibitrice importante. Il est donc important, à chaque introduction, pendant, et à l’arrêt d’un traitement psychotrope de surveiller l’INR. Il a été montré qu’un traitement antidépresseur avait une efficacité modérée mais significative sur la diminution de la symptomatologie dépressive et l’amélioration de la qualité de vie, mais sans amélioration de la clinique de l’insuffisance cardiaque107,108. Concernant les thymorégulateurs, les sels de lithium sont contre-indiqués chez l’insuffisant cardiaque, pouvant engendrer des modifications de repolarisation, potentiellement responsable d’une dysrythmie sinusale ou d’une arythmie ventriculaire. De plus, certains 64 traitements comme le régime désodé, les diurétiques, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les inhibiteurs de l’angiotensine, peuvent engendrer une réabsorption tubulaire accrue des sels de lithium, responsable d’un surdosage et d’une intoxication. La Carbamazépine étant une molécule tricyclique, apparentée aux antidépresseurs imipraminiques, un risque de trouble du rythme est présent chez le patient insuffisant cardiaque et la prescription est donc contre- indiquée. D’autre part, compte tenu de son caractère d’inducteur enzymatique puissant (et notamment du cytochrome P450), la carbamazépine est contre-indiquée chez le patient sous AVK. Le Valpromide ou le Divalproate enfin, n’ont pas de contre indication cardiovasculaire, mais son caractère inhibiteur du cytochrome P450 rend la surveillance de l’INR importante. La fonction hépatique et les plaquettes à également à surveiller. Si un traitement neuroleptique est nécessaire, il est important de prendre en compte le risque d’allongement de l’espace QT à l’électrocardiogramme, exposant à un risque de torsade de pointe, de fibrillation ventriculaire, voire de mort subite. Il s’agira donc de le prescrire avec prudence et surveillance électrocardiographique régulière109. En cas de délirium, le traitement de référence est l’halopéridol (sauf en cas de sevrage en benzodiazépine ou en alcool) Traitement psychothérapique : Tout au long du parcours de soin du patient sous assistance, le soutien psychologique occupe une place privilégiée, ayant pour objectif de favoriser la verbalisation, se concentrer sur les émotions du patient, activer ses ressources et mettre en lumière ses craintes. Il a également un rôle préventif en permettant une anticipation de la mise sous assistance et d’une éventuelle greffe, permettant un ajustement progressif des attentes du patient à la réalité. Il permet enfin, au lit du malade de lui permettre de faire face aux contre-attitudes éventuelles de l’équipe 65 soignante, par exemple dans le cas ou un effondrement thymique est vécu comme un signe d’ingratitude par les soignants. Dans le domaine de l’insuffisance cardiaque, les thérapies cognitivo-comportementales sont fréquemment utilisées110,111. Elles peuvent avoir lieu en groupe si elles sont à visées psychoéducatives, ou en individuel si l’objectif est plus personnalisé. Elles sont validées chez le patient coronarien, et notamment les programme de gestion du stress en prévention secondaire112.En effet, ces programmes diminuent le risque de récidive d’infarctus du myocarde, d’un nouvel évènement au sens large et améliorent la qualité de vie globale du patient113,114. Leur objectif principal est de développer des stratégies d’ajustement comportemental et émotionnel pour faire face au stress dans leur environnement quotidien, tout particulièrement en se concentrant sur la réactivité au stress, et les comportements liés au stress, caractérisés par des affects négatifs, comme des réactions d’hostilité, d’anxiété ou de tristesse. Ce type de programme inclue la relaxation musculaire, l’éducation du patient afin de développer ses connaissances de base sur l’anatomie et de la physiologie du système cardio vasculaire, sur les symptômes et traitements cardio-vasculaires, sur les conséquences émotionnelles d’un évènement cardiaque, et des liens existant entre stress et système cardiovasculaire, et ceci, autours de discussions et de vignettes cliniques. Par la suite, il est amené à travailler l’auto-surveillance, afin de devenir plus vigilant aux symptômes physiques, comme à la tension musculaire, au rythme cardiaque, à la douleur. Les patients sont alors amenés à repérer les cognitions et les comportements associés à ces symptômes physiques afin de diminuer les affects négatifs (comme la colère, la frustration, et la tristesse) déclenchant le stress. Par le biais de la restructuration cognitive, il apprend à reconnaitre les pensées à l’origine des émotions négatives, et à remplacer ces pensées dysfonctionnelles par d’autres plus fonctionnelles. Par les conversations de groupe, sont recensées toutes les pensées, les 66 attitudes, les interprétations et les croyances dysfonctionnelles, cherchant alors à développer, dans les expériences quotidiennes de chacun des techniques cognitives spécifiques adaptées. D’autre part, par l’utilisation du support social et émotionnel du groupe, le patient peut être amené à travailler l’estime de soi, l’optimisme et l’affirmation de soi. Ce type de prise en charge semble particulièrement adapté aux patients sous assistance ventriculaire. La relaxation musculaire peut être proposée, étant notamment efficace sur l’anxiété et l’hypervigilance. La restructuration cognitive peut permettre de repérer les croyances sur la machine, sur la dépendance, de lutter contre l’évitement et d’encourager le lien social. Enfin, moins validés, mais évoqués dans la littérature, certains groupes thérapeutiques tels que la musicothérapie, ou l’art thérapie ont été décrits comme efficaces sur les symptômes anxieux des patients sous assistance, et permettant une amélioration de l’insertion sociale115. 67 IV Cas cliniques Après avoir envisagé les connaissances fournies par la littérature, nous exposons ici les cas de trois patients placés sous assistance ventriculaire gauche. 1 MONSIEUR B. Monsieur B. est un patient de 43 ans, célibataire, sans enfant, vivant seul en pavillon, cadet d’une fratrie de 5 frères et sœurs, ses parents étant décédés il y a plusieurs années. Plombier chauffagiste de formation, il a longtemps travaillé sur des chantiers à l’étranger puis en tant que salarié en France pendant plus de 10 ans. Il est actuellement au chômage depuis mars 2011. Sur le plan des antécédents, on retrouve un éthylisme chronique (vin, bière à hauteur 3 doses par repas, consommation majorée lors des rencontres festives avec famille et amis), un tabagisme actif à son entrée en hospitalisation (39 paquets/année, ayant récemment diminué cette consommation à 10 cigarettes par jour), et une chirurgie de tendon de la main gauche il y a plus de 10 ans. Son seul contact avec la Psychiatrie est une consultation sur son centre médico-psychologique de secteur en 2006 pour difficultés au travail et anxiété, suivie d’une prescription de paroxétine dont l’indication demeure floue en début de prise en charge, et que le patient rapporte comme inefficace et mal tolérée, l’ayant arrêté de lui-même après seulement quelques jours. Son traitement habituel, prescrit par son médecin traitant est : bromazépam: ½ comprimé si besoin depuis 2006. Histoire des troubles cardiaques : Fin juin 2012, M. B. consulte son médecin généraliste pour altération de l’état général et dyspnée et douleurs thoraciques. Cette symptomatologie évoluant depuis plusieurs mois avec de multiples passages aux urgences dans l’année précédente pour douleurs précordiales et 68 asthénie, étiquetées « crises d’angoisse » par les urgentistes selon le patient. Il est transféré en urgence à la clinique Ambroise Paré. Le bilan retrouve une insuffisance cardiaque gauche, sur cardiomyopathie dilatée à coronaires saines et élévation de la troponine. Il est ensuite transféré en unité des soins intensifs de cardiologie, où l’on retrouve une fraction d’éjection du ventricule gauche à 15%, avec signe de bas débit. Le patient est placé sous adrénaline et dobutamine, avec bonne réponse en une semaine et sevrage des amines, sous couvert d’un traitement médical optimal de l'insuffisance cardiaque. Son état clinique s‘aggrave à nouveau le 05/07/2012, et il est transféré à l’Hôpital Européen Georges Pompidou sous dobutamine pour pose d’une assistance ventriculaire gauche et bilan de transplantation cardiaque. La pose d’assistance se fera cinq jours plus tard. Le premier entretien psychiatrique aura lieu la veille de la pose, en réanimation chirurgicale, à la demande de l’équipe pour évaluation systématique, mais également motivée par les antécédents notamment addictifs. M. B. a d’emblée un contact distant, avec une opposition passive s’améliorant progressivement au cours de l’entretien. Le patient se trouve alors être régulièrement parasité par une hyper-vigilance et des attitudes d’anticipation anxieuse des alarmes des scopes. On note une grande impulsivité lorsque celles-ci se mettent à sonner, le patient se jetant alors dessus pour les éteindre au plus vite. M. B. est bien orienté et vigile. Il n’y a pas d’éléments délirants, ni de confusion, ni de ralentissement psychomoteur en entretien. Le patient est euthymique, mais décrit un sommeil agité avec difficultés d’endormissement et réveils multiples depuis l’entrée en hospitalisation. Il aborde d’emblée ses récentes difficultés professionnelles. En effet, depuis 2006, il décrit une intolérance grandissante à son environnement professionnel et aux contraintes hiérarchiques, avec des moments d’irritation et de passage à l’acte hétéro-agressifs (menaces à plusieurs reprises de frapper son employeur) l’ayant conduit en mars 2011 au licenciement. 69 Le patient est actuellement en cours de procès avec ce dernier. Il fait le lien entre sa condition physique allant en se dégradant et la charge de travail toujours plus importante imposée par son employeur, décrivant très précisément des épisodes ayant eu lieu à répétition, pouvant durer plusieurs minutes, où l’anxiété est à son paroxysme, avec palpitations, polypnée, sueurs profuses associées à un sentiment de mort imminente. Il rend ses conditions de travail responsables de ces crises, qui sont à l'origine d'une auto-médication avec prises anarchiques de bromazépam, ainsi que d'alcoolisations à visée anxiolytique régulières. Il explique que lors de fêtes entre amis, sa consommation d’alcool est importante, et se dit souvent ivre le weekend. Il dit avoir déjà souhaité ralentir sa consommation, mais n’avoir jamais réussi, dans la mesure où tous les membres de son entourage présentent les mêmes comportements. Lors de ce premier entretien, il apparait que M. B minimise la gravité de son état de santé, malgré les entretiens répétés avec les cardiologues, notamment au sujet de l’assistance cardiaque. Il dit penser pouvoir sortir en fin de semaine, pouvant exprimer alors quelques inquiétudes face à sa solitude au domicile. La compréhension des enjeux de l’assistance et de ses limites semble précaire. D’emblée, une évaluation addictologique est demandé et la prescription de bromazépam est réintroduite à ½ comprimé le soir, avec 1 zopiclone au coucher si les troubles du sommeil persistent. L’entretien suivant aura lieu au lendemain de la pose de l’assistance. Le contact est alors meilleur. Malgré l’asthénie, il verbalise spontanément des ruminations anxieuses en lien avec un « échec possible de l’assistance ». Il verbalise alors sa peur de retrouver la symptomatologie cardiaque, très intriqué à la symptomatologie anxieuse (dyspnée, douleurs et oppression thoracique, tachycardie) qu’il dit ne pas savoir différencier. Le patient revient ensuite sur son conflit avec son ancien employeur, qu’il rend en grande partie responsable de sa « non prise de conscience de la dégradation de son état somatique », étant trop « 70 préoccupé ». Il écourte l’entretien mettant en avant une asthénie importante, mais me demande de repasser régulièrement, verbalisant un " besoin de parler". Le même jour, l’évaluation de la qualité de l’entourage est possible, avec la rencontre d’une de ses sœurs émettant des doutes sur sa capacité à rentrer chez lui, et acceptant l’idée émise par le patient de le recevoir à son domicile, en Bourgogne. En effet, elle le décrit comme très isolé, malgré les quelques amis dont il a pu parler. Mais cette idée d’éloignement géographique des soins, compte tenu des consultations régulières et du bilan pré-greffe à poursuivre n’étant pas envisageable, il est alors expliqué au patient et à sa famille la nécessité d’organiser une sortie d’hôpital, restant en région parisienne. Les jours suivants seront marqués par les visites de quelques amis. Dans le même temps, il se dit apaisé quant au questionnement concernant son avenir avec l’assistance, mais des réveils nocturnes multiples liés aux conditions d’hospitalisation en réanimation persistent. On note une meilleure compréhension de son état somatique et de l’assistance, après plusieurs nouvelles rencontres avec l’équipe de cardiologie. M. B. étant en demande d’une greffe cardiaque rapide, disant d’emblée qu’un retour au domicile n’était pas envisageable avec la machine : « ce serait quand même plus humain comme situation ». Il a pu rencontrer l’équipe d’addictologie pour un premier contact. Il en ressort que le patient présente une dépendance à l’alcool mais semble minimiser sa consommation quotidienne, ayant bien entendu la nécessité de sevrage complet pour envisager une greffe cardiaque, mais expliquant qu’un tel arrêt de sa consommation le conduirait à un certain isolement, ce qu’il ne souhaite pas. Dans le même temps, les progrès de M. B. sur le plan de l’autonomisation vis-à-vis des soins sont notables, et la sortie de réanimation est rapidement envisagée, suivie dans la foulée d’un transfert en rééducation cardiaque dans une autre structure. L’entretien précédent la sortie montrera un patient euthymique n'exprimant plus d'anxiété. A cette occasion cependant, il revient sur son quotidien et ses multiples passages aux urgences 71 avant l’hospitalisation. Il pourra alors exprimer un sentiment d’abandon de la part du corps médical, à qui il reproche de n'avoir pas « compris » la gravité de sa situation cardiaque, alors qu’il appelait à l’aide, n’ayant jamais réalisé d’électrocardiogramme, ni d’examens complémentaires. Il reconnaît n’avoir lui-même jamais su mettre de mots sur ce qu’il ressentait, en attendant alors beaucoup de l’avis médical. Il rapportera aussi des difficultés croissantes à prendre les transports en commun, à aller en grande surface faire ses courses, à conduire sur le périphérique, toujours préoccupé par les contraintes quotidiennes, le conduisant à « ruminer en permanence », se disant oppressé par le monde extérieur, par les moindres tâches du quotidien, ayant peur qu’il lui arrive un problème somatique et qu’il ne puisse pas être secouru. Ce sentiment de devoir être secouru, en lien avec une anxiété importante et l’altération de l’état général, va devenir envahissant au fil des mois et le patient va mettre en place des mesures qui, selon lui, lui permettraient d’être secouru au plus vite si un problème somatique survenait. Ainsi par exemple, tous les soirs, sa porte d’entrée n’était pas fermée à clé, pour permettre l’entrée des secours, et il dormait juste à côté, à même un matelas posé au sol. Durant ces semaines, M. B. n’a jamais livré ses inquiétudes à aucun de ses proches, mais poursuivait voire augmentait sa consommation d’alcool. Afin de l’accompagner au mieux, malgré l’absence de suivi psychologique possible en rééducation, il lui est donc expliqué qu’il sera régulièrement revu lors des prochains séjours en cardiologie dans le cadre de la poursuite du bilan pré-greffe avec un retour programmé quelques semaines plus tard. De retour en hospitalisation, il se dit très satisfait de son séjour en rééducation : « c’était calme et sportif, je pouvais aller me promener pour fumer ma cigarette ». Il est alors euthymique, ne prend que rarement le bromazépam, le sommeil est de bonne qualité, l’adaptation à l’assistance est meilleure, mais le patient ne souhaite cependant toujours pas rentrer au domicile sans être greffé, ne se sentant pas en sécurité seul avec l’assistance. 72 Des permissions sont malgré tout organisées, en semaine, puis le week-end, au début accompagné, puis seul, et ceci, en maintenant les entretiens psychiatriques et addictologiques réguliers avant et après. Le patient poursuit malgré tout son intoxication tabagique, et une consommation alcoolique occasionnelle est reconnue : une à deux bières lors de certaines permissions. Il s’acclimate progressivement à l’assistance, mais montre quelques angoisses devant le fonctionnement de celle-ci ou lorsqu’il ressent une oppression thoracique inhabituelle. La crainte sous jacente est celle d’avoir un nouvel incident cardiaque grave. Il est donc rassuré par le retour en hospitalisation à chaque fin de permission. Début octobre, il s’expose spontanément aux lieux publics, considérant l’assistance comme un élément de réassurance. Celle-ci semble diminuer la fréquence et l’intensité des manifestations anxieuses. Quelques jours plus tard cependant, le patient rentre de façon prématurée de permission, n’ayant pas souhaité rester plus longtemps avec sa famille à son domicile. Il expose avoir tenté une réexposition seul, la veille, aux transports en commun, qui s’est suivie d’une attaque de panique en arrivant en gare (avant même de prendre le train), le conduisant à en sortir, « phobique qu’ un voleur tente de lui arracher sa sacoche dans laquelle se trouve les batteries » mettant ainsi en jeu sa vie. Dans la foulée, il a pris 1/4 de bromazépam le soulageant en quelques minutes, et est rentré chez lui où il a ingéré 2 zopiclone à 16h pour « dormir et oublier ». Lors de cet entretien, le patient dit réaliser le handicap que représente ce trouble panique au quotidien, et est en demande de solutions. Lui sont alors expliqués les bénéfices attendus de l’introduction d’un traitement antidépresseur, l’objectif du traitement étant la disparition et la prévention des attaques de panique, de l’anxiété anticipatoire et de l’évitement phobique, mais aussi ses risques, notamment en lien avec l’anti-coagulation. Le patient se montre partant pour engager le traitement, malgré les effets indésirables dont il avait souffert lors de l’introduction de la 73 paroxétine (à type de céphalées et sensations vertigineuses). Il est toutefois décidé de ne pas réintroduire la paroxétine, d’abord en raison des réticences du patient, mais également des interactions avec le traitement anti-coagulant (cf. chapitre III). Ainsi, la prescription de sertraline 25 mg a été effectuée le jour même, pendant 4 jours, puis augmentée à 50 mg, avec surveillance rapprochée de l’INR et bromazépam en systématique ¼ matin et midi et ½ le soir. Dès le lendemain cependant, le patient se plaint de céphalées atypiques et temporales, à recrudescence matinale qu'il impute à la sertraline. Malgré nos explications concernant le délai de réponse après plusieurs semaines de prise et le caractère transitoire des effets indésirables ressentis, il refuse de le reprendre et souhaite ne garder que le bromazépam si besoin. Dès cet instant, M. B. pourra verbaliser qu’il est impensable pour lui de rentrer définitivement au domicile, sans qu’on ait pu le soulager de cette anxiété paroxystique. Considéré comme sortant sur le plan somatique, l’équipe des transplanteurs nous exposent leur réticence croissante à inscrire ce patient sur liste de greffe, compte tenu de son instabilité émotionnelle, de la dépendance aux services hospitaliers qui s’installe, de la poursuite de l'intoxication alcoolique et tabagique malgré l’absence de stigmates biologiques qui ne contreindiquent donc pas strictement la greffe pour les cardiologues, du manque de compréhension de sa « pathologie en général », et son refus de prise en charge médicamenteuse du trouble anxieux présenté. Dans une démarche comportementale, il est mis en place un accompagnement de l'exposition progressive au retour à domicile et à l'autonomie, non pas réalisé avec les seules ressources du patient et de l'hôpital, mais en relation avec un réseau de soins élargi. Ainsi, lors des permissions suivantes, des rendez-vous chez son médecin traitant, au centre médico- 74 psychologique avec son ancien psychiatre, chez un cardiologue et dans un cabinet d’infirmières se déplaçant au domicile, sont organisés, et le patient s’y rend, au fur et à mesure des semaines. Cependant, mi-décembre 2012, il présente des douleurs localisées au niveau du cordon d'alimentation, avec retentissement fonctionnel important, et limitation du périmètre de marche. Il s’agit alors d’une infection de câble nécessitant une antibiothérapie intraveineuse nécessitant l'arrêt des permissions. Cette première complication, fréquente et non imputée à un défaut de vigilance du patient, pousse les transplanteurs à l’inscrire sur liste de greffe. Dans le même temps, apparaissent une anxiété, une humeur dépressive et des idées suicidaires scénarisées comme couper le câble reliant son cœur aux batteries, très peu critiquées et en lien avec les douleurs secondaires à l'infection. Une majoration de l’anxiolyse par benzodiazépines, une surveillance rapprochée et des traitements antalgiques permettront de passer cette crise suicidaire, mais le patient pourra verbaliser un sentiment d’impasse, avec une projection dans l’avenir difficile, malgré son inscription sur liste de greffe. De façon très progressive, l'idée d'un retour à domicile chemine enfin chez lui et le patient se restaure sur le plan psychique. L’humeur s’améliore, les idées suicidaires s’amendent, son discours autour d’une éventuelle consommation d’alcool à la sortie devient plus solide, reconnaissant que l’abstinence complète sera difficile et qu’un suivi s’impose, ses permissions lui manquent, et son quotidien même. Rassuré par son état somatique s’améliorant, et la logistique mise en place autour de son domicile (ayant défini avec nous un « parcours fléché » chez les partenaires extérieurs en fonction des situations présentées en dehors de l’hôpital), il demandera spontanément son retour définitif au domicile fin janvier. Deux permissions ont lieu, sans évènement indésirable ni alcoolisation ni retour prématuré. Le 22/02/2013, il rentrera au domicile. 75 Depuis il est suivi sur son secteur psychiatrique et par l’équipe de liaison à chaque passage hospitalier, en attente d’un appel téléphonique lui indiquant l’imminence de la transplantation. Discussion : Dès les premiers entretiens, il a été frappant de constater les difficultés du patient à distinguer ses sensations physiques et émotionnelles, évoquant la notion de traits alexithymiques. Pendant ce long parcours sans soins, où l’alcool avait le rôle d'un anxiolytique, renforcé par le maintien d'un lien social, le patient a développé, autour ou avec, sa pathologie cardiaque une pathologie anxieuse comorbide. Se pose la question ici de l’imputabilité indirecte de la cardiomyopathie dilatée à un trouble anxieux via l’initiation et la continuation d’une consommation d’alcool à risque. A l’inverse, les symptômes physiques débutant ont pu être l’occasion d’une première attaque de panique sur un terrain anxieux prédisposé. La symptomatologie cardiaque allant en se majorant venant alors renforcer les cognitions catastrophiques et les conduites d’évitement à l’origine d’un maintien, voire d’une aggravation d’un trouble panique et de l’évolution vers une agoraphobie comme cela se voit souvent chez les patients coronariens. Ce trouble panique, responsable de plusieurs passages aux urgences et d’une consultation en centre médico-psychologique, lui a donné l’occasion de se forger une représentation négative des interactions « médecin-malade », avec un vécu d'incompréhension et d'abandon par le corps médical. C’est dans ce contexte que s’est dégradée la condition cardiaque de M.B. et que son assistance a été posée. Après la phase de minimisation de la gravité de sa pathologie, qu’il a été nécessaire de respecter à la veille de la pose de l’assistance, l’inquiétude de l’équipe soignante et la nôtre s’est d’emblée portée sur sa capacité à tolérer les contraintes de l’assistance dans 76 un état d'isolement important, et sur d’éventuelles mises en danger dans les moments d’alcoolisation, si celles-ci venaient à persister après son retour au domicile. Malgré la reconnaissance de la gravité de son état par le corps médical, on voit bien comment, à travers les difficultés de ce patient de se projeter dans un retour à domicile, se sont crées les conditions pour qu'il puisse éprouver à nouveau un sentiment d'abandon. Dans un lien de confiance précaire instauré avec l’équipe soignante, et grâce à la souplesse de celle-ci, il lui sera possible dans un premier temps de rentrer en permissions au domicile. Celles-ci seront propices à l’expérience d’un vécu ambivalent de l’assistance. En effet, elle prendra tantôt la place d’un objet contra-phobique, tantôt celle d’un facteur anxiogène. Le questionnement identitaire est au second plan, mais le désir de rentrer au domicile « plus humain » est signe d’une dépendance à la machine difficile à supporter. Et quand vient le moment de la complication, le rejet que lui évoque cette assistance mêlée à un découragement, sont sources d’idéations suicidaires de « couper le fil ». L’assistance prend alors un troisième rôle : celui d’un moyen létal. L’équipe soignante, émettra des doutes au fil des mois, face aux troubles psychiques présentés par le patient, quant à l'opportunité d'une transplantation, craignant une mauvaise observance et donc une mise en danger du greffon. La demande faite au psychiatre par certains membres de l’équipe est donc de se positionner quant à ces doutes. Se pose alors la question du rôle du psychiatre de liaison dans la prise de décision de la prise en charge somatique. Supervisée par un psychiatre sénior, nous avons ici pris le parti de rester à l’interface entre l’équipe médicale et le patient. Ainsi, notre travail a été de recueillir et d’entendre les difficultés soulevées par l’équipe, en mettant en place une réponse spécifique, sans remettre en cause l’indication de la transplantation. Ce temps d’hospitalisation, propice à la préparation psychique de la greffe, a également permis chez ce patient un sevrage progressif en alcool ayant pu avoir un impact progressif sur son humeur et une adhésion aux soins addictologiques 77 et psychologiques qui n’auraient sans doute pas pu avoir lieu sans cela. Dans le même temps, l’équipe a pu constater que le patient était capable de cheminer, La crise suicidaire survenue à l’occasion de la brutale prise de conscience par le patient de la précarité de son état somatique a permis d’intensifier la surveillance somatique. Grâce à la prise en charge psychiatrique que nous avons pu proposer, cette crise suicidaire a pu être dépassée et le patient a pu adhérer au projet de soins psychiatriques, lui permettant par la suite de se restaurer sur le plan thymique et de s’appuyer enfin entièrement sur l’ensemble des soignants pour pouvoir rentrer définitivement au domicile. 2 MONSIEUR T. Mr T. est un patient de 65 ans, ancien postier à la retraite, vivant avec son épouse (suivie en psychiatrie pour psychose chronique) et sa fille (37 ans). Celle-ci est tutrice de M. T., son père. Il bénéficie d’une aide ménagère et d’une infirmière à domicile. Le 6/11/11, il est admis au centre hospitalier d’Argenteuil pour œdème aigu pulmonaire. Est découvert un infarctus du myocarde avec nécrose, suivi d’une décompensation respiratoire avec majoration de l’œdème pulmonaire, responsable d’un état de choc cardiogénique post infarctus et altération de la fonction rénale. Il est alors transféré à l’Hôpital Européen Georges Pompidou, en soins intensifs de cardiologie ; malgré un traitement adapté, il n’y a pas de récupération. Un avis psychiatrique est demandé, afin de réaliser en urgence un bilan préassistance (en vue d’une thérapie définitive) chez ce patient qui a pour antécédent un trouble bipolaire de type 1. L’évaluation faite par un psychiatre de l’équipe de liaison retrouve un patient euthymique, sans confusion, ni idées délirantes, avec un discours centré sur les soins. En effet, le patient rapporte une perte d’autonomie, réalisant avoir « failli y passer », sans être capable d’expliquer précisément les évènements ayant conduit à son hospitalisation, mais s’inquiétant pour l’avenir. Une désorientation temporo-spatiale est présente (il peut 78 difficilement donner l’année, et expliquer qu’il est à l’hôpital, mais ni la date ni l’heure ne sont obtenues). Son épouse et sa fille sont contactées par téléphone, et rapportent que Monsieur T. est bien suivi par son psychiatre de secteur, ainsi que par des infirmières passant régulièrement au domicile et que la dernière décompensation ayant nécessité une hospitalisation sous contrainte datait de l’an dernier pour épisode maniaque (occasion d’un changement de traitement). Un déclin cognitif allant croissant depuis plusieurs mois est également signalé. Son traitement habituel au domicile était le suivant: clozapine 25 1-0-2 ; diazépam 10 : 4 /j ; hydroxyzine 100 : 1-1-1 ; zopiclone 7,5 au coucher. Ni psychiatre, ni médecin traitant n’ont cependant pu être contactés lors de cette évaluation en urgence. Compte tenu de l’absence de décompensation psychiatrique pouvant altérer l’observance aux soins, et de l’étayage du secteur décrit par la famille, aucune contre indication psychiatrique formelle n’est retenue lors de cette première évaluation en urgence, et une assistance ventriculaire gauche est implantée, d’emblée en thérapie définitive le 02/12/11. Après la pose, le patient reste stable sur le plan psychiatrique et l’équipe soignante rapporte une participation adaptée aux soins ainsi qu’un bon contact. La tolérance hématologique de la clozapine est de bonne qualité et le patient sort de l’hôpital pour un centre de rééducation cardiaque, puis son domicile. Débute alors une série d’aller-retour en consultation et hospitalisation pour difficultés d’autonomie quant au branchement-débranchement des batteries, infections récidivantes de câble, et altération de celui-ci, ayant du être changé en juillet 2012. En août 2012, il est ré-hospitalisé pour sepsis. Le TEP scanner met en évidence un hypermétabolisme (infection) de l’ensemble du matériel d’assistance. Je rencontre alors le patient pour la première fois, de bon contact, euthymique, sans éléments confusionnels ni délirants, dont le discours à propos de son assistance est très positif : « c’est 79 cette boite qui me maintien en vie, je lui en suis bien reconnaissant ». Il reste cependant dans l’impossibilité de me décrire les manipulations à faire pour l’entretien et le changement de batteries. On note une désorientation temporelle (restant évasif aux questions d’heure et de date), mais pas de désorientation spatiale. L’équipe soignante rapporte que le patient est compliant aux soins, mais qu’il « ne prend pas soin » lui même de son assistance, et que ces infections à répétition sont, selon eux, dues à ses troubles psychiques, « il manipule le câble en permanence, l’enroule, et au domicile, le laissait mâchonner par le chien. Il ne se met jamais sur batterie ». De plus, nous apprenons qu’il a été décidé par les cardiologues que le traitement de ce patient serait strictement symptomatique par antibiothérapie et qu’il n’y aurait pas de changement de matériel, ni de geste invasif si aggravation, compte tenu des troubles cognitifs et de l’absence de projet thérapeutique à long terme. Il s’avère qu’après avoir contacté son psychiatre, non apprenons que le patient n’a pas été revu en consultation depuis la pose de l’assistance, manquant ses rendez-vous suite aux multiples hospitalisations. Seule la surveillance de la numération formule sanguine dans le cadre du traitement par clozapine lui parvenait régulièrement. Il s’agit d’un psychiatre l’ayant suivi seulement depuis quelques années et chez qui persiste un doute diagnostic : trouble bipolaire ou trouble schizo-affectif. Cependant, il nous fait parvenir les derniers comptes rendus d’hospitalisation. Les soins psychiatriques ont débutés en 1986 (39 ans) sur un premier accès maniaque, puis un second en 1998. Le suivi sur son centre médico-psychologique fut anarchique, sans adhésion aux différents traitements thymorégulateurs proposés, jusqu’à la troisième hospitalisation qui aura lieu début 2009 pour épisode dépressif caractérisé. La symptomatologie dépressive s’amendera par l’instauration d’un traitement antidépresseur par fluoxétine (sans traitement thymorégulateur). Lors de cette hospitalisation, des troubles mnésiques (mémoire 80 antérograde) sont constatés, et un diagnostic de démence est évoqué, confirmé par l’imagerie par résonnance magnétique cérébrale réalisée, montrant une atrophie cortico-sous-corticale. Un DATSCAN est réalisé en ambulatoire, mettant en évidence un hypométabolisme des régions dopaminergiques, suivi d’une prescription de L-Dopa. Il est à nouveau hospitalisé sous contrainte quelques mois plus tard, de juillet 2009 à avril 2010 pour troubles du comportement, tristesse de l’humeur et délire de persécution. Un traitement par loxapine et diazépam est alors instauré. Cette prescription de neuroleptique (loxapine) engendre une symptomatologie extrapyramidale majeure, contraignant à l’arrêter et à la remplacer par de la clozapine. Le syndrome extrapyramidal s’amende, et un avis neurologique est demandé. Il est préconisé d’arrêter progressivement la L-Dopa, compte tenu de la disparition de la symptomatologie extrapyramidale et des éléments délirants pouvant lui être imputables. C’est au décours de cette hospitalisation que Monsieur T. est placé sous tutelle et que les visites à domiciles régulières par les infirmières de secteur sont mises en place. Nous réalisons alors que l’évaluation psychiatrique faite en urgence était lacunaire (par notamment l’absence de contact possible avec psychiatre et médecin traitant), et n’a pas permis au psychiatre de liaison l’ayant rencontré d’avoir accès à l’ensemble des informations, que nous n’avons finalement à notre disposition que neuf mois après la pose de l’assistance. Nous sommes appelés une semaine plus tard pour opposition aux soins, auto et hétéroagressivité et adaptation du traitement psychotrope. On retrouve un syndrome confusionnel avec altération de la vigilance. Le contact est alors tout à fait différent, hostile et réticent, présentant une franche désorientation spatiale, des idées de persécution, une hétéro-agressivité verbale et physique à toute tentative d’approche, rendant impossible tout soin et prise médicamenteuse, alimentaire ou hydrique. Le rythme nycthéméral est inversé. Et le patient présente des lésions violacées sur la totalité du corps. Les constantes ne présentent pas d’anomalie particulière. Nous insistons donc, face à ce 81 tableau de délirium, sur l’importance de la réalisation d’un bilan somatique exhaustif comprenant au moins un bilan sanguin standard avec dosage de l’INR, et une imagerie cérébrale. Le bilan biologique ne sera réalisé que le soir, sans imagerie cérébrale. Il retrouve un INR supérieur à 10, ainsi qu’une insuffisance rénale aigüe fonctionnelle. Les jours suivants, apparaissent de profonds troubles de la vigilance, une majoration de l’insuffisance rénale et une nouvelle septicémie. Une consultation conjointe avec l’équipe de soins palliatifs est réalisée, puis la famille est rencontrée conjointement. Les soins de confort sont privilégiés et le patient décède quelques jours plus tard. L’équipe médicale rencontrée confie qu’elle n’a pas compris l’attitude des psychiatres et chirurgiens au moment de la pose initiale de l’assistance. « Ce patient aurait du être récusé d’emblée, compte tenu de ses antécédents psychiatriques et de ses troubles cognitifs. Il a certes gagné un an de vie, mais au prix de multiples hospitalisations et de souffrances physiques » Discussion : Ce cas clinique questionne en effet le bien fondé de l’assistance chez ce patient altéré sur le plan cognitif et dans une situation familiale délicate. Il pose la question des conditions dans lesquelles un bilan psychiatrique de pré-implantation peu être contributif dans un contexte d’urgence. Ici, malgré les éléments de désorientation temporo-spatiale fréquemment rencontrés en réanimation, le trouble psychiatrique en lui-même semblait stabilisé et suivi lors du premier entretien. Deux éléments du contexte ont entravé la qualité de l'évaluation initiale : d'une part l'urgence de la décision à prendre, d'autre part les conséquences somatiques et cognitives 82 attribuables au choc cardiogénique, en particulier en raison de l'hypo-perfusion cérébrale. Cet entretien en urgence n’a pas permis d’explorer les différents champs contribuant à l'adaptation future à l'assistance circulatoire, non seulement psychiatrique mais également social. La question de la perte de chance du malade mental a également joué un rôle de premier plan. Une des missions prioritaires de la psychiatrie de liaison, est bien de permettre aux patients souffrant de troubles psychiques de ne pas perdre de chance et de rendre le soin possible. Et c’est ce type de réflexion qui a été à l’œuvre chez le psychiatre n’ayant pas contre indiqué la mise sous assistance. Or, il est important, avant de poser définitivement l’assistance, de pouvoir dépister une situation pouvant significativement altérer la qualité de vie du patient, afin de pouvoir prendre en charge au mieux sa détresse psychologique. Ne faudrait il pas également, dans ces cas de thérapie définitive, inclure l’équipe de soins palliatifs dès le début de la prise en charge, afin qu’ils puissent avoir une meilleure connaissance des patients et de leurs entourage pour encore mieux entourer la fin de vie ? On voit également à travers ce cas, le rôle du psychiatre de liaison dans le redressement diagnostique de ce qui pourrait être attribué à une rechute du trouble psychiatrique, par la prescription notamment d’un bilan somatique en urgence. 3 MADAME L. Mme L. est une patiente de 60 ans, veuve depuis un an, mère de cinq enfants et grand-mère de dix petits enfants. Elle n’a jamais travaillé. Elle vit seule depuis le décès de son époux il y a un an, en face de chez l’une de ses filles. On ne relève aucun antécédent psychiatrique patent. Sur le plan des antécédents médicaux, on retrouve une hypertension artérielle traitée, une dyslipidémie traitée, un diabète de type 2 traité et un angor stable depuis plusieurs années. 83 Histoire de la maladie cardiaque : Elle présente un infarctus du myocarde fin avril 2012, compliqué d’un orage rythmique, justifiant un choc électrique externe début mai, ayant pour conséquence un choc cardiogénique réfractaire avec une fraction d’éjection ventriculaire gauche inférieure à 10%. Cet état nécessite un transfert à l’Hôpital Européen George Pompidou pour pose de Pace maker et assistance en attente de transplantation. Nous ne sommes pas sollicités pour évaluation psychiatrique avant la pose. Les suites post-opératoires sont compliquées d’une neuropathie de réanimation, avec altération majeure de la force motrice des membres inférieurs, que la patiente récupérera progressivement au cours de l’hospitalisation, ainsi que d’une médiastinite nécessitant une reprise chirurgicale. Le premier entretien psychiatrique se fait à la suite de ces complications en juin 2012, en réanimation, à la demande de l’équipe pour tristesse de l’humeur. La patiente est calme, coopérante, il n’y a pas de confusion, pas d’éléments psychotiques, elle rapporte une tristesse de l’humeur croissante depuis plus de quinze jours, avec une insomnie d’endormissement, un appétit nettement diminué, des pleurs fréquents (constatées en entretien), sans idées suicidaires, mais une projection dans l’avenir difficile, ne pouvant pas envisager que son séjour en réanimation se poursuive. Elle dit ne pas supporter l’isolement de sa famille, la solitude, demandant à avoir un voisin de chambre, une télévision, ainsi qu’une radio : « Je n’ai jamais été une solitaire, je ne supporte pas cette situation, il faut que je puisse penser à autre chose ». Mme L. centre l’entretien sur sa paralysie des membres inférieurs qu’elle tient pour responsable de sa tristesse, et qu’elle souhaite rééduquer au plus vite. Elle n’abordera à aucun moment l’assistance ventriculaire, même en y étant sollicitée. 84 Il est donc introduit un traitement antidépresseur: mirtazapine à 15 mg au coucher, ainsi que du zolpidem, et ¼ de bromazépam 3 fois par jour. Les deux semaines suivantes seront marquées par une discrète amélioration thymique, l’installation d’une télévision et d’une radio grâce à sa famille, et la mirtazapine sera majoré à 30 mg par jour. Les visites familiales sont quotidiennes. Ses sœurs et enfants sont rencontrés, rapportant un net changement d’avec l’état de base de leur mère, connue comme une femme battante et toujours de bonne humeur, ne s’étant pas effondrée au décès de son époux, vivant « plus pour ses petits enfants et enfants que pour elle-même », et n’ayant pas pour habitude de « s’apitoyer sur son propre sort ». L’équipe rapporte de nombreux épisodes de pleurs en lien avec des ruminations anxieuses sur son handicap fonctionnel, mais que la patiente se montre volontaire lors des exercices de kinésithérapie avec quelques progrès constatés. L’éducation concernant l’assistance prend cependant du retard, l’équipe se disant « découragée » par l’humeur dépressive de la patiente, et demande régulièrement une réévaluation du traitement psychotrope. Au cours de ces semaines, la patiente parvient à détacher progressivement son discours de ses membres inférieurs, et verbaliser sa peur de ne pas « réussir » à utiliser le dispositif d’assistance. Elle se dit peu encouragée par cette équipe soignante qui connait si bien le matériel et avec qui le contact n’est pas bon. Ne voyant alors pas l’issue de ce séjour en réanimation, elle admet présenter un certain découragement, disant ne pas se reconnaitre. Son époux est présent dans toutes ses pensées, bien plus qu’après son décès où elle « avait tenu pour ses enfants ». La dépendance est au cœur de ses ruminations : « les rôles sont inversés, plus personne ne prend soin d’eux, ils doivent s’occuper de moi ». D’ailleurs, un retour à domicile ne lui semble pas possible (peur d’une défaillance de la machine, d’une panne ou 85 d’un nouvel évènement cardiaque aigüe) et ses enfants se sont organisés pour ne pas la laisser seule au domicile quand elle rentrera. Elle pourra dire également « réaliser seulement maintenant être passée proche de la mort ». On retrouve d’ailleurs la présence de cauchemars, reviviscences, d’une anxiété ainsi qu’une hyper-vigilance en lien avec les chocs électriques externes. Compte tenu de l’anxiété importante, un traitement par hydroxyzine 25mg est introduit au coucher et si besoin en journée pour ne pas majorer les doses de benzodiazépines. Après concertation avec l’équipe de réanimation, il est décidé que l’éducation se poursuivrait en service de chirurgie cardio-vasculaire, et que la patiente pourrait sortir de réanimation. En salle de chirurgie cardiovasculaire, la thymie est stable, l’appétit est bon, le sommeil est de bonne qualité, on ne retrouve une aboulie, pas d’anhédonie, ni d’hypersyntonie, mais l’anxiété est importante, les épisodes de pleurs sont pluriquotidiens, avec une peur de « mal faire avec l’assistance, et de ne plus remarcher, malgré une certaine autonomie retrouvée grâce aux séances de kinésithérapie. La patiente verbalise son ambivalence quant à la transplantation cardiaque. En effet, celle-ci est fantasmée comme une délivrance, mais l’idée d’une nouvelle chirurgie, d’un nouveau séjour en réanimation lui est insupportable. L’équipe se dit fatiguée de porter cette patiente « qui va de mieux en mieux sur le plan somatique à bout de bras ». « On dirait qu’elle ne réalise pas les progrès qu’elle a pu faire sur le plan de l’autonomie ». Leurs doutes sur une possibilité de greffe cardiaque sont centrés sur cet effondrement thymique, et l’inscription sur liste ne se fera que si la patiente retrouve une euthymie. Face à l’efficacité partielle du traitement par mirtazapine et à la persistance d’une anxiété importante, on décide de remplacer le mirtazapine (diminué progressivement) pour un traitement par sertraline 25, puis 50mg /jour. 86 La patiente est dans le même temps transférée en rééducation cardio-vasculaire. Les nouvelles régulièrement prises rapportent que la patiente, face à une nette reprise de son autonomie et une franche amélioration des éléments post-traumatiques (grâce notamment au traitement antidéprésseur), est euthymique et qu’il n’y a plus d’épisodes de pleurs. Le traitement antidépresseur est resté le même, les benzodiazépines ont été progressivement diminuées puis arrêtées et elle bénéficie régulièrement d’entretiens psychologiques. Le retour au domicile se fait sans difficultés. Elle revient en hospitalisation mi-novembre 2012 pour poursuivre le bilan pré-greffe, et présente une nouvelle complication à type d’infection de câble, accélérant donc son inscription sur liste de greffe. Discussion: Chez Mme L., la survenue brutale d’une défaillance cardiaque, crée une brèche dans son équilibre psychique, responsable, comme on a pu le voir, d’un épisode dépressif caractérisé, nous ayant conduit rapidement à la prescription d’un antidépresseur. Les chocs électriques externes ayant eu lieu en pleine conscience l’ont confronté à sa propre mort et une symptomatologie de stress post-traumatique est survenue plus d’un mois après. Les premières semaines d’entretiens ont été marquées par l'impact psychologique de l'état de dépendance imposé par la réanimation et l’assistance nouvellement posée. Cette dépendance insupportable, venant faire voler en éclat son identité de femme battante et autonome, est déplacée dans premier temps, par une probable stratégie d’ajustement, sur la paralysie touchant ses membres inférieurs. Elle se concentrait donc uniquement sur ses exercices de kinésithérapie, associant son dispositif d’assistance à l’équipe soignante, avec qui elle ne « s’entendait pas ». Si cette stratégie de coping centrée sur l'émotion semble avoir été efficace pour partiellement tenir à distance les craintes liées à l'assistance circulatoire et plus 87 globalement à la défaillance, elle n'a pas été propice à l'investissement de l'éducation thérapeutique au dispositif d'assistance, comme aurait pu l'être une stratégie plus centré sur le problème. Au fur et à mesure des entretiens, elle put lâcher cette stratégie, et verbaliser qu’audelà de ce handicap fonctionnel, sa peur était celle d’une perte d'identité face à une nouvelle fragilité qu’elle ne connaissait pas. A cause de cet incident cardiaque et de la pose de l’assistance, les rôles s’inversaient : elle devenait l’être à protéger, elle qui ne s’était jusqu’alors pas autorisé à faire le travail de deuil nécessaire suite au décès de son époux pour « protéger ses enfants ». Un travail identitaire était donc nécessaire, passant dans le cas de notre patiente, par un effondrement thymique. L’une des choses les plus difficiles à travailler avec l’équipe soignante ici était précisément l’acceptation de cet effondrement comme témoignant d'une étape nécessaire dans la transition d’un ajustement initial par l'évitement à une appropriation secondaire des soins. En effet, de telles équipes combattives et habituées à répondre par l'action dans la réalité externe peuvent trouver leurs limites face à l'interprétation de cette symptomatologie dépressive. Notre travail de psychiatre de liaison a été nécessaire à plusieurs niveaux. Premièrement, ajuster le traitement psychotrope en tenant compte non seulement de l'état de la patiente mais aussi de la demande de l'équipe. Deuxièmement, il a fallu aider la patiente à retrouver un sentiment de continuité identitaire en acceptant ce dispositif d’assistance hostile (associé à l’équipe soignante) et étranger de prime abord, puis l’aider à maturer le projet de greffe, d’emblée vécu comme une intervention persécutante (en lien avec un nouveau séjour en chirurgie et une longue réanimation). Troisièmement, en faisant circuler l’information de ce qui ressortait de nos entretiens psychiatriques, il s'agissait de maintenir l’alliance thérapeutique entre l’équipe soignante et Mme L. 88 V DISCUSSION GENERALE 1 Avantages et contraintes de la bibliographie dans ce domaine. Depuis les premiers patients traités par assistance au milieu des années quatre-vingt dix, de nombreuses études de qualité de vie ont été menées. Les avancées techniques ont permis de passer de lourdes machines destinées à attendre la greffe en hospitalisation, à des dispositifs portatifs permettant un retour à domicile, puis enfin à des machines de dernière génération plus légères, inaudibles et engendrant moins de complications. Les indications au regard de ces progrès technologiques ont donc évolué. Allant de la récupération myocardique (situation assez rare en pratique clinique) à l’attente de la transplantation cardiaque, certains patients se voient aujourd’hui assistés en thérapie définitive jusqu’à la fin de leur vie. Il s’agit d’une technique encore récente et les études publiées portent souvent sur des échantillons de petite taille. Beaucoup d’études menées comprennent donc dans leur population plusieurs types de dispositifs et plusieurs types d’indications, rendant difficilement interprétables les résultats. D’autre part, il est important de constater que les études portant uniquement sur l’assistance sont rares, il s’agit le plus souvent d’études à propos de la greffe cardiaque incluant des patients sous assistance. On constate donc un manque d’études de haut niveau de preuve concernant l’assistance ventriculaire et son retentissement psychologique et psychiatrique, ainsi que la valeur pronostique dans ce domaine de l’état psychique et des pathologies psychiatriques. Du fait des lacunes concernant les patients assistés, il est nécessaire de s’appuyer sur ce qui est mieux connu chez l’insuffisant cardiaque et chez le greffé. 89 2 Spécificités de l’assistance ventriculaire gauche Le patient sous assistance ventriculaire, avant la pose du dispositif, est un patient insuffisant cardiaque au stade terminal. Il s’agit donc comme on a pu le voir, d’un patient fragile et vulnérable sur le plan psychique. La première semaine après la chirurgie est celle où l’anxiété est la plus importante. En effet, passé un éventuel épisode confusionnel, le patient se retrouve en réanimation, avec un univers corporel changé. Si cette pose d’assistance fait suite à de nombreux mois d’insuffisance cardiaque, accompagnés par les cardiologues, le patient peut, dans le meilleur des cas y avoir été préparé. Dans de nombreux cas cependant, comme chez les trois sujets exposés ci-dessus, il s’agit d’une pose en urgence, sans que le patient ait même la notion de l’existence de ce type d’appareil. Quoi qu’il en soit, l’effraction du corps par le dispositif, nécessaire à la survie du patient, entraine la disparition des limites internes et externes, une remise en question de l’intégrité de l’image corporelle (c'est-à-dire la représentation inconsciente, imaginaire que chacun se fait de son propre corps) et donc une remise en question identitaire. Cette quête identitaire est directement liée à la dépendance. La dépendance est souvent le thème prépondérant dans l’expression du mal-être et de l’anxiété. Dépendance au matériel d’assistance et à autrui, comme dans le cas de Mme L. A la différence de la greffe cardiaque, le dispositif mécanique est visible à chaque instant aux yeux du patient, et pour tout autre personne posant son regard sur lui. Sa propre image, et celle qu’il donne à voir aux autres, est celle d’une personne altérée et fragile, au-delà des conditions de réanimations habituelles. Le patient et son entourage savent que ce dispositif n’est que ponctuel ou palliatif, et donc que la situation est précaire. Cette situation est beaucoup moins propice que peut l’être la greffe à des vécus post-opératoires de « nouvelle vie », « nouvelle chance », et l’angoisse de mort est toujours en toile de fond. 90 L’hyper-vigilance est de règle et les cognitions sont centrées sur l’appareil. Les contraintes matérielles sont au premier plan et limitent très souvent la projection dans l’avenir sans aide au quotidien, comme nous l’ont montré les cas de Mme L. et de M. B. Par ailleurs, il apparait que ce sont les patients les plus fragilisés sur le plan cardiaque qui se trouvent assistés. Or, il a été montré que plus l’insuffisance cardiaque est avancée, et globalement, plus la maladie cardiaque est sévère, plus les troubles psychologiques et psychiatriques sont importants. Une étude a même conclu que ce sont les patients les plus déprimés qui se trouvaient assistés63. Il s’agit donc d’une catégorie de patients particulièrement fragiles et à risque sur le plan psychiatrique. S’ajoute à cette fragilité, dans de nombreux cas, l’isolement social pouvant être responsable d’un retard aux soins, et par là même d’une aggravation de la maladie cardiaque. Pourtant, le patient assisté autant que le patient greffé, nécessite un soutien important de l’entourage, celui-ci agissant comme support anxiolytique et matériel. Il semble donc que le support social soit un facteur pronostic important de la réussite du traitement par assistance. Malgré le manque d’études pronostiques spécifiques à l’assistance, celles concernant les insuffisants cardiaques sont informatives. La morbidité psychiatrique et notamment l’épisode dépressif caractérisé est associé à une majoration de la mortalité et de la morbidité cardiaque. Il en va de même pour l’isolement. Ainsi, si les patients assistés sont les plus fragiles somatiquement, les plus isolés et donc les plus à risque de pathologies psychiatriques, cela ne peut que rendre plus pénible l’épreuve que peut représenter en soi la mise sous assistance ventriculaire. Se pose alors la question de la prise en charge en psychiatrie de liaison. A la lumière de cet argumentaire, elle semble capitale, ce qui, par manque de recommandations explicites n’est pas systématiquement le cas. 91 Dans les cas d’attente de transplantation, cette période, accompagnée par un psychologue ou psychiatre, peut être propice à une meilleure préparation au projet de greffe. Cette hypothèse est compatible avec une étude ayant montré moins de trouble anxieux en post-greffe chez les anciens assistés83. Il s’agit en effet pour ces patients en attente de transplantation de s’approprier le matériel d’assistance, tout en cheminant vers la greffe, comme c’est le cas pour Mme L. et M. B. Or, l’assistance pousse à l’extrême le questionnement du patient, en l’interpellant sur des problématiques fondamentales des limites entre Soi et non Soi, de la vie et de la mort, du sentiment d’identité, de l’identique et du changement. L’attente de la greffe, en plus de ces questionnements, pose la question de la différenciation Soi / Autrui, de la dette et de la transgression (tabou du respect des cadavres). Néanmoins l’attente de la greffe est une période propice à un épisode dépressif caractérisé. Or, une particularité de l’assistance est l’accessibilité immédiate à un moyen létal : l’assistance en elle-même, comme ça a pu être le cas chez M. B. lors de la crise suicidaire qu’il a pu traverser. Là encore l’importance d’un accompagnement psychiatrique semble capitale avant et après la pose. 3Attentes des cardiologues Commençons par revenir sur les demandes faites dans les trois cas cliniques présentés. Pour M. B., la décision d’assistance avait déjà été posée, mais une évaluation psychiatrique a été demandée, dans l’intervalle entre la décision et la pose. La question qui pouvait se poser aux vues des antécédents et de l’avancée du processus de soins, était celle de savoir s’il s’agissait d’un avis sur la faisabilité de l’assistance, ou plutôt d’un premier contact pour bilan pré-greffe. Chez M. T., la demande était de se prononcer sur la faisabilité du traitement par assistance au long cours. Dans le cas de Mme L. enfin, l’assistance était posée depuis plusieurs semaines quand la demande d’évaluation psychiatrique a été faite pour tristesse de l’humeur. 92 On voit déjà que chez ces trois patients, nous avons eu à répondre à trois demandes différentes tant dans leur temporalité que dans leurs objectifs supposés. Ainsi, si dans la plupart des cas la demande est explicite, il peut persister des situations où la demande reste peu claire, malgré les efforts de clarification demandés à l’équipe soignante. Or, pour être utile, le psychiatre de liaison doit donner une réponse appropriée à la question qui lui est posée par le somaticien, et de manière générale, on attend de lui qu’il rende un double service : au service qui le demande et au patient qu’il soigne. La demande est en général principalement centrée sur le patient dans le but de poser, confirmer un diagnostic, et de proposer une stratégie thérapeutique. Mais de manière explicite ou implicite, elle peut porter sur la recherche d’une solution aux difficultés de l’équipe médicale, aux prises à des comportements déstabilisants, pouvant mettre en échec les soins apportés, ou à la souffrance psychique d’un patient qui la déborde. Dans ce dernier cas, la demande peut être floue. Concernant le cas de M.B., nombreuses ont été les demandes où chaque membre de l’équipe, exposait un avis différent de ses collègues sur la bonne suite de la prise en charge à proposer. La « caution du psychiatre » était alors recherchée par chacun. Dans ce type de situation, le psychiatre de liaison doit être vigilant à ne pas dépasser ses prérogatives en cherchant à répondre à cette demande implicite. En effet, si le psychiatre est amené à estimer la probabilité d’une adhésion satisfaisante du patient au traitement une fois que le projet thérapeutique sera mis en place, pour l’aider au mieux, il semble important de tenir compte du système dans lequel il évolue116 (soignants, institution, famille, société…). Schématiquement, il existe trois stratégies différentes pour la consultation psychiatrique en hôpital général117 : l’approche orientée vers le médecin demandeur, l’approche orientée vers le patient et l’approche orientée vers la situation. Cette dernière approche permet souvent de répondre de manière plus globale et plus complète à la question posée. En effet, dans une situation de soins aussi lourds mettant en jeu le pronostic vital, les membres des équipes soignantes et 93 médicales sont souvent tiraillés. Il y a ceux qui doutent, ceux qui s’interrogent et ceux qui ont du mal à investir l’avenir favorablement. C’est en effet dans les situations où l’espoir est possible que les choix et les doutes sont les plus aigües. Les échanges de tous les membres de l’équipe soignante entre eux, et avec le patient doivent être pris en considération, afin de comprendre ce qui se joue pour le patient et le médecin demandeur de l’intervention psychiatrique. Le psychiatre se doit alors de prendre le rôle de médiateur s’il ne veut pas être disqualifié par l’une ou l’autre des parties. Mais le malade mental, ou le sujet ayant présenté des antécédents psychiatriques, sont souvent considérés à priori comme des patients moins stables que les autres, plus fragiles, qui poseront potentiellement problème, ne comprendront pas correctement les enjeux du traitement et les informations données, et risqueront de mettre à mal la continuité des soins. Dans le cas de M. T., les psychiatres dans un souci de donner toutes ses chances au patient semblant stabilisé, n’ont pas exprimé de contre indication formelle. Il s’agit d’une souplesse permise par l’assistance, à la différence de la greffe cardiaque. S’applique ici le principe éthique d’équité. En effet, chacun doit pouvoir être traité selon les mêmes critères, s’imposant à tous, avec une égalité de considération. Dans le cas de M. T., il n’est pas certain a posteriori que cette égalité de considération était en faveur de la pose de l’assistance tant les incertitudes étaient grandes. Néanmoins la situation d’urgence ne rendait pas possible une évaluation exhaustive. Il est cependant regrettable que le suivi n’ait pas pu se mettre en place après son retour au domicile et que l’entourage en difficulté n’ait pas pu le soutenir autant qu’il en avait besoin. Car par ce type d’histoire clinique, c’est un message peu rassurant adressé aux équipes soignantes concernant nos patients souffrant d’une comorbidité psychiatrique. En effet, à la lumière de l’histoire de M.T., l’équipe de cardiologie, et à juste titre peut-être, s’est montrée plus réticente envers les patients semblant présenter une fragilité psychique. Il s’agit d’une part de ne pas faire subir à un patient les complications d’une thérapeutique dont il n’est pas à 94 même de bénéficier et d’autre part, d’utiliser au mieux les ressources limitées mises à la disposition des soins par la collectivité. Or, ce que le cas de ce patient peut nous enseigner, ce n’est pas une plus grande réticence à poser une indication d’assistance circulatoire pour les patients fragiles sur le plan psychique, mais plutôt qu’il est nécessaire de pouvoir les rencontrer au préalable pour un bilan initial, afin de, tout comme dans le cas de la greffe, connaitre leurs faiblesses, leurs ressources, leur histoire personnelle, puis ultérieurement, de façon très systématique afin de les accompagner au mieux et de détecter de nouvelles difficultés pouvant survenir. Plus généralement, il semble important que l’ensemble des équipes de psychiatrie et psychologie de liaison puissent proposer systématiquement, dans le parcours d’assistance, un suivi psychiatrique tout au long du parcours de soin, et le plus en amont possible, en allant audelà de la demande initiale. 95 CONCLUSION L’assistance circulatoire au long cours met le patient insuffisant cardiaque à l’épreuve sur le plan psychologique. Au-delà de la situation d’attente de récupération myocardique qui est peu pratiquée en clinique, celle de la thérapie définitive, par son caractère palliatif, et celle de l’attente de greffe cardiaque, par son caractère temporaire, placent le patient dans une situation précaire, où l’angoisse de mort, l’hyper-vigilance et la dépendance sont en toile de fond. Ces patients sont par ailleurs isolés dans de nombreux cas, et face à un questionnement existentiel important, pouvant favoriser ou majorer la comorbidité psychiatrique. Ainsi, il est important de pouvoir réaliser, en dehors de l’urgence, un bilan pré thérapeutique, ayant des caractéristiques communes à celui du bilan pré-greffe, mais allant plus loin dans l’exploration du support social (le patient restant dépendant de son entourage) et de ses capacités neurocognitives devant lui permettre de s’adapter à la technique du dispositif, et à sa manipulation lors des procédures d’urgence. Ce bilan doit également permettre de repérer les fragilités psychiques des futurs patients sous assistance, sans chercher à les pénaliser, mais au contraire à rendre réaliste le projet d’assistance, et élaborer de manière multidisciplinaire, des directives anticipées. Ce bilan, par manque de recommandations explicites, et compte tenu des nombreuses poses en urgence, n’est que rarement réalisé, et ceci peut conduire à des décompensations psychiatriques venant altérer la qualité des soins et mettre à mal les équipes soignantes. Des études prospectives pourraient permettre de mieux préciser les facteurs de bonne ou de mauvaise adaptation à l’assistance circulatoire et donc de mieux repérer les patients nécessitant le plus d’attention. Le psychiatre de liaison doit donc pouvoir être impliqué dans la prise en charge du patient assisté, avant la pose, mais bien au-delà, dans un engagement tout au long du parcours de 96 soin, aidant le patient à surmonter ses difficultés émotionnelles, et à faire face, au quotidien, au défi que représente l’assistance cardiaque au long cours. 97 ANNEXE CLASSIFICATION DE LA NYHA Classe I : Patient porteur d’une cardiopathie sans limitation de l’activité physique. Une activité physique ordinaire n’entraîne aucun symptôme (ni fatigue, ni dyspnée, ni douleur angineuse). Les symptômes ne surviennent qu’à l’effort intense. Classe II : Patient dont la cardiopathie entraîne une limitation modérée de l’activité physique sans gêne au repos. L’activité quotidienne ordinaire (montée de plus de deux étages) est responsable d’une fatigue, d’une dyspnée, de palpitations, ou douleurs angineuse. Classe III : Patient dont la cardiopathie entraîne une limitation marquée de l’activité physique, sans gêne au repos. Une activité physique sub-normale entraine fatigue, palpitations, dyspnée ou douleur angineuse. Classe IV : Patient dont la cardiopathie entraine une impossibilité de faire un effort sans ressentir un symptôme. Les symptômes peuvent exister au repos. Tout effort entraine une aggravation des symptômes. 98 BIBLIOGRAPHIE 1. Rose EA, Gelijns AC, Moskowitz AJ, Heitjan DF, Stevenson LW, Dembitsky W, et al. Long-Term Use of a Left Ventricular Assist Device for End-Stage Heart Failure. New England Journal of Medicine. 2001 Nov 15;345(20):1435–1443. 2. Eshelman AK, Mason S, Nemeh H, Williams C. LVAD destination therapy: applying what we know about psychiatric evaluation and management from cardiac failure and transplant. Heart Failure Reviews. 2008 Jan 24;14(1):21–28. 3. Trochu J-N, Leprince P, Bielefeld-Gomez M, Bastien O, Beauvais F, Gueffet J-P, et al. 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L’objectif de ce travail est de mettre en lumière les problématiques posées par la prise en charge, en psychiatrie de liaison, des patients sous assistance cardiaque au long cours, et ceci, à travers une revue de la littérature enrichie de trois cas cliniques et de rencontres avec les équipes médicales somaticiennes. Au-delà de l’angoisse de mort, de la dépendance et de l’hyper-vigilance qui sont au premier plan tout au long du traitement par assistance, la première semaine après la chirurgie est propice au délirium, aux troubles de l’adaptation et aux troubles anxieux, et dans les mois suivant, un épisode dépressif peut survenir dans 25% des cas. Chez les patients suicidaires, l’assistance représente en elle-même un moyen létal. Or, ce sont paradoxalement les patients les plus isolés et fragiles psychiquement qui reçoivent l’assistance. Chez les patients en attente de transplantation, la période sous assistance, associée à un accompagnement psychologique ou psychiatrique adapté, peut permettre de faciliter le travail nécessaire à l’appropriation de la greffe. Un bilan pré-thérapeutique est important à réaliser afin de repérer les fragilités psychiques des patients. Il permet de rendre réaliste le projet d’assistance et de les accompagner tout au long du parcours de soin, en les aidant à surmonter les difficultés émotionnelles tout en faisant face activement à la réalité de l’assistance circulatoire au long cours. Composition du Jury : Président : Monsieur le Professeur O. COTTENCIN Assesseurs : Monsieur le Professeur P. THOMAS Monsieur le Professeur A. VINCENTELLI Monsieur le Docteur C. LEMOGNE Adresse de l’auteur :