CAPESA externe Lettres Epreuve N°2 (session 2009)
RAPPORT DE JURY
Les auteurs soumis aux candidats étaient cette année, indubitablement des classiques.
Mieux, les œuvres mêmes dont étaient extraits les textes n’ont pu échapper à leur attention, sinon
à leur lecture, à un moment ou l’autre de leur scolarité. Quoiqu’il en soit, qu’un auteur inconnu,
qu’une œuvre inconnue ne découragent jamais le candidat ! Ils lui éviteront du moins les idées
reçues qui ont manifestement entouré cette année la prétendue connaissance d’un auteur comme
Proust…
Les questions de vocabulaire de même n’avaient rien d’étonnant : un verbe, un nom, un
adjectif, un adverbe. Les candidats se doutent que le total de quatre points alloués au vocabulaire
impose d’une part une attention à peu près égale aux deux mots à analyser, d’autre part un usage
varié des faits de langue : attention aux propos exclusivement sémantiques !
La partie de morphosyntaxe du sujet proposait deux sujets dont l’un se présentait le plus
immédiatement comme un sujet de morphologie (infinitifs et participes) quand l’autre se
présentait d’emblée comme un sujet syntaxique (propositions relatives). Seules les moins bonnes
copies ont sous-estimé dans le premier cas les considérations syntaxiques et dans le second cas
les analyses formelles.
Les commentaires stylistiques, entièrement rédigés, doivent ensuite montrer au jury que le
candidat sait bien user de son temps et ne se cantonne pas, pour le texte analysé en deuxième lieu,
à quelques généralités écrites en style télégraphique. Tout commentaire linéaire est exclu. Est-il
besoin de préciser que le barème appliqué implique nécessairement qu’une copie excellente qui
n’analyse qu’un texte ne bénéficie d’aucune indulgence ?
Quant à la bonne méthode, la voici tout de suite en quelques mots. Pour la partie
consacrée au vocabulaire, le jury attend une analyse morphonologique ou des considérations
étymologiques (ne pas inventer en la matière : cela ne paie jamais), les sens en langue, le sens en
contexte, les synonymes et/ou antonymes, les mots de même famille.
Voici les grands traits de la méthode en morphosyntaxe dont on attend qu’elle produise un
plan ordonné :
une introduction définira clairement le phénomène à étudier, le sens des notions qui seront
utilisées dans le développement (expliciter le libellé du sujet permet aussi de justifier le plan de
l’étude), le plan ;
les occurrences sont relevées, accompagnées de leur référence (numéro du vers ou de la
ligne), même si le candidat peut se contenter, à cette étape, d’en indiquer seulement le nombre,
notamment s’il est élevé, puisque le détail en est donné dans le classement qui suit ;
un plan, éventuellement muni de titres et sous-titres explicites propose un classement des
occurrences, chaque exemple peut faire l’objet d’une description et d’un commentaire, sans
que l’on s’attarde inutilement sur les cas simples ; les candidats affronteront les vrais problèmes
sans économiser l’effort de la réflexion, quitte à proposer plusieurs analyses concurrentes ;
– le propos s’achève par une brève conclusion.
Le commentaire stylistique se compose : d’une introduction rédigée qui présente le texte,
dégage un axe de lecture principal et annonce le plan suivi ; d’un développement rédigé en deux
ou trois parties, à l’aide d’exemples référencés ; d’une conclusion rédigée. La question de
morphosyntaxe est généralement utile au commentaire ; le candidat peut donc y renvoyer… à
condition de ne pas en faire une partie entière ! Il est d’usage de reporter explicitement les titres
des parties et sous-parties dans le corps du devoir.
Il convient de rappeler que le commentaire stylistique n’équivaut pas à une paraphrase
interprétative, plus ou moins, élégante, d’un texte, donnant quelques exemples de propriétés
formelles : c’est un relevé systématique de faits d’expression (morphologiques, lexicaux,
phraséologiques, syntaxiques) bien identifiés sur le plan grammatical, classés, triés, regroupés et
interprétés en fonction d’hypothèses, énonciatives, pragmatiques, rhétoriques, tenant compte du
genre de l’œuvre, de son époque, de la nature de l’extrait, des parties qui le composent.
Rappelons enfin qu’un sort est toujours fait, lors de la correction du commentaire
stylistique, aux qualités de rédaction des candidats ainsi qu’à l’orthographe. Ah, « ellipse »,
« élidé », « occurrence » et « métonymie »…
Le corrigé qui suit, détaillé dans ses deux premières parties et synthétique dans sa partie
stylistique, n’entend pas décourager les candidats par son volume : il ne correspond aucunement à
une copie à laquelle nous nous serions attendu ; il correspond plutôt à un manière d’hommage
que nous rendons à la complexité de la langue française. Nous voudrions seulement que les
candidats futurs puissent, nous lisant, se dire à de certains moments : « Cela, je le sais, je pourrais
l’écrire ! » ou encore : « Cela se voyait clairement dans le texte, j’aurais pu y penser ! »
TEXTE 1
1. Grammaire
1.1. Vocabulaire (4 points)
Expliquez les mots soulignés dans le texte :
sied (vers 2) ;
Sied est formé sur le radical fort sié- suivi d’un d graphique étymologisant (vs séant) qui a
pu, en plus du e étymologique de seoir, mettre les candidats sur la voix du latin classique sedere
(I.-E. : *sed), le tout prononcé [sje], une syllabe.
Il s’agit de la P3 du présent de l’indicatif de la voix active du verbe seoir.
Ce verbe est éminemment défectif : voix passive, mode impératif, tiroir du passé simple,
temps composés n’existent pas ; P1, P2, P4 et P5 sont rarissimes.
NB : On a accepté la mention des formes seyait, seyaient aussi bien que de séyait,
séyaient.
Le verbe est en emploi intransitif, et non dans son vieil emploi pronominal (synonyme de
« s’asseoir » encore chez Anatole France en 1896 : « Chevalier, seyez-vous et buvez, je vous
prie »). Le verbe est en emploi impersonnel quelque chose sied à quelqu’un ou à quelque
chose »), comme au vers précédent : « il n’est plus temps de répandre des pleurs ». Ici, c’est
l’apostrophe qui précise à qui s’adresse le rappel d’une vérité par ailleurs générale : « Ma fille,
[…] il sied mal […] ».
Le verbe est de sens abstrait et non concret, comme au sens juridique de « tenir séance »
(« L’Assemblée du Clergé, séante en 1705, s’empressa de la recevoir [la Bulle du Pape] sur
l’invitation du roi », chez Sainte-Beuve en 1859). La dérivation de sens remonte au bas latin
(V
e
siècle).
Le verbe est pris au sens moral de « convenir ».
La convenance est ici morale et non vestimentaire (cf. « Cette coiffure me sied à ravir »,
chez Jouy en 1812), quoique le vieil Horace pourrait dans son intransigeance qualifier
d’esthétique la déploration de Camille. Corneille dans ce passage utilise aussi « devoir » (v. 6,
18) et « falloir » (v. 11) dans le même ordre d’idées.
Plusieurs constructions impersonnelles sont possibles pour exprimer cette convenance
imaginée et voulue : « Il sied de » + infinitif (ici) ; « Il sied que » + subjonctif.
Avec ou sans « il » impersonnel, diverses connotations sont possibles : « L’ébranlement
sied bien aux plus fermes courages » au début de Horace ; « Quelle offrande sied mieux que celle
de nos pleurs ? » chez Racine dans Athalie. Certaines lexicalisations pourront y faire songer :
bienséant, bienséance, messeoir.
« Seoir » (attesté dès le X
e
siècle) est néanmoins qualifié de vieilli au sens concret dès le
XVII
e
siècle (Richelet), il a été remplacé par son dérivé s’asseoir. Au sens moral et
vestimentaire, convenir et aller l’ont remplacé, le premier appartenant à la famille du très
fréquent venir et le second étant bien sûr très fréquent.
Comme les participes passés et présents sont pris comme adjectifs (il n’est pas séant de,
une couleur seyante, sis), ils peuvent figurer dans les dérivés du simple seoir, aux côtés d’une
longue liste :
– de suffixations : séance (préséance) ;
– de préfixations : asseoir (assise, assiette, rasseoir…), surseoir (sursis, sursitaire…).
D’autres termes remontent à des dérivés d’époque latine : mots savants (obséder,
posséder, présider, session…) ou populaires (selle, siège…).
cœur (vers 17).
Voici un nom commun masculin singulier, prononcé [kœr], [kœ] ou [kœ] selon les
conventions choisies) soit une syllabe. Il possède un homophone : « chœur ».
La bonne graphie du mot exige un « e dans le o », même si l’œil est satisfait de la rime
« cœur / vainqueur ».
Ce mot, simple lui aussi, vient du latin classique cor (peut-être par l’intermédiaire d’une
forme *corem), qui, dans la conception antique, est siège de la vie et des fonctions vitales
cœur, estomac »), des passions et des émotions, des pensées et de l’intelligence, de la mémoire et
de la volonté, comme le grec  (kardía ; I.-E. *kerd).
Le classement des sens présentait une grande importance, même si le sens en contexte
était sans surprise. La langue a progressivement distingué les sens suivants :
I. Sens général. Les progrès de la médecine le définissent maintenant comme « organe
musculaire, creux et pulsatile assurant la circulation sanguine dans le corps humain ou animal »
(T.L.F.). Du coup, certains classent le sens d’« estomac » comme familier et métonymique
avoir mal au cœur », « haut-le-cœur »), parti-pris synchronique. En fait toute la région
épigastrique est désignée par le terme, tantôt notre cœur, tantôt notre estomac…
A. Par métonymie, partie de la poitrine où les battements du cœur se font sentir : « Mettre
la main sur son cœur. »
B. Par analogie de la forme, ce qui figure l’organe : « la bouche en cœur » (au propre et
au figuré : d’une manière affectée) et particulièrement, l’une des quatre enseignes d’un jeu de
cartes () : « Dix de cœur ! »
C. Par analogie de la situation, milieu, centre (parfois symbolique) d’un objet, d’un
endroit : « le cœur d’un réacteur », « une table faite de cœur de noyer », « L’ennemi était au cœur
du royaume. »
II. Sens particuliers. Organe considéré comme susceptible thématiquement de divers
mouvements.
A. Siège des émotions, de l’affectivité : « La joie dilate le cœur. » ; dès le XII
e
siècle,
cœur désigne par métonymie la personne chérie.
B. Siège du désir, de la volonté : « de gaieté de cœur » (1579) ; « à contre(-)cœur »,
« avoir à cœur de faire quelque chose ».
C. Siège du sentiment moral, du courage : « Avoir le cœur sur la main » ; « À cœur
vaillant, rien impossible » (1508) ; « Rodrigue, as-tu du cœur ? » (1637).
D. Siège de l’intelligence ; au XVII
e
siècle, le cœur est spécialement en théologie le siège
de la grâce, permettant la communication avec Dieu : « Le cœur a ses raisons, que la raison ne
connaît point » (Pascal).
E. Siège du souvenir, de la mémoire : « retenir par cœur » (1200).
La famille des dérivés de cœur est large ; trois bases sont utilisées pour l’essentiel :
– cœur- (populaire), dans écœurer, écœurement…
– cour- (populaire), dans courage, décourager, découragement, encourager…
cord- (savante), dans accorder, accord, concorder, concorde, concordance, concordat,
concordataire, désaccord, discorde, cordial (et même accordéon via l’allemand ou record via
l’anglais).
Les composés sont nombreux : accroche-cœur, cache-cœur, crève-cœur, Sacré-Cœur,
sans-cœur…
NB : On doit écarter courroucer (bas latin *corruptiare) et rancœur (lat. class. rancor).
En contexte, on notera que courage, dont la connotation est toujours positive, est
synonyme de cœur dans tous ses emplois figurés jusqu’au XVII
e
siècle, d’autant qu’il figure en
même place au vers précédent, dans les tours parallèles : « son grand courage » / « un si noble
cœur ». C’est justement dans le courant du XVII
e
siècle que courage et cœur se dissocient,
courage connaissant une restriction de sens, alors que cœur a conservé la plupart de ses
acceptions médiévales.
Cependant, le sens du mot au vers 17 est presque indécidable : II.A, II.B, II.C ? Le sens
II.B semble à privilégier, et plus encore l’argumentation qui mènera à l’une ou l’autre de ces
solutions. II.A a pour lui la proximité d’« amour » mais aussi la largeur du sens d’« affectivité » ;
II.B a pour lui l’extériorité apparente de la prudence et du courage, seuls à même de gler selon
le vieil Horace la conduite de Camille ; II.C a pour lui le parallélisme déjà remarqué de la fin des
vers 16 et 17 et l’extériorité apparente de l’« amour » (puisqu’il peut « régner » sur ce cœur).
1.2. Morphosyntaxe (6 points)
Étudiez les infinitifs et les participes du texte.
Introduction
Citons en manière de définition(s) la Grammaire du français de Delphine Denis et Anne
Sancier-Chateau : « l’infinitif entre, avec le participe et le gérondif, dans la catégorie des modes
du verbe non personnels […], non temporels » (s.v. « Infinitif »). Les auteurs distinguent donc
plusieurs infinitifs et plusieurs participes : voix active et passive, aspect accompli et non
accompli, chronologie relative à une forme simple (antériorité de l’infinitif dit « passé »,
concomitance de l’infinitif dit « présent »).
On peut ensuite, avec la Grammaire méthodique du français (G.M.F.), classer les modes
impersonnels par leur désinence : -r pour l’infinitif, -ant pour le participe présent et le gérondif, -
V le plus souvent pour le participe passé (p. 251), et préciser : « Les modes impersonnels et
intemporels, qui ne possèdent pas de désinences pour distinguer les personnes : l’infinitif et le
participe (et le gérondif). Ces modes ne sont pas aptes non plus à situer le procès dans le temps :
c’est le verbe personnel dont ils dépendent ou le contexte qui assurent le repérage temporel. On
considère également l’infinitif et le participe comme des formes nominales du verbe : le premier
possède certaines propriétés du substantif, le second partage des caractéristiques communes avec
l’adjectif qualificatif. » (p. 288).
Marc Wilmet dans sa Grammaire critique du français permet de préciser les valeurs
aspectuelles des formes verbales :
il distingue les formes simple, composée, surcomposée de l’infinitif puis se montre
poète guillaumien : « À l’inexpression de la personne et de l’époque, commune à marcher,
marchant, marché, l’infinitif la forme du verbe la plus proche du nom ajoute le potentiel
inentamé du temps incident et de l’aspect global, qui laissent aux procès leur virtualité
maximale. »
après la même distinction pour le « participe 1 », il précise : « Le temps incident croisée
de temps décadent entame la virtualité du procès, qui, de ce fait, trouve normalement le point de
chute cotextuel d’un nom ou d’un pronom. » L’aspect est pour sa part sécant dans marchant.
après la distinction pour le « participe 2 » entre forme simple et composée, il précise :
« Le temps cadent livre une forme morte du verbe presque inutilisable en discours sans le
support d’un nom ou d’un auxiliaire. » L’aspect est global dans marché.
Diverses questions pouvaient donner forme à l’analyse : ces modes vont-ils ensemble ?
qu’est-ce qui les relie ? qu’est-ce qui prime, le singulier (l’infinitif) ou le pluriel (comme dans
l’intitulé du sujet) ? tiennent-ils du nom ou du verbe ? sont-ils variables ou pas ?
Relevé des infinitifs
1
4
8
12
Ma fille, il n’est plus temps de [ répandre
des pleurs], [1]
Il sied mal d’ [en verser où l’on voit tant
d’honneurs], [2]
On pleure injustement des pertes
domestiques
Quand on [en voit sortir des victoires
publiques]. [3]
Rome triomphe d’Albe, et c’est assez pour
nous,
Tous nos maux à ce prix [nous doivent
être doux]. [4]
En la mort d’un amant vous ne perdez
qu’un homme
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