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Les relations entre seigneurs et paysans au Moyen Age
Alors qu’à partir du IXe siècle, l’insécurité est générale et que le pouvoir royal est
défaillant, se pose la question de la protection et de l’encadrement des populations
essentiellement paysannes, c’est-à-dire de la gestion d’une société sans Etat. La réponse se
trouve dans la mise en place du système seigneurial, encore appelé la féodalité, forme
d’organisation politique et sociale particulière qui connaît son apogée en Occident entre le
IXe et le XIIIe siècle.
Vassalité et féodalité
Deux notions étroitement liées
L’historien médiéviste Robert Fossier1 considère qu’il est impossible de séparer
vassalité et odalité. Le vassal désigne celui qui prête hommage à un seigneur et lui doit
fidélité et services. Mais les liens de fidélité d’homme à homme, qui caractérisent la
vassalité, se traduisent généralement par la donation d’un bien, le fief, par le seigneur à son
vassal. Les liens féodo-vassaliques sont mis en scène par une série de rites : l’hommage (avec
l’immixtio manuum et le baiser de paix), le serment et l’investiture, par laquelle le seigneur,
après avoir reçu le serment de son vassal, lui remet un objet, symbole du fief donné. Dès le
IXe siècle, l’hérédité du fief est acquise. Ainsi se crée une pyramide féodale avec à son
sommet le roi. Mais ce dernier n’est rapidement que le seigneur des seigneurs. Il ne parvient à
sauvegarder son pouvoir que dans le domaine royal, réduit à la région parisienne.
Droits et devoirs
Le seigneur doit protection à son vassal qui est un homme libre. En échange, celui-ci,
selon le fief reçu, doit aide et conseil. Le service militaire est le plus important de ses devoirs.
Composé de l’ost (expédition militaire) et de la chevauchée (expédition plus brève) il peut
être illimité mais très vite, il n’excède pas 40 jours. Le vassal est encore tenu de garder le
château de son seigneur pour un temps déterminé (service d’estage). Trois fois par an, il doit
conseiller le seigneur lorsque celui-ci rend la justice. La rupture du lien de vassalité entraîne
la commise ou confiscation du fief. La félonie est le cas le plus fréquent de commise.
On distingue les vassaux directs des arrière-vassaux ou vavasseurs qui tiennent un
bénéfice d’un seigneur déjà vassal lui-même. Un vassal a la possibilité de prêter hommage à
1 Robert Fossier, Enfance de l’Europe, Paris, PUF, 1982, Tome 1, p.436.
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plusieurs seigneurs, mais, en fonction du fief obtenu, il précise quel est celui qu’il aidera en
priorité. Il lui prête alors un hommage-lige (ou hommage principal) pour le signifier.
Accaparement des droits régaliens par les seigneurs
La déliquescence de l’Empire carolingien, aggravée par les invasions normandes (de
840 à 911) et par les attaques hongroises (au Xe siècle), fait pratiquement de chaque vassal le
maître dans son fief. Il usurpe les pouvoirs régaliens : pouvoir de lever une armée, de rendre
la justice, de percevoir des impôts et, parfois, de battre monnaie. Ainsi l’Etat s’est-il
littéralement pulvérisé en une multitude de petites principautés, les seigneuries, dont le
château, fort, symbolise l’indépendance.
Peut être considéré comme seigneur « tout individu ou toute institution possédant
suffisamment de terres pour vivre largement sans avoir besoin de travailler soi-même et
détenant de ce fait un pouvoir sur les travailleurs la mettant en valeur »2. Les travailleurs sont
en grande majorité des paysans. Après l’an Mille se détache du groupe seigneurial une couche
supérieure, la noblesse, qui repose sur le sang. En dessous d’elle apparaît à la même époque
un autre type social, le chevalier dont l’équipement et l’entretien cessitent un bien foncier
d’au moins 150 ha. Avec eux apparaissent les tournois.
Le grand domaine qu’est la seigneurie devient le fondement de la vie politique,
économique et sociale, le cadre de la vie quotidienne des paysans.
Seigneurs et paysans
Plusieurs types de seigneuries
Il existe plusieurs formes de seigneuries, donc de seigneurs. Par commodité, on
distingue la seigneurie foncière de la seigneurie banale ou justicière. La première est un grand
domaine, constitué de la réserve, que le seigneur conserve pour lui et sur laquelle il fait
travailler des manouvriers et des paysans (système de la corvée), et des tenures, terres qu’il
loue aux paysans moyennent des impôts. Même s’il n’est pas un seigneur banal, la possession
de la terre lui confère des droits sur les personnes qu’il commande.
L’appellation « seigneurie banale » vient du mot ban qui est le droit de contraindre et
de punir, c’est-à-dire de juger et de condamner. En vertu du droit de ban, le seigneur justicier
perçoit les banalités (taxes pour l’utilisation du moulin, du four et du pressoir). En théorie, un
seigneur banal peut ne disposer que de ce droit sans posséder obligatoirement un domaine.
2 Laurent Feller, Paysans et seigneurs au Moyen Age, VIIIe-XVe siècles, Paris, A.Colin, 2007,
p.4-5.
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Mais, comme le fait remarquer Robert Fossier, dans les faits, les deux types de seigneuries
sont souvent intriqués. Comment un seigneur banal pourrait-il exercer le droit de punir sans
disposer de richesses foncières ? C’est pour cette raison qu’a été adopté le concept italien de
seigneurie territoriale qui englobe les deux. Il permet de confondre les détenteurs du sol avec
les maîtres du ban. Un propriétaire placé en situation hégémonique et qui possède une grande
partie du sol détient des pouvoirs de commandement sur tous les hommes s’y trouvant3. Ceux-
ci se manifestent par la présence physique du gibet et du château. Les historiens emploient le
terme de militarisation pour désigner la multiplication des châteaux qui quadrillent l’espace.
On en compte plusieurs dizaines par département.
Différents types de paysans
Les paysans se définissent par la jouissance ou non de libertés, car au Moyen Age, la
conception juridique prime sur les critères économiques. La liberté de disposer de ses biens
durant sa vie comme à sa mort, de conduire sa vie privée, de participer à la guerre, d’être jugé
aux tribunaux publics sont autant de libertés qui définissent les uns et les autres.
En principe, tout est inclus dans la seigneurie y compris les hommes4. La plupart des
paysans vivent dans ce cadre. Mais il existe des alleutiers qui sont propriétaires de leur terre et
qui ne dépendent pas d’un seigneur foncier. Leur situation se dégrade dans la seconde moitié
du XIe siècle, parallèlement au renforcement des contraintes banales. Cependant, tous les
alleux ne passent pas sous contrôle seigneurial. Il continue d’y avoir des patrimoines paysans
indépendants.
A l’autre bout de la société paysanne, il y a ceux qui dépendent si étroitement du
seigneur qu’ils sont attachés à la terre qu’ils cultivent. Ce sont les serfs, des paysans non-
libres. A la différence des esclaves antiques, ils peuvent posséder des biens et leurs maîtres
leur doivent protection. Mais ceux-ci peuvent les vendre, les échanger ou les donner. Les
charges qui pèsent sur eux sont variables selon le maître, la région ou le moment. On pouvait
être plus ou moins libre à l’intérieur même de la servitude. Le XIIIe siècle est marqué par un
mouvement d’affranchissement qui aboutit à l’affaiblissement du servage personnel mais qui
donne naissance à un nouveau servage, lié à la terre qu’on exploite. Si celle-ci est réputée
serve, des taxes spécifiques sont prélevées : le formariage si le serf se marie hors de la
seigneurie, le chevage, taxe fixe personnelle, la mainmorte qui oblige le fils de serf à payer un
droit au seigneur s’il veut hériter de son père, et enfin, la taille à merci, droit du seigneur de
3 Ibid., p.122.
4 Robert Fossier, op.cit., T 1, p.288.
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prendre tout ce qu’il veut à son serf.
Les vilains sont des paysans libres, mais qui ne sont pas propriétaires de leur terre
comme les alleutiers. Ils travaillent les tenures que leur loue le seigneur. Ils paient donc un
loyer composé du cens, redevance généralement fixe et du champart, redevance
proportionnelle à la récolte.
Tous les paysans doivent payer des péages et les banalités mais aussi des taxes sur les
ventes et la consommation de certaines denrées, sur les ventes dans les foires et les marchés.
Ils payent en outre la dîme à l’Eglise. La plupart d’entre eux doivent la taille, exaction
seigneuriale levée par le seigneur banal. En Charente au XIIIe siècle, 60 % de la récolte est
ainsi indisponible à cause de ces différents impôts. Il reste 40 % pour se nourrir, se vêtir,
payer les banalités.
Enfin, les paysans assurent des corvées pour entretenir la seigneurie et travailler sur la
réserve. Elles sont très variables d’une région à l’autre : de 2 jours au Mont Cassin à 2
semaines par an dans les Abruzzes en Italie.
Tout puissant le seigneur néficie aussi de privilèges plus ou moins honorifiques
comme le droit de chasse ou de banvin, c’est-à-dire de ventre le produit de ses vignes avant
les autres producteurs.
Les autres cellules de base
A partir du Xe siècle, le mouvement de militarisation de l’espace s’est doublé d’un
développement des villages, dotés d’une église, d’un terroir stable et bientôt d’institutions.
Pour caractériser ce phénomène social, qui est pour lui le fait majeur du Moyen Age, Robert
Fossier utilise l’expression d’encellulement des hommes, la seigneurie étant la cellule la plus
importante.
Le village naît du rassemblement des maisons et des champs autour de 2 éléments :
l’église et le cimetière. Jusqu’à la fin du Xe siècle, l’habitat est dispersé, les terroirs et les
hommes instables. L’élément principal est le cimetière car le culte des morts fonde le lien
social et, dans les couches supérieures, conforte les lignages. A partir du XI, sous l’influence
de Cluny, la papauté instaure la commémoration du 2 novembre, le lendemain de la fête de
tous les saints. Ainsi se trouvent réunis les morts par excellence que sont les saints et la foule
de tous les autres morts. Les dynasties royales s’empressent de créer des nécropoles :
Bamberg en Allemagne, Fontevrault en Anjou pour les premiers Plantagenêts et Saint-Denis
en France.
La paroisse est stabilisée au XIIIe siècle. Au haut Moyen Age (Ve-Xe siècle), le cadre
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de la vie religieuse était de grandes circonscriptions à l’intérieur d’un diocèse. A partir du Xe,
la paroisse se définit en même temps que le village même si en l’an 1000, une bonne moitié
du monde chrétien n’a pas encore été prise dans les rets paroissiaux.
Les révoltes paysannes
La tension sociale est réelle dans les campagnes européennes. Mais les soulèvements
locaux finissent par conforter le système seigneurial qui n’est jamais contesté dans ses
fondements jusqu’au XIVe siècle. Mais alors et jusqu’au XVe siècle, L’Europe connaît alors
une phase de soulèvements populaires qui remettent en cause l’ordre politique et social.
En France, le mouvement le plus connu est la jacquerie de 1358 mais c’est la plus
énigmatique. Durant quelques semaines, des troupes de paysans tiennent les campagnes de
l’île de France. Les Jacques s’en prennent aux châteaux, assassinent les châtelains violent les
femmes. Un cas d’anthropophagie est même signalé : ayant rôti un seigneur, ils veulent
contraindre sa femme à manger de sa chair.
La Jacquerie est un mouvement anti-nobiliaire au moment de la guerre de cent ans.
Soumis aux exactions des troupes anglaises comme françaises, les paysans ne sont pas
protégés par les seigneurs incapables de maîtriser les pillages. Les Jacques s’attaquent donc
aux nobles parce que ceux-ci ne jouent plus leur rôle alors qu’ils continuent de percevoir les
redevances. En arrière-plan, la question fiscale se profile. Les seigneurs sont accusés d’utiliser
l’argent récolté pour leur luxe et leur bien-être, non pour le bien commun.
Entre le IXe et le XIIIe siècle, la féodalité a permis de pallier la carence du pouvoir
royal dans une période d’insécurité. Pour les paysans qui constituent l’immense majorité de la
population, elle se traduit par la domination des seigneurs. Seuls les alleutiers échappent à
leur emprise, mais ils sont peu nombreux, d’autant moins que l’aggravation de la condition
paysanne est une caractéristique de la période. Elle se manifeste notamment par la
prolétarisation des paysans les plus pauvres sous la forme d’un nouveau servage.
Cependant, la féodalité s’affaiblit progressivement sous l’effet d’un double
mouvement. Depuis le XIe siècle, la construction de l’Etat royal se fait aux dépens de
l’autonomie seigneuriale. Dans les deux derniers siècles du Moyen Age, les malheurs du
temps, en particulier la guerre de cent ans (1337-1453), disqualifient en quelque sorte les
seigneurs parce qu’ils n’assurent plus leur mission de protection qui était la contrepartie de
leur domination politique et économique. Les révoltes paysannes prennent alors un tour anti-
seigneurial.
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