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La Lettre du Sénologue - n° 6 - novembre 1999
i l’on s’en tient aux modalités retenues de la majo-
rité des programmes français, le dépistage mammo-
graphique systématique du cancer du sein n’est
médicalement et économiquement justifié que pour les femmes
âgées de 50 à 69 ans. Décentralisé et triennal, il doit comporter
une seule incidence par sein, quels que soient la densité de
celui-ci, les facteurs de risque et le statut hormonal de la
femme.
Ce protocole devant en principe être appliqué à moyen terme à
l’ensemble de la population, on peut se poser des questions sur
les fondements scientifiques de cette “exception française”,
qui implique a priori de retenir les hypothèses suivantes : les
brusques modifications de l’incidence du cancer du sein et de
l’aspect mammographique à 50 ans font que le dépistage n’est
efficace et médicalement utile qu’à partir de cet âge. Après
70 ans, la réduction de la mortalité par cancer du sein obtenue
par le dépistage mammographique est négligeable. Une seule
incidence mammographique est suffisante pour le dépistage,
quels que soient le type de sein et le statut hormonal de la
femme. Le taux des cancers de l’intervalle est négligeable dans
la population ciblée quand la périodicité du dépistage est trien-
nale. Nous allons brièvement analyser, à partir de données
publiées récemment, la validité de ces assertions ainsi que les
estimations des coûts et bénéfices du dépistage pour les
femmes qui en sont exclues, car trop jeunes ou trop âgées.
Y a-t-il un seuil d’apparition du cancer mammaire à l’âge de
50 ans ?
Selon les statistiques de 1997 de l’INSERM, l’incidence
annuelle du cancer du sein pour 100 000 femmes est de 119,7
de 40 à 44 ans, de 187,3 de 45 à 49 ans, de 177,3 de 50 à
54 ans, de 182,8 de 55 à 59 ans, de 211,3 de 60 à 64 ans et de
220 de 65 à 69 ans (1). Aux États-Unis, la fréquence du cancer
du sein augmente régulièrement avec l’âge (2). Ces chiffres
montrent clairement qu’il n’y a pas de seuil d’apparition du
cancer du sein à 50 ans.
Le dépistage du cancer du sein a-t-il une utilité avant l’âge de
50 ans ? En France, la part du cancer du sein dans la mortalité
des femmes est de 13 % de 40 à 44 ans (387 décès), de 17 %
de 45 à 49 ans (589 décès) et de 50 à 54 ans (671 décès), de
16 % de 55 à 59 ans (982 décès), de 12 % de 60 à 64 ans
(1 163 décès) et de 9 % de 65 à 69 ans (1 285 décès) (3). Pour
une femme jeune, le dépistage mammographique est donc, à
l’évidence, utile, à condition qu’il soit efficace, c’est-à-dire
qu’il réduise substantiellement la mortalité par cancer du sein
et que le rapport entre ses bénéfices et ses éventuels effets
délétères soit favorable.
L’image mammographique change-t-elle brusquement à
l’âge de 50 ans ?
L’image mammographique dépend des proportions respectives
en tissu graisseux, radiotransparent, et en parenchyme mam-
maire, plus dense et de tonalité hydrique. Les variations anato-
miques sont innombrables et l’âge d’une femme ne peut pas
être estimé correctement d’après son image mammographique.
Stomper a montré que les densités parenchymateuses vues en
mammographie décroissaient progressivement de 25 à 79 ans
(p < 0,01) (4). À 50 ans, il n’y a pas de modification de la den-
sité mammaire dont on puisse tirer argument pour commencer
le dépistage à cet âge plutôt qu’à 40 ans (4). De plus, la valeur
prédictive des biopsies chirurgicales ne change brusquement à
aucun moment entre 40 et 79 ans et augmente régulièrement
avec l’âge de la femme, de même que la probabilité qu’elle
soit atteinte d’un cancer du sein (5).
Le dépistage du cancer du sein est-il inefficace avant l’âge de
50 ans ?
Les méta-analyses des programmes randomisés ont longtemps
fait croire que le dépistage mammographique ne réduisait la
mortalité par cancer du sein qu’à partir de l’âge de 50 ans. Les
données colligées provenaient en effet de programmes totale-
ment obsolètes ou ayant un protocole inadapté aux femmes
jeunes ou des résultats biaisés par l’association d’un examen
clinique à la mammographie (6). Trente-deux ans après la clô-
ture du Health Insurance Plan, et alors qu’on dispose des
résultats significatifs et irréfutables de programmes randomi-
sés modernes, on ne peut plus fonder la stratégie du dépistage
sur des données périmées, encore prises en compte dans cer-
taines publications récentes. Dans le programme des “Deux
comtés”, 52 % des tumeurs des seins denses ont été décelées
par le dépistage et une forte proportion de tumeurs agressives a
été observée dans des seins radio-transparents. Les 26 % de
femmes de 40 à 49 ans ayant des seins denses n’ont pas dimi-
nué notablement l’efficacité du dépistage (7). Dans l’essai ran-
domisé suédois de Gothenburg, où les mammographies effec-
Dépistage du cancer du sein avant 50 ans
et après 70 ans
Henri Tristant*
S
* Radiologiste, 75007 Paris.
tuées tous les 18 mois comportaient deux incidences par sein,
la réduction de mortalité a atteint 44 % chez les femmes âgées
de 40 à 49 ans invitées au dépistage, avec un recul moyen de
12 ans (8). À Malmö, avec un recul de 12,7 ans, elle a été de
36 % pour les femmes âgées de 45 à 49 ans (9). De plus, la
méta-analyse des programmes n’ayant pas comporté d’examen
clinique [ce qui permet d’évaluer directement le bénéfice dû à
la mammographie et d’éviter les biais de randomisation (10)] a
montré une réduction de mortalité de 29 % pour les femmes de
40 à 49 ans invitées (11). Comme le souligne l’American Can-
cer Society, les critères d’efficacité du dépistage de 40 à 49 ans
sont ceux qui ont fait conclure qu’il apportait un bénéfice à
partir de 50 ans (12).
Le risque de développer un cancer mammaire diminue-t-il à
l’âge de 70 ans ?
D’après les statistiques publiées en 1997 par l’INSERM,
l’incidence annuelle du cancer du sein pour 100 000 femmes
est de 232,1 entre 70 et 74 ans et de 220,4 après 75 ans (1).
Pour 100 000 femmes, le nombre annuel de décès par cancer
du sein est de 1 188 entre 70 et 74 ans et de 964 entre 75 et
79 ans (3). L’analyse de la répartition par âges des différents
stades tumoraux révèle que les cancers du sein sont détectés
plus tard après 70 ans qu’entre 50 à 69 ans, avec respective-
ment 33 % et 23 % de stades III ou IV (13). Ces chiffres mon-
trent que la fréquence du cancer du sein continue à augmenter
après l’âge de 69 ans, mais que son diagnostic est plus tardif,
ce qui compromet les chances de guérison.
Le programme randomisé suédois des Deux comtés, ciblé sur
les femmes âgées de 40 à 74 ans, a prouvé son efficacité. Chez
les femmes âgées de 70 ans ou plus, il a révélé 4,8 fois plus de
cancers qu’en consultation spontanée (14). À Nimègue, les
patientes âgées de plus de 65 ans qui avaient bénéficié du
dépistage avaient de plus petites tumeurs et une plus faible
prévalence de métastases ganglionnaires axillaires que les
femmes non dépistées (15).
Pour ces raisons, le groupe d’experts réunis à l’issue du
19eCongrès de la Société française de sénologie et de patholo-
gie mammaire, consacré au cancer du sein de la femme âgée
de plus de 70 ans, a recommandé le dépistage mammogra-
phique organisé ou individuel, biennal ou triennal entre 70 ans
et 75 ans, en le couplant à une information des médecins géné-
ralistes. Un examen clinique annuel, également recommandé,
pourrait être couplé à une action de santé publique, comme la
vaccination contre la grippe (16).
La périodicité de trois ans est-elle justifiée ?
Plus on allonge la périodicité du dépistage, plus on augmente
le taux des cancers de l’intervalle (17). Un dépistage biennal
ou triennal ne permet d’obtenir une réduction de mortalité que
pour les tumeurs de pronostic favorable ou intermédiaire. De
40 à 49 ans, les tumeurs sont plus agressives, et Fagerberg
estime que l’avance au diagnostic due au dépistage mammo-
graphique est de 12 mois, ce qui incite à adapter en consé-
quence la périodicité du dépistage (18). Pour Tabar, la durée
de la phase préclinique serait de 1,7 an de 40 à 49 ans au lieu
de 3,5 ans de 50 à 74 ans (7). Le temps de doublement moyen
du volume tumoral serait de 178 jours dans le groupe le
plus jeune au lieu de 255 jours après 50 ans. Selon les calculs
de Johnson, le développement tumoral serait beaucoup plus
rapide, un doublement de volume en 26 jours chez les femmes
âgées de 50 à 64 ans lui paraissant plausible (19). Il en déduit
que la périodicité de trois ans adoptée par le National Institute
of Health britannique est trop longue. Chez les femmes âgées
de plus de 64 ans, le dépistage mammographique annuel révé-
lant des tumeurs significativement plus petites et moins évo-
luées que les cancers détectés par le dépistage biennal, Field
considère qu’il s’agit d’un argument en faveur de la périodicité
annuelle (20).
L’incidence mammographique unique est-elle suffisante ?
Une étude britannique randomisée, réalisée chez
40 163 femmes âgées de 50 à 64 ans, a montré qu’avec deux
incidences, le taux des cancers supplémentaires détectés par la
mammographie était de 24 % et la proportion de femmes
reconvoquées était inférieure de 15 %. La convergence des
évaluations de l’efficacité respective de l’incidence unique et
de la double incidence est si forte qu’il existe un accord pro-
fessionnel général pour préconiser cette seconde modalité.
C’est ainsi que le US Department of Health and Human Ser-
vices en 1994 (22) et la Communauté européenne en 1996 (23)
ont publié des recommandations concordantes : la mammogra-
phie de dépistage devrait comporter deux incidences standards,
oblique latérale externe et face cranio-caudale. Les incidences
complémentaires (profil, agrandissement direct, cliché tangen-
tiel) sont réservées à des cas particuliers. En revanche, il est
nécessaire de légèrement surexposer les clichés, même si leur
aspect semble alors moins “flatteur”, car cette surexposition
améliore la détection des petits cancers dans les seins denses
(24).
Le passage à deux incidences est-il dangereux ?
L’augmentation de la dose qui résulte de la double incidence
est d’autant plus justifiée que l’effet carcinogène des radiations
ionisantes s’exerce surtout sur les seins des très jeunes
femmes. Le suivi à long terme des enfants et des adolescentes
dont les seins ont reçu de fortes doses de radiations ionisantes
dans leur jeune âge a montré que la radiosensibilité mammaire
serait très forte de 0 à 19 ans, puis qu’elle chuterait brusque-
ment entre 20 et 29 ans et resterait stable ensuite (25). De plus,
le dépistage par une seule incidence est insuffisant chez les
femmes ménopausées sous traitement substitutif, car celui-ci
augmente la densité mammaire dans 15 à 40 % des cas selon
les études (26). Quoi qu’il en soit, d’après les calculs de
Mettler, le bénéfice apporté par la mammographie surpasserait
le risque de carcinogenèse quel que soit l’âge (27).
Le rapport coût/efficacité du dépistage s’inverse-t-il aux
âges de 50 et 70 ans ?
À la différence de Salzmann (28), qui fonde son évaluation des
coûts et des bénéfices du dépistage sur les résultats de pro-
grammes anciens, Rosenquist (29) et Heimann (30) prennent
en compte, dans des publications plus récentes, les résultats
actualisés des dépistages mammographiques modernes. Ces
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résultats sont très en faveur d’un dépistage du cancer du sein à
partir de l’âge de 40 ans, même en l’absence de facteur de
risque familial. Comme le remarque Heimann, si le dépistage
mammographique du cancer du sein est plus difficile chez les
femmes jeunes, il en est de même pour le dépistage clinique, et
les années de vie gagnées sont particulièrement précieuses à un
âge où les responsabilités professionnelles et familiales sont
importantes. Pour les femmes qui ont dépassé l’âge de 69 ans,
l’efficacité du dépistage est également prouvée. L’espérance
de vie augmentant d’un trimestre par an depuis plusieurs
années, il est légitime de repousser en conséquence l’âge du
dépistage, tout en tenant compte, bien entendu, de la comorbi-
dité.
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