La Lettre du Cardiologue - n° 319 - octobre 1999
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DOSSIER
de la littérature sont cependant discordantes [3 % pour Maher
(10),20 à 30 % pour Schott (11) et Raine (12)].
Peu de données concernent le délai d’apparition des calcifica-
tions aortiques et leur évolutivité. Dans un travail personnel récent
(13, 13bis), un groupe de 112 patients a été suivi par échocar-
diographie ; l’âge moyen était de 59 ± 16 ans ; ils étaient tous
hémodialysés par une FAV, avec une durée de dialyse de 6,3 ±
5,ans. Les néphropathies concernées sont diverses, sans prédo-
minance étiologique (15 néphro-angioscléroses, 28 glomérulo-
néphrites chroniques, 13 népropathies interstitielles, 9 polykys-
toses, 7 néphropathies congénitales et 33 insuffisances rénales
chroniques d’origine indéterminée). Ces patients ont été suivis
par une échocardiographie annuelle et aucun d’entre eux ne pré-
sentait, en début d’étude, de calcifications sténosantes aortiques.
Parallèlement aux données échographiques, nous avons comparé
les données cliniques et biologiques. Le bilan phosphocalcique
avec dosage de PTH a fait l’objet d’une étude particulièrement
attentive (calcium plasmatique, phosphore plasmatique, produit
phosphocalcique, taux d’alumine, la fraction 1-84 de la parathy-
roïde hormone, les phosphatases alcalines osseuses, la vitamine
D (25-OH D3). Sur cette population, 16 patients, soit 14 %, ont
développé une sténose aortique orificielle avec une surface infé-
rieure à 1 cm2.
La prédominance masculine est manifeste (13 hommes soit
19 % de la population pour 3 femmes soit 7 %). Il s’agit de patients
dont le temps de dialyse est supérieur à 9 ans. Aucun des facteurs
tels que l’HTA, le degré d’anémie, le débit de fistule, l’origine de
l’IRC n’apparaît comme facteur prédisposant. Huit des patients
porteurs d’un RAC serré, soit 50 %, sont décédés de complica-
tions cardiovasculaires : 2 dans les suites immédiates du rempla-
cement valvulaire, 5 de défaillance cardiaque, 2 de mort subite.
Deux des quatre patients opérés ont survécu et ont bénéficié d’une
prothèse mécanique, une bioprothèse étant déconseillée en rai-
son d’un risque accru de dégénérescence.
Le caractère très évolutif est caractéristique de cette popu-
lation : l’augmentation annuelle du gradient moyen est de 13
mmHg, avec une diminution moyenne de la surface de 0,3 cm2
par an. Chez un patient de 40 ans, le gradient moyen aortique
est passé de 20 à 55 mmHg et la surface de 2,2 à 0,6 cm2en
moins d’un an.
À cette sténose calcifiante aortique s’associe dans trois quarts des
cas une calcification de l’anneau mitral. Chez les patients ne déve-
loppant pas de sténoses aortiques, 45 % des hémodialysés ont,
au terme de cette étude, une calcification de l’anneau mitral.
Dans les études de la littérature, la progression des sténoses aor-
tiques d’une population générale se fait de façon linéaire avec
une progression moyenne de 0,1 cm2par an (14). Ces résultats
ont été obtenus, pour les premiers, par des méthodes invasives et,
plus récemment, les travaux d’Otto (15) retrouvent une progres-
sion linéaire et lente. Il semble donc que chez l’hémodialysé, cette
évolution se fasse trois fois plus vite que dans une population non
hémodialysée.
Aucune atteinte des valves tricuspide ou pulmonaire n’a jamais
été signalée ; en revanche, chez deux patientes, l’évolution s’est
faite vers un rétrécissement mitral sténosant dont une a nécessité
un remplacement valvulaire mitral.
Les corrélations avec les résultats biologiques du métabolisme
phosphocalcique sont particulièrement intéressantes ; alors
qu’il est habituellement admis que les dépôts calcaires extras-
quelettiques, et en particulier valvulaires, sont secondaires à une
hyperparathyroïdie (16), nos constatations sont différentes. Si
tous ces patients ont des désordres sévères du bilan phosphocal-
cique, il s’agit dans tous les cas d’une augmentation du produit
phosphocalcique liée à une augmentation de la phosphorémie et
non de la calcémie. Cette augmentation du produit phosphocal-
cique s’avère en rapport dans 62 % des cas avec une hypopara-
thyroïdie (PTH abaissée, taux bas de phosphatases alcalines) et,
seulement dans 37 % des cas, cette hyperphosphorémie est secon-
daire à une hyperparathyroïdie. La concentration plasmatique en
25-OH D3est également anormalement élevée.
Ce tableau s’associe dans 62 % des cas à une “dysplasie osseuse
adynamique” (17) avec baisse du capital osseux, confirmée par
ostéodensitométrie. Ces hémodialysés se comportent comme s’ils
n’étaient plus capables de fixer le calcium sur leur masse osseuse,
des dépôts extrasquelettiques se retrouvant, entre autres, au niveau
des valves aortiques.
Cette hypothèse est d’autant plus intéressante que des études
comparables ont été réalisées dans des populations non dia-
lysées avec un rétrécissement aortique dégénératif et présentant
le même tableau de “dystrophie osseuse adynamique” ; cette
hypothèse permettrait d’envisager une étiologie possible et
d’éventuelles conséquences thérapeutiques sur les rétrécisse-
ments aortiques dits dégénératifs de ces patients âgés non insuf-
fisants rénaux (18, 19).
Le pronostic de ces rétrécissements aortiques est défavorable
puisque 8 patients sur 16 sont décédés; cette évolution s’explique
par une mauvaise tolérance hémodynamique du rétrécissement
aortique (surcharge hydrosodée entraînant rapidement une
défaillance ventriculaire gauche, altération précoce de la fonc-
tion diastolique chez l’HD souvent hypertendu, désordres hydro-
électrolytiques pouvant ajouter un risque rythmique).
Si certains rétrécissements aortiques serrés peuvent être parfai-
tement asymptomatiques dans la population générale (15), ceux
des HD sont rapidement symptomatiques. Les HD de longue date
paraissent plus exposés ; cette donnée est en accord avec la litté-
rature, où l’apparition de calcifications (aortiques et/ou anneau
mitral) est liée à la durée de dialyse (8, 9, 10). Les hommes sont
plus fréquemment exposés que les femmes, mais cette patholo-
gie a également une prédominance masculine dans la population
générale non dialysée.
LA FONCTION VENTRICULAIRE GAUCHE CHEZ L’HÉMODIA-
LYSÉ CHRONIQUE PAR ÉCHOCARDIOGRAPHIE
L’étude de la fonction ventriculaire gauche chez l’HD dépend des
paramètres spécifiques à chaque patient précédemment détaillés.
L’échocardiographie est le moyen idéal pour suivre ces patients
soumis pendant des dizaines d’années à des variations perma-
nentes de volémie. La question “existe-t-il une cardiopathie uré-
mique?” a fait l’objet de nombreuses controverses (20, 21, 22).
Les études échocardiographiques permettent de mettre en évi-
dence une dilatation des cavités auriculaire et ventriculaire
gauches, une augmentation de la masse myocardique avec une