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Écho des congrès
Écho des congrès
Une prise en charge instantanée,
symptomatique, immédiate et des
urgences a pourtant été la règle jus-
qu’à cette dernière décennie, comme
l’a rappelé S. Kannas, de la Mission
nationale d’appui en santé mentale.
Elle a notamment assuré une fonction
régulatrice au service des établisse-
ments, mais actuellement elle se
montre inadaptée à la réalité de terrain
et à l’exigence d’augmenter la qualité
des premiers soins. Évitant de céder à
l’impulsivité ou au défaitisme institu-
tionnel, des équipes plaident pour une
redéfinition du travail de l’urgence
vers une meilleure intégration de ce
dernier avec le suivi, mais aussi en vue
d’une meilleure efficience intrinsèque
et d’une meilleure adaptabilité aux
besoins des patients. Le modèle du
travail de crise, développé notamment
par l’école de Genève (A. Andréoli)
apparaît aujourd’hui comme celui qui
peut répondre à cette double exigence
de faire face à une dynamique urgente
dans un espace de temps très limité,
tout en posant les bases d’un suivi à
court terme opérant. Ce concept de
crise est déterminant dans la pratique,
car il sous-tend une exigence de réus-
site de l’intervention d’urgence, en
instaurant un processus continu qui lui
succède immédiatement, dans le cadre
d’une réponse graduelle dans le temps
et dans l’espace. Cela consiste, entre
autres, à donner du temps à une situa-
tion qui est définie comme n’en dispo-
sant pas. Cela peut se concrétiser par
l’hospitalisation systématique sur des
lits portes spécifiques de la prise en
charge des tentatives de suicide, pen-
dant quelques jours, comme le suggè-
rent les conclusions de la dernière
conférence de consensus sur la crise
suicidaire. Selon V. Dubois (Bruxelles),
l’accueil de crise, dans sa dimension
de disponibilité, ne doit pas faire
oublier la dimension du travail de la
demande. Il convient de discerner ces
deux aspects de la gestion initiale de
l’urgence, en les adaptant à des
publics-cibles très différents, de
rechercher les lieux les plus propices
en tenant compte des disparités de ter-
rain, de gérer le temps de la crise
autrement que dans l’attente passive
de solutions alternatives.
Un des écueils possibles est de mal
délimiter l’action du service des
urgences sur l’après-urgence et l’orga-
nisation du suivi. La raréfaction des
lits d’hospitalisation disponibles, les
difficultés de mise en place de réseaux
ambulatoires intégrant services
sociaux, associations et structures de
soins, les relations peu développées
avec les autres services de l’hôpital
général sont autant de contraintes
d’aval qui peuvent isoler le service des
urgences et l’amener à une autogestion
nuisible à une dynamique de réseau.
Selon S. Lamarre (Montréal), il appar-
tient à l’urgentiste de freiner d’emblée
ses ardeurs thérapeutiques pour
prendre le leadership des acteurs
impliqués dans le problème multi-
dimensionnel du patient. Il est souvent
utopique de croire qu’un dénouage
complet de situations très critiques
peut s’effectuer en quelques heures
d’observation. Apprendre à utiliser
diverses stratégies tout en affirmant
aux différents protagonistes ses
propres limites d’intervention, obtenir
des engagements minimaux de la part
des patients, viser à établir une amorce
de relation de confiance sont des
tâches déjà ambitieuses. Au cours des
séances plénières et des ateliers de ces
journées, le risque de se retrouver “en
bout de chaîne” était vécu et rapporté
par plusieurs intervenants.
Cette pression pour une psychiatrie
d’urgence rapide et de qualité
implique une coévolution des diffé-
rents partenaires, qui rapproche leur
tempo d’intervention, afin qu’il soit et
demeure adapté aux besoins évolutifs
du patient. Il est manifeste que ce
travail a pris du retard, car, si les sec-
teurs et les intersecteurs travaillent à
leur évolution propre, si les centres
d’accueil d’urgence se développent et
s’intègrent à l’hôpital général, si les
réseau préhospitaliers cherchent à
s’associer, ces différentes mutations
sont encore parallèles et ne se recou-
pent pas suffisamment. Ainsi, la méde-
cine générale se sent encore coupée de
l’urgence hospitalière, mal préparée
au tri préalable, et des actions de for-
mation de ces acteurs, leur intégration
aux décisions de suivi accélèrent la
prise en charge et améliorent son effi-
cience. C’est ce qu’illustrait X. Bouzas
à propos d’une campagne de forma-
tion menée auprès des généralistes par
les urgentistes dans la région de
Gerona. Trop souvent, ceux qui sont
en charge de l’urgence, défenseurs du
modèle de crise, oscillent entre
recherche de maîtrise de leur destin et
allégeance au secteur, sans forcément
trouver une voie médiane. Comme le
soulignent les leaders de cette
approche, il ne suffit pas de se reven-
diquer “centre de crise” pour que cette
approche prenne du sens chez nos par-
tenaires.
Le sentiment global qui émergeait de
ces journées de l’AFERUP est que
l’urgence évolue très vite : dans sa
nature, dans sa gestion, face aux pres-
sions de l’environnement, dans une
réalité budgétaire hospitalière et de
réseau difficile. On peut longtemps se
demander si nos pratiques actuelles
sont adaptées à l’éthique de soins, aux
multiples demandes sociales et fami-
liales, aux possibilités de suivi psy-
chiatrique et social. Mais au-delà de la
réactualisation des missions de soins
et des pratiques, c’est par une plus
grande maîtrise des actions en réseau,
un partage des savoirs et des pratiques
innovantes, une sollicitation de nos
partenaires sur ce que nous croyons
être efficace pour l’usager que la psy-
chiatrie d’urgence sortira de l’ornière
où elle a été ancrée.
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (20), n° 3, avril 2003