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L’urgence psychiatrique :
pressions d’amont, contraintes d’aval
14es Journées de l’AFERUP (Nice, 17-18 janvier 2003)
M. Benoit*
Le thème de ces journées – L’urgence
psychiatrique : pressions d’amont,
contraintes d’aval – était explicite sur
la situation actuelle des services
concernés, au risque d’être polémique.
Faire face à des demandes multiples,
forcément pressantes et trouver des
solutions toujours plus adaptées et
rapides, en partenariat avec de nombreux acteurs sociaux et sanitaires est,
en soi, un défi. Afin de cerner ces
difficultés, on peut subdiviser le schéma de l’urgence sur un mode chronologique afin de voir les différents
facteurs en cause à chaque niveau, et
les modalités d’adaptation qui en
découlent.
La première phase de l’urgence est en
amont de l’urgence, conditionnée par
des facteurs personnels mais surtout
environnementaux et sociaux. Dans
une perspective sociologique, A. Lovell,
membre du groupe dirigé par
A. Ehrenberg, a rappelé les conflits de
priorité qui peuvent naître d’une
méconnaissance des besoins des interlocuteurs, de leurs limites, des lacunes
de l’intégration entre secteurs sociaux,
collectivités territoriales et services de
soins. Ces phénomènes ne sont certes
pas nouveaux dans leur essence, mais
la majorité des intervenants se sont
accordés à constater leur aggravation
et l’augmentation de clivages entre les
différents acteurs. La relative nouveauté de certaines demandes, par
exemple en psychotraumatologie
(D. Cremniter) ou en matière d’exclu-
* Clinique de psychiatrie et de psychologie médicale, CHU Pasteur, Nice.
sion sociale, ne paraît pas suffisante
pour expliquer ce sentiment de pression ressenti par les urgentistes qui,
dès lors, cherchent des modèles de
prise en charge adaptés. Ces difficultés se retrouvent, par exemple, amplifiées en psychiatrie de l’enfant et de
l’adolescent. Les intervenants de ce
domaine (J.F. Roche, D. Perisse) ont
mis en avant la difficulté de faire face
à la croissance des urgences médicosociales intriquées, pour lesquelles on
attend de l’urgentiste plus une réponse
qu’une réflexion. Le risque est important dans ce domaine d’agir avant de
penser, à la manière des jeunes patients
admis après un passage à l’acte. On peut
retrouver les mêmes phénomènes en
psychogériatrie, branche peu investie
par nos structures, à contre-courant de
la démographie.
Beaucoup d’intervenants considèrent
que le travail de l’urgence débute bien
avant l’urgence, par une recherche de
dénouage précoce des situations de
crise, par une implication rapide et
répétée des secteurs et du réseau médico-social, par une reconnaissance
mutuelle des compétences et limites
de chacun. Les expériences d’intervention sur le terrain (notamment du
groupe ERIC) démontrent bien que la
psychiatrie peut aussi sortir de l’hôpital dans des contextes d’urgence et
éviter parfois des adressages intempestifs à l’hôpital, réorientant de façon
différée sur des structures décentralisées. Si la place de chacun est assez
bien définie à l’intérieur de l’hôpital,
les champs de compétence à l’extérieur peuvent être plus flous, en particulier pour tout ce qui concerne
l’interface avec les missions du secteur. Il existe des différences fonda-
À
l’interface de l’espace social
et du secteur sanitaire, la
psychiatrie d’urgence joue
un rôle de premier ordre dans la chaîne
de soins, mais bien difficile dans le
contexte actuel. Les enjeux de la
place actuelle des urgences psychiatriques ont été au centre des débats
des 14es Journées de l’AFERUP
(Association francophone d’étude et
de recherche sur les urgences
psychiatriques) qui se sont déroulées
à Nice les 17 et 18 janvier derniers.
Les relations de l’urgence avec l’environnement social et sanitaire ainsi
qu’avec les structures hospitalières, la
place des équipes soignantes face à
des demandes multiples, la prise en
charge de situations spécifiques
(jeunes, sujets âgés, traumatismes
psychiques) et l’évolution des
approches pharmacologiques ont,
notamment, été abordées.
mentales entre secteur et urgences
psychiatriques, comme l’a souligné
G. Vaiva (Lille). Elles tiennent avant
tout à une temporalité différente, le
secteur étant tourné vers la cité et travaillant sur un temps long, l’urgence
étant plutôt hospitalo-centrée, travaillant en flux tendu avec ses propres
réseaux. Un “PACS” établi entre le
secteur et l’urgence est pourtant
nécessaire, car l’historique de ces
deux entités est étroitement lié. Après
la période du secteur totalement responsable de ses urgences (comme le
stipulent les textes réglementaires),
des centres d’accueil permanents coupés des services qui les ont souvent
créés, l’orientation actuelle va vers un
service d’urgences psychiatriques
mieux intégré à l’hôpital général, mais
aussi aux réseaux psychiatriques,
développant en leur nom des partenariats avec des structures extérieures,
plus souples dans leur fonctionnement.
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Écho des congrès
Écho des congrès
Une prise en charge instantanée,
symptomatique, immédiate et des
urgences a pourtant été la règle jusqu’à cette dernière décennie, comme
l’a rappelé S. Kannas, de la Mission
nationale d’appui en santé mentale.
Elle a notamment assuré une fonction
régulatrice au service des établissements, mais actuellement elle se
montre inadaptée à la réalité de terrain
et à l’exigence d’augmenter la qualité
des premiers soins. Évitant de céder à
l’impulsivité ou au défaitisme institutionnel, des équipes plaident pour une
redéfinition du travail de l’urgence
vers une meilleure intégration de ce
dernier avec le suivi, mais aussi en vue
d’une meilleure efficience intrinsèque
et d’une meilleure adaptabilité aux
besoins des patients. Le modèle du
travail de crise, développé notamment
par l’école de Genève (A. Andréoli)
apparaît aujourd’hui comme celui qui
peut répondre à cette double exigence
de faire face à une dynamique urgente
dans un espace de temps très limité,
tout en posant les bases d’un suivi à
court terme opérant. Ce concept de
crise est déterminant dans la pratique,
car il sous-tend une exigence de réussite de l’intervention d’urgence, en
instaurant un processus continu qui lui
succède immédiatement, dans le cadre
d’une réponse graduelle dans le temps
et dans l’espace. Cela consiste, entre
autres, à donner du temps à une situation qui est définie comme n’en disposant pas. Cela peut se concrétiser par
l’hospitalisation systématique sur des
lits portes spécifiques de la prise en
charge des tentatives de suicide, pendant quelques jours, comme le suggèrent les conclusions de la dernière
conférence de consensus sur la crise
suicidaire. Selon V. Dubois (Bruxelles),
l’accueil de crise, dans sa dimension
de disponibilité, ne doit pas faire
oublier la dimension du travail de la
demande. Il convient de discerner ces
deux aspects de la gestion initiale de
l’urgence, en les adaptant à des
publics-cibles très différents, de
rechercher les lieux les plus propices
en tenant compte des disparités de terrain, de gérer le temps de la crise
autrement que dans l’attente passive
de solutions alternatives.
Un des écueils possibles est de mal
délimiter l’action du service des
urgences sur l’après-urgence et l’organisation du suivi. La raréfaction des
lits d’hospitalisation disponibles, les
difficultés de mise en place de réseaux
ambulatoires intégrant services
sociaux, associations et structures de
soins, les relations peu développées
avec les autres services de l’hôpital
général sont autant de contraintes
d’aval qui peuvent isoler le service des
urgences et l’amener à une autogestion
nuisible à une dynamique de réseau.
Selon S. Lamarre (Montréal), il appartient à l’urgentiste de freiner d’emblée
ses ardeurs thérapeutiques pour
prendre le leadership des acteurs
impliqués dans le problème multidimensionnel du patient. Il est souvent
utopique de croire qu’un dénouage
complet de situations très critiques
peut s’effectuer en quelques heures
d’observation. Apprendre à utiliser
diverses stratégies tout en affirmant
aux différents protagonistes ses
propres limites d’intervention, obtenir
des engagements minimaux de la part
des patients, viser à établir une amorce
de relation de confiance sont des
tâches déjà ambitieuses. Au cours des
séances plénières et des ateliers de ces
journées, le risque de se retrouver “en
bout de chaîne” était vécu et rapporté
par plusieurs intervenants.
Cette pression pour une psychiatrie
d’urgence rapide et de qualité
implique une coévolution des différents partenaires, qui rapproche leur
tempo d’intervention, afin qu’il soit et
demeure adapté aux besoins évolutifs
du patient. Il est manifeste que ce
travail a pris du retard, car, si les secteurs et les intersecteurs travaillent à
leur évolution propre, si les centres
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (20), n° 3, avril 2003
d’accueil d’urgence se développent et
s’intègrent à l’hôpital général, si les
réseau préhospitaliers cherchent à
s’associer, ces différentes mutations
sont encore parallèles et ne se recoupent pas suffisamment. Ainsi, la médecine générale se sent encore coupée de
l’urgence hospitalière, mal préparée
au tri préalable, et des actions de formation de ces acteurs, leur intégration
aux décisions de suivi accélèrent la
prise en charge et améliorent son efficience. C’est ce qu’illustrait X. Bouzas
à propos d’une campagne de formation menée auprès des généralistes par
les urgentistes dans la région de
Gerona. Trop souvent, ceux qui sont
en charge de l’urgence, défenseurs du
modèle de crise, oscillent entre
recherche de maîtrise de leur destin et
allégeance au secteur, sans forcément
trouver une voie médiane. Comme le
soulignent les leaders de cette
approche, il ne suffit pas de se revendiquer “centre de crise” pour que cette
approche prenne du sens chez nos partenaires.
Le sentiment global qui émergeait de
ces journées de l’AFERUP est que
l’urgence évolue très vite : dans sa
nature, dans sa gestion, face aux pressions de l’environnement, dans une
réalité budgétaire hospitalière et de
réseau difficile. On peut longtemps se
demander si nos pratiques actuelles
sont adaptées à l’éthique de soins, aux
multiples demandes sociales et familiales, aux possibilités de suivi psychiatrique et social. Mais au-delà de la
réactualisation des missions de soins
et des pratiques, c’est par une plus
grande maîtrise des actions en réseau,
un partage des savoirs et des pratiques
innovantes, une sollicitation de nos
partenaires sur ce que nous croyons
être efficace pour l’usager que la psychiatrie d’urgence sortira de l’ornière
où elle a été ancrée.
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