Situation de la Corneille noire Corvus corone, de la Pie bavarde Pica pica et de la Perruche à collier Psittacula krameri dans la Région de Bruxelles-Capitale Septembre 2003 W. Courtens, O. Beck, B. Van Der Wijden, J.-Ch. Prignon & M. Gryseels Bruxelles Environnement-IBGE, Division Espaces Verts Gulledelle 100, 1200 Bruxelles 1. Etat de la question Le problème de la prolifération (prétendue ou non) de certaines espèces d’oiseaux dans la Région de Bruxelles-Capitale requiert des explications approfondies: non seulement il y a beaucoup de malentendus, mais en plus, il convient de faire la distinction entre les espèces indigènes et exotiques. 1.1 Prolifération La ‘prolifération’ (reproduction rapide, expansion) de certaines espèces, souvent qualifiées de ‘nuisibles’, fait l’objet de nombreuses discussions dans le cadre de la gestion de la nature et des espaces verts en Région de Bruxelles Capitale. Les termes tels que ‘prolifération’ et ‘nuisible’ ont toutefois une connotation très subjective et sont difficiles à définir de façon objective et scientifique. Par ‘prolifération d’une espèce’, on entend généralement l’accroissement de la population d’une espèce au-delà du niveau pouvant être considéré comme ‘normal’. La difficulté réside toutefois dans la définition de ce que l’on peut considérer comme ‘normal’. Un principe biologique général est que, dans des conditions naturelles, une espèce donnée ne peut pas croître au détriment de la ou des espèces dont elle se nourrit, étant donné que la diminution de ces espèces nourricières entraîne forcément un recul de la population du prédateur. La population d’une espèce sauvage est donc toujours fonction des ressources du milieu dans lequel elle vit. Ainsi, une espèce ne peut augmenter en nombre que si les ressources de son environnement le permettent. Il est clair que la situation que l’on connaît actuellement en Région bruxelloise – et surtout dans les parcs – ne correspond plus à des conditions naturelles. Deux facteurs principaux entrent en jeu à cet égard: l’offre pratiquement illimitée de nourriture et le moindre nombre de prédateurs (ennemis naturels). Le nourrissage intensif (axé sur les oiseaux aquatiques et les pigeons) tel qu’on le connaît dans la plupart des parcs, le fait que les gens laissent traîner des restes de nourriture et l’accroissement du nombre d’arbres fruitiers entraîne une augmentation considérable des ressources du milieu. Celle-ci permet une augmentation locale des populations d’espèces qui sont en mesure de profiter de cette richesse alimentaire. Il ne s’agit pas seulement des oiseaux aquatiques indigènes, mais aussi des Corneilles noires, des Pies bavardes, des pigeons de ville, des Perruches à collier et des Ouettes d’Egypte. Le manque de prédateurs tels que des oiseaux de proie (p.ex. Faucon pèlerin, Autour des palombes) et des mustélidés (p.ex. Putois d’Europe, Fouine) fait que la prédation n’exerce pas non plus de pression suffisante sur le nombre d’individus. 1.2 Espèces exotiques La présence de plusieurs espèces d’oiseaux exotiques, qui ont fortement augmenté en nombre ces dernières décennies, inquiète également les défenseurs de la nature. En Région bruxelloise, il s’agit principalement de la Perruche à collier et de l’Ouette d’Egypte, mais vu la situation en Flandre, la progression de la Bernache du Canada est également suivie de très près. Dans le cas de la Perruche à collier, on craint surtout la concurrence avec les espèces cavernicoles - tel que certains oiseaux et les chauves-souris - pour les lieux de nidification. Les Ouettes d’Egypte et les Bernaches du Canada, quant à elles, provoquent d’autres conflits, aussi bien du point de vue écologique (hybridation, compétition, transmission de maladies, destruction d’habitats et eutrophisation) que du point de vue économique (santé publique, agriculture, parcs, domaines de récréation et sécurité du trafic aérien). C’est pour ces raisons que la situation est suivie de près par Bruxelles Environnement-IBGE. 2. Relation avec d’autres espèces 2.1 Corvidés Une des raisons pour lesquelles les corvidés sont souvent considérés comme ‘nuisibles’ est qu’il leur arrive parfois de dérober des œufs, voire des jeunes dans le nid d’autres oiseaux. Contrairement à la croyance tenace selon laquelle la Pie bavarde et la Corneille noire seraient à la base de la régression d’autres espèces aviaires, la prédation due à ces espèces n’est pas en mesure d’entraîner la disparition, voire la diminution d’autres oiseaux, ce qui a été prouvé par plusieurs études scientifiques. Lorsque l’espèce victime de la prédation se raréfie, elle est plus difficile à trouver et de ce fait, recommence à augmenter jusqu’à atteindre le niveau où un nid peut de temps à autre être pillé. Par ailleurs, les populations de corvidés, sont également maintenues artificiellement hautes par l’apport de nourriture complémentaire, qu’elles peuvent se procurer lors de sa distribution aux oiseaux aquatiques et aux pigeons. En ce qui concerne la diminution de plusieurs petites espèces d’oiseaux, les facteurs responsables de leur régression sont totalement différents. La cause principale de la régression ou de la disparition de ces espèces est la dégradation ou la destruction de l’habitat. La plupart des espèces qui connaissent une forte régression sont plus ou moins inféodés à des habitats particuliers. En raison de la forte urbanisation, les zones favorables deviennent rares et ont souvent une superficie limitée, ce qui fait qu’elles ne satisfont plus aux exigences de ces espèces. Une autre cause importante de mortalité est la prédation exercée par les chats sur de nombreuses espèces d’oiseaux. D’autres facteurs tels que la réduction ou des modifications dans d’offre en nourriture (les insectes peuvent souffrir de la pollution de l’air), les perturbations et les pollutions, jouent également un rôle non négligeable. Ces facteurs sont généralement une conséquence directe ou indirecte de l’activité humaine. 2.2 Espèces exotiques Le problème est tout à fait différent pour les espèces exotiques telles que la Perruche à collier. Alors que les espèces indigènes occupent chacune leur niche écologique, sans que d’autres espèces n’en souffrent, certaines espèces exotiques opportunistes peuvent occuper une niche et provoquer ainsi une concurrence avec d’autres espèces. A Bruxelles, une étude a été effectuée sur les Perruches à collier car on craignait qu’elles aient un impact négatif pour d’autres espèces indigènes. Cette étude a permis de tirer la conclusion que différentes espèces emploient des arbres creux à la même période. Par contre, il n’y a pas été démontré à ce jour qu’il y avait une compétition qui pourrait engendrer un déclin des espèces indigènes. La population (toujours croissante) des Perruches à collier continue à faire l’objet d’un suivi permanent. De même, la forte croissance de la population Ouettes d’Egypte (en partie aussi une conséquence du nourrissage complémentaire dans les parcs) suscite quelque inquiétude. Cette espèce peut en effet se montrer agressive vis-à-vis d’autres oiseaux aquatiques et pourrait devenir un concurrent important pour les lieux de nidification. 3. Relation avec l’homme La plupart des oiseaux mentionnés dans cette note sont de vrais opportunistes quand il s’agit de nourriture. Pour éviter que les sacs-poubelle ne soient détruits, il vaut mieux les déposer dans des bacs en plastique, spécialement conçus à cet effet, ou sur un petit mur, aux endroits où ce problème se pose. Cette solution permet également d’éviter les nombreux dégâts occasionnés par les chats. Quant au bruit engendré par les Perruches à collier est impossible à éviter sans réduire sensiblement la population. 4. Evolution en chiffres 4.1 Source des données scientifiques Depuis 1992 déjà, la faune et la flore de la Région bruxelloise sont suivies de près dans le cadre du ‘Réseau d’information et de surveillance de l’environnement et de la biodiversité par bioindicateurs dans la Région de Bruxelles-Capitale’. Ainsi, l’avi- et l’herpétofaune sont étudiées par l’asbl AVES. Les données présentées ci-dessous sont collectées dans cadre de cette surveillance et ont été rassemblées entre 1992 et 2001. Les données de base sont des ‘Indices d’Abondance Ponctuelle’ (IAP ou points d’écoute). Ces données ont été traitées statistiquement par des biologistes (il est possible d’obtenir plus de détails sur les méthodes utilisées). 4.2 La Corneille noire Corvus corone Ce graphique semble indiquer que la population de Corneilles noires augmente légèrement, mais il n’en est rien car ces résultats ne sont pas significatifs. Nous avons ici affaire à de petites fluctuations tout à fait normales dans des populations. Graphique 1. Graphe de fréquence de la Corneille noire Corvus corone en Région bruxelloise, période 1992 – 2001. La fréquence est le nombre moyen de Corneilles noires par point d’écoute. 4.3 La Pie bavarde Pica pica Ce graphique semble indiquer que la population de Pies bavardes augmente légèrement, mais il n’en est rien car ces résultats ne sont pas significatifs. Nous avons ici affaire à de petites fluctuations tout à fait normales dans des populations. Graphique 2. Graphe de fréquence de la Pie bavarde Pica pica en Région bruxelloise, période 1992 –2001. La fréquence est le nombre moyen de Pies bavardes par point d’écoute. 4.4 La Perruche à collier Psittacula krameri Il en va autrement de la Perruche à collier. Depuis 28 ans (1975) qu’elle est présente en Région bruxelloise, cette espèce a connu une croissance exponentielle, passant de 40 à plus de 5300 exemplaires (Graphique 3). Hormis la croissance en nombre, on a pu également constater une forte extension de la zone de répartition, si bien que l’espèce peut à présent être observée pratiquement partout dans la Région bruxelloise et ses alentours. 5000 Nombre d’individus 4000 3000 Graphique 3. Evolution des nombres de la Perruche à collier Psittacula krameri sur le dortoir à Evere, période 1974 – 2001. 2000 1000 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 5. Rôle dans l’écosystème urbain Tant la Corneille noire que la Pie bavarde joue un rôle important, qu’il ne faut pas sous-estimer, dans l’écosystème urbain. Bien que ces deux espèces suscitent souvent l’antipathie de la population en raison de la prédation des nids d’autres oiseaux nicheurs, elles remplissent leur rôle comme prédateur, dans l’écosystème. Cette prédation naturelle (contrairement à celle exercée par les chats) n’est toutefois jamais telle qu’elle soit en mesure d’exterminer une espèce, voire d’en réduire la population. Le recul des petites espèces comme le moineau et divers insectivores n’est absolument pas dû à la prédation par les Corneilles noires et les Pies bavardes, mais à toute une série d’autres facteurs (découlant souvent d’interventions humaines) qui n’ont rien à voir. La Pie bavarde et la Corneille noire remplissent une seconde fonction importante, celle d’éliminer les animaux morts et les déchets (p.ex. des restes de pain et des cadavres), favorisant ainsi l’équilibre de l’écosystème urbain et apportant une contribution importante à la propreté et à l’hygiène dans la ville. Les graphiques illustrent que les populations de Corneilles et les Pies n’ont pas progressé significativement au cours des dernières années. Pourtant, le public a la fausse impression qu’elles deviennent plus abondantes. Ceci est probablement dû au fait que ces espèces se sont adaptées à l’homme et sont donc devenues plus visibles. D’autre part, elles peuvent se regrouper à certaines périodes de l’année autour de certains points de nourrissage, ce qui accentue encore l’impression que leur nombre augmente. 6. Mesures Il a déjà été constaté à plusieurs reprises que la lutte contre des espèces telles que les Corneilles noires et les Pies bavardes (pièges, captures, destruction, etc.) n’a pas d’effet durable important étant donné que la place dégagée par les oiseaux éliminés est presque immédiatement recolonisée par des individus voisins (toute population saine compte un certain nombre d’oiseaux qui n’ont pas leur propre territoire et occupent immédiatement les espaces libérés) et que la capacité de reproduction augmente lorsque les ressources importantes du milieu (nourrissage !) ne sont pas réduites. Il n’existe que deux possibilités adéquates pour réduire le nombre de ces espèces : 1) Une lutte générale et permanente contre l’espèce pour maintenir leur nombre au-dessous des capacités du milieu. Ceci est irréalisable (chasse interdite en Région de Bruxelles-Capitale et en milieu urbain éthiquement pas acceptable) et nécessiterait un programme à l’échelle européenne. 2) Une réduction des ressources du milieu implique une baisse pratiquement immédiate et permanente de l’effectif de corneilles et de pies en de nombreux endroits. Ceci est facile à réaliser en interdisant, ou au moins en limitant le nourrissage. La situation est différente pour les espèces exotiques. S’il apparaissait que celles-ci exerceraient une influence négative sur les espèces indigènes, il faudra trouver des solutions acceptables pour y remédier. 7. Conclusion Il est exclu d’autoriser la destruction massive des corvidés indigènes, d’une part, parce que les arguments avancés reposent essentiellement sur des suppositions et des informations erronées et, d’autre part, parce que c’est totalement inutile puisque l’espace libéré par les oiseaux éliminés sera réoccupé par des individus voisins. En outre, toutes les espèces d’oiseaux sont protégées par la loi en Région de Bruxelles-Capitale (Ordonnance du 29/08/1991) et les problèmes occasionnés par ces oiseaux (sacs-poubelle éventrés, etc.) peuvent être facilement résolus. Une solution plus simple et plus respectueuse des animaux pour ramener les populations de corvidés à un niveau plus naturel, consiste à réduire les ressources en nourriture. En principe, cela pourrait se faire assez simplement, en interdisant le nourrissage dans les parcs, pour autant que cette mesure soit réellement appliquée. Cela résoudrait dans le même temps un autre problème très important, à savoir le botulisme dont sont victimes les oiseaux aquatiques durant les mois d’été. Il en va autrement des espèces exotiques telles que la Perruche à collier et l’Ouette d’Egypte. Si des études révélaient que ces espèces représenteraient une menace sérieuse pour les espèces indigènes de l’avifaune, il faudra alors trouver des solutions. Etant donné que les populations ne sont pas encore trop importantes – surtout en ce qui concerne l’Ouette d’Egypte – et qu’à certains moments de l’année, les oiseaux se concentrent à des endroits spécifiques, des campagnes de capture pourraient être envisagées. Il est en tout cas essentiel d’informer correctement le grand public sur ces sujets, afin d’éviter de porter des jugements erronés.