Avant-propos
L’histoire de France, grâce à messieurs Mézeray, Vély, et
Anquetil, a acquis une telle réputation d’ennui, qu’elle en peut
disputer le prix avec avantage à toutes les histoires du monde
connu : aussi le roman historique fut-il chose complètement
étrangère à notre littérature jusqu’au moment où nous arrivèrent
les chefs-d’œuvre de Walter Scott. Je dis étrangère, car je ne pré-
sume pas que l’on prenne sérieusement pour romans historiques
le Siége de la Rochelle, de madame de Genlis, et Mathilde, ou les
Croisades, de madame de Cottin. Jusqu’à cette époque nous ne
connaissions donc réellement que le roman pastoral, le roman de
mœurs, le roman d’alcôve, le roman de chevalerie, le roman de
passion, et le roman sentimental. L’Astrée, Gil Blas, le Sofa, le
petit Jehan de Saintré, Manon Lescaut, et Amélie Mansfield,
furent les chefs-d’œuvre de chacun de ces genres.
Il en advint que notre étonnement fut grand en France lorsque,
après avoir lu Ivanhoe, le Château de Kenilworth, Richard en
Palestine, nous fûmes forcés de reconnaître la supériorité de ces
romans sur les nôtres. C’est que Walter Scott aux qualités ins-
tinctives de ses prédécesseurs joignait les connaissances acqui-
ses, à l’étude du cœur des hommes la science de l’histoire des
peuples ; c’est que, doué d’une curiosité archéologique, d’un
coup d’œil exact, d’une puissance vivifiante, son génie résurrec-
tionnel évoque toute une époque, avec ses mœurs, ses intérêts,
ses passions, depuis Gurth le gardien de pourceaux jusqu’à
Richard le chevalier noir, depuis Michaël Lambourn le spadassin,
jusqu’à Elisabeth la reine régicide, depuis le chevalier de Léo-
pard jusqu’à Sallah-Eddin le royal médecin : c’est que sous sa
plume enfin, hommes et choses reprennent vie et place à la date
où ils ont existé, que le lecteur se trouve insensiblement transpor-
té au milieu d’un monde complet, dans toutes les harmonies de