16 DOSSIER Qualité au bloc opératoire >> DOSSIER La fin de l’aventure ? Focus ... Les procédures : l’exemple industriel Au bloc opératoire, les technologies évoluent rapidement et les risques sont importants. Les procédures formelles sont donc indispensables. La rédaction et l’application des procédures permettent de supprimer la variabilité liée aux pratiques individuelles. À titre d’exemple, il a été démontré dans les domaines tels que le nucléaire ou l’aéronautique, que les procédures de type “check list”, avec un nombre d’éléments limités, réduisaient la fréquence d’erreurs. La Haute Autorité de santé se dote, depuis le 12 juillet, de six méthodes d’amélioration de la qualité à la disposition des professionnels de santé. Ces méthodes s’inspirent du modèle générique dit “roue de Deming”, du nom du concepteur anglo-saxon à l’origine de cette démarche qualité et qui comprend quatre étapes distinctes que l’on nomme PDCA. C es méthodes qui s’inspirent du modèle générique dit “roue de Deming”, comprennent quatre étapes distinctes que l’on nomme PDCA en anglais et qui acquerront peut-être leurs lettres de noblesse en français sous le sigle PFCC, c’est-à-dire Planifier, Faire, Contrôler, Corriger… Les preuves en industrie Cette méthode s’inspire d’expériences en qualité industrielle qui ont déjà fait leurs preuves en milieu médical, comme déjà, dans le cas de l’expérience de la SeineSaint-Denis sur la mortalité périnatale menée en 1989 par le professeur Papernik. Mais on peut douter qu’elle inspire des vocations dans une discipline comme la chirurgie qui apparaît sinistrée, si l’on en croit les cris d’alarme qui émaillent régulièrement l’information médicale. Ainsi, encore au mois de juillet, dans un plaidoyer déchirant, le docteur Jean-Gabriel Lebrun, président de l’Union collégiale des chirurgiens et spécialistes français (l’UCCSF), ne pouvait que constater la crise morale qui traverse la chirurgie française et plaider pour la création d’un ordre spécifique à cette discipline, propre à défendre ses intérêts catégoriels. Certes, la crise longue et douloureuse par laquelle passe notre chirurgie est en partie liée à des problèmes de rémunération et a été mise en lumière à l’occasion de l’élaboration de la CCAM. Mais le mal semble provenir de causes bien plus profondes. Quoi qu’en aient dit les 244 professeurs d’université/praticiens hospitaliers, interpellant le ministre de la Santé de l’époque, M. Jean- Professions Santé Infirmier Infirmière N° 65 • août-septembre 2005 François Mattéi, dans une lettre ouverte, ils dénonçaient, il y a un peu plus un an et demi, l’acuité de la crise qui secoue l’hôpital et ses fonctions les plus nobles : les services de chirurgie. En effet, quels que soient les efforts faits en matière d’évaluation – certes indispensable – et une meilleure allocation des ressources, les solutions apportées par les pouvoirs publics ne semblent pas devoir suffire pour résoudre à elles seules la crise de vocations par laquelle passe cette discipline. Un éclairage singulier Les 244 patrons insistaient sur le mal qu’ils avaient à transmettre leur savoir-faire, faute d’internes – dans certaines spécialités, en tout cas – et dont la pénurie, selon eux, avait ses sources dans la réduction du nombre de reçus à l’internat de spécialité et la mise en place des 35 heures, véritable bombe à neutrons dans la population des établissements. Cependant, la crise est peut-être aussi plus sournoise, en ce qu’elle provient d’un changement radical de société, lui-même dépendant de nouveaux paradigmes que les progrès technologiques et les mutations des pathologies provoquent. Dans une étude très étendue sur les conditions de travail en équipe à l’hôpital, la DREES apporte un éclairage singulier sur le fonctionnement de nos établissements et sur les problèmes qu’ils rencontrent dans leurs missions de soins. Bien que cette étude concerne aussi bien les établissements publics que privés, l’essentiel de ce travail porte sur les établissements publics dont le fonctionnement (ou le dysfonctionnement, selon l’angle sous lequel on se place) est plus homogène, puisque bâti sur le modèle établi en 1941 autour du chef de service. Un système en profonde mutation et qui ne se résout pas uniquement en termes d’organisation des soins, ni en termes de pouvoir personnel. Ce rapport commence par noter que les négociations sur les horaires occupent une place importante dans le fonctionnement des équipes à l’hôpital, et qu’elles constituent souvent une frustration pour celles-ci, ainsi que pour les patients. L’autonomie accrue des professions paramédicales s’ajoutant au détachement progressif du corps médical dans la gestion des soins au profit de l’administration, a créé des conditions d’une demande de reconnaissance parmi les plus fortes revendications du personnel pour ce qui concerne l’amélioration des conditions de travail. La division du travail de plus en plus accentuée a rendu le partage des tâches potentiellement plus conflictuel et est devenue une source de mécontentement général. Une lente révolution Dans les conditions statutaires plus élevées, l’investissement professionnel et rationnel constitue une dimension centrale du secteur d’activité. Le déclin relatif de la profession des médecins et surtout des chirurgiens, attribué généralement à la politique de santé menée par les pouvoirs publics ou consécutifs d’un environnement intellectuel et/ou social défaillant, grippe le sys- CHIRURGIE L’intérêt du malade Par ailleurs, de l’importance de la vocation, découle naturellement et en corollaire, l’intérêt du malade. Celui-ci peut être invoqué en tout circonstance, là où le discours échoue à résoudre les conflits. « Refuser de remplacer un collègue ou de coopérer peut apporter tort au malade […] et cela signifie aussi, manquer la mission propre à la profession […] ». L’exemple de luttes de distinction à l’intérieur des équipes entre auxiliaires plus spécialisés et aides-soignantes plus polyvalentes, indique comment la structuration des équipes à l’hôpital donne occasion à des situations de conflit potentiel à partir de distinctions symboliques minimales. Cette étude, par les témoignages qu’elle relate, apporte un éclairage sur les conditions de travail qui ne dépendent pas uniquement de conditions objectives, mais de différents ressentis comme inéquitables et vexatoires du fait d’une mauvaise articulation des équipes. Des inégalités… Une première série de transformations concernant le mode de gestion des établissements de santé publics ou privés, est directement liée à la remise en cause de l’hôpital public dans l’effort qu’il est fait aujourd’hui de l’adapter aux méthodes managériales modernes. Nouvelle gouvernance, contrats d’objectifs, regroupement des services en pôles d’activité, contractualisation interne, accréditation, certification… tout cela provoque une plus grande instabilité du personnel médical ou paramédical, une perte de puissance, voire d’autonomie dans la pratique des soins et n’est pas sans contribuer aux inégalités constatées. La gestion de l’hôpital comme une entreprise, la réduction du temps de présence des patients sur des critères de rentabilité, leur sortie accélérée, fragilisant les relations de confiance entre le personnel et les malades, font l’objet de plusieurs critiques… Les soins eux-mêmes affectent directement, dans leurs transformations majeures que les progrès technologiques leur imposent, la reconnaissance acquise par les professions médicales. Cela apporte in fine, des stratégies de carrière différentes, souvent inconscientes et entache le bon fonctionnement des équipes. Et si la tendance au bloc tend, d’une façon générale, vers plus d’autonomie et de spécialisation, ce n’est pas en contradiction avec l’interdépendance que provoque l’exécution des tâches : les médecins anesthésistes, par exemple, sont plus souvent tenus d’exercer une fonction de contrôle sur les pratiques des chirurgiens ! La multiplication des procédures, des formulaires et le souci de traçabilité, remettent en cause le pouvoir médical. En interne, mais aussi auprès des usagers, même si ce contrôle administratif peut être un atout, non seulement dans la qualité des soins, mais aussi dans la défense du professionnel face à une judiciarisation de la pratique médicale, chaque jour plus menaçante. L’apparition de nouvelles pathologies, en partie liées au vieillissement de la population, ainsi que la précarisation de la clientèle de l’hôpital ne sont pas aussi sans perturber les pratiques médicales dans leur effort d’adaptation. L’amélioration des conditions techniques du travail et les conditions de sécurité mises en place pour le bien-être du malade en bloc opératoire et dans les services d’anesthésie-réanimation constituent pourtant un réel progrès par rapport aux débuts héroïques de la chirurgie, où les normes étaient quasi inconnues, où les salles de réveil étaient inexistantes et où les circuits d’accès aux salles d’opération étaient laissés, la plupart du temps, à l’inspiration esthétisante d’un architecte. >> DOSSIER tème. Cela a pour conséquence de favoriser le conflit entre le pouvoir infirmier et le pouvoir médical rendu d’autant plus aigu que la RTT, coupable de la dévalorisation du travail en tant que devoir fondamental du salarié, a causé la pénurie du personnel. À cela, il faut ajouter le renversement entre les effectifs du personnel administratif, ce qui n’a pas été sans affecter le transfert du pouvoir des médecins à celui des administrateurs. En ajoutant à ces révolutions, lentes mais prégnantes, l’intrusion des travailleurs sociaux dans les rapports entre les médecins et les malades, les conditions de travail sont devenues singulièrement différentes de ce qu’elles étaient, il n’y a pas si longtemps encore. Si l’on ajoute le malaise que cause l’existence depuis des décennies, de vacataires et d’attachés, sans contrat de travail, exposés en permanence à l’exclusion, contrairement aux autres salariés qui souvent occupent les mêmes fonctions qu’eux, le tableau ne ressemble plus à l’original et l’on comprend que nombre de missions doivent être redéfinies. En clair, l’esprit de corps qui était le ciment du travail à l’hôpital est pour le moins malmené. C’est d’autant plus grave que cet esprit de corps a souvent été, en ce qui concerne l’hôpital, et particulièrement au bloc, le garant d’un partage équitable des tâches et la reconnaissance des compétences individuelles indispensables au bon fonctionnement de l’entreprise. La RTT : une mesure imparfaite De nos jours, un bloc ressemble à un aéroport. D’ailleurs, les termes ressemblent à ceux employés dans un aéroport : on a un “dispatching” qui gère les flux des patients, une opération chirurgicale, c’est un “check-list”, et avec une équipe qui va prendre le vol, maintenant qu’il y a un “pilote”, c’est le chirurgien ou anesthé- 17 >> Professions Santé Infirmier Infirmière N° 65 • août-septembre 2005 DOSSIER >> DOSSIER >> Focus ... Définition Le ministère de la Santé définit la qualité des soins infirmiers comme « étant un niveau plus ou moins élevé des soins dispensés, mesurés et/ou appréciés selon des normes professionnelles établies. L’évaluation de la qualité est décrite comme étant un procédé consistant à mesurer l’écart existant entre une pratique (processus et résultat de l’action) observée de soins infirmiers et une pratique préalablement définie comme optimale ». Une véritable évaluation de la qualité des soins en bloc opératoire doit prendre en considération le degré de satisfaction de l’opéré. siste, – ça reste à discuter –, mais on va prendre toutes les mesures de sécurité pour le démarrage et puis le réveil pour garantir des conditions de sécurité pour le patient qui n’existaient pas vraiment avant. Tout n’est pas négatif pour autant, même si la RTT reste une mesure imparfaite, car généralement peu suivie par de nouveaux recrutements, et souvent la cause d’une intensification du rythme de travail. L’actuel système a toutefois énormément amélioré l’organisation du temps de travail à la satisfaction du personnel. L’époque n’est pas si éloignée, en effet, où il n’y avait pas de véritables horaires fixes et où le personnel pouvait être obligé de rester au-delà de la fin d’un programme. Ce progrès n’est pas sans influence sur les rapports d’autorité dans les équipes : « Le chef de service a changé, bon, l’actuel chef de service […] j’avais des rapports plutôt conflictuels avec lui, c’était quelqu’un qui avait une vision assez féodale du pouvoir, alors qu’aujourd’hui, nous sommes dans une vision de délégation de pouvoirs, dans une perspective assez démocratique de la répartition des pouvoirs », relate un soignant. Délégation des pouvoirs Ce changement dans la délégation des pouvoirs n’est pas sans incidences sur les services de chirurgie qui font de plus en plus appel à des techniciens dont l’intérêt pour la profession est stimulé par d’autres considérations que le prestige du service personnifié par l’aura du patron. Il y a une forte exigence de la part de l’ensemble du corps soignant sur les conditions d’exercice qu’offre l’hôpital. Et si les nouveaux internes désertent certaines disciplines comme l’ont fait remarquer les “244”, c’est aussi, sans doute, parce que, parallèlement au changement de statut réel du chirurgien, dont la chefferie de service est grandement mise en cause par l’évolution statutaire au sein de l’hôpital, les conditions propres à pallier la pénibilité du travail, ne sont abordées que Professions Santé Infirmier Infirmière N° 65 • août-septembre 2005 marginalement, dans la plupart des établissements. Les gardes, les risques de complication et de procès constituent pour les jeunes arrivants des conditions d’exercice inacceptables. La profession a aussi beaucoup changé. Sans doute parce que le métier de chirurgien demande des qualités peut-être moins exaltantes que par le passé, mais autrement plus techniques. Un travail d’équipe Aujourd’hui, le travail d’équipe, les équipements lourds, la biologie, etc., interviennent de façon importante dans la stratégie des soins. Les qualités exigées d’un chef d’équipe sont plus celles d’un organisateur des différentes disciplines rassemblées autour de lui, que d’un de ces grands aventuriers de l’époque héroïque à qui l’on doit d’avoir défriché le terrain alors vierge de l’exercice chirurgical. Et c’est, sans doute, de la responsabilité de ces anciens de comprendre ce qui dans leur vocation tenait de l’ambition personnelle à leur début de celle indispensable au travail en équipe. Cela passe par l’écoute attentive de ce que leurs étudiants et assistants ont à dire sur cette pratique et une remise en cause du statut du chirurgien, jusque dans sa pratique. Comme dans toutes les conquêtes, l’aventure doit céder le pas à l’institutionnel pour se survivre à ellemême. François Engel © Phovoir 18 La qualité : une réponse conforme aux besoins des patients Au XIXe siècle, Florence Nightingale écrivait déjà : « Il n’existe pas de qualité sans mesure et sans suivi de la mesure ». L’évolution des pratiques soignantes dépend certes des moyens disponibles, mais surtout du degré d’observance et de motivation pour les faire évoluer. Tout comme dans l’industrie (même si le mot coince), les pratiques demandent la réflexion et la construction d’aides à la conduite de processus d’actes caractérisés par leur complexité. L’improvisation, la confiance et la bonne volonté ne sont pas garantes de la qualité. Or, la recherche de la qualité est la réponse conforme aux besoins du patient. D’ailleurs, la pression croissante des patients consommateurs de soins, des compagnies d’assurance et des pouvoirs publics se fait de plus en plus présente. Le bloc doit évoluer, poussé par l’importance des accidents iatrogènes et la grande variabilité des pratiques professionnelles. Trois facteurs contribuent à cette évolution : la mondialisation des échanges qui contraint au changement et à la compétitivité ; l’accroissement constant des dépenses dans un contexte de stagnation économique ; la répétition et la médiatisation des “affaires”. Pour l’UNAIBODE* chaque acte chirurgical pratiqué au sein d’un bloc opératoire doit faire l’objet d’une fiche composée suivant une certaine méthodologie pour servir de référentiel aux infirmières du bloc. Ce type de démarche s’inscrit dans une politique d’homogénéisation nationale des pratiques dans le cadre d’une démarche d’assurance qualité. Le plan recommandé intègre les savoirs requis, les connaissances des bonnes pratiques, mais également les éléments du savoir-faire et du savoirêtre nécessaires à une prise en charge optimale de l’opéré. * Union nationale des infirmiers du bloc opératoire diplômés d’État.