Ces méthodes qui s’inspi-
rent du modèle générique
dit “roue de Deming”,
comprennent quatre étapes dis-
tinctes que l’on nomme PDCA en
anglais et qui acquerront peut-être
leurs lettres de noblesse en fran-
çais sous le sigle PFCC, c’est-à-dire
Planifier, Faire, Contrôler, Corriger…
Les preuves en industrie
Cette méthode s’inspire d’expé-
riences en qualité industrielle qui
ont déjà fait leurs preuves en
milieu médical, comme déjà, dans
le cas de l’expérience de la Seine-
Saint-Denis sur la mortalité périna-
tale menée en 1989 par le profes-
seur Papernik. Mais on peut
douter qu’elle inspire des voca-
tions dans une discipline comme
la chirurgie qui apparaît sinistrée,
si l’on en croit les cris d’alarme qui
émaillent régulièrement l’informa-
tion médicale. Ainsi, encore au
mois de juillet, dans un plaidoyer
déchirant, le docteur Jean-Gabriel
Lebrun, président de l’Union collé-
giale des chirurgiens et spécia-
listes français (l’UCCSF), ne pou-
vait que constater la crise morale
qui traverse la chirurgie française
et plaider pour la création d’un
ordre spécifique à cette discipline,
propre à défendre ses intérêts
catégoriels. Certes, la crise longue
et douloureuse par laquelle passe
notre chirurgie est en partie liée à
des problèmes de rémunération
et a été mise en lumière à l’occa-
sion de l’élaboration de la CCAM.
Mais le mal semble provenir de
causes bien plus profondes. Quoi
qu’en aient dit les 244 profes-
seurs d’université/praticiens hos-
pitaliers, interpellant le ministre de
la Santé de l’époque, M. Jean-
François Mattéi, dans une lettre
ouverte, ils dénonçaient, il y a un
peu plus un an et demi, l’acuité de
la crise qui secoue l’hôpital et ses
fonctions les plus nobles : les ser-
vices de chirurgie.
En effet, quels que soient les
efforts faits en matière d’évalua-
tion – certes indispensable – et
une meilleure allocation des res-
sources, les solutions apportées
par les pouvoirs publics ne sem-
blent pas devoir suffire pour
résoudre à elles seules la crise de
vocations par laquelle passe cette
discipline.
Un éclairage singulier
Les 244 patrons insistaient sur le
mal qu’ils avaient à transmettre
leur savoir-faire, faute d’internes
dans certaines spécialités, en
tout cas – et dont la pénurie,
selon eux, avait ses sources dans
la réduction du nombre de reçus
à l’internat de spécialité et la mise
en place des 35 heures, véritable
bombe à neutrons dans la popu-
lation des établissements.
Cependant, la crise est peut-être
aussi plus sournoise, en ce qu’elle
provient d’un changement radical
de société, lui-même dépendant de
nouveaux paradigmes que les pro-
grès technologiques et les muta-
tions des pathologies provoquent.
Dans une étude très étendue sur
les conditions de travail en équipe
à l’hôpital, la DREES apporte un
éclairage singulier sur le fonction-
nement de nos établissements et
sur les problèmes qu’ils rencon-
trent dans leurs missions de soins.
Bien que cette étude concerne
aussi bien les établissements
publics que privés, l’essentiel de ce
travail porte sur les établissements
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 65 • août-septembre 2005
publics dont le fonctionnement
(ou le dysfonctionnement, selon
l’angle sous lequel on se place) est
plus homogène, puisque bâti sur
le modèle établi en 1941 autour
du chef de service. Un système en
profonde mutation et qui ne se
résout pas uniquement en termes
d’organisation des soins, ni en
termes de pouvoir personnel.
Ce rapport commence par noter
que les négociations sur les
horaires occupent une place
importante dans le fonctionne-
ment des équipes à l’hôpital, et
qu’elles constituent souvent une
frustration pour celles-ci, ainsi que
pour les patients.
L’autonomie accrue des profes-
sions paramédicales s’ajoutant au
détachement progressif du corps
médical dans la gestion des soins
au profit de l’administration, a créé
des conditions d’une demande de
reconnaissance parmi les plus
fortes revendications du personnel
pour ce qui concerne l’amélioration
des conditions de travail. La division
du travail de plus en plus accen-
tuée a rendu le partage des tâches
potentiellement plus conflictuel et
est devenue une source de
mécontentement général.
Une lente révolution
Dans les conditions statutaires
plus élevées, l’investissement
professionnel et rationnel consti-
tue une dimension centrale du
secteur d’activité. Le déclin relatif
de la profession des médecins et
surtout des chirurgiens, attribué
généralement à la politique de
santé menée par les pouvoirs
publics ou consécutifs d’un envi-
ronnement intellectuel et/ou
social défaillant, grippe le sys-
Focus ...
Les procédures :
l’exemple
industriel
Au bloc opératoire, les
technologies évoluent
rapidement et les
risques sont
importants. Les
procédures formelles
sont donc
indispensables. La
rédaction et
l’application des
procédures permettent
de supprimer la
variabilité liée aux pra-
tiques individuelles. À
titre d’exemple, il a été
démontré dans les
domaines tels que le
nucléaire ou
l’aéronautique, que les
procédures de type
check list, avec un
nombre d’éléments
limités, réduisaient la
fréquence d’erreurs.
DOSSIER
16
>> DOSSIER
La Haute Autorité de santé se dote, depuis le 12 juillet, de six méthodes d’amélioration de
la qualité à la disposition des professionnels de santé. Ces méthodes s’inspirent du
modèle générique dit “roue de Deming”, du nom du concepteur anglo-saxon à lorigine de
cette démarche qualité et qui comprend quatre étapes distinctes que l’on nomme PDCA.
Qualité au bloc opératoire
La fin de l’aventure ?
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 65 • août-septembre 2005
tème. Cela a pour conséquence
de favoriser le conflit entre le pou-
voir infirmier et le pouvoir médical
rendu d’autant plus aigu que la
RTT, coupable de la dévalorisation
du travail en tant que devoir fon-
damental du salarié, a causé la
pénurie du personnel. À cela, il
faut ajouter le renversement entre
les effectifs du personnel admi-
nistratif, ce qui n’a pas été sans
affecter le transfert du pouvoir
des médecins à celui des admi-
nistrateurs.
En ajoutant à ces révolutions,
lentes mais prégnantes, l’intrusion
des travailleurs sociaux dans les
rapports entre les médecins et les
malades, les conditions de travail
sont devenues singulièrement dif-
férentes de ce qu’elles étaient, il
n’y a pas si longtemps encore.
Si l’on ajoute le malaise que
cause l’existence depuis des
décennies, de vacataires et d’atta-
chés, sans contrat de travail, expo-
sés en permanence à l’exclusion,
contrairement aux autres salariés
qui souvent occupent les mêmes
fonctions qu’eux, le tableau ne
ressemble plus à l’original et l’on
comprend que nombre de mis-
sions doivent être redéfinies.
En clair, l’esprit de corps qui était
le ciment du travail à l’hôpital est
pour le moins malmené. C’est
d’autant plus grave que cet esprit
de corps a souvent été, en ce qui
concerne l’hôpital, et particulière-
ment au bloc, le garant d’un par-
tage équitable des tâches et la
reconnaissance des compétences
individuelles indispensables au
bon fonctionnement de l’entre-
prise.
L’intérêt du malade
Par ailleurs, de l’importance de la
vocation, découle naturellement et
en corollaire, l’intérêt du malade.
Celui-ci peut être invoqué en tout
circonstance, là où le discours
échoue à résoudre les conflits.
«Refuser de remplacer un col-
lègue ou de coopérer peut appor-
ter tort au malade […] et cela
signifie aussi, manquer la mission
propre à la profession […] ».
L’exemple de luttes de distinction à
l’intérieur des équipes entre auxi-
liaires plus spécialisés et aides-soi-
gnantes plus polyvalentes, indique
comment la structuration des
équipes à l’hôpital donne occasion
à des situations de conflit potentiel
à partir de distinctions symbo-
liques minimales.
Cette étude, par les témoignages
qu’elle relate, apporte un éclai-
rage sur les conditions de travail
qui ne dépendent pas unique-
ment de conditions objectives,
mais de différents ressentis
comme inéquitables et vexatoires
du fait d’une mauvaise articula-
tion des équipes.
Des inégalités…
Une première série de transfor-
mations concernant le mode de
gestion des établissements de
santé publics ou privés, est direc-
tement liée à la remise en cause
de l’hôpital public dans l’effort
qu’il est fait aujourd’hui de l’adap-
ter aux méthodes managériales
modernes. Nouvelle gouvernance,
contrats d’objectifs, regroupement
des services en pôles d’activité,
contractualisation interne, accrédi-
tation, certification… tout cela
provoque une plus grande insta-
bilité du personnel médical ou
paramédical, une perte de puis-
sance, voire d’autonomie dans la
pratique des soins et n’est pas
sans contribuer aux inégalités
constatées. La gestion de l’hôpital
comme une entreprise, la réduc-
tion du temps de présence des
patients sur des critères de renta-
bilité, leur sortie accélérée, fragili-
sant les relations de confiance
entre le personnel et les malades,
font l’objet de plusieurs cri-
tiques…
Les soins eux-mêmes affectent
directement, dans leurs transfor-
mations majeures que les progrès
technologiques leur imposent, la
reconnaissance acquise par les
professions médicales. Cela
apporte in fine, des stratégies de
carrière différentes, souvent
inconscientes et entache le bon
fonctionnement des équipes.
Et si la tendance au bloc tend,
d’une façon générale, vers plus
d’autonomie et de spécialisation,
ce n’est pas en contradiction avec
l’interdépendance que provoque
l’exécution des tâches : les méde-
cins anesthésistes, par exemple,
sont plus souvent tenus d’exercer
une fonction de contrôle sur les
pratiques des chirurgiens !
La multiplication des procédures,
des formulaires et le souci de tra-
çabilité, remettent en cause le
pouvoir médical. En interne, mais
aussi auprès des usagers, même
si ce contrôle administratif peut
être un atout, non seulement
dans la qualité des soins, mais
aussi dans la défense du profes-
sionnel face à une judiciarisation
de la pratique médicale, chaque
jour plus menaçante.
L’apparition de nouvelles patholo-
gies, en partie liées au vieillisse-
ment de la population, ainsi que
la précarisation de la clientèle de
l’hôpital ne sont pas aussi sans
perturber les pratiques médicales
dans leur effort d’adaptation.
L’amélioration des conditions
techniques du travail et les condi-
tions de sécurité mises en place
pour le bien-être du malade en
bloc opératoire et dans les ser-
vices d’anesthésie-réanimation
constituent pourtant un réel pro-
grès par rapport aux débuts
héroïques de la chirurgie, où les
normes étaient quasi inconnues,
où les salles de réveil étaient
inexistantes et où les circuits d’ac-
cès aux salles d’opération étaient
laissés, la plupart du temps, à
l’inspiration esthétisante d’un
architecte.
La RTT : une mesure
imparfaite
De nos jours, un bloc ressemble à
un aéroport. D’ailleurs, les termes
ressemblent à ceux employés
dans un aéroport : on a un “dis-
patching” qui gère les flux des
patients, une opération chirurgi-
cale, c’est un “check-list, et avec
une équipe qui va prendre le vol,
maintenant qu’il y a un “pilote”,
c’est le chirurgien ou anesthé-
>>
>> DOSSIER
CHIRURGIE 17
siste, – ça reste à discuter –, mais
on va prendre toutes les mesures
de sécurité pour le démarrage et
puis le réveil pour garantir des
conditions de sécurité pour le
patient qui n’existaient pas vrai-
ment avant.
Tout n’est pas négatif pour autant,
même si la RTT reste une mesure
imparfaite, car généralement peu
suivie par de nouveaux recrute-
ments, et souvent la cause d’une
intensification du rythme de travail.
L’actuel système a toutefois énormé-
ment amélioré l’organisation du
temps de travail à la satisfaction du
personnel. L’époque n’est pas si éloi-
gnée, en effet, où il n’y avait pas de
véritables horaires fixes et où le per-
sonnel pouvait être obligé de rester
au-delà de la fin d’un programme.
Ce progrès n’est pas sans influence
sur les rapports d’autorité dans les
équipes : « Le chef de service a
changé, bon, l’actuel chef de service
[…] j’avais des rapports plutôt
conflictuels avec lui, c’était quelqu’un
qui avait une vision assez féodale
du pouvoir, alors qu’aujourd’hui,
nous sommes dans une vision de
délégation de pouvoirs, dans une
perspective assez démocratique de
la répartition des pouvoirs », relate
un soignant.
Délégation des pouvoirs
Ce changement dans la délégation
des pouvoirs n’est pas sans inci-
dences sur les services de chirurgie
qui font de plus en plus appel à des
techniciens dont l’intérêt pour la pro-
fession est stimulé par d’autres
considérations que le prestige du
service personnifié par l’aura du
patron. Il y a une forte exigence de la
part de l’ensemble du corps soi-
gnant sur les conditions d’exercice
qu’offre l’hôpital. Et si les nouveaux
internes désertent certaines disci-
plines comme l’ont fait remarquer
les “244”, c’est aussi, sans doute,
parce que, parallèlement au chan-
gement de statut réel du chirurgien,
dont la chefferie de service est gran-
dement mise en cause par l’évolu-
tion statutaire au sein de l’hôpital, les
conditions propres à pallier la pénibi-
lité du travail, ne sont abordées que
marginalement, dans la plupart des
établissements. Les gardes, les
risques de complication et de pro-
cès constituent pour les jeunes arri-
vants des conditions d’exercice inac-
ceptables. La profession a aussi
beaucoup changé. Sans doute
parce que le métier de chirurgien
demande des qualités peut-être
moins exaltantes que par le passé,
mais autrement plus techniques.
Un travail d’équipe
Aujourd’hui, le travail d’équipe, les
équipements lourds, la biologie, etc.,
interviennent de façon importante
dans la stratégie des soins. Les qua-
lités exigées d’un chef d’équipe sont
plus celles d’un organisateur des dif-
férentes disciplines rassemblées
autour de lui, que d’un de ces
grands aventuriers de l’époque
héroïque à qui l’on doit d’avoir défri-
ché le terrain alors vierge de l’exer-
cice chirurgical. Et c’est, sans doute,
de la responsabilité de ces anciens
de comprendre ce qui dans leur
vocation tenait de l’ambition person-
nelle à leur début de celle indispen-
sable au travail en équipe. Cela
passe par l’écoute attentive de ce
que leurs étudiants et assistants ont
à dire sur cette pratique et une
remise en cause du statut du chirur-
gien, jusque dans sa pratique.
Comme dans toutes les conquêtes,
l’aventure doit céder le pas à l’insti-
tutionnel pour se survivre à elle-
même.
François Engel
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 65 • août-septembre 2005
Focus ...
Définition
Le ministère de la Santé
définit la qualité des
soins infirmiers comme
«étant un niveau plus ou
moins élevé des soins
dispensés, mesurés
et/ou appréciés selon
des normes
professionnelles établies.
L’évaluation de la qualité
est décrite comme étant
un procédé consistant à
mesurer l’écart existant
entre une pratique
(processus et résultat de
l’action) observée de
soins infirmiers et une
pratique préalablement
définie comme
optimale ». Une véritable
évaluation de la qualité
des soins en bloc
opératoire doit prendre
en considération
le degré de satisfaction
de l’opéré.
DOSSIER
18
>>
>> DOSSIER
La qualité : une
réponse conforme aux
besoins des patients
Au XIX
e
siècle, Florence Nightingale
écrivait déjà : « Il n’existe pas de
qualité sans mesure et sans suivi
de la mesure ». L’évolution des pra-
tiques soignantespend certes
des moyens disponibles, mais sur-
tout du degré d’observance et de
motivation pour les faire évoluer.
Tout comme dans l’industrie
(même si le mot coince), les pra-
tiques demandent la réflexion et la
construction d’aides à la conduite
de processus d’actes caractérisés
par leur complexité. L’improvi-
sation, la confiance et la bonne
volonté ne sont pas garantes de la
qualité. Or, la recherche de la qua-
lité est la réponse conforme aux
besoins du patient. D’ailleurs, la
pression croissante des patients
consommateurs de soins, des
compagnies d’assurance et des
pouvoirs publics se fait de plus en
plus présente. Le bloc doit évoluer,
poussé par l’importance des acci-
dents iatrogènes et la grande varia-
bilité des pratiques profession-
nelles. Trois facteurs contribuent à
cette évolution : la mondialisation
des échanges qui contraint au
changement et à la compétitivité ;
l’accroissement constant des
dépenses dans un contexte de sta-
gnation économique ; la répétition
et la médiatisation des “affaires”.
Pour l’UNAIBODE* chaque acte chi-
rurgical pratiqué au sein d’un bloc
opératoire doit faire l’objet d’une
fiche composée suivant une cer-
taine méthodologie pour servir de
référentiel aux infirmières du bloc.
Ce type de démarche s’inscrit dans
une politique d’homogénéisation
nationale des pratiques dans le
cadre d’une démarche d’assurance
qualité. Le plan recommandé
intègre les savoirs requis, les
connaissances des bonnes pra-
tiques, mais également les élé-
ments du savoir-faire et du savoir-
être nécessaires à une prise en
charge optimale de l’opéré.
* Union nationale des infirmiers du
bloc opératoire diplômés d’État.
© Phovoir
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