É D I T O R I A L Les urgences ORL pour les adultes à Paris Adult ENT emergencies in Paris ● P. Tran Ba Huy* epuis novembre 1998, les urgences ORL des adultes, à Paris, qui jusqu’alors étaient prises en charge avec celles des enfants à l’hôpital Necker-Enfants malades, sont accueillies à l’hôpital Lariboisière. Cinq ans après ce transfert, il semble intéressant de dresser un premier bilan. L’arrivée d’un tel pôle d’activité n’a pas été sans nécessiter une profonde réorganisation de notre service. Il a fallu d’abord aménager des locaux dédiés au sein de notre propre consultation, mais également au sein du service d’accueil et de traitement des urgences (SAU) afin de permettre l’accueil nuit et jour de patients qui, outre des questions médicales spécifiques, soulèvent, de par leur profil socioéconomique et ethnique, de nombreux problèmes, notamment linguistiques. Cet aménagement s’est trouvé facilité par l’arrangement architectural de l’hôpital Lariboisière, fort heureusement propice à ce type d’accueil : entrée des urgences proche de la rue, signalétique déjà bien établie, proximité des services ORL et du SAU, etc. Ces dispositions se sont révélées essentielles à une prise en charge rapide et efficace du patient. Mais la prise en charge des urgences, par définition non programmées, a aussi imposé une profonde modification du mode de fonctionnement du service : élargissement des plages opératoires, disponibilité plus grande des salles d’opération, modification de la planification horaire des panseurs, panseuses et infirmières de consultation. Comme cela est habituel dès qu’intervient un bouleversement des habitudes, ces changements ont suscité au départ des réactions vives et conflictuelles de la part de l’équipe paramédicale. Démissions nombreuses et fort mécontentement ont marqué les premiers mois de l’année 1999 mais, progressivement, le dévouement, le sens des responsabilités et la prise de conscience d’un défi à relever l’ont emporté et, finalement, ils ont provoqué une remise en question éminemment bénéfique. D’autant que le travail en salle des infirmières s’est trouvé enrichi de nouvelles pathologies et de nouvelles pratiques de soins. Mais le bouleversement n’a pas épargné l’équipe médicale ellemême : il a fallu modifier la répartition des vacations, recruter des confrères urgentistes, établir avec certains d’entre eux un réseau de soins leur confiant la prise en charge en ville d’actes chirurgicaux ne pouvant être effectués dans le service, et solliciter davantage encore nos internes et chefs de clinique, qui, tous, ont su faire face aux nouvelles obligations et responsabilités chirurgicales ou administratives. D * Chef de service ORL de l’hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75475 Paris Cedex 10. Sur le plan des activités, les urgences adultes représentent à l’année environ 15 000 consultants, 3 à 400 hospitalisations et interventions immédiates ou différées, soit une augmentation de 15 % environ. De tels chiffres sont largement supérieurs à ceux que l’on pouvait anticiper à partir de l’activité antérieure telle qu’elle nous avait été annoncée. Plusieurs facteurs expliquent une telle inflation : – la baisse de la démographie médicale : ainsi, nombre de patients qui pourraient être traités en ville ne le sont pas faute de confrères spécialistes, mais également généralistes. Cette pénurie, particulièrement aiguë l’été, exerce désormais ses effets tout au long de l’année ; – l’absence de filtrage efficace au niveau tant des hôpitaux généraux ou universitaires que des cabinets libéraux, ce qui aboutit à l’orientation quasi automatique de tout patient présentant un problème ORL vers notre service d’accueil, quelle que soit l’heure de la journée ; – la dérive de l’urgence ressentie, conséquence d’une société de consommation où le patient-client exige d’être servi et traité surle-champ. On doit toutefois noter que le nombre des urgences ne semble plus augmenter depuis quelques mois, ce qui suggère que nous couvrons bien les besoins ORL de l’Île-de-France. Au quotidien, prendre en charge les urgences se heurte à plusieurs difficultés : – matérielles, car l’obsolescence, la casse, et... les vols imposeraient un renouvellement incompatible avec les budgets d’équipement alloués ; – structurelles, car les locaux réservés à notre activité d’urgence ne sont pas extensibles, ce qui provoque encombrement, attente et promiscuité. Et la mixité obligée de deux types de clientèle, la “chaude” et la “froide”, continue de soulever des problèmes de cohabitation parfois conflictuels, souvent cocasses, mais toujours difficiles à gérer ; – médicales, car traiter l’urgence, c’est aborder la quasi-totalité des affections de notre discipline, savoir déceler derrière un symptôme banal le signe avant-coureur d’une complication vitale ou la simple manifestation d’un mal-être existentiel, savoir aussi demander l’examen complémentaire approprié qui permettra d’approcher au mieux le diagnostic, et être apte à décider de l’heure et du type de geste salvateur. Si l’on ajoute que l’urgence concerne tous les âges de la vie, on mesure aisément l’ampleur des connaissances à maîtriser ; – médicolégales, enfin, car l’urgence est devenue un combat, défensif, certes, mais un combat tout de même. Entre le médecin de garde qui, quoi qu’il advienne, sera toujours tenu pour premier La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 289-290 - janvier-février 2004 3 É D I T O R I responsable d’une évolution défavorable ; le patient, dont les exigences accrues, jointes à une judiciarisation chaque jour plus prégnante, imposent une prise de conscience des risques encourus et des obligations légales qui nous incombent ; l’administration publique ou privée, qui s’abrite derrière le principe de précaution ou les textes et règlements édictés par des juristes, voire par des confrères ayant bien souvent perdu tout contact avec le malade et la réalité de la médecine. Et mon courrier s’enrichit chaque semaine de plaintes, mises en demeure, demandes d’explications, etc. D’un point de vue médical, l’analyse épidémiologique que nous avons réalisée sur 20 000 patients montre que les symptômes motivant la consultation sont essentiellement la douleur, l’hémorragie, la présence d’un corps étranger et une baisse brutale de l’audition, que la pathologie nasale la plus fréquente est l’épistaxis, la pathologie auriculaire la plus fréquente les otites aiguës et externes, alors que la pathologie pharyngée est dominée par l’ingestion de corps étrangers. Les cinq pathologies le plus souvent retrouvées sont les otites aiguës, les otites externes, les épistaxis, les corps étrangers et les angines. Ce bref aperçu ne doit pas masquer l’extraordinaire impact que les urgences ORL auront eu sur notre activité clinique. En acceptant de les accueillir, j’avais assigné à mon équipe une mission majeure : 4 A L profiter d’un recrutement exceptionnel pour effectuer des enquêtes épidémiologiques, établir de nouveaux algorithmes diagnostiques, dégager des schémas thérapeutiques garantissant un meilleur rapport coût-efficacité. Les quelques travaux que je mentionne cidessous me laissent à penser que cette mission aura été bien enga■ gée. Mais ce n’est qu’un début. P O U R E N S A V O I R P L U S . . . ❏ Timsit CA, Bouchene K, Olfatpour B, Herman P, Tran Ba Huy P. Étude épidémiologique et clinique portant sur 20 563 patients accueillis à la grande garde d’urgences ORL adultes de Paris-Île-de-France. Ann Otolaryngol Chir Cervicofac 2001 ; 118 (3) : 215-24. ❏ Baujat B, De Minteguiaga C, Lecanu JB, Herman P, Tran Ba Huy P. Les surdités brusques sont-elles une urgence thérapeutique ? Premiers résultats d’une étude de cohorte prospective de 136 cas. Ann Otolaryngol Chir Cervicofac 2002 ; 119 (1) : 3-11. ❏ Tran Ba Huy P, Manach Y et al. Les urgences en ORL. Rapport à la Société française d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale, 2002 ; 482 p. ❏ Sauvaget E, Kici S, Petelle B, Herman P, Tran Ba Huy P. Vertebro-basilar occlusive disorders presenting as sudden deafness. Laryngoscope, sous presse ❏ Sauvaget E, Tran Ba Huy P. Sudden deafness is not a therapeutic emergency. Soumis. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 289-290 - janvier-février 2004