À propos de la sophrologie en cancérologie Concerning sophrology in cancerology Dossier D ossier IP N. Bariot* L a sophrologie a été fondée dans les années 1960 par le Pr Alonso Caycedo, neuropsychiatre. Il a élaboré cette discipline à médiation corporelle après une longue recherche, pendant laquelle il a étudié l’hypnose puis la phénoménologie. Cette quête le mène ensuite en Orient, où il va explorer le yoga, puis le bouddhisme et enfin le zen japonais. C’est à partir de toutes ces demandes qu’il met au point cette méthode qu’il appelle sophrologie, terme d’étymologie grecque. Il ouvre alors un nouveau champ d’investigation de la conscience, offre un moyen de reconnaître et d’explorer les différents états de conscience et de trouver les moyens de les faire varier dans un sens positif, réparateur, la conscience étant la connaissance immédiate de sa propre activité mentale. La sophrologie se compose de deux branches : – la sophrologie sociale, dont le souci est le progrès et le développement de la personne en bonne santé dans la société ; – la sophrologie clinique qui aide à la résolution d’un problème ciblé. C’est cette branche qui fournit le plus d’outils aux sophrologues en institution hospitalière, le but étant d’apprendre au patient à découvrir puis à utiliser ses capacités personnelles. En cancérologie, dès l’annonce du diagnostic, les patients ressentent une sensation de sidération. Ils sont pris, ensuite, dans des actions et des prises en charge qui leur donnent l’impression que leur vie a basculé. Ils se retrouvent face à des problèmes très nouveaux et très déstabilisants. Ils doivent, avec leur entourage, s’adapter à cette nouvelle situation. Dans l’offre de soins faite au patient et à sa famille, le sophrologue trouve ici toute sa place, en complément des autres professionnels de santé. Il va pouvoir les accompagner dans le parcours thérapeutique en : – établissant une relation d’aide ; – ouvrant un espace d’expression de la peur, de la fragilité, de la vulnérabilité du patient et/ou de ses proches ; – proposant des techniques spécifiques, répondant à des protocoles préétablis et personnalisés. Les principales techniques sont la relaxation, la respiration consciente, l’imagerie mentale, techniques qui vont permettre au patient de se percevoir de façon beaucoup plus positive, plus constructive et lui faire découvrir et mobiliser ses propres ressources. En pratique, une séance de sophrologie débute par un entretien. Celui-ci va permettre au sophrologue de définir le cadre de la * Infirmier, Institut Claudius-Regaud, Toulouse. La Lettre du Sénologue - n° 36 - avril-mai-juin 2007 relation et donner des informations sur la sophrologie. Le sophrologue se place alors dans une disponibilité temporelle, intellectuelle et morale (sans porter de jugement) et empathique. Dans cet entretien, le patient peut exprimer son vécu, son ressenti et, souvent, la simple narration de son histoire lui permet de retrouver de la cohérence. Après écoute et analyse de tous les éléments donnés, en tenant compte de l’état clinique du patient et de son environnement, le sophrologue propose une séance adaptée. Les trois principes de la sophrologie À PARTIR DE DEUX EXEMPLES C’est ainsi que je suis appelé pour rencontrer Mme V., hospitalisée, qui présente un problème d’insomnie. Ce qui ressort, dès le début de l’entretien, c’est un sentiment de peur et elle s’aperçoit assez rapidement, que l’annonce récente d’une prochaine radiothérapie cérébrale l’avait bouleversée. Elle prend conscience qu’elle ne connaissait que peu de chose sur ce traitement, mais qu’elle en avait une image très péjorative, renforcée par un caractère de gravité supplémentaire lié à la zone à traiter. Elle se sent déjà rassurée après avoir pu reconnaître ses peurs. Je lui livre, alors, les informations sur cette prise en charge thérapeutique et nous réalisons une séance de relaxation. Elle en ressort très apaisée et prête, en même temps, à faire ce traitement. Elle a ensuite retrouvé un sommeil normal. Le cas de Mme T. est très différent. Elle vient me voir d’ellemême pour un problème d’insomnie vraie, mal maîtrisée par les médicaments. Elle me décrit des phases de réveil avec tout l’agacement et l’agitation qui l’envahissent à ces moments-là. Je lui propose une réévaluation de la situation et une séance de relaxation avec une transformation positive par l’imagerie mentale. Le fait de pouvoir démystifier ses insomnies, de se recentrer sur son corps, lui ont permis de se tranquilliser, prendre conscience qu’elle pouvait avoir une action concrète et constructive sur son problème, lui ont redonné de l’espoir. Deux séances ont suffi à cela et elle était ensuite ravie de m’annoncer que grâce à ces techniques simples, elle avait un sommeil de qualité acceptable, malgré les quelques phases de réveil existant encore et qu’elle avait débuté un sevrage médicamenteux avec son médecin. Un remaniement de l’événement et ses réactions adaptatives lui ont permis de retrouver sa sérénité et ses compétences à gérer la situation. 19 Dossier D ossier La réalité objective Ces deux cas illustrent bien un principe de la sophrologie qui est celui de réalité objective. Pour chacun de nous, l’objet perçu a une réalité qui dépend de notre interprétation. La réalité objective va permettre de prendre conscience qu’il peut y avoir des différences entre l’apparence des choses et ce qu’elles sont vraiment. Une approche sereine, objective, écartant tout a priori et tout jugement, permet de transformer l’objet de peur et, ainsi, de mieux vivre les situations, voire les maîtriser. Ce principe est majeur en cancérologie. Ce matin-là, je suis appelé en chirurgie pour voir un couple en difficulté. Mme C., 51 ans, va être opérée cet après-midi d’une tumeur cancéreuse au sein et c’est son ami qui est en souffrance. Je trouve Mme C. qui se présente, sûre d’elle, assumant son problème objectivement et sereinement et qui me présente son fiancé, qui est assis sur une chaise à côté du lit, prostré, les yeux rougis. Elle le décrit en grande difficulté ce qui, dit-elle, ne l’aide pas à avoir le moral. Lui, acquiesce mollement, dit ne plus dormir mais s’exprime très peu. Je leur propose une séance de relaxation à tous les deux. Lors du dialogue post-séance, Mme C. se sent très bien et elle interpelle son ami. Lui, ose alors dire que oui, il sent que sa future femme est très forte, qu’elle l’est en toutes circonstances et qu’il culpabilise de se sentir faible. Une réévaluation de la situation lui permet alors de se resituer dans le couple et d’y trouver sa place avec l’acquiescement de son amie. Je leur propose de continuer ce travail à l’extérieur de l’hôpital pour le consolider. À ma sortie de la chambre, il se sent libéré et s’assoit sur le lit pour embrasser sa fiancée. L’action positive Ce cas m’amène à introduire le deuxième principe de la sophrologie, qui est celui d’action positive. Toute action positive dirigée vers le corps aura un retentissement positif sur la conscience et inversement. Réapprendre à agir et à penser positivement va nous aider à prendre conscience des possibles. On a vu, plus haut, que chez l’ami de Mme C., l’action positive de la relaxation sur son corps lui a permis de libérer sa parole et ses émotions, ses sentiments. Il a pu s’inscrire dans une attitude de responsabilité, de dignité humaine et a pris conscience, alors, qu’il pouvait être aidant, ce qui a transformé son attitude. Ce principe est bien d’action, à différencier de la pensée positive comme seul objectif, que l’on rencontre malheureusement assez souvent. Ainsi, Mme M. m’appelle lors de son hospitalisation. Elle en est à sa quatrième cure de chimiothérapie, traitement qui la fatigue et la perturbe beaucoup. Elle se plaint de nausées anticipées qui, me dit-elle, sont psychologiques, car elle n’arrive pas à voir sa chimiothérapie de façon positive. J’effectue avec elle une analyse de sa situation en reconnaissant des souffrances et surtout en les légitimant. Elle peut s’autoriser alors à ne pas aimer ce qui la gêne dans ce traitement, ce qui lui permet de recadrer seule ses croyances. Je lui propose des exercices de respiration consciente pour apaiser ses nausées anticipées. En prenant conscience qu’elle 20 n’avait pas à faire du positivisme sur quelque chose de négatif, Mme M. s’est sentie très soulagée et a pu s’approprier les outils que je lui avais proposés. Les cures suivantes lui ont paru beaucoup plus faciles à gérer. Le schéma corporel Le troisième principe fondateur de la sophrologie est le principe de schéma corporel comme réalité vécue. Le schéma corporel est la représentation que chacun se fait de son corps. Il inclut un contenu physiologique, mais aussi affectif et émotionnel. Une maladie, un acte chirurgical peuvent avoir un impact sur le corps, générant une détresse chez l’individu. Une nouvelle perception de soi peut alors rétablir notre capacité adaptative. Je suis sollicité par la psychologue pour rendre visite à Mr V. Il a été opéré d’une tumeur colique et se trouve porteur d’une colostomie. Mr V. est accompagné de son épouse. Il est très replié sur lui-même, communique très peu avec son épouse et ses filles, et semble en grande détresse. Il verbalise qu’il se sent “comme un monstre” et qu’il ne peut décemment pas se montrer ainsi devant les personnes qu’il aime, sa femme et ses filles. Je lui propose une relaxation ciblée, après laquelle il libère beaucoup d’émotions. Après une seconde séance, le lendemain, il retrouve son entrain, sa femme dit le retrouver, il se sent complètement libéré et n’éprouve pas le besoin de continuer. Lorsque je le revois trois semaines plus tard, il est tout souriant et très heureux de me dire qu’il n’avait plus besoin de moi, qu’il se sentait comme avant. Une perception apaisée de son corps lui a permis de réintégrer sa corporalité de façon objective et positive. On voit bien à travers tous ces exemples, que les trois principes fondamentaux de la sophrologie sont très liés les uns aux autres, très imbriqués, et que lors des séances, ils sont travaillés et mis en œuvre tous ensemble, sans ordre hiérarchique pour emmener le patient vers un espace de découverte, de conquête et de transformation. À l’Institut Claudius-Regaud, la sophrologie est pratiquée par des infirmiers-sophrologues. Ils sont acteurs, à part entière, dans la prise en charge pluridisciplinaire du patient. Ils occupent un poste à temps complet. Ils travaillent tous les jours en étroite collaboration avec les équipes médicales et paramédicales et interviennent dans tous les services : oncologie, chirurgie, radiothérapie, consultations. Ils sont rattachés au service de psycho-oncologie. Les sollicitations se font par les patients euxmêmes ou, plus fréquemment, par les soignants médicaux et paramédicaux. Les séances se déroulent dans les chambres ou dans leur bureau. Une messagerie vocale permet de faire le lien entre les demandeurs et les sophrologues. Les principales problématiques traitées sont l’aide dans les difficultés liées : – à la maladie (gestion du stress, de l’angoisse…) ; – au traitement (gestion des troubles digestifs, préparation aux actes anxiogènes, accompagnement des traitements contre la douleur, gestion de la fatigue…). En 2006, j’ai pris en charge 458 patients sur 1 500 séances avec une moyenne de 40 minutes par séance. n La Lettre du Sénologue - n° 36 - avril-mai-juin 2007