La Lettre du Sénologue - n° 36 - avril-mai-juin 2007
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La sophrologie a été fondée dans les années 1960 par le
Pr Alonso Caycedo, neuropsychiatre. Il a élaboré cette
discipline à médiation corporelle après une longue re-
cherche, pendant laquelle il a étudié l’hypnose puis la phéno-
ménologie.
Cette quête le mène ensuite en Orient, il va explorer le
yoga, puis le bouddhisme et enfin le zen japonais. Cest à par-
tir de toutes ces demandes qu’il met au point cette méthode
qu’il appelle sophrologie, terme d’étymologie grecque. Il ouvre
alors un nouveau champ d’investigation de la conscience, offre
un moyen de reconnaître et d’explorer les différents états de
conscience et de trouver les moyens de les faire varier dans
un sens positif, réparateur, la conscience étant la connaissance
immédiate de sa propre activité mentale.
La sophrologie se compose de deux branches :
– la sophrologie sociale, dont le souci est le progrès et le ve-
loppement de la personne en bonne santé dans la société ;
la sophrologie clinique qui aide à la résolution d’un problème
ciblé. C’est cette branche qui fournit le plus d’outils aux sophro-
logues en institution hospitalre, le but étant dapprendre au pa-
tient à découvrir puis à utiliser ses capacis personnelles.
En cancérologie, dès l’annonce du diagnostic, les patients res-
sentent une sensation de sidération. Ils sont pris, ensuite, dans
des actions et des prises en charge qui leur donnent l’impres-
sion que leur vie a basculé.
Ils se retrouvent face à des problèmes très nouveaux et très
déstabilisants. Ils doivent, avec leur entourage, s’adapter à
cette nouvelle situation.
Dans l’offre de soins faite au patient et à sa famille, le so-
phrologue trouve ici toute sa place, en complément des
autres professionnels de santé. Il va pouvoir les accompa-
gner dans le parcours thérapeutique en :
– établissant une relation d’aide ;
– ouvrant un espace d’expression de la peur, de la fragilité, de
la vulnérabilité du patient et/ou de ses proches ;
– proposant des techniques spécifiques, répondant à des pro-
tocoles préétablis et personnalisés.
Les principales techniques sont la relaxation, la respiration
consciente, l’imagerie mentale, techniques qui vont permettre
au patient de se percevoir de façon beaucoup plus positive,
plus constructive et lui faire découvrir et mobiliser ses propres
ressources.
En pratique, une séance de sophrologie débute par un entretien.
Celui-ci va permettre au sophrologue de définir le cadre de la
relation et donner des informations sur la sophrologie. Le soph-
rologue se place alors dans une disponibilitemporelle, intel-
lectuelle et morale (sans porter de jugement) et empathique.
Dans cet entretien, le patient peut exprimer son vécu, son res-
senti et, souvent, la simple narration de son histoire lui permet
de retrouver de la cohérence.
Après écoute et analyse de tous les éléments donnés, en tenant
compte de l’état clinique du patient et de son environnement,
le sophrologue propose une séance adaptée.
LES TROIS PRINCIPES DE LA SOPHROLOGIE
À PARTIR DE DEUX EXEMPLES
Cest ainsi que je suis appelé pour rencontrer Mme V., hospi-
talisée, qui présente un problème d’insomnie. Ce qui ressort,
dès le début de l’entretien, cest un sentiment de peur et elle
s’aperçoit assez rapidement, que l’annonce récente d’une pro-
chaine radiothérapie cérébrale l’avait bouleversée. Elle prend
conscience qu’elle ne connaissait que peu de chose sur ce trai-
tement, mais qu’elle en avait une image très péjorative, renfor-
cée par un caractère de gravité supplémentaire lié à la zone à
traiter. Elle se sent déjà rassurée après avoir pu reconnaître ses
peurs. Je lui livre, alors, les informations sur cette prise en char-
ge thérapeutique et nous réalisons une ance de relaxation.
Elle en ressort très apaisée et prête, en même temps, à faire ce
traitement. Elle a ensuite retrouvé un sommeil normal.
Le cas de Mme T. est très différent. Elle vient me voir d’elle-
même pour un problème d’insomnie vraie, mal maîtrisée par
les médicaments. Elle me décrit des phases de réveil avec tout
l’agacement et l’agitation qui l’envahissent à ces moments-là.
Je lui propose une évaluation de la situation et une séance
de relaxation avec une transformation positive par l’image-
rie mentale. Le fait de pouvoir démystifier ses insomnies, de
se recentrer sur son corps, lui ont permis de se tranquilliser,
prendre conscience qu’elle pouvait avoir une action concrète
et constructive sur son problème, lui ont redonné de l’espoir.
Deux séances ont suffi à cela et elle était ensuite ravie de
mannoncer que grâce à ces techniques simples, elle avait un
sommeil de qualité acceptable, malgré les quelques phases de
réveil existant encore et qu’elle avait débuté un sevrage di-
camenteux avec son médecin.
Un remaniement de l’événement et ses réactions adaptatives
lui ont permis de retrouver sa sérénité et ses compétences à
gérer la situation.
* Inrmier, Institut Claudius-Regaud, Toulouse.
À propos de la sophrologie en cancérologie
Concerning sophrology in cancerology
IP N. Bariot*
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La réalité objective
Ces deux cas illustrent bien un principe de la sophrologie
qui est celui de réalité objective. Pour chacun de nous, l’objet
perçu a une réalité qui dépend de notre interprétation. La réa-
lité objective va permettre de prendre conscience qu’il peut y
avoir des différences entre l’apparence des choses et ce qu’elles
sont vraiment. Une approche sereine, objective, écartant tout
a priori et tout jugement, permet de transformer l’objet de
peur et, ainsi, de mieux vivre les situations, voire les maîtriser.
Ce principe est majeur en cancérologie.
Ce matin-là, je suis appe en chirurgie pour voir un couple en
difficulté. Mme C., 51 ans, va être opée cet aps-midi dune
tumeur cancéreuse au sein et c’est son ami qui est en souffrance.
Je trouve Mme C. qui se présente, sûre d’elle, assumant son
problème objectivement et sereinement et qui me présente
son fiancé, qui est assis sur une chaise à côté du lit, prostré, les
yeux rougis. Elle le crit en grande difficulté ce qui, dit-elle,
ne l’aide pas à avoir le moral. Lui, acquiesce mollement, dit ne
plus dormir mais s’exprime très peu.
Je leur propose une séance de relaxation à tous les deux. Lors
du dialogue post-séance, Mme C. se sent très bien et elle inter-
pelle son ami. Lui, ose alors dire que oui, il sent que sa future
femme est très forte, qu’elle l’est en toutes circonstances et qu’il
culpabilise de se sentir faible. Une réévaluation de la situation
lui permet alors de se resituer dans le couple et d’y trouver
sa place avec l’acquiescement de son amie. Je leur propose de
continuer ce travail à l’extérieur de l’hôpital pour le consolider.
À ma sortie de la chambre, il se sent libéré et s’assoit sur le lit
pour embrasser sa fiancée.
L’action positive
Ce cas mane à introduire le deuxme principe de la sophrolo-
gie, qui est celui d’action positive. Toute action positive dirigée
vers le corps aura un retentissement positif sur la conscience
et inversement. Réapprendre à agir et à penser positivement
va nous aider à prendre conscience des possibles.
On a vu, plus haut, que chez l’ami de Mme C., l’action positive
de la relaxation sur son corps lui a permis de libérer sa parole et
ses émotions, ses sentiments. Il a pu s’inscrire dans une attitude
de responsabilité, de dignité humaine et a pris conscience, alors,
quil pouvait être aidant, ce qui a transformé son attitude.
Ce principe est bien d’action, à différencier de la pensée posi-
tive comme seul objectif, que l’on rencontre malheureusement
assez souvent.
Ainsi, Mme M. m’appelle lors de son hospitalisation. Elle en
est à sa quatrième cure de chimiothérapie, traitement qui la
fatigue et la perturbe beaucoup. Elle se plaint de nausées an-
ticipées qui, me dit-elle, sont psychologiques, car elle narrive
pas à voir sa chimiothérapie de façon positive. J’effectue avec
elle une analyse de sa situation en reconnaissant des souffran-
ces et surtout en les légitimant. Elle peut s’autoriser alors à ne
pas aimer ce qui la gêne dans ce traitement, ce qui lui permet
de recadrer seule ses croyances.
Je lui propose des exercices de respiration consciente pour
apaiser ses nausées anticipées. En prenant conscience quelle
navait pas à faire du positivisme sur quelque chose de néga-
tif, Mme M. s’est sentie très soulagée et a pu s’approprier les
outils que je lui avais proposés. Les cures suivantes lui ont
paru beaucoup plus faciles à gérer.
Le schéma corporel
Le troisième principe fondateur de la sophrologie est le principe
de schéma corporel comme alité cue. Le scma corporel
est la représentation que chacun se fait de son corps. Il inclut un
contenu physiologique, mais aussi affectif et émotionnel. Une
maladie, un acte chirurgical peuvent avoir un impact sur le corps,
rant une détresse chez l’individu. Une nouvelle perception
de soi peut alors tablir notre capaci adaptative.
Je suis sollicité par la psychologue pour rendre visite à Mr V.
Il a été opéré d’une tumeur colique et se trouve porteur d’une
colostomie. Mr V. est accompagné de son épouse. Il est très
replié sur lui-même, communique très peu avec son épouse et
ses filles, et semble en grande détresse. Il verbalise qu’il se sent
comme un monstre” et qu’il ne peut décemment pas se mon-
trer ainsi devant les personnes quil aime, sa femme et ses filles.
Je lui propose une relaxation ciblée, après laquelle il libère
beaucoup d’émotions. Après une seconde ance, le lende-
main, il retrouve son entrain, sa femme dit le retrouver, il se
sent complètement libéré et néprouve pas le besoin de conti-
nuer. Lorsque je le revois trois semaines plus tard, il est tout
souriant et très heureux de me dire qu’il navait plus besoin de
moi, qu’il se sentait comme avant. Une perception apaisée de
son corps lui a permis de réintégrer sa corporalité de façon
objective et positive.
On voit bien à travers tous ces exemples, que les trois prin-
cipes fondamentaux de la sophrologie sont très liés les uns
aux autres, très imbriqués, et que lors des séances, ils sont
travaillés et mis en œuvre tous ensemble, sans ordre hiérar-
chique pour emmener le patient vers un espace de découverte,
de conquête et de transformation.
À l’Institut Claudius-Regaud, la sophrologie est pratiquée par
des infirmiers-sophrologues. Ils sont acteurs, à part entière,
dans la prise en charge pluridisciplinaire du patient. Ils occu-
pent un poste à temps complet. Ils travaillent tous les jours en
étroite collaboration avec les équipes médicales et paramédica-
les et interviennent dans tous les services : oncologie, chirurgie,
radiothérapie, consultations. Ils sont rattachés au service de
psycho-oncologie. Les sollicitations se font par les patients eux-
mêmes ou, plus fréquemment, par les soignants médicaux et
paramédicaux. Les séances se déroulent dans les chambres ou
dans leur bureau. Une messagerie vocale permet de faire le lien
entre les demandeurs et les sophrologues.
Les principales problématiques traitées sont l’aide dans les dif-
ficultés liées :
– à la maladie (gestion du stress, de l’angoisse…) ;
au traitement (gestion des troubles digestifs, préparation aux
actes anxiogènes, accompagnement des traitements contre la
douleur, gestion de la fatigue…).
En 2006, j’ai pris en charge 458 patients sur 1 500 séances avec
une moyenne de 40 minutes par séance. n
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