La Lettre du Sénologue - n° 36 - avril-mai-juin 2007
Dossier
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La réalité objective
Ces deux cas illustrent bien un principe de la sophrologie
qui est celui de réalité objective. Pour chacun de nous, l’objet
perçu a une réalité qui dépend de notre interprétation. La réa-
lité objective va permettre de prendre conscience qu’il peut y
avoir des différences entre l’apparence des choses et ce qu’elles
sont vraiment. Une approche sereine, objective, écartant tout
a priori et tout jugement, permet de transformer l’objet de
peur et, ainsi, de mieux vivre les situations, voire les maîtriser.
Ce principe est majeur en cancérologie.
Ce matin-là, je suis appelé en chirurgie pour voir un couple en
difficulté. Mme C., 51 ans, va être opérée cet après-midi d’une
tumeur cancéreuse au sein et c’est son ami qui est en souffrance.
Je trouve Mme C. qui se présente, sûre d’elle, assumant son
problème objectivement et sereinement et qui me présente
son fiancé, qui est assis sur une chaise à côté du lit, prostré, les
yeux rougis. Elle le décrit en grande difficulté ce qui, dit-elle,
ne l’aide pas à avoir le moral. Lui, acquiesce mollement, dit ne
plus dormir mais s’exprime très peu.
Je leur propose une séance de relaxation à tous les deux. Lors
du dialogue post-séance, Mme C. se sent très bien et elle inter-
pelle son ami. Lui, ose alors dire que oui, il sent que sa future
femme est très forte, qu’elle l’est en toutes circonstances et qu’il
culpabilise de se sentir faible. Une réévaluation de la situation
lui permet alors de se resituer dans le couple et d’y trouver
sa place avec l’acquiescement de son amie. Je leur propose de
continuer ce travail à l’extérieur de l’hôpital pour le consolider.
À ma sortie de la chambre, il se sent libéré et s’assoit sur le lit
pour embrasser sa fiancée.
L’action positive
Ce cas m’amène à introduire le deuxième principe de la sophrolo-
gie, qui est celui d’action positive. Toute action positive dirigée
vers le corps aura un retentissement positif sur la conscience
et inversement. Réapprendre à agir et à penser positivement
va nous aider à prendre conscience des possibles.
On a vu, plus haut, que chez l’ami de Mme C., l’action positive
de la relaxation sur son corps lui a permis de libérer sa parole et
ses émotions, ses sentiments. Il a pu s’inscrire dans une attitude
de responsabilité, de dignité humaine et a pris conscience, alors,
qu’il pouvait être aidant, ce qui a transformé son attitude.
Ce principe est bien d’action, à différencier de la pensée posi-
tive comme seul objectif, que l’on rencontre malheureusement
assez souvent.
Ainsi, Mme M. m’appelle lors de son hospitalisation. Elle en
est à sa quatrième cure de chimiothérapie, traitement qui la
fatigue et la perturbe beaucoup. Elle se plaint de nausées an-
ticipées qui, me dit-elle, sont psychologiques, car elle n’arrive
pas à voir sa chimiothérapie de façon positive. J’effectue avec
elle une analyse de sa situation en reconnaissant des souffran-
ces et surtout en les légitimant. Elle peut s’autoriser alors à ne
pas aimer ce qui la gêne dans ce traitement, ce qui lui permet
de recadrer seule ses croyances.
Je lui propose des exercices de respiration consciente pour
apaiser ses nausées anticipées. En prenant conscience qu’elle
n’avait pas à faire du positivisme sur quelque chose de néga-
tif, Mme M. s’est sentie très soulagée et a pu s’approprier les
outils que je lui avais proposés. Les cures suivantes lui ont
paru beaucoup plus faciles à gérer.
Le schéma corporel
Le troisième principe fondateur de la sophrologie est le principe
de schéma corporel comme réalité vécue. Le schéma corporel
est la représentation que chacun se fait de son corps. Il inclut un
contenu physiologique, mais aussi affectif et émotionnel. Une
maladie, un acte chirurgical peuvent avoir un impact sur le corps,
générant une détresse chez l’individu. Une nouvelle perception
de soi peut alors rétablir notre capacité adaptative.
Je suis sollicité par la psychologue pour rendre visite à Mr V.
Il a été opéré d’une tumeur colique et se trouve porteur d’une
colostomie. Mr V. est accompagné de son épouse. Il est très
replié sur lui-même, communique très peu avec son épouse et
ses filles, et semble en grande détresse. Il verbalise qu’il se sent
“comme un monstre” et qu’il ne peut décemment pas se mon-
trer ainsi devant les personnes qu’il aime, sa femme et ses filles.
Je lui propose une relaxation ciblée, après laquelle il libère
beaucoup d’émotions. Après une seconde séance, le lende-
main, il retrouve son entrain, sa femme dit le retrouver, il se
sent complètement libéré et n’éprouve pas le besoin de conti-
nuer. Lorsque je le revois trois semaines plus tard, il est tout
souriant et très heureux de me dire qu’il n’avait plus besoin de
moi, qu’il se sentait comme avant. Une perception apaisée de
son corps lui a permis de réintégrer sa corporalité de façon
objective et positive.
On voit bien à travers tous ces exemples, que les trois prin-
cipes fondamentaux de la sophrologie sont très liés les uns
aux autres, très imbriqués, et que lors des séances, ils sont
travaillés et mis en œuvre tous ensemble, sans ordre hiérar-
chique pour emmener le patient vers un espace de découverte,
de conquête et de transformation.
À l’Institut Claudius-Regaud, la sophrologie est pratiquée par
des infirmiers-sophrologues. Ils sont acteurs, à part entière,
dans la prise en charge pluridisciplinaire du patient. Ils occu-
pent un poste à temps complet. Ils travaillent tous les jours en
étroite collaboration avec les équipes médicales et paramédica-
les et interviennent dans tous les services : oncologie, chirurgie,
radiothérapie, consultations. Ils sont rattachés au service de
psycho-oncologie. Les sollicitations se font par les patients eux-
mêmes ou, plus fréquemment, par les soignants médicaux et
paramédicaux. Les séances se déroulent dans les chambres ou
dans leur bureau. Une messagerie vocale permet de faire le lien
entre les demandeurs et les sophrologues.
Les principales problématiques traitées sont l’aide dans les dif-
ficultés liées :
– à la maladie (gestion du stress, de l’angoisse…) ;
– au traitement (gestion des troubles digestifs, préparation aux
actes anxiogènes, accompagnement des traitements contre la
douleur, gestion de la fatigue…).
En 2006, j’ai pris en charge 458 patients sur 1 500 séances avec
une moyenne de 40 minutes par séance. n