Complications cutanées des chimiothérapies Chemotherapy cutaneous toxicity ● ● N. Auffret* ▶ RésuMé Les chimiothérapies induisent une toxicité cutanée, notamment mise en avant dans le cadre des thérapies ciblées. Sa description ainsi que quelques points physiopathologiques sont abordés, associés à des conseils de prise en charge. Ces toxicités particulières sont gênantes esthétiquement, mais peuvent également entraîner des complications algiques ou systémiques, nécessitant une prise en charge adaptée. Mots-clés : Toxicité cutanée – Chimiothérapie. ▶ SUMMARY Chemotherapy has singular cutaneous toxicity, especially within target therapies. This article is about its description and physiopathological elements associated with care propositions. These particular toxicities may be disturbing because of pain, and may reveal systemic troubles. It is important to detect these side effects in order to avoid complications. Keywords: Cutaneous toxicity – Chemotherapy. T ous les médicaments sont susceptibles d’avoir des effets indésirables, en particulier muqueux, cutanés, annexiels et unguéaux. Les chimiothérapies n’échappent pas à la règle et, lorsque plusieurs médicaments sont prescrits ensemble, il est parfois difficile, voire impossible, d’identifier la molécule en cause. L’apport constant de nouvelles molécules (anti-TNFα, anticorps [Ac] monoclonaux, etc.) nous révèle aussi de nouvelles toxidermies qu’il convient de connaître pour mieux les gérer tant en prodiguant des conseils aux patients que sur le plan thérapeutique. Les effets indésirables des chimiothérapies sont fréquents, mais non constants, habituellement dose-dépendants, mais pas toujours. Ils n’entraînent pas systématiquement l’arrêt du traitement. * Service d’immunologie clinique, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2007 alopécie L’alopécie désigne une chute de cheveux (ou de poils : barbe, sourcils, cils) plus ou moins diffuse. Cette réaction fréquente, mais non constante, secondaire à la toxicité des molécules chimiques sur les cellules du bulbe pilaire en phase de renouvellement, se traduit soit par une chute, soit par une fragilité des cheveux, qui prennent un aspect cassant. Elle débute habituellement 15 à 20 jours après le début du traitement. Elle peut maintenant être prévenue grâce à l’utilisation d’un casque réfrigérant pendant la perfusion du traitement. Le froid provoque une vasoconstriction, et donc une diminution du flux sanguin, ayant pour conséquence une réduction de la quantité de la molécule perfusée au niveau du follicule pileux. Les inconvénients d’une telle pratique sont essentiellement un inconfort se traduisant par des céphalées, des douleurs de la nuque et même des sinusites. Les molécules le plus souvent responsables sont les anthracyclines, le cyclophosphamide à fortes doses, la doxorubicine (catabolisme rapide), le cisplatine et la vinorelbine. Pour mieux préparer les patients à ces effets indésirables mal tolérés, tant sur le plan esthétique que relationnel, quelques conseils peuvent leur être prodigués. On peut ainsi leur proposer, avant de démarrer la chimiothérapie, de se faire couper les cheveux très court, afin que la différence d’aspect soit moins traumatisante. Le port d’une prothèse capillaire (prothèse prise en charge par la Sécurité sociale, à faire avant le début du traitement) est fortement recommandé, ou le port de bandeaux ou de foulards. La repousse débute un mois après la dernière cure. Elle est de 1 cm par mois. dossier thématique d ossier thématique photosensibilisations Cliniquement, elles se manifestent par un coup de soleil ou une rougeur du visage, du décolleté, du haut du dos, des mains ; elles sont parfois très violentes, associées ou non à des bulles et à des décollements, avec une sensation de brûlure et de chaleur, apparaissant avec des ensoleillements parfois minimes, voire un soleil voilé. Elles sont particulièrement fréquentes avec le 5-fluoro-uracile (5-FU). Elles peuvent être réduites ou prévenues si le patient est à l’abri de la lumière lors de l’injection intraveineuse, s’il évite les forts ensoleillements et s’il suit une recommandation d’utilisation renouvelée d’écrans solaires. Malgré cela, en cas d’éruption, l’utilisation de crèmes corticoïdes associées à des émollients pourra être proposée. 401 dossier thématique d ossier thématique tRoubles de la pigMentation Les hyperpigmentations sont fréquentes, diffuses ou localisées (par exemple au niveau des ongles ou au niveau du dos, avec un aspect de flagellation, à la suite d’un traitement par bléomycine). Elles sont dues à l’accumulation de mélanine au niveau de l’épiderme par stimulation directe des mélanocytes. Bléomycine, cyclophosphamide, méthotrexate, 5-FU ou chlorméthine sont le plus souvent en cause. La pigmentation des ongles peut être longitudinale, transversale ou diffuse, plus ou moins foncée, indolore, visible au niveau des ongles des mains aussi bien que des orteils, apparaissant quelques semaines après le début du traitement pour disparaître beaucoup plus lentement, parfois au bout de plusieurs mois. Doxorubicine, cyclophosphamide, melphalan, bléomycine et 5-FU sont les principaux responsables. Le sunitinib (Sutent®) donne un teint jaune, “ictérique”, aux sujets à peau blanche, et induit une dépigmentation en taches ou généralisée chez les sujets à peau noire. Le seul traitement que l’on puisse actuellement proposer est l’utilisation d’un maquillage. Ces troubles de la pigmentation se retrouvent aussi sur les phanères, avec des modifications de la couleur des cheveux, qui deviennent poivre et sel et qui peuvent alors être teints. lors de son arrêt. L’aspect clinique est très stéréotypé, marqué par l’apparition de papules folliculaires évoluant en pustules, discrètes ou profuses, isolées ou confluentes, prurigineuses, voire douloureuses, croûteuses en se dessèchant, localisées sur les zones séborrhéiques (visage, décolleté et dos) mais parfois plus diffuses et pouvant s’observer sur le cuir chevelu, les régions rétro-auriculaires et les épaules. Lorsque les lésions sont très croûteuses, elles peuvent évoquer une dermite séborrhéique profuse inflammatoire. Lorsqu’elles sont très inflammatoires sur le visage, l’aspect peut évoquer une rosacée. Elles n’imposent que très rarement l’arrêt du traitement. La prise en charge des patients est indispensable, car la survenue de ces éruptions est inconfortable et mal acceptée. Lorsque les acnés sont asymptomatiques, de simples émollients suffisent. Lorsqu’elles sont gênantes, la prescription d’une antibiothérapie p.o. (cyclines) est proposée. Lorsqu’elles sont très prurigineuses, un dermocorticoïde peut lui être associé. La survenue d’une éruption acnéiforme n’implique pas, dans la majorité des cas, de modification des doses thérapeutiques ni d’arrêt, d’autant que ces médicaments sont efficaces et que leur arrêt serait préjudiciable. Il est dit que le taux de réponse au traitement serait plus élevé, de même que la durée de survie, parallèlement à la sévérité de l’éruption, mais cela reste à démontrer. acnés (photo 1) xéRose cutanée Une sécheresse de la peau et des muqueuses est souvent observée avec les chimiothérapies. Elle peut être généralisée ou localisée. Pour y remédier, il convient de proposer l’utilisation d’émollients plusieurs fois par jour. Avec les anti-EGFR et, surtout, les inhibiteurs de la tyrosine kinase, la sécheresse cutanée s’observe dans 10 à 35 % des cas. atteinte des ongles Photo 1. Acné induite par les anti-EGF. Elles sont principalement observées avec les anti-EGFR, que ce soit les Ac monoclonaux ou les inhibiteurs de la tyrosine kinase, chez 50 %, voire 100 %, des patients. Ces éruptions acnéiformes débutent peu après le début du traitement, dès la première, voire la deuxième, chimiothérapie. Elles s’améliorent parfois malgré la poursuite du traitement et disparaissent toujours 402 De nombreuses anomalies des ongles sont observées lors des chimiothérapies : stries noires ou lignes de Beau, douleurs au niveau des ongles, fragilité, onycholyse se traduisant par une perte partielle ou complète de l’ongle, voire photo-onycholyse, paronychies. Toutes ces manifestations n’impliquent pas l’arrêt du traitement. Les médicaments le plus souvent en cause sont la mitoxantrone, la leucoverine, le méthotrexate, la bléomycine, le 5-fluoro-uracil, l’étoposide, les taxanes. Pour améliorer le confort des patients, il faut leur conseiller d’éviter les traumatismes au niveau des mains et des orteils en portant des gants, surtout en cas de travaux ménagers ou d’exposition au froid, en mettant des chaussures confortables, et en utilisant des vernis à ongles à base de silicium, qui renforcent la résistance de l’ongle pendant la durée du traitement et les six mois qui le suivent. On proposera également le port d’enveloppes réfrigérantes durant le passage intraveineux du traitement. Pour les paronychies invalidantes, traînantes et douloureuses, la prescription de cyclines s’impose. La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2007 sYndRoMe Mains-pieds (photo 2) phlébite peuvent apparaître. Des procédures précises doivent être décrites dans chaque service afin de réagir au plus vite. Arrêter immédiatement l’administration du produit en cause, laisser l’aiguille en place, aspirer le maximum de liquide extravasé puis diluer avec des injections s.c. de sérum physiologique constituent la règle de base. Par la suite, en fonction du produit et de sa toxicité, on pourra administrer des antidotes, des corticoïdes locaux, et parfois demander un avis chirurgical. sYndRoMe de RaYnaud Ce syndrome a un aspect clinique stéréotypé : il touche les doigts, le nez, les orteils et les oreilles, qui deviennent subitement froids et insensibles avant de présenter une cyanose douloureuse. L’azathioprine, la ciclosporine, la miansérine, l’interféron (IFN) et la bléomycine sont particulièrement en cause. Photo 2. Syndrome mains-pieds. Il se traduit par un érythème palmo-plantaire douloureux, associé parfois à des dysesthésies, suivi d’une desquamation. On l’observe avec la cytarabine, la doxorubicine, la capécitabine, le cyclophosphamide, l’hydroxyurée, l’interleukine 2 (IL-2), la mercaptopurine, le méthotrexate surtout. La prescription de vitamine B6 réduirait son incidence et sa sévérité, de même que la prescription de corticoïdes p.o. pendant la durée du traitement, mais également l’utilisation de gants et de chaussettes réfrigérantes lors de la perfusion. hidRadénite neutRophiliQue eccRine C’est une dermatose inflammatoire limitée qui s’observe surtout au niveau des jambes, du tronc, des aisselles et du visage, se caractérisant par des nodules et des plaques hémorragiques, pustuleuses et douloureuses, secondaires à l’inflammation des glandes eccrines et apocrines. La cytarabine, en particulier, cause cette éruption. inflaMMation des KéRatoses actiniQues Elle s’observe avec le 5-FU, la dacarbazine, la vincristine, la dactinomycine, la doxorubicine et le cisplatine. Les kératoses deviennent rouges, inflammatoires, parfois sensibles et prurigineuses. Les dermocorticoïdes sont utiles. Réactions cutanées locales Après extravasation dans les tissus mous du médicament, du solvant ou du diluant, une rougeur ou un placard inflammatoire douloureux dû à une cellulite, une ulcération, une nécrose ou une La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2007 dossier thématique d ossier thématique Réactions d’hYpeRsensibilité Elles sont décrites avec de nombreuses molécules, mais aussi avec les solvants ou les stabilisants. Leurs aspects cliniques sont très variés : urticaire, érythème, dermatose généralisée, anaphylaxie, érythème pigmenté fixe, vascularite, nécrolyse épidermique toxique. Leur survenue peut être immédiate ou retardée. Pour les éviter, une prémédication systématique est nécessaire (corticoïdes et anti-histaminiques H1) pour certains médicaments, associée à un étalement du temps de perfusion (de six à vingt-quatre heures). Leur sévérité impose parfois l’arrêt du traitement. Le paclitaxel et la L-asparaginase sont les molécules qui donnent les réactions les plus sévères, mais aussi l’azathioprine, la bléomycine, le busulfan, la cytarabine, la dacarbazine, la daunorubicine, le fluoro-uracile, le facteur de croissance hématopoïétique GMCSF (granulocyte-macrophage colony-stimulating factor), l’IL-2, la mitomycine, les nitroso-urées, la procarbazine, la suramine et le thiotépa. Néanmoins, tous les médicaments, rappelons-le, peuvent engendrer de telles réactions. Réactions obseRvées loRs de l’association RadiothéRapie et chiMiothéRapie Certaines chimiothérapies sensibilisent la peau aux radiations. Ces effets sont plus fréquents et plus intenses sur les zones d’irradiation. On peut même observer, des mois ou des années plus tard, l’induction d’un phénomène de rappel sur des zones irradiées. Une prévention rigoureuse au niveau des champs d’irradiation est indispensable. Lors de la survenue de telles réactions, souvent violentes et à type de brûlure, il faut proposer des soins locaux non irritants ou agressifs, une protection solaire systématique et, en cas de surinfection, une antibiothérapie par voie générale. Bléomycine, cisplatine, dactinomycine, doxorubicine, 5-FU, hydroxyurée et méthotrexate sont les molécules le plus souvent mises en cause. 403 dossier thématique d ossier thématique L’amifostine associée aux chimiothérapies ou à une radiothérapie provoque des réactions cutanées particulièrement sévères, parfois à type de syndrome de Stevens-Johnson, de nécrolyse épidermique toxique, de rash bulleux (1 cas sur 1 000 radiothérapies), nécessitant un traitement symptomatique et justifiant l’arrêt du traitement dans ces cas. Manifestations plus RaRes (photo 3) Des nécroses cutanées, avec l’IFN, un syndrome de Sweet, surtout avec le GMCSF, et des ulcères de jambes, avec l’hydroxyurée, peuvent se rencontrer. Il conviendra de cesser immédiatement le traitement en associant des mesures symptomatiques. conclusion L’administration d’agents chimiothérapiques est souvent associée à des manifestations cutanées, rarement graves, certaines prévisibles. Le développement constant de molécules nous révèle de nouvelles réactions. Bien les connaître permet une meilleure prise en charge de nos patients et des toxicités cutanées dont ils sont atteints. ■ pouR en saVoiR plus... 1. Wyatt AJ, Leonard GD, Sachs DL. Cutaneous reactions to chemotherapy and Photo 3. Cicatrices faisant suite à des nécroses après injection d’IFN. 404 their management. Am J Clin Dermatol 2006;7(1):45-63. 2. Alley E, Green R, Schuchter L. Cutaneous toxicities of cancer therapy. Curr Opin Oncol 2002;14(2):212-6. 3. Hannoud S, Rixe O, Bloch J et al. Manifestations cutanées des inhibiteurs du récepteur du facteur de croissance épidermique. Ann Dermatol Cenerol 2006; 133(3):239-42. La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2007