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1ères DOCTORIALES du Tourisme
de la Chaire « Culture, Tourisme, développement »
TOURISME / TOURISM
Concepts et méthodes à la croisée des disciplines
Concepts and methods at the disciplinary crossroads
14-16 septembre 2011
L’anthropologie face au tourisme : des méthodes à (re)penser?
Aurélie Condevaux
Doctorante en anthropologie au C.R.E.D.O. (Centre de Recherche et de Documentation sur
l'Océanie) et à l'Université de Provence, sous la direction de P. van der Grijp
Résumé
A. Doquet et O. Evrard (2008, p.10) ont souligné qu'il était nécessaire de réinscrire l’étude du
tourisme dans celle, plus large, des mobilités dans le monde globalisé considérées dans leur
ensemble. Cela ne va pas sans soulever certaines questions, notamment d'un point de vue
méthodologique. Cette communication examinera la possibilité d'utiliser des méthodes
d'enquête « nouvelles », comme l'enquête multi-située proposée par G. Marcus, afin de mieux
appréhender ce phénomène complexe.
Mots clefs :
Anthropologie du tourisme, méthodologie, enquête multi-située, Polynésie.
Abstract
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A. Doquet and O. Evrard have underlined that we need to reinscribe tourism studies in the
larger field of research on movements in the globalised world. This assertion raises many
questions, in particular on methodology matters. I propose to examine the possibility of using
« new » ways of conducting ethnographic fieldwork, such as the multi-sited ethnography
defined by G. Marcus, to reach a better understanding of this complex phenomenon.
Key words :
Anthropology of tourism, methodology, multi-sited ethnography, Polynesia.
Affirmer que le tourisme est moteur de mouvements mouvements de personnes,
d'images, d'argent notamment relève presque du truisme. Le tourisme est aussi un vecteur
de mondialisation, comme en atteste notamment le fait que les cultures des sociétés hôtes sont
représentées selon des techniques et des choix de mise en scène très similaires d’une
destination à une autre. Pour mieux appréhender ce caractère homogénéisateur du tourisme,
A. Bunten (2008) a proposé le concept de « formule culturelle-touristique », celle-ci étant
caractérisée par quelques éléments invariables, dont un protocole d’accueil, la médiation d’un
guide, une mise en pratique de la langue locale, des détails architecturaux « traditionnels »,
une prestation de musique et de danse, une boutique de souvenirs et, souvent, une
démonstration de l’artisanat local (fabrication ou utilisation de certains objets) (p. 385).
Devant ce constat, la nécessité de « réinscrire l’étude du tourisme dans celle, plus
large, des mobilités dans le monde globalisé » (Doquet et Evrard, 2008, p.10) s'impose. Mais
ce choix ne va pas sans soulever certaines questions, notamment d'un point de vue
méthodologique. D’une manière générale, l’étude des phénomènes liés à la mondialisation a
obligé les disciplines des sciences sociales à revoir les outils conceptuels, mais aussi les
méthodes qu’elles employaient habituellement. Ceci a été particulièrement vrai pour
l’anthropologie, dont la méthode « classique » de l’enquête de terrain localisée a été remise en
cause par la nécessité d’étudier les mouvements de personnes, d’idées et d’objets notamment.
Il s'agit ici d'aborder la question des méthodes que l’anthropologue peut/doit déployer
dans l’étude du tourisme en tant que phénomène étroitement lié à la mondialisation. Comment
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l’anthropologie peut-elle par exemple étudier ces « formules culturelles-touristiques » dont
parle A. Bunten? L’enquête de terrain localisée est-elle suffisante ou l’anthropologue ne doit-il
pas plutôt s’inspirer de l’enquête multi-située (Marcus, 1995) pour mieux saisir son objet?
Avant de répondre à ces questions, je propose de situer celles-ci dans l'ensemble plus large des
problèmes méthodologiques auxquels les anthropologues sont confrontés aujourd'hui. Dans
un deuxième temps, je donnerai un aperçu de la manière dont ces derniers ont choisi d'aborder
le tourisme : quelles sont les méthodes d'enquêtes qui ont été déployées? Pour répondre à
quelles problématiques? Les anthropologues adaptent-ils leurs méthodes à l'étude de cet objet
relativement nouveau? Enfin, je finirai par l'exemple des choix méthodologiques que j'ai
effectués pour étudier les performances touristiques polynésiennes dans le cadre de ma thèse.
I. La critique de l'enquête de terrain localisée en anthropologie
Comme le souligne L. Berger (2005), l'un des points centraux des débats
épistémologiques en sciences sociales aujourd'hui concerne la manière dont s'articulent les
« unités d'investigation empirique » et les « unités d'analyse », c'est-à-dire les totalités ou
contextes auxquels les relations et pratiques particulières observées sont rapportées (p. 33).
Or, comme le soulignait déjà Barth dans les années 1992 (cité dans Berger, 2005), il est plus
difficile aujourd'hui que jamais de défendre l'idée d'une « totalité réduite à un ensemble fini et
clos de rapports sociaux localisés, à un agrégat d'institutions normatives et de status et rôles
correspondants, à un stock homogène d'idées et de valeurs partagées » (Berger, 2005, p.33)
En anthropologie en particulier, ce constat s'est traduit par la remise en cause de
notions telles que celles de « société », d'« ethnie », de « culture » ou encore d' « aire
culturelle », qui servaient habituellement (et continuent de servir dans une certaine mesure),
de « totalité » de référence. De plus, face au constat d'une augmentation sans précédent des
flux liés à la mondialisation du capitalisme (flux de biens, d'idées, de capitaux, de personnes,
etc.) :
il apparaît aujourd'hui (…) dérisoire à la plupart des ethnologues de se lancer dans la
confection de monographies décrivant à petite échelle des groupes analphabètes isolés
et territorialement circonscrits (communautés rurales, sociétés primitives), lorsque ces
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derniers participent activement à la décennie des populations autochtones organisée
par l'ONU, et envoient parfois leurs représentants aux côtés de pop-stars
internationales (Sting) pour plaider leur cause sur les plateaux des plus grandes
chaînes de télévision. (Berger, 2005, p.40).
De plus, comme l'ont souligné de nombreux auteurs (Appadurai, 2005, pp.83-84;
Berger, 2005, p.41; Godelier, 2007, pp.18-26), la mondialisation est créatrice de paradoxes
dans la mesure elle entraîne aussi bien une homogénéisation des modes de vie qu'une
hétérogénéisation culturelle du fait de la montée des revendications identitaires et
nationalistes. L'ensemble de ces phénomènes pose un problème à la fois pour la délimitation
des unités d'analyse et des unités d'investigation empirique: « une autre façon de formuler ce
paradoxe identitaire, est de reconnaître qu'en lui se pose de façon encore plus accrue, la
question du contenu et des contours des « totalités » nécessaires à la délimitation des cadres
d'analyse et de contextualisation des activités menées par les gens. » (Berger, 2005, p.41).
Face à cela, les anthropologues ont proposé une grande variété de nouvelles « totalités »
pouvant servir à contextualiser l'analyse : il en va ainsi du « global ecumene » de Hannerz, du
dispositif du « bio-pouvoir » de Foucault repris par Ong (1999) et du « système-monde » de
Wolf (cités dans Berger, 2005, pp.45-60). S. Cousin et B. Réaux (2009) soulignent quant à
eux que la notion même de mobilité peut aujourd'hui servir de catégorie de totalité : « Un
nombre grandissant d'auteurs conçoivent la mobilité comme un nouveau paradigme pour
penser le monde, susceptible de supplanter le concept de société jugé de plus en plus
inopérant. » (p. 92)
De la même manière que les catégories ou totalités manipulées lors de l'analyse
doivent être repensées, les manières de mener l'enquête ethnographique de terrain ont été
largement discutées et revêtent aujourd'hui de multiples visages. Berger en distingue quatre. A
côté de l'enquête « classique » malinowskienne (basée sur le trio « un ethnographe, une
population, un lieu »
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), d'autres approches ont émergé : l'une d'elles rompt avec l'idée que le
lieu du terrain serait clairement et factuellement délimité et « protégé » des influences
extérieures. Dans cette optique, qui prend en compte les échanges permanents qui existent
entre toutes les sociétés et va ainsi à l'encontre de l'idée que certaines seraient « isolées », il
s'agit tout en menant une enquête localisée d'élaborer le choix du site par rapport à un
projet théorique plus large, axé sur la construction d'une unité d'analyse qui couvre l'ensemble
de la planète (Berger, 2005, p. 111). Une autre option est d'investir un terrain non pas seul (un
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ethnographe) mais à plusieurs, en décidant d'une répartition des tâches dans le travail
d'enquête. Enfin, la dernière option est l'enquête itinérante et multi-située telle qu'elle a été
définie par l'anthropologue américain G. Marcus (1995). Cette dernière est particulièrement
propice à l'étude des flux engendrés par la mondialisation. Elle répond aux exigences
méthodologiques nouvelles de l'étude des réconfigurations contemporaines du social puisque,
par définition, ce type d'enquête permet d'étudier des objets mouvants.
Pour définir ce dernier mode d'enquête, Marcus insiste notamment sur les différences
entre enquête multi-située et approche comparative « classique ». Alors que la « comparaison
conventionnelle » en anthropologie opère généralement entre deux unités conceptuelles
(communautés, peuples, etc.) définies au préalable comme étant équivalentes, dans l'enquête
multi-située en revanche :
Comparison emerges from putting questions to an emergent object of study whose
contours, sites, and relationships are not known beforehand, but are themselves a
contribution of making an account that has different, complexly connected real-world
sites of investigation. The object of study is ultimately mobile and multiply situated, so
any ethnography of such an object will have a comparative dimension that is integral to
it, in the form of juxtapositions of phenomena that conventionally have appeared to be
(or conceptually have been kept) « worlds apart ». (Marcus, 1995, p.102).
L'un des traits caractéristiques des recherches multi-situées est qu'elles sont toutes basées sur
le fait de tracer des liens, des juxtapositions, des connections entre divers lieux. Mais les
formes qu'elles revêtent peuvent être différentes en fonction de l'objet étudié. Il s'agit aussi
bien de suivre des personnes, des objets, des idées, des symboles que des signes, des conflits,
et ainsi de suite. L'objet de l'étude est défini au cours de l'enquête et au grès des déplacements
de l'enquêteur lui-même. A travers ce mouvement, l'identité conceptuelle de l'objet émerge
peu à peu :
these techniques might be understood as practices of construction through (preplanned
or opportunistic) movement and of tracing within different settings of a complex
cultural phenomenon given an initial, baseline conceptual identity that turns out to be
contingent and malleable as one traces it. (Marcus, 1995, p.106).
L'étude du tourisme, en tant que phénomène étroitement lié à la mondialisation, ne
peut échapper aux interrogations d'ordre méthodologique qui agitent l'anthropologie dans son
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