Henri Grégoire et Roger Goossens « Sitalkès et Athènes dans le « Rhèsos » d’Euripide. Réponse à Mr. Sinko » L’Antiquité Classique, 1934, Vol. III, N° 2, p. 431‑446. Ce document fait partie des collections numériques des Archives Paul Perdrizet, le projet de recherche et de valorisation des archives scientifiques de ce savant conservées à l’Université de Lorraine. Il est diffusé sous la licence libre « Licence Ouverte / Open Licence ». http://perdrizet.hiscant.univ-lorraine.fr H.GRÉGOIREetR. GOOSSENS SITALKÈS ET ATHÈNES DANS LE RHÈSOS D'EURIPIDE <( >> Réponse à M. Sink.o Extrait de L'Antiquité Classique Tome III, 2. BRUXELLES 1934 1 t 1 • SITALKÈS ET ATHÈNES DANS LE <( RHÈSOS )) D'EURIPIDE. RÉPONSE à M. SINKO (1) par Henri GRÉGOIRE et Roger , GoossENS. I. Trois questions : allusions historiques, date et authenticité. Nous avons prouvé que la trame du Rhèsos est empruntée, pour une part, à l'histoire du ve siècle ; que le héros de cette allégorie politique accomplit, sous le nom de Rhèsos, toute une série de démarches qui sont précisément celles que les Athéniens attribuaient, entre 432 et 424, au roi Sitalkès (témoins Hérodote, Aristophane, Thucydide). M. Thaddée Sinko, dans le savant article qu'on vient de lire, nie, prmo, que Rhèsos soit Sitalkès; secundo, que le Rhèsos puisse être d'Euripide. Les deux questions sont en partie connexes et en partie indépendantes. Nous avons assez montré que, si le Rhèsos est une pièce de circonstance inspirée par des événements des années 432 à 425, les arguments les plus impressionnants des adversaires de la paternité euripidéenne tombent d'eux-mêmes. En dernière analyse, il ne reste de leurs scrupules qu'une impression sur laquelle la philologie ne peut rien bâtir: le sentiment, quand on' passe des autres œuvres d'Euripide à celle-ci d'une différence très nette de ton, et très légère de style (2). Mais en (1) Cf. R. GooSSENS, La date du Rhèsos, dans Antiq. Glass. t. I, 1932, p. 93-134; Rhèsos et Sitalkès, dans Bull. de l'assac. G. Budé, octobre 1933, p. 11-33. - H. GRÉGOIRE, L'authenticité du Rhésus d'Euripide, dans AntiqClass., t. II, 1933, p. 91-133. - Th. SINKo, De causae Rhesi novissima defensione, 1, dans L'Antiq. Glass., t. III, p. 1934, p. 224-229; II, supra, p. 411-429. (2) G. MURRAY, The Rhesus of E., éd. de 1924, p. VI: «If the Rhesus is a post-classical play, it can hardly be honest fourth-century work: it must be deliberately archaistic... ~. M. Sinko s'est donné beaucoup de mal (supra, p. 432 H. GRÉGOIRE ET R. GOOSSENS fin, s'il se trouve des critiques plus fins que nous, comme Mme Marie Delcourt (1), qui ont encore de la répugnance à croire bonnement que le Rhèsos est d'Euripide, voilà qui les regarde, et nous n'irons pas leur demander leurs raisons. La seule chose que nous leur demandions, c'est de ne pas nier l'évidence, et par évidence nous entendons, par exemple, l'identité Rhèsos-Sitalkès. Mme Delcourt, d'ailleurs, ne la nie nullement, et tous les historiens de la tragédie, comme tous les historiens du ve siècle athénien, seront d'accord avec elle, avec M. Gustave Glotz, avec nous, pour conclure qu'un élément historique Cf>mme celui-là, qui est si évidemment une allusion politique, porte en lui-même sa date, et que le Rhèsos est par conséquent contemporain de l'alliance d'Athènes avec la monarchie odryse. A supposer même (et ce n'est nullement notre avis) que cette dernière déduction ne soit ni sûre, ni la seule possible, il reste que cet élément historique du moins existe, .que sa présence dans le Rhèsos est incontestable. Si incontestable que personne ne l'a sérieusement contestée (2). Et quoique nous soyons fort loin 420 ss,) pour distinguer << entre la manière d'Euripide et celle de l'auteur du Rhèsos, Il nous semble que la constatation la :plus frappante qu'il ait faite reste encore celle-ci: l'auteur du Rhèsos emploie plusieurs fois le mot vava<a0f1a, vocabulum a poetis alienum. M. Sinko voit dans le stratagème de Dolon, qui, dans Je Rhèsos (à la différence de la Dolonie), est effectivement << déguisé » en loup (au point qu'il adoptera, dit-il, la démarche de ce quadrupède: vv. 208215) l'invention maladroite d'un plat imitateur de l'Hécube (1058 ss.). Il ignore donc qu'Euripide reproduit ici une version populaire de la légende de Dolon, version qui nous·est connue par une peinture de vase d'Euphronios (cf. PoRTER, The Rhesus, p. xi). Ajouterons-nous qu'il nous paraît moins heureux encore d,ans l'exégèse de l'Hécube que dans celle du Rhèsos? Il risque, en effet, cette ingénieuse conjecture : si Polymestor compare à des << chiennes meurtrières » les Troyennes qui l'ont aveuglé, c'est pour préparer le spectateur à lamétamorphose d'Hécube: en chienne, annoncée à la fin du drame I (1) Cf. Antiq. Glass., t. II, 1933, p. 274. (2) Pas même le plus récent de nos critiques, M. Descroix, le savant auteur d'une dissertation sur le Trimètre iambique, médaillé par l'Association des Études grecques. M. Descroix nous consacre dans la REG (t. 47, 1934, p. 262) un compte rendu qui nous étonne.Nous y relevons une insinuation qui pourrait égarer le lecteur. Le regretté Méridier aurait blâmé notre méthode. Or voici une phrase d'une carte postale de l'éminent helléniste, envoyée le 26 février 1933 à M. R. Goossens : << Je ne vois guère que des félicitations à vous adresser : votre thèse, si originale, est soutenue avec une fermeté, et un luxe de rapprochements frappants qui me semblent bien emporter la conviction », Le maître n'a donc pas trouvé, comme M. Descroix, « que nous recherchions l'allusion à tout prix, avec une intempérance systématique ». Nous ayons cit~ SITALKÈS ET ATHÈNES 433 d'attribuer une valeur probante quelconque au consensus omnium, nous ne pouvons nous empêcher de considérer cet accord de plusieurs savants, partis de points de vues différents et même opposés, comme une solide garantie de la vérité des faits. M. Perdrizet, qui, à l'époque où il écrivait Cultes et mythes du Pangée, suivait encore Wilamowitz sur la question du Rhèsos (il a changé d'avis depuis) (1), reconnaît, comme nous, l'allusion à Sitalkès. Bien plus, c'est un par~ tisan de la d~te du Ive siècle, un savant qui n'a jamais cru à l'authenticité, M. Dimitrov (2), qui a été frappé le premier de la ressemblance entre Rhèsos et Sitalkès. Pour être complets, nous devons signaler toutefois la position particulière, mais vraiment délicate, de M. Paul Maas, qu'une sorte de préjugé empêche de nous suivre jusqu'au bout. M. Maas, qui a toujours cru que le Rhèsos est d'Euripide, prend très au sédes allusions précises; si M. Descroix entendait nous réfuter, il lui fallait commencer par reproduire et par discuter nos textes, ce qu'il ne fait pas. Au lieu de cela, il nous reproche d'avoir tu «l'étude impartiale et décisive ( !) de Rolfe >>. Or, nous nous sommes partagé la tâche: l'un de nous (H. Grégoire), qui avait à examiner la question de l'authenticité, a discuté la thèse, méritoire mais un peu enfantine, de Rolfe. Enfin, puisque M. Descroix allègue contre nous (bien à tort, on vient de le voir) l'opinion de feu Méridier, nous nous permettrons de lui eiter un mot de feu Parmentier, que cet euripidisant plein d'humour wallon ne manquait jamais d'appliquer bû rwv àrônwç àva{JaÀÂÔvrwv. C'est l'anecdote de Léopold Jer et du paysan ardennais, qui, ayant servi au Roi un vieux Bourgogne, que le souverain dégustait en connaisseur, crut devoir ajouter: «Qu'eussiez-vous dit, Sire, si j'étais allé chercher, derrière les fagots, une bouteille bien plus fameuse encore? >> << Vous la gardez sans doute, dit le Roi, pour une meilleure occasion? ~ Oui, Parmentier aurait sûrement cité cette jolie histoire, s'il avait pu lire la dernière phrase du compte rendu de M. Des· croix. La voici : << Ce mémoire ne saurait manquer d'ébranler un certain nombre d'hellénistes et d'tm convaincre plusieurs : je dirai un jour pourquoi il ne m'a nullement persuadé. >> (1) Paul PERDRIZET, Le pont d'Amphipolis et la date du Rhèsos, dans Mélanges Pdrvan, Bucarest, 1933, p. 1 à 6. Voici son argumentation: La construction du pont d'Amphipolis (qui existait en 424: Thuc. IV, 103-108) doit être sensiblement contemporaine de la colonisation athénienne des «Neuf-Routes~· (437). L'œuvre d'un poète athénien, qui appelle le Strymon personnifié 6 uaÂÂtyüpveoç norap.Ôç (Rhés., 349) pour avoir le plaisir de mentionner cet ouvrage d'art dont Athènes était fière, doit se placer, de toute nécessité, entre 436 et 424. (2) D. P. DIMITROV, Motifs historiques dans le drame Rlzésos, dans Bull. Soc. histor. de Sofia, t. X, 1930, p. 1-19 (en bulgare). Cf. R, QooeySENS1 I!TJll, Eudé1 octobre 1933, :p. 11-33, 434 H. GRÉGOIRE ET R. GOOSSENS rieux la fameuse remarque de Cratès de Mallos: <<Euripide était jeune lorsqu'il écrivit cette pièce>> ... plus au sérieux peut-être que l'auteur de ladite remarque ne la prenait lui-même (1 ). Aussi nous propose-t-il, dans une lettre privée, et par manière de plaisanterie sans doute, de substituer à Sitalkès son père Térès (vers 450 ?), déjà, dit-il, allié des Athéniens. A tant près, pourquoi pas Térée, le roi thrace alli~ de Cécrops, fondateur d'Athènes? Mais enfin, M. Maas lui-même ne conteste pas la présence, dans le Rhèsos, d'une allusion formelle à l'alliance qui unis'3ait Athènes et la Thrace au temps d'Euripide, et nous pouvons le considérer, lui aussi, comme un allié. Contre M. Dimitrov, Mme Delcourt, M. Perdrizet, M. Glotz, M. Maas et nous, contre tous donc, M. Sinko ne veut pas de l'allusion à Sitalkès, et se refuse à voir dans le Rhèsos des élément empruntés à l'histoire du ve siècle. Que valent ses raisons? C'est ce que nous allons examiner. II. L'allusion à Sitalkès et la date. M. Sinko se vante d'avoir effacé du Rhèsos <<jusqu'à l'ombre de Sitalkès )) :il l'expulse du drame par raison générale et considérations particulières. L'empêchement d'ordre général, qui aurait de quoi nous troubler assez s'il offrait la moindre apparence de sérieux, c'est que jamais, au jugement de M. Sinko, un personnage tragique n'assume le rôle d'un contemporain, pas même à l'époque où les Zeus et Dionysale·xandros de comédie jouent couramment les Périclès. Nous aurons vite fait de répondre que le Thésée des Suppliantes se comporte exactement comme un neoa-ra-rrJr; athénien du ve (1) Cf. H. GRÉGOIRE; L'authenticité du Rhésus, p. 95, n. 13. Le scholiaste (réfuté, il est vrai, par la scholie suivante) qui reconnaît Cléon dans le démagogue de J'Oreste, raisonne implicitement comme s'il croyait l'Oreste (408) des années 430-422. Après tout, si l'on tient absolument à sauver l'honneur de Cratès, il y a pour cela un moyen fort élégant. Le Rhèsos, nous J'avons dit, et nous le répétons plus loin (p. 445, n. 1) n'est pas nécessairement de 424. Il peut parfaitement être de 426 5, comme les Acharniens et les Phormophoroi, où figure aussi Sitalkès. L'archonte de 426/5 s'appelle Euthynos. Cratès, trouvant dans les didascalies la mention bû EvOvvov aexovroç(c'est ainsi que les Acharniens sont datés dans !'hypothesis) n'a-t-il pas cru qu'il s'agissait d'un autre «archontat d'Euthynos ~. celui de 450/449? Cette année-là, Euripide (qui avait présenté sa première trilogie en 455) avait trente ans. Voilà comment Cratès a pu croire que le Rhèsos était l'œuvre <t'« Euripide jeun~) ~. SITALKÈS ET ATHÈNES 435 siècle, et que mille traits semés dans la pièce prouvent que cet <<éloge des Athéniens >> vise l'Athènes de Périclès autant et plus que celle de Thésée (1); que Ménélas, dans l'Oreste et l'Andromaque, fait penser à un général spartiate de la guerre du Péloponèse beaucoup plus qu'au frère d'Agamemnon (2 ); qu'en ce qui concerne Agamemnon lui-même, Euripide a pris soin de nous déclarer, par la bouche d'Hécube (3), et ailleurs de Ménélas, que << le roi des rois>>, stratège électif~ a tous les défauts d'un Nicias ou d'un Alcibiade (4) ; que le même poète nous apprend, par le truchement d'Hécube, qu'il faut reconnaître un démagogue contemporain sous le masque d'Ulysse (5) ; enfin qu'il suffit d'ouvrir une histoire récente de la littérature grecque, celle de M. Sinko par exemple, pour y lire cette constatation surprenante, et qui dépasse en hardiesse tout ce que nous avons avancé : la Troyenne Andromaque, dans la tragédie de ce nom, écrite au moment où la Thessalie hésitait e11tre Sparte et Athènes, <<incarne en réalité une Athénienne>>, Athènes si l'on veut, à qui Ménélas et la Laconienne Hermione servent de repoussoir (6). M. Sinko nous dira peut-être- car il ne l'a pas encore ditpourquoi Rhèsos, roi thrace allié de Troie et contemporain de Ménélas, d'Agamemnon, dAndromaque, ne peut, à l'exernplè de ces personnages, se comporter comme un roi thrace du ve siècle allié d'Athènes, et pourquoi, s'ille fait (ce qu'il n'est à la portée de personne de nier), cet anachronisme, à la différence des précédents, est nécessairement un fait de hasard, et ne peut avoir de valeur allusive. Ici M Sinko triomphe et fait s'écrouler, comme il dit, le fondement le plus solide de notre argumentation: firmissimum argumentationis fundamentum corruisse putamur. Vous datez, dit-il, le Rhèsos de 424, et vous voulez nous y faire voir une discussion politique sur l'alliance d'Athènes avec le roi des Odryses: or, en 424, depuis longtemps, il ne se trouvait plus un seul Athénien qui attendît encore le moindre secours de la Thrace: Foedus Atheniensium cum Sitalce factum tertio anno [429/8] turpem finem habuit neque postea redintegratum est (7 ). (1) R. GoosSENS, Périclès et Thésée (Bull. Budé, mai 1932, p. 1-32). (2) H. GRÉGOIRE, Euripide, Ulysse et Alcibiade (Bull. Acad. de Belg., XV, 1933, 5), p. 86. (3) EuR., Hec., 864 ss. (4) H. GRÉGOIRE, op. cit., p. 102 ss., cf. Antiqu. Glass., III, 1934, 329 s. (5) EuR., Hec., 224 ss. (6) T. SrNKO, Literatura grecka, Cracovie, 1932, t. II, p. 301. (7) SI!'!KO, De causae R,hesi etc,, I, p. 227, Si Thucydide considérait le trl1ité 436 H. GRÉGOIRE ET R. GOOSSENS Comme on va voir que cette réfutation ne nous concerne en rien, il faut bien croire qu'en écrivant les mots firmissimum fundamentum, c'est à sa propre argumentation que M. Sinko songeait, et que nous en touchons ici le point essentiel : seule considération qui puisse nous excuser, à nos propres yeux, de répondre, et d'abattre à notre tour un raisonnement qui n'est ni solide, ni fondé. Seulement, nous insistons pour qu'on laisse au compte de M. Sinko les absurdités qu'il' nous prête. En effet, il n'a peut-être pas échappé aux personnes de bon sens qui nous ont lus, que nous n'avons jamais donné la date de 424 comme la seule possible, mais seulement comme la plus probable ; que le choix de cette année, de préférence à celles qui précèdent, nous a été dicté par des considérations dans lesquelles la personne de Sitalkès ne joue plus un rôle essentiel; que, loin de déduire de la date de 424 établie au préalable (on se demande comment) l'existence d'une allusion thrace dans notre pièce, nous avons au contraire indiqué clairement quelles limites chronologiques l'allusion à Sitalkès nous impose à elle seule: 429-424. La seule raison pour laquelle nous ne pouvons faire descendre la rédaction du Rhèsos plus bas que 424, faut-il le redire, c'est la mort de Sitalkès, survenue en novembre de cette année, et M. Sinko nous accor.. dera aisément que plus personne, en effet, n'a attendu de secours de Sitalkès après la mort de ce prince. Mais l'année de sa mort ... Ici les coups d'épée dans l'eau que notre savant contradicteur nous prodigue atteignent au moins le reflet de notre argumentation. Parmi les raisons qui nous ont poussé à assigner au Rhèsos une date voisine de 425-424, il y en a bien une, en effet, qui concerne comme tombé en désuétude, il n'aurait pas pris la peine de mentionner la mort de Sitalkès (IV, 101, 5) qui n'eût pas intéressé son sujet. Au contraire, cette mort, au moment de. l'assaut contre Amphipolis, était de grande conséquence, puisque le successeur de Sitalkès, Seuthès, semble avoir été philo-Iaconien : GLoTz, Histoire grecque, t. Il, p. 650; GoossENS, La date du Rh., p. 132, n. 199; Rh. et Sitalkès, p. 12, n. 3. M. Sinko ajoute: Athenienses de successoris ejus Seuthis auxilio obtinendo numquam cogitaverunt. Il s'est trouvé au moins un Athénien pour y songer, et c'était un Athénien qui s'y connaissait en politique extérieure: Alcibiade. DIOD. SIC., XIII, 105 : 'AJ,xt{hdoov oè :rt(!OÇ aiJTovr; (les stratèges d' Aigos-potamoi) U06vroç xal Uyovroç fht M'ljooxor; x al l:evO'I'}r; ol TWV eeq.xwv {3acnÂBÏr; slaw av-r:ip cp[Âot xal ovvap,tv noÂÂijv wp,oÂ6y'I]O'av OWO'etv, llàv {3ovÂ1)Tat otanoÂep,erv TOÎÇ Aaxeoatp,ov{otr; • Ot6nee av·rovr; ijf;[ov flBTaOOVVat Tijç ijyep,ov{ar;, enayyeÂÂ6p,evor; avTOÏ:Ç oveïv Od-r:eeov, ij vavp,axeïv -r:ovr; noÂep,lovr; àvayxaO'BtV ij :rcel;fj pe-r:à e~q.xwv :rc~or; av-r:ovr; otaywvteïa(}a~. SITALKÈS ET ATHÈNES 437 Sitalkès : moins experts peut-être que M. Sinko à sonder le cœur des patriotes athéniens de l'an 424, il nous avait semblé que le thème de l'ànovata d'un allié thrace, traité dans l'Hécube (qu'on date généralement de 424; M. Sinko ne dit rien de ce texte) et dans les Acharniens, qui sont de 425, pouvait passer pour un thème d'actualité dans ces années-là. Il est vrai que M. Sinko ne s'est pas contenté d'effacer du Rhèsos l'ombre de Sitalkès; il veut encore l'expulser des Acharniens! Ici notre ombrageux contradicteur est arrêté, pas très longtemps, à la vérité, par une petite difficulté nouvelle. Aristophane a nommé Sitalkès en toutes lettres, et dans une scène qui est un pendant exact de l'altercation entre Hector et Rhèsos, que nous étudions. Mais voyez comment raisonne M. Sinko. Aristophane, dit-il, veut faire rire des espoirs insensés d'alliances étrangères que nourrissent les impérialistes d'Athènes. Pour montrer l'inanité des promesses d'appui des rois barbares, il choisit donc des exemples qui, en aucun cas, ne peuvent, à cette date, présenter la moindre vraisemblance, quae tum nullo modo vera esse passent (SINKO, l, p. 227), ambassade à Sitalkès, ambassade au roi de Perse. Qui, en effet, eùt poussé l'égarement assez loin, à Athènes, vers 425, pour croire à une alliance quelconque avec le Grand Roi? (Ibid.) ... Si telle était vraiment l'intention d'Aristophane, il faut qu'il ait choisi de bien singuliers exemples. Soit l'ambassade athénienne au roi de Perse. Nous savons, par Thucydide, que l'année même des Acharniens, Athènes envoie en Perse une ambassade << qui est arrêtée à Éphèse par la mort d'Artàxerxès II (début de 424) >> ( 1): ràv bè 'Aeraq;éevnv VO'Te(!OV o[ 'AGnva'iot anoadÀÀOVO'l T(}l~(}êl èç; "Eq;eaov xal neta(Jetç; Ufla o[ nvG6flêVOl avr6Gt {JaatÀéa ,Aeragéegnv TOV Eéeg ov vewarl uGvnx6ra (xarà yàe TOVTOV TOV xe6vov ÈTeÀêVT'fjO' ev) èn' o'ixov ànexwenirav ( 2). Quis enim, disait M. Sinko, Atheniensiam qui tum erani, de pecunia a rege Persarum per legatos obtinenda serio cogitavit? Il faut croire qu'on y pensait au contraire bien sérieusement, puisque, l'ambassade à peine revenue, on s'empresse d'en envoyer une seconde qui << obtient de Darios II un traité d'amitié perpétuelle (423) >> (3). Ainsi, comme il fallait s'y attendre (car on sait de reste que les (1) G. GLoTz, Histoire grecque, t, II, (2) Tauc., IV, 50. (3) GLOT2;, ibiq, :p. 647, 438 H. GRGOIRE ET R. GOOSSENS sujets traités par Aristophane sont des sujets sérieux) la scène de l'<< Œil du Roi>>, dans les Acharniens, a une portée et une signification exactement oppost>cs à eellcs que M. Sinko lui donne. M. Sinko y voit une bouffonnerie sans aucun rapport (du moins direct) avec. l'actualité politique, au point, dit-il, qu'on en pouYait bien plus facilement faire l'application aux Spartiates qu'aux Athéniens (1). l\Iais en réalitl\, elle ressemble si peu à une plaisanterie gratuite qu'une véritable ambassade athénienne au roi de Perse, peut-être déjà décid<'•e au moment de la représentation, a quitté la ville peu de mois après. Et pourquoi veut-on nous faire croire que la scène de l'ambassade à Sitalkès, scène exactement parallèle et qui contribue au même dessein, est faite uniquement de souvenirs vieux de quatre ou cinq ans (2)? Si l'on est fondé à voir dans le Rh(~sos ct dans l'Hécube des allusions à une victoire récente d'Athènes, ct à dater en coséquence ces deux .tragédies de 425 ou 424 (nous le croyons plus que jamais) on conviendra que l'insistance avec laquelle on nous parle, ct dans le Rhèsos et dans l'liécube, d'un allié thrace trop tardif, suspect de mollesse ou de perfidie, et ce que nous savons des deux ambassades de ·124/:~ au roi de Perse, montrent elaircment combien Aristophane avait raison de mettre au premier plan de son tableau de la guerre l'espoir d'une armée thrace et d'un subside perse .... Nous étudierons eneore (car nous n'oublions pas l'importance que l\1. Sinko attache à cette question) un dernier témoignage sur les espérances qu'Athènes avait mises en Sitalkès. C'est un vers d'Hermippe, dans les Wo(!,uoq;rieot (3). Parlant des denrées que la mer apporte, le poète dit : xai na(!à I:tra}.xov 'ljJW(!O.V Ao.xdJat,uovfotat ... Le sens est clair. Nous surprenons ici le vœu patriotique d'un Ath{mien de la guerre du Péloponèse, prêt, en haine de Sparte, à dé chaîner les hordes thraces sur la Grèee (ce que les ennemis d'Athènes craignaient précisl;ment en ,129 (4), ce que Théoros conseille à ses concitoyens en 425 (5), ce qu'ils feront en effet en 413).(6) Sitalkès ici, par opposition au fourbe Perdikkas (?), est l'allié fidèle, (1) SINKO, I, p. 227. (2) SINKO, ibid., p. 228. (4) Fr. 63 K., v. 7. (5) Tnuc., II, 101.. (6) AR., A_ch., 151 ss. (xa-ranû.-raaovrat -rY}v Botw-rlm• lJ).?Jv). (7) Tnuc., VII, 29 s. (8) V. 8 : x ai naeà II seotxxov 1J!t:vort vavaiv ;ravv ;roV.aiç. SITALKÈS ET ATHÈNES 439 sur qui l'on compte pour amener la décision finale. Or, en citant ce précieux document (1), nous nous étions peu préoccupés, malgré la minutie que M. Sinko nous reproche, de le dater avec précision, nous contentant de l'approximation (432-424) que le nom de Sitalkès apporte avec lui. Négligence qu'il est facile de réparer. Il suffit de se reporter à la récente, et d'ailleurs excellente Literatura grecka de M. Thaddée Sinko. Nous y verrons que Geissler a daté avec précision les tJ>oefwrpÔ(!ot (grâce à une mention des Corcyréens <<neutralistes>> qu'on s'apprête à châtier) de 426/5 (2), à peu de mois des Acharniens (à moins que les deux pièces n'aient été présetées au même concours). Laissons M. Sinko, adversaire de notre thèse, aux prises avec M. Sinko, historien de la littérature grecque. On voit ce qui reste de l'opinion que le premier de ces deux savants formulait ainsi : << Comme le traité d'alliance avec Sitalkès s'était révélé sans utilité depuis l'expéditiou manquée de 429, que les Athéniens ne l'avaient jamais renouvelé, et qu'ils n'y pensaient même plus, il n'y a aucune raison pour qu'en 424 un poète tragique mette aux prlses Hector et Sitalkès (sous le masque de Rhèsos) argumentant sur des événements historiques de 429, ni pour qu'Hector, animé de toute la fierté d'un Athénien transporté par le succès de Sphactérie, repousse l'aide du roi thrace>> (3 ). Nous serons brefs sur les réfutations d'arguments particuliers · dont M. Sinko a fait suivre ce grand effort critique. Nous ne nous sentons nulle envie de lui disputer pied à pied chacun des rapprochements que nous avons faits entre Rhèsos et Sitalkès. Et même, nous lui abandonnons de bonne grâce l' argumenium Paeonicum, comme il dit. Son exégèse <<homérique>> (supra, p. 411) du vers 441 nous paraît décisive, et nous a convaincus. Mais c'est là le seul point sur lequel M. Sinko s'est trouvé en mesure de nous opposer une discussion serrée, et ce point, malheureusement pour sa thèse, est sans importance. Que les Péoniens du v. 441 soient les Péoniens d'Homère, et non les contemporains de Sitalkès, personne n'en conclura que l'àywv entre Rhèsos et Hector cesse, pour cela, d'être calqué sur la situation de l'a:Iliance attico-thrace vers 425. Notre contradicteur (pour reprendre ses métaphores) n'a abattu (l) La Date du Rh., p. 18. (2) T. SrNiw, Liieratura grecka, t. II, p. 390 ; altatt. KomOdie, Berlin, 1925, p. 34. (3) SINKO, I, p. 228. GEISSLER, Chronologie der 440 It. GRJl:CcotRE ET R. dcOOSSENS là qu'un arbre, et il reste la forêt. M. Sinko se fait une bien pau~ vre idée de l'invention littéraire, lorsqu'il déclare que l'auteur de la Dolonie, s'il avait songé à mettre en présence Hector et son allié>, n'aurait pu leur prêter d'autres discours que ceux qu'ils ticn!lent dans le Rhésos. En fait, ce n'est pas un aède homérique, mais un tragique athénien qui a imaginé cette conversation, et M. Sinko, malgré ses appels désespérés à l'arsenal des proverbes, sentences et conventions dramatiques, n'a rien trouvé qui affaiblisse le moins du monde la troublante ressemblance de cette scène de tragédie avec la grande tragédie athénienne de la guerre du Péloponèse. Il va sans dire, par exemple, que nous n'avions nul besoin du texte de Pollux qu'il allègue pour savoir que la beuverie thrace, Br!f!-'>da :n6au;, était chez les Grecs, passée en proverbe (1). Sans doute, le proverbe grec assure-t-il aussi que les rois thraces, quand ils ont juré assistance à un allié qui est en même temps leur parent par la race, passent les hivers qui suivent à << boire à longs traits dans leur palais doré >>? ( 2). Sur le chapitre de l'allusion thrace, nous estimons donc que les objections de M. Sinko, se retournant contre lui, n'ont fait que renforcer notre position. Un dernier point, par quoi nous vous laissons à juger de la méthode de notre contradicteur. Inquiet, à juste titre, des rapprochements quel' on a faits entre les prédictions de la Muse, dans notre drame, et la translation des cendres de Rhèsos de Troie à Amphipolis, sur le conseil d'un oracle, par Hagnon, en 437; M. Sinko conteste l'historicité de cette translation (3). On ne devinerait pas· ce qui la rend suspecte à ses yeux: c'est que Rhèsos est un demi-dieu thrace, donc l'ennemi des Athéniens! Si respexerimus urbem ab Hagnone conditam esse expulsis Edonis, qui et ipsi Thraces fuerunt, magnopere mirabimur quod coloniae dux Atheniensis urbi a se conditae Thraceum quaesiuit palronum, qui et ipsè ut semideus a Thracibus colebatur. En vérité, nous rougissons de renvoyer le savant professeur de Cracovie aux rudiments de l'his· toire des religions, et de l'histoire politique grecque. << Solon voulait qu'Athènes fût maîtresse de la petite île de Salamine, qui appartenait alors aux Mégariens. Il consulta l'oracle. L'oracle lui répondit: <<Si tu veux conquérir l'île, il faut d'abord que tu gagnes (1) SINKO, ibid., (2) La date du Rhésos, p. 119*, 121 (3) SiNKo, II, p. 414, *'· SITALKÈS ET ATHÈNES 441 la faveur des héros qui la protègent et qui l'habitent >>. Solon obéit: au nom d'Athènes, il offrit des sacrifices aux deux principaux héros salaminiens. Ces héros ne résistèrent pas aux dons qu'on leur faisait: il passèrent du côté d'Athènes, et l'île, privée de protecteurs, fut conquise >> (FusTEL DE CouLANGES, La cité antique, p. 177). Et que dire du second argument contre l'institution d'un culte de Rhèsos par,Hagnon? Il y a un instant, quand Thucydide se permettait d'expliquer l'abstention athénienne, lors de l'expédition thrace de 429, par cette méfiance qu'exprimeront plus tard le Dicéopolis des Acharniens et l'Hector du Rhèsos (1), M. Sinko le récusait sèchement : Thucydidis verba veritati respondere non videntur. Cette fois, on nous objecte que le même Thucydide n'aurait pas manqué de signaler, dans son récit de la fondation d'Amphipolis, le culte nouveau institué par Hagnon, res ita ab usu remota (sic). Voilà_un scrupule hors de sasion. Curieuse manière de comprendre Thucydide, le père de l'histoire pragmatique, que de contester, pour un oui ou pour un non, son information (la plus sûre qui soit) sur les choses humaines de son temps, et d'attendre en revanche de lui qu'il nous raconte à tout propos ces pieux stratagèmes qui enchantaient Hérodote, mais sentaient trop leur logographe pour que l'historien de la guerre du Péloponèse daignât les recueillir (2). III. L'authenticité. Passons à la défense de l'authenticité du Rhèsos. lei nous ne som~ mes plus en aussi nombreuse compagnie que tout à l'heure, ce qui ne nous empêche pas d'être sûrs de notre fait. Nous regagnons mêti:iè - pour un instant - la capricieuse, mais précieuse, alliance polonaise. M. Sinko reconnaît en effet de bonne grâce que nous avons réduit à néant tous les arguments (3), sauf un, que l'on a fait valoir jusqu'à ce jour contre l'attribution à Euripide l (1) àmo'?:OVV7:eç œthàv P,TJ f}getv THUC., II, 101, 1; cf. SINKo, 1, p. 226 et 227. (2) La raison que M. Sinko allègue, II, p. 414 (Thucydide a bien raconté l'institution du culte de Brasidas, nouveau fondateur d'Amphipolis) ne vaut tien: Brasidas (et Hagnon, auquel les hasards de la guerre l'ont substitué naeà neoaooxiav) sont des personnages humains de ce grand drame, (3) SINKO, I, p. 223 ; II, p. 413. , 442 H. GRÉGOIRE ET R. GOOSSENS Mais il paraît que nous avions négligé << l'argument orphique>> (à vrai dire et plus exactement, nous l'avions méprisé). Le Rhèsos ne peut être d'Euripide, puisqu'on y parle avec sympathie d'Orphée, des orphiques et de leurs mystères, ce qu'Euripide n'a pu faire. Répondons que, sans doute, les Suppliantes, non plus, ne sont pas d'Euripide, puisque Thésée y fait l'éloge de la mantique, et que nous savons par ailleurs qu'Euripide ne croyait pas à la divination. M. Sinko ne s'est pas demandé s'il est légitime de chercher à tout propos et hors de propos, dans des vers tragiques, la vraie pensée du poète ; ni si, dans ce ramassis passablement confus de légendes mythologiques qui remplit la tirade de la Muse (Rh. 915-1949 ; 962-982) le souci patriotique d'établir une relation, par Orphée et Musée, entre les Muses et Athènes (1), entre Rhèsos et Athènes, ne suffit pas à justifier un éloge qui est d'ailleurs singulièrement discret, et ne sort pas de la décence trag_ique : fkVCJT:'fj(!lWY 7:e T:WY àn Of2(!'1}7:WY q;ayàç lbetÇey 'Oeq;evc;, av-r:ays 'ljJwc; Ye~eov ... De tels scrupules ne sont pas dans la manière de M. Sinko. On connaît les invectives de Thésée à l'adresse d'Hippolyte (2). "Hon YVY avxet ~ai at' à'ljJvxov f3oeiic; ah ote; ~an'I}J.ev', 'Oeq;éa r' aya~-r:' lxwy f36.~xeve noÀÀwY yeafkfk6.-r:wy T:lfkWY ~anyov c; • inei y' U'l}q;()rJc;. Tove; oè -r:owv-r:ovc; iyw q;evyew neoq;wYw niiat · ()1](!8VOVCJt yae aefkYol:c; J.6yotaw, alaxeà fkrJXaYwfkevot. Ce que Thésée reproche à Hippolyte, on le sait, c'est d'avoir séduit Phèdre et par là causé sa mort, griefs un peu plus graves qu'une accusation d'orphisme. Mais s'il le confond, à tort ou à raison, avec les orphiques, il est naturel qu'il le considère, après les infamies dont il le croit coupable, comme un faux dévot, et qu'il flétrisse en lui tous les tartufes présents et à venir, plus naturel encore qu'il étende sa malédiction à toute la confrérie orphique. En bref, la seule tirade qu'Euripide ait écrite contre l'orphisme est (1) n est vrai que M. Sinko commente comme Il suit les vv. 941-942. K?anxewp,eOa xOovl: quae verba nu llo modo ad poesin Athenas ex Thracia illatam rejerri possunt (sic). (2) EuR., Iiippol., 952 ss. SITALKÈS ET ATHÈNES 443 le type même du passage si naturellement amené par le jeu de l'intrigue tragique, qu'on ne peut l'utiliser qu'avec les plus grandes précautions si l'on y cherche l'opinion personnelle de l'auteur: avec d'autant plus de précautions que le thème du << bacchant végétarien », traité ici avec un parti-pris haineux, est chanté au contraire avec beaucoup de grandeur et de ferveur religieuse dans la parodos des Crétois (1). Mais lisons à présent le commentaire de M. Sinko : Thesei monentis verba, quibus Orphei sectatores vitandos conclamat... ex ipsius poetae anima fluxisse videntur. On conviendra que c'est décider avec une singulière légèreté des opinions religieuses d'Euripide. M. Sinko renvoie à ce propos à un article de Louis MÉRIDIER : Euripide et l'orphisme. Il faut qu'il l'ait lu bien distraitement; car rien n'est plus éloigné des jugements tranchants de notre contradicteur que la méthode prudente et les conclusions modérées de feu Méridier. C'était à nous qu'il eût convenu, pour réfuter M. Sinko, d'en appeler au jugement de ce maître. Nous n'avons fait, en discutant le passage de l'Hippolyte, que reproduire le fond même de l'argumentation de M. Méridier. Ce dernier, non content de répéter, après Girard, qu'<< aucun des grands tragiques grecs ne paraît avoir éprouvé une curiosité aussi vive devant ce phénomène religieux)) (l'orphisme), va même plus loin que nous, puisqu'il conclut de la sympathie évidente d'Euripide pour le personnage d'Hippolyte, à une sympathie non moins sincère du poète envers les orphiques, ou du moins certains orphiques Nous cwntinuons donc à croire qu'il n'y a rien, pas même le fameux <<éloge d'Orphée)>, qui empêche que le Rhèsos soit d'Euripide. IV. L'hypothèse de M. Sinko. Nos lecteurs auraient le droit de penser que M. Sinko est un sceptique absolu (du moins quant aux allusions contemporaines dans la tragédie grecque) puisque, jusqu'à présent, il s'est contenté de nier tous les rapprochements que nous avions faits, de << démolir )) notre interprétation. Mais M. Sinko a voulu reconstruire. Avouons-le ' (1) Suppl. Bur., p. 25. Faute d'avoir pris le passage de l'Hippolyte pour ce qu'il est - un cri de colère que les circonstances suffisent à expliquer - M. Sinka ne voit pas que, si une invective du même genre figurait dans les Crétois (ce qu'il suppose gratuitement) cela ne prouverait encore rien pour sa thèse. 444 H. GRÉGOiRE ÈT R. GOOSSENS c'est ici que nous l'attendions. Or, qu'a-t-il mis à la piace de << l'allusion thrace >> et à la place de Sitalkès? On aura peine à le croire : une autre << allusion thrace >>, un autre roi thrace allié d'Athènes ! Seulement, il s'agit pour M. Sinko de l'histoire attico-thrace du Ive, et non du ve siècle. Bien entendu, une telle opinion est tout le contraire d'une nouveauté. Mais il faut avouer que M. Sinko la rajeunit par de bien plaisantes trouvailles. Exemples : Dolon, qui s'offre pour ·une mission périlleuse, est traité de bienfaiteur, et refuse modestement de devenir, en récompense de son courage, << gendre des Priamides >>. Qui ne voit que l'auteur de Bhèsos (lequel n'est pas Euripide, vous vous en doutez, mais u~ autre poète, qui s'appelait aussi Euripide, soit, puisque nous sommes au IVe siècle, le fils du précédent) (1) qui ne voit qu'Euripide le Jeune a <<voulu ridiculiser, dans cette scène, un bienfaiteur de la cité >> connu de ses lecteurs ou spectateurs? Il songeait évidemment ... à Charidème, puisque ce personnage, du reste assez mince, était précisément un bienfaiteur de la cité athénienne, et le gendre d'un roi à peine moins obscur que lui, le Thrace Kersobleptes. Il y a là d'autres rébus pour ceux qui les aiment. Ainsi Musée, IJefJ-Y()ç noJ..hnç d'Athéna, n'allez pas vous y tromper, c'est Kersobleptes, ab Atheniensibus civitate donatus. Pourquoi, me demandez-vous? C'est que Kersobleptes, comme Musée, vous m'entendez bien, est un grand homme, sni n;},eîaroy aYOf./ §ya 1!).86na (2). Nous ne savons pas si M. Sinko trouvera créance, quand il conclut (p. 429) que l'allusion thrace du Bhèsos s'explique mieux par les conjonctures de 352 que· par celles de 424. Et nous voyons moins encore par quel tour de casuiste cet auteur, si sévère pour notre thèse, concilie ses propres découvertes avec un principe qu'il a solennellement affirmé : numquam in tragoedia graeca personam mythicam vivi coaevi partes agere. Mais ce pourfendeur de spectres est assez indulgent pour les fantômes, quand ils sont nés de sa propre imagi- (l) Il faut voir (supra, p. 428) avec quelles difficultés chronologiques M. Sinko est aux prises, quand il veut concilier cette attribution avec la date qu'il propose (ca 352). Il trouve tout naturel de prêter à Euripide le Jeune une carrière poétique aussi longue que celle de Sophocle. (ibid.) p. 427 (supra), M. Sinko déclare ingénument que les lacunes de notre information historique (quae a Cersoblepte omissa sunt in Amphipoli Atheniensibus reddenda cum ignoremus) nous empêchent malheureusement de faire à Kersobleptes l'appli- cation du << thème de l'allié tardif>> ( !). StTALKÈS E't ATHÈNES 445 nation. On notera, en tout cas, que s'il tenait tant à expulser du Rhèsos l'ombre de Sitalkès, c'était pour y installer à sa place celle d'un autre roi thrace, Kersobleptès, ombre à la vérité un peu plus pâle et plus inconsistante ... ... frustra comprensa manus eftugit imago, Par levibus ventis volucrique simillima somno. Pour nous, çonsidérant que le Rhèsos présente de multiples rapports (que nous avons suffisamment établis) non seulement avec des événements historiques comme l'alliance d'Athènes et de Sitalkès (432-424) et une récente victoire athénienne - que ce soit Ambracie (426) (1) ou Sphactérie (425)- mais encore, dans l'ordre littéraire, avec la comédie ancienne (Woeflorp6eot, 426/5; 'Axaevijç, 425) et avec l'œuvre même d'Euripide; considérant que dans l'Hécube (ca 424) Euripide est obsédé de trois ou quatre thèmes qu'il a traités dans le Rhèsos, et dont un, l' ànovata thrace, est la principale originalité de ce dernier drame, nous continuerons à croire que nous avons affaire à une œuvre de la seconde moitié du ve siècle. Et puisque notre adversaire lui-même, dans un suprême effort d'exégèse historique (qui est un hommage involontaire à notre méthode) en est revenu à une allusion thrace, qu'on nous permette de préférer Sitalkès, prince fameux riommé par Thucydide et par Aristophane, allié décevant, et impatiemment attendu pendant plus de six années, à l'obscur Kersobleptès, cet ami d'un jour, qui disparaît aussitôt de l'histoire. Pour l'authenticité du Rhésus, nous l'acceptons comme celle du VIlle livre de Thucydide. Sur ce livre, comme sur ce drame, quelques anciens ont mentionné des (1) Nous avons peut-être sous-estimé (La Date du Rhèsos, p. 130) l'effet produit à Athènes par cette brillante victoire de Démosthène : cf. THuc., III, 112-114. C'est d'elle que date l'esprit offensif (cf. Rh. 483 s.) qui aura Pylos et Sphactérie pour premiers résultats. Tout compte fait, cette sanglante bataille, livrée au cours de l'hiver 426 j5, suffit peut-être à rendre compte de la « Siegestimmung » qui nous a frappés dans le Rhèsos, suffit peut-être, même, pour expliquer l'allusion de l'Hécube (644-656) aux gémissements des femmes lacaniennes. Le Rhèsos et l'Hécube, drames à <<allusions thraces>>, pourraient dater de 425, comme !es Acharniens, et probablement aussi les Phormophoroi, les deux comédies où Sitalkès est nommé. Comme nous l'avons dit plus haut (p. 434, note 1), cette datation a l'avantage d'expliquer l'erreur de Cratès sur « la jeunesse d'Euripide, auteur du Rhèsos •· 446 H. GRÉGOIRE ET R. GOOSSENS doutes >>, mais pour les réfuter immédiatement par des arguments épremptoires. Les pièces d'Euripide qu'un hasard nous a conservées constituent-elles un canon d'après lequel nous puissions décider, contre les Alexandrins et les didascalies, que tel dialogue ou tel chœur ne saurait être du maître? Et si << un li:na~ poétique >> comme le mot vavcn:aOp,a est une cause d'athétèse, que restera-t-il du << Corpus Euripideum?