Etrie
PASSIONS75
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 Art contemporain
Cité
sous terre
Passions
ÎLE D’EUBÉE, GRÈCE
Vue de l’Acropole d’Erétrie
depuis les ruines des maisons
du Quartier de l’ouest datant
du IVe siècle avant J.-C.
charmante station balnéaire pour Athé-
niens, quelques dizaines de maisons néo-
classiques, des auberges les pieds sur les
galets du port de pêche, des mobylettes
pétaradantes, des rues larges, selon le plan
dessiné par Eduard Schaubert au XIXe siè-
cle, lorsque l’Etat grec imagina Erétrie en
ville nouvelle modèle. Sous la terre: une cité
enfouie qui compte parmi les plus impor-
tantes de la Grèce antique, lieu de contact
essentiel entre Orient et Occident, ville
pionnière de la colonisation grecque à
l’ouest, maîtresse d’une flotte puissante qui
nargue jusqu’aux Perses qui viennent la
détruire en 490, siteme où serait
Une expo, Un livre
Pratique «Cité sous terre. Des archéologues
suisses explorent la cité grecque d’Erétrie»
est à voir à Bâle du 22 septembre
au 30 janvier à l’Antikenmuseum Basel
und Sammlung Ludwig. L’exposition,
organisée conjointement avec le Service
archéologique grec, la 11
e
Ephorie
des Antiquités d’Eubée et le Musée
archéologique national d’Athènes,
est accompagnée d’un superbe catalogue
publié par les Editions In Folio.
www.antikenmuseumbasel.ch
ISABELLE FALCONNIER
I
l faut y arriver en bateau, dans le
sillage des siècles qui ont brassé
les eaux de l’étroit détroit de
l’Euripe, et murmurer avec Apol-
linaire: «Ouvrez-moi cette porte
je frappe en pleurant / La vie est
variable aussi bien que l’Euripe.». A une
heure de route au nord d’Athènes, puis à une
vingtaine de minutes de bateau depuis Oro-
pos, la bourgade d’Erétrie ronronne, posée
entre terre, mer et soleil, couvée par une
colline rocailleuse habitée par les dieux
depuis la nuit des temps. A la surface, une
L’Ecole suisse d’archéologie en Grèce présente pour
la premier fois à Bâle le résultat de quarante-six ans
de fouilles suisses sur Eubée. Fascinant.
ESAG / CATALOGUE DE L’EXPOSITION «CITÉ SOUS TERRE», ÉDITIONS IN FOLIO
C M Y K
C M Y K
10 000 m2. Où que l’on tourne son regard,
présent et passé se superposent. A la sortie
de la ville, les maisons dites du quartier de
l’Ouest, fouillées dès les années 60 et 70,
étalent leurs pièces sur 1200 m
2
chacune,
parties en un plan à deux cours repris plus
tard par Vitruve dans son Traité d’architec-
ture. Entre deux herbes folles, une baignoire
sabot posée au même
endroit qu’il y a 2000
ans. En marchant au
nord, le tâtre, le temple
de Dionysos, le gymnase,
puis, au sommet de
l’Acropole caillouteuse, le
sanctuaire d’Athéna. En
redescendant vers le
port, la Maison aux
mosaïques, dont les
motifs superbes Gor-
gone, sphinx, panthères,
monstres marins, grif-
fons –, parmi les plus
anciens et les mieux
conservés de cette épo-
que, est une attraction
exceptionnelle. A côté, le
basteion, un temple du
culte impérial datant de
la fin du I
er
siècle avant
J.-C. et occupé au moins
jusqu’au IIIe siècle après,
une découverte récente qui éclaire l’histoire
romaine méconnue de la ville. En descen-
dant vers le port, au cœur de la ville actuelle,
le sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros, puis
le quartier de l’Agora, sa fontaine publique,
sa Tholos circulaire et, au sud, est l’Iseion,
temple dédié à Isis lorsque la déesse égyp-
tienne était à la mode et, enfin, une palestre,
espace d’entraînement pour athlètes, et les
bains du port. A l’ouest de l’Acropole, la
tombe macédonienne dite aux Erotes. A
quelques kilomètres à l’est, à Amarynthos,
le sanctuaire d’Artémis Amarysia lieu de
culte essentiel d’Erétrie et longtemps objet
de fantasmes et de spéculations durant des
décennies, désormais localisé. Tout autour
d’Erétrie, les restes des murailles érigées
dès le VI
e
siècle, complétées à plusieurs
reprises, cavalant par-dessus l’Acropole.
Cet été, la dizaine d’étudiants en archéolo-
gie, venus comme chaque année fouiller les
terrains de l’Esag, ont mis au jour une pièce
au sol orné d’une mosaïque indiquant avec
quasi-certitude la présence de thermes, qui
seront fouillés l’été prochain. «C’est l’étape
suivante, explique Sylvian Fachard, secré-
taire scientifique de l’Esag en Grèce, respon-
sable de son bureau d’Athènes et seul per-
manent suisse de la mission. L’intérêt des
recherches se porte désormais sur lépoque
romaine. On a longtemps
cru que l’occupation était
terminée après Sylla, au
Ier siècle avant J.-C. Mais
la découverte du Sébas-
teion a changé notre
vision d’Erétrie durant
l’époque romaine. Cest le
début d’un processus.
Dans cinq ans, nous y
verrons plus clair
Le site d’Erétrie, unique
en son genre, attirant des
archéologues et des his-
toriens du monde entier,
regorge encore de
richesse et la cité sous
terre n’a de loin pas
encore livré tous ses
secrets. «Toute fouille est
une marche vers l’in-
connu, mais il y a encore
un grand potentiel, sourit
l’historien Pierre Ducrey,
grand amoureux du site et parmi ses plus
anciens connaisseurs, directeur de l’Esag de
1982 à 2006, actuel vice-président de son
comité de fondation. Lapport de toute
découverte en Grèce en général et à Erétrie
en particulier peut entrer dans l’histoire
universelle. Vous cliquez sur le moindre
l’influent mythe de Narcisse et a surgi
l’écriture alphabétique en Grèce et, partant,
dans toute l’Europe.
Urbanisation.
Cette cité disparue, miracu-
leuse, ce sont des archéologues suisses qui,
en collaboration avec le Service archéologi-
que grec, la ressuscitent depuis que, il y a
quarante-six ans, au début
des années 60, le Gouver-
nement grec, inquiet de
l’urbanisation d’Erétrie,
fait appel à eux, puis leur
confère, en 1975, le statut
juridique d’Ecole suisse
d’archéologie. Pour la pre-
mière fois depuis le début
des fouilles, une exposi-
tion permet de prendre la
mesure à la fois du travail
accompli par les archéolo-
gues et de l’intérêt extra-
ordinaire du site. D’avril à
août, elle a eu les honneurs
du Musée archéologique
national d’Athènes – une
première pour une école
archéologique étrangère.
Ce 22 septembre, elle
s’ouvre au prestigieux
Antikenmuseum Basel
und Sammlung Ludwig
dans une mise en scène très attendue.
En quelque 500 objets provenant bien
entendu du Musée d’Erétrie, mais aussi
d’Athènes, de Rome, du Louvre ou de Lon-
dres, d’une pâle idole cycladique en marbre
datée de 2500 avant J.-C. à une simple cru-
che en ramique retrouvée dans une tombe
du VIe siècle après J.-C., de boucles d’oreilles
en or à des amphores funéraires coquines
en passant par des chefs-d’œuvre de la frise
d’un temple d’Apollon ou des osselets d’en-
fant, près de 3000 ans d’histoire d’Erétrie
se déroulent sous nos yeux: une préhistoire
en contact avec les Cyclades, le déclin après
l’effondrement de la civilisation mycé-
nienne, un premier âge d’or au VIIIe siècle
avant J.-C., avec croissance démographique,
maîtrise de la mer, élevage de chevaux,
échanges commerciaux avec l’Orient et
l’Occident, des constructions nombreuses,
une révolte contre Athènes en 411, un
deuxième âge d’or aux IV
e
et III
e
siècles, des
quartiers qui s’agrandissent, des murailles
qui sortent de terre, un gymnase, un théâtre,
puis, avec l’époque romaine, le lent déclin
avant labandon quasi total du site au Ve ou
VIe siècle de notre ère. En 1436, le voyageur
et commerçant Cyriaque d’Ancône s’y arrête
et décrit les murailles et le théâtre dans un
fameux Commentaria. Mais la ville antique
tombe dans un relatif
oubli jusqu’au XIX
e
siècle,
lorsque le Grand Tour
romantique s’étend de
l’Italie à la Gce. En 1834,
les Grecs récupèrent
l’Eubée des mains des
Ottomans et y fondent
Néa Psara à l’emplace-
ment d’Erétrie pour
accueillir les réfugiés de
l’île de Psara, dévastée par
les Ottomans, puis des
réfugiés de la guerre
gréco-turque en 1923.
Néa Psara redevient Eré-
trie en 1960 et se trans-
forme gentiment en un
havre de week-end pour
Atniens. De 1800 habi-
tants en 1960, Erétrie est
passée à 3000 en 2000
et 6500 en 2010.
Des pillards aux Suisses.
Les archéologues
grecs fouillent le site dès 1885, les pillards
violent de nombreuses tombes, puis les
Américains et les Allemands s’y intéressent
avant qu’il ne soit confié aux Suisses en
1964. En quarante-six ans, de vastes pans
de la cité ont été mis au jour sur quelque
THÉSÉE ET ANTIOPE, REINE DES AMAZONES Un des chefs-d’œuvre de la sculpture grecque
archaïque, lorsqu’il fut découvert en 1899, et aujourd’hui. Il ornait le fronton du temple
d’Apollon Daphnéphoros dès la fin du VIe s. avant J.-C.
76ARCHÉOLOGIE
ARCHÉOLOGIE
77
Passions
Passions
2500 AVANT J.-C. Idole
cycladique en marbre trouvée
sur l’Acropole confirmant
les liens entre l’Eubée et
les Cyclades, à cette époque.
À voir À Bâle
3000 ans
de l’Histoire
d’Erétrie
en neuf
objets qui
racontent
leur histoire.
LA MAISON AUX MOSAÏQUES Découvert en 1976, abrité sous un pavillon depuis 1989, cet ensemble
exceptionnel de mosaïques à galets du IVe s. avant J-C présente des scènes de la mythologie
et décore le sol de deux salles de banquet pouvant accueillir trois et sept convives couchés.
1500 AVANT J.-C. Sceau
scarabée en lapis-lazuli
d’Egypte prouvant les échanges
commerciaux pcoces entre
Erétrie et l’Orient.
800 AVANT J.-C. Superbe
centaure en terre cuite trou
à Lefkandi, à l’ouest d’Erétrie,
attestant de l’importance
de l’âge du fer dans la région.
IVe S AVANT J.-C. Applique
en terre cuite corative
représentant la tête de la
Gorgone Méduse retrouvée
dans la Maison aux mosaïques.
750-700 AVANT J.-C. Fragment
de tasse portant l’inscription
«je suis la coupe de... nostos»,
moin de l’arrivée précoce de
l’écriture alphabétique à Erétrie.
IV-IIIe S. AVANT J.-C. Eros
potelé en terre cuite provenant
de la riche tombe aux Erotes,
dont une vingtaine étaient
suspendus à la vte du plafond.
IIIe S. AVANT J-C. Poupée
en terre cuite avec bras
et jambes mobiles. Jouet
de fillettedié en offrande
à Artémis avant le mariage.
Ve S. AVANT J.-C. Epinetron
retrouvé dans une tombe
de femme, soit un instrument
que les femmes posaient
sur la cuisse pour filer la laine.
FIN DU Ier S. APRÈS J.-C.
Portrait d’un jeune Erétrien
de bonne famille vivant sous
le règne de l’empereur Trajan,
retrouvé au pied de l’Acropole.
ESAG / CATALOGUE DE L’EXPOSITION «CITÉ SOUS TERRE», ÉDITIONS IN FOLIO
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L’Hebdo 16 septembre 2010
C M Y K
16 septembre 2010 L’Hebdo
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événement ou objet et les portes
s’ouvrent sur des pans entiers de l’histoire,
de l’histoire de l’art, de la philosophie, des
sciences politiques. Erétrie est un concentré
d’histoire grecque, et donc occidentale!»
Très riche en documents épigraphiques de
toutes sortes, Etrie est une des villes anti-
ques les mieux docu-
mentées. Ainsi, au
début du IIIe siècle, les
noms et communes
d’origine de tous les
citoyens les adultes
du territoire furent
inscrits sur de grandes
stèles, révélant près de
2400 noms. Ce recen-
sement, unique en son
genre, fait de la popu-
lation d’Erétrie la
mieux connue du
monde grec! «Erétrie
est moins spectacu-
laire que Delphes ou
Athènes, mais non
moins intéressante et
importante par les
événements de son
histoire tant culturelle,
militaire que commer-
ciale, explique Karl
Reber, professeur d’ar-
chéologie classique à l’Université de Lau-
sanne et actuel directeur de l’Esag. Très bien
pla, à la fois proche du continent, tout en
étant un passage obligé pour les bateaux, le
site est bien préservé, les constructions
modernes n’ayant de loin pas tout recou-
vert.» «Le niveau antique est à fleur de sol,
en quelque sorte, renchérit Sylvian Fachard.
Une aubaine pour les archéologues!»
Valais Connection.
Superbemonstration
de ce que peut faire une mission archéolo-
gique, telle que l’Esag qui travaille sur des
budgets d’équilibristes dispensés pendant
longtemps uniquement par le Fonds natio-
nal suisse pour la recherche scientifique,
complétés par des fonds privés, depuis la
création d’une fondation en 1982 (actuelle-
ment présidée par Pascal Couchepin, grâce
à la «Valais Connection» de Pierre Ducrey),
l’exposition de Bâle est un «aboutissement»
pour ce dernier: «Celui de quarante-six ans
de présence suisse à Erétrie, et presque
autant de lutte permanente pour être
reconnu par les autorités grecques comme
un partenaire fiable et de la part de la Suisse
comme une entité de recherche universi-
taire à long terme
«Erétrie doit exister
en Suisse! se réjouit
Thierry Theurillat,
responsable de recher-
che à l’Institut d’ar-
chéologie et des scien-
ces de l’antiquité de
l’Université de Lau-
sanne et secrétaire
scientifique, en Suisse,
de l’Esag. Le public ne
sait pas qui nous som-
mes. Cette exposition
peu traditionnelle, qui
tente une approche
neuve en désacralisant
la notion de chef-
d’œuvre et en super-
posant les périodes
historiques, est une
occasion magnifique
de susciter l’enthou-
siasme autour de nos
activités.»
Depuis le haut de
l’Acropole, le regard glisse de la mer impa-
vide aux parkings qui ont remplacé les
marais d’antan. Au nord, des lotissements
entiers de villas neuves. Les autorités loca-
les prévoient 25 000 habitants en 2025. La
cisur terre a autant d’ambitions que la cité
sous terre.
78ARCHÉOLOGIE
Passions
ils ont fait l’ecole sUisse d’archéologie en grèce (esag)
Karl Schefold Né en Allemagne
en 1905, réfugié en Suisse en 1935,
grand maître de l’archéologie
classique dans cette même ville
durant des décennies, il est avec Lilly
Kahil et Olivier Reverdin à l’origine
des fouilles archéologiques suisses d’Erétrie au début
des années 1960. Il est décédé à Bâle en 1999.
Ingrid Metzger Spécialiste de la
céramique, elle a été avec Paul
Auberson la première permanente
de l’Esag. Chargée du traitement
du matériel archéologique trouvé dans
les fouilles suisses entre 1964 et 1980,
elle a longtemps vécu à Erétrie, avant de prendre
la direction du Musée rhétique de Coire en 1980.
Denis Knoepfler Né en 1944,
professeur à Neuchâtel, titulaire
de la chaire d’épigraphie au Collège
de France, il a notamment localisé
le fameux sanctuaire d’Artémis
à Amarynthos. Il vient de publier
La patrie de Narcisse (Ed. O. Jacob), prouvant
qu’Erétrie est le berceau du mythe de Narcisse.
Claude Bérard Professeur
d’archéologie à Lausanne de 1974
à 2005, il est le fouilleur le plus
chanceux de l’histoire d’Erétrie, ayant
mis à jour un ensemble de tombes
fameux puis les bâtiments du premier
sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros. Le rayonnement
d’Erétrie dans les années 60 et 70 lui doit beaucoup.
Pierre Ducrey Professeur à Lausanne
durant 30 ans, recteur de 87 à 95, il a été
directeur de l’Esag de 1982 à 2006,
dirigeant notamment les fouilles de la
Maison aux mosaïques, avant de prendre
les rênes de son conseil de fondation
(présidé depuis 2010 par Pascal Couchepin) dont, en tant
que vice-président, il est l’infatigable ambassadeur.
Karl Reber Professeur d’archéologie
classique à Lausanne, successeur
de Pierre Ducrey à la direction
de l’Esag, il fouille à Erétrie depuis
1978. Alors secrétaire scientifique
de l’Esag, il a habité Erétrie 7 ans avec
sa famille, avant de revenir en Suisse, à Bâle d’abord,
puis à Lausanne dès 2005.
LA TOMBE AUX ÉROTES Photographie et reconstitution par l’exposition de Bâle de la tombe de
Macédoniens découverte en 1897, à 300 mètres derrière l’Acropole. Pillés, les objets précieux qui s’y
trouvaient − dont plusieurs figurines originales d’érotes volants en terre cuite − sont en grande partie
conservés au Museum of Fine Arts de Boston.
ESAG / CATALOGUE DE L’EXPOSITION «CITÉ SOUS TERRE», ÉDITIONS IN FOLIO
PHOTOS DR
CHRIS BLASER
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