10 000 m2. Où que l’on tourne son regard,
présent et passé se superposent. A la sortie
de la ville, les maisons dites du quartier de
l’Ouest, fouillées dès les années 60 et 70,
étalent leurs pièces sur 1200 m
2
chacune,
réparties en un plan à deux cours repris plus
tard par Vitruve dans son Traité d’architec-
ture. Entre deux herbes folles, une baignoire
sabot posée au même
endroit qu’il y a 2000
ans. En marchant au
nord, le théâtre, le temple
de Dionysos, le gymnase,
puis, au sommet de
l’Acropole caillouteuse, le
sanctuaire d’Athéna. En
redescendant vers le
port, la Maison aux
mosaïques, dont les
motifs superbes – Gor-
gone, sphinx, panthères,
monstres marins, grif-
fons –, parmi les plus
anciens et les mieux
conservés de cette épo-
que, est une attraction
exceptionnelle. A côté, le
Sébasteion, un temple du
culte impérial datant de
la fin du I
er
siècle avant
J.-C. et occupé au moins
jusqu’au IIIe siècle après,
une découverte récente qui éclaire l’histoire
romaine méconnue de la ville. En descen-
dant vers le port, au cœur de la ville actuelle,
le sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros, puis
le quartier de l’Agora, sa fontaine publique,
sa Tholos circulaire et, au sud, est l’Iseion,
temple dédié à Isis lorsque la déesse égyp-
tienne était à la mode et, enfin, une palestre,
espace d’entraînement pour athlètes, et les
bains du port. A l’ouest de l’Acropole, la
tombe macédonienne dite aux Erotes. A
quelques kilomètres à l’est, à Amarynthos,
le sanctuaire d’Artémis Amarysia lieu de
culte essentiel d’Erétrie et longtemps objet
de fantasmes et de spéculations durant des
décennies, désormais localisé. Tout autour
d’Erétrie, les restes des murailles érigées
dès le VI
e
siècle, complétées à plusieurs
reprises, cavalant par-dessus l’Acropole.
Cet été, la dizaine d’étudiants en archéolo-
gie, venus comme chaque année fouiller les
terrains de l’Esag, ont mis au jour une pièce
au sol orné d’une mosaïque indiquant avec
quasi-certitude la présence de thermes, qui
seront fouillés l’été prochain. «C’est l’étape
suivante, explique Sylvian Fachard, secré-
taire scientifique de l’Esag en Grèce, respon-
sable de son bureau d’Athènes et seul per-
manent suisse de la mission. L’intérêt des
recherches se porte désormais sur l’époque
romaine. On a longtemps
cru que l’occupation était
terminée après Sylla, au
Ier siècle avant J.-C. Mais
la découverte du Sébas-
teion a changé notre
vision d’Erétrie durant
l’époque romaine. C’est le
début d’un processus.
Dans cinq ans, nous y
verrons plus clair.»
Le site d’Erétrie, unique
en son genre, attirant des
archéologues et des his-
toriens du monde entier,
regorge encore de
richesse et la cité sous
terre n’a de loin pas
encore livré tous ses
secrets. «Toute fouille est
une marche vers l’in-
connu, mais il y a encore
un grand potentiel, sourit
l’historien Pierre Ducrey,
grand amoureux du site et parmi ses plus
anciens connaisseurs, directeur de l’Esag de
1982 à 2006, actuel vice-président de son
comité de fondation. L’apport de toute
découverte en Grèce en général et à Erétrie
en particulier peut entrer dans l’histoire
universelle. Vous cliquez sur le moindre
l’influent mythe de Narcisse et où a surgi
l’écriture alphabétique en Grèce et, partant,
dans toute l’Europe.
Urbanisation.
Cette cité disparue, miracu-
leuse, ce sont des archéologues suisses qui,
en collaboration avec le Service archéologi-
que grec, la ressuscitent depuis que, il y a
quarante-six ans, au début
des années 60, le Gouver-
nement grec, inquiet de
l’urbanisation d’Erétrie,
fait appel à eux, puis leur
confère, en 1975, le statut
juridique d’Ecole suisse
d’archéologie. Pour la pre-
mière fois depuis le début
des fouilles, une exposi-
tion permet de prendre la
mesure à la fois du travail
accompli par les archéolo-
gues et de l’intérêt extra-
ordinaire du site. D’avril à
août, elle a eu les honneurs
du Musée archéologique
national d’Athènes – une
première pour une école
archéologique étrangère.
Ce 22 septembre, elle
s’ouvre au prestigieux
Antikenmuseum Basel
und Sammlung Ludwig
dans une mise en scène très attendue.
En quelque 500 objets provenant bien
entendu du Musée d’Erétrie, mais aussi
d’Athènes, de Rome, du Louvre ou de Lon-
dres, d’une pâle idole cycladique en marbre
datée de 2500 avant J.-C. à une simple cru-
che en céramique retrouvée dans une tombe
du VIe siècle après J.-C., de boucles d’oreilles
en or à des amphores funéraires coquines
en passant par des chefs-d’œuvre de la frise
d’un temple d’Apollon ou des osselets d’en-
fant, près de 3000 ans d’histoire d’Erétrie
se déroulent sous nos yeux: une préhistoire
en contact avec les Cyclades, le déclin après
l’effondrement de la civilisation mycé-
nienne, un premier âge d’or au VIIIe siècle
avant J.-C., avec croissance démographique,
maîtrise de la mer, élevage de chevaux,
échanges commerciaux avec l’Orient et
l’Occident, des constructions nombreuses,
une révolte contre Athènes en 411, un
deuxième âge d’or aux IV
e
et III
e
siècles, des
quartiers qui s’agrandissent, des murailles
qui sortent de terre, un gymnase, un théâtre,
puis, avec l’époque romaine, le lent déclin
avant l’abandon quasi total du site au Ve ou
VIe siècle de notre ère. En 1436, le voyageur
et commerçant Cyriaque d’Ancône s’y arrête
et décrit les murailles et le théâtre dans un
fameux Commentaria. Mais la ville antique
tombe dans un relatif
oubli jusqu’au XIX
e
siècle,
lorsque le Grand Tour
romantique s’étend de
l’Italie à la Grèce. En 1834,
les Grecs récupèrent
l’Eubée des mains des
Ottomans et y fondent
Néa Psara à l’emplace-
ment d’Erétrie pour
accueillir les réfugiés de
l’île de Psara, dévastée par
les Ottomans, puis des
réfugiés de la guerre
gréco-turque en 1923.
Néa Psara redevient Eré-
trie en 1960 et se trans-
forme gentiment en un
havre de week-end pour
Athéniens. De 1800 habi-
tants en 1960, Erétrie est
passée à 3000 en 2000
et 6500 en 2010.
Des pillards aux Suisses.
Les archéologues
grecs fouillent le site dès 1885, les pillards
violent de nombreuses tombes, puis les
Américains et les Allemands s’y intéressent
avant qu’il ne soit confié aux Suisses en
1964. En quarante-six ans, de vastes pans
de la cité ont été mis au jour sur quelque
THÉSÉE ET ANTIOPE, REINE DES AMAZONES Un des chefs-d’œuvre de la sculpture grecque
archaïque, lorsqu’il fut découvert en 1899, et aujourd’hui. Il ornait le fronton du temple
d’Apollon Daphnéphoros dès la fin du VIe s. avant J.-C.
76∑ARCHÉOLOGIE
ARCHÉOLOGIE
∑77
Passions
Passions
2500 AVANT J.-C. Idole
cycladique en marbre trouvée
sur l’Acropole confirmant
les liens entre l’Eubée et
les Cyclades, à cette époque.
À voir À Bâle
3000 ans
de l’Histoire
d’Erétrie
en neuf
objets qui
racontent
leur histoire.
LA MAISON AUX MOSAÏQUES Découvert en 1976, abrité sous un pavillon depuis 1989, cet ensemble
exceptionnel de mosaïques à galets du IVe s. avant J-C présente des scènes de la mythologie
et décore le sol de deux salles de banquet pouvant accueillir trois et sept convives couchés.
1500 AVANT J.-C. Sceau
scarabée en lapis-lazuli
d’Egypte prouvant les échanges
commerciaux précoces entre
Erétrie et l’Orient.
800 AVANT J.-C. Superbe
centaure en terre cuite trouvé
à Lefkandi, à l’ouest d’Erétrie,
attestant de l’importance
de l’âge du fer dans la région.
IVe S AVANT J.-C. Applique
en terre cuite décorative
représentant la tête de la
Gorgone Méduse retrouvée
dans la Maison aux mosaïques.
750-700 AVANT J.-C. Fragment
de tasse portant l’inscription
«je suis la coupe de... nostos»,
témoin de l’arrivée précoce de
l’écriture alphabétique à Erétrie.
IV-IIIe S. AVANT J.-C. Eros
potelé en terre cuite provenant
de la riche tombe aux Erotes,
dont une vingtaine étaient
suspendus à la voûte du plafond.
IIIe S. AVANT J-C. Poupée
en terre cuite avec bras
et jambes mobiles. Jouet
de fillette dédié en offrande
à Artémis avant le mariage.
Ve S. AVANT J.-C. Epinetron
retrouvé dans une tombe
de femme, soit un instrument
que les femmes posaient
sur la cuisse pour filer la laine.
FIN DU Ier S. APRÈS J.-C.
Portrait d’un jeune Erétrien
de bonne famille vivant sous
le règne de l’empereur Trajan,
retrouvé au pied de l’Acropole.
ESAG / CATALOGUE DE L’EXPOSITION «CITÉ SOUS TERRE», ÉDITIONS IN FOLIO
ESAG / CATALOGUE DE L’EXPOSITION «CITÉ SOUS TERRE», ÉDITIONS IN FOLIO
ESAG / CATALOGUE DE L’EXPOSITION «CITÉ SOUS TERRE», ÉDITIONS IN FOLIO
L’Hebdo 16 septembre 2010
C M Y K
16 septembre 2010 L’Hebdo
C M Y K