Les principes de la contre-Révolution

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Les principes de
la
contre-Révolution
Qu’est-ce donc que la contre-Révolution ? Combien en ont déjà entendu parler ? Quels sont ceux
qui, de nos jours, peuvent définir, situer, détailler
le courant contre-Révolutionnaire, énoncer ses
grands principes et ses origines profondes ? Qui,
en un mot, saurait se le représenter assez clairement pour en avoir une compréhension authentique et précise ?
Il est naturellement difficile, au milieu de la
multitude des pensées pourtant classifiées en divers et nombreux courants, de s’y retrouver. La
clef, c’est de pouvoir déchiffrer les rapports que
ceux-ci entretiennent les uns aux autres, afin d’en
établir la carte adéquate. Sous cet aspect, l’idée de
la Révolution constitue le point névralgique par
excellence. La simplification s’ensuit lorsqu’on
applique son examen sur les rapports profonds et
essentiels de ces courants. Ainsi l’on peut apparenter libéralisme et socialisme, prétendument ennemis jurés, comme s’abreuvant à la même source,
c’est-à-dire le dogme révolutionnaire.
Dans le but de mener à bien l’esquisse que nous
voulons donner de la pensée contre-Révolutionnaire, il nous faudra d’abord montrer ce qu’est
foncièrement la Révolution, puis expliciter les
principes dont elle se fait l’adversaire.
Ceux-là qui voit en la Révolution un unique
événement historique n’y ont rien compris. La Révolution est permanente, elle est un état d’esprit,
ce que d’autres appelleraient une idéologie. Elle
fut avant 1789, et achemina les esprits jusqu’à
cette date, de même qu’elle fut après et propagea
jusqu’à affermir sur ceux-ci son hégémonie. De
ses revendicateurs comme de ses patients, elle inspire chacune des actions politiques. Qu’ils se complaisent ou ne voient pas même leur carcan, ils
agiront, certes diversement, mais dans un même
but qui les dépasse. Serviteurs plus ou moins volontaires, mais de quoi au juste ?
« Un appel fait à toutes les passions par toutes
les erreurs. » : telle est la cinglante définition que
Louis de Bonald donne de la Révolution. C’est
bien ce que nous allons voir.
Tout le monde s’entend pour reconnaître que la
philosophie des Lumières, si elle n’en fait ellemême partie, est au moins un des principaux ferments de la Révolution. Suite à la Renaissance et
aux succès éclatants des sciences, le rationalisme
fut en vogue et l’on commença à idolâtrer la raison
humaine. S’il n’y eut pas que des rationalistes parmi les Lumières, l’idée générale fut bien d’affirmer l’indépendance de l’homme vis à vis de la tradition et de la Religion, et tout fut jugé bon pour
parvenir à cette fin. Le rationalisme eut la commodité de ne pas se passer de Dieu dans un premier
temps, tout en refusant catégoriquement la
moindre explication non rationnelle. Inéluctablement, d’un Dieu relégué à une place abstraite et de
plus en plus inconfortable, ce dans un système philosophique où l’homme régnait en maître, l’on
passa aisément à l’affranchissement total. Le
déisme engendra l’athéisme, parce qu’en luimême résidait déjà ce principe : échapper au
mieux à la Révélation chrétienne.1 Avec Kant, ce
fut la caution définitive pour fuir toute métaphysique ; l’on n’expliquera désormais plus le monde
qu’à partir de l’homme. S’il faut un mot pour
réunir ces diverses philosophies en une, pour définir la philosophie de la Révolution, le Marquis de
1. « Un déiste est un homme qui n’a pas encore eu le temps de devenir
athée. » Louis de Bonald.
la Tour du Pin nous le livre : « L’individualisme,
c’est la Révolution. »
Qu’est-ce que l’individualisme sinon le pire des
mensonges, l’orgueil ? Orgueil pour la créature de
fuir son Créateur, orgueil pour le serviteur de négliger son Maître. L’insurgé, dans son aspiration
de l’absolu et au regard de laquelle il ne pouvait
supporter sa propre misère, préféra s’enclaver,
s’isoler radicalement afin de ne plus être irrité
d’aucune vue extérieure. En sorte que reportant
sur lui toute son attention, il se crut absolu et toutpuissant dans cet espace personnel. Débarrassé de
sa crainte et de sa faiblesse, contrôlant parfaitement l’ensemble de son territoire, progressant
même parcelle après parcelle. La science pouvait
enfin s’émanciper de la métaphysique : le comment ne s’embarrasserait plus du pourquoi. D’où
vient cet homme ? Où est-ce qu’il va ? Ces questions désormais étaient pour lui dénuées du
moindre sens.
Bien peu de gens conçoivent les méfaits de la
Révolution2, d’où il vient que de cette ignorance, il
méconnaissent aussi la pensée contre-Révolution2. La plupart s’imagine que la Révolution est venu à cause de ce que le
peuple souffrait et de ce qu’il était oppressait : c’est se tromper
terriblement. Le témoignage de Bonald, contemporain de l’événement
révolutionnaire, nous éclaire et nous déleurre pour autant qu’on l’ait lu.
naire. C’est en établissant donc les erreurs à l’origine des principes révolutionnaires, que nous
pourrons amener à la connaissance et à la justification de notre cause !
Offensive contre la Famille
La Révolution dans son essence même s’attaque
à la Famille. La conception révolutionnaire de la
société politique suggère que l’individu en est
l’élément irréductible, ce qui par définition supplante la société domestique, la Famille. L’individu étant la mesure de tout, il fut facile de porter les
lois politiques jusque dans la Famille ; leur intrusion n’étant plus à craindre, puisque sous cet aspect la Famille n’est à considérer que comme un
ensemble de rapports et intérêts entre individus
membres de la société. Pour exemple, les restrictions quant au testament, comme le partage égal
imposé à la succession et qui fit beaucoup de mal
à l’agriculture3. Cette ingérence dans la Famille
amena logiquement à envisager les enfants comme
la propriété même de la République, selon le mot
3. Les paysans, en étant obligés de partager également leurs biens et leurs
terres à leurs enfants, n’eurent bientôt plus assez de surface pour
cultiver dignement.
fameux de Danton ! D’où la transformation de
l’Instruction nationale en ladite Éducation nationale. Ainsi la République se propose de se substituer peu à peu à la Famille, ce dans le but de faire
des enfants avant tout de bons citoyens 4, c’est-àdire bien sûr selon ses vues et ses idées – révolutionnaires il s’entend. « Ce n’est pas Dieu seulement, dira la Tour du Pin, c’est la famille qu’elle
(la Révolution) a chassée de l’école des enfants du
peuple, en ne permettant plus aux pères de famille
de choisir ni la personne ni l’enseignement du
maître auquel elle les oblige à confier leurs enfants. » La Famille ne peut qu’apparaître comme
une barrière pour une société voulant s’appliquer à
chaque individu, il suffit qu’elle ne reconnaisse
pas le pouvoir révolutionnaire pour devenir
l’écueil de celui-ci.
La Révolution donc élabora le divorce, et il est
demeuré dans les esprits qu’il vaut mieux dissoudre une union malheureuse, plutôt que de la
vivre le restant de ses jours. En conséquence, la
Famille déchoit, elle devient la résultante de
l’union incertaine et passagère de deux personnes.
Si la Famille passe, quelle raison de s’appuyer sur
elle ? Ne s’arrêtant pas là, l’autorité paternelle sera
4. La place que prit ce terme de « citoyen » au cours de la Révolution est
tout à fait révélateur de l’esprit d’individualisme qui anime la société
révolutionnaire.
bientôt évincé au profit d’une confusion des rôles
entre l’homme et la femme. De la sorte, celui
qu’on nomme encore Chef de famille perd le franc
usage de ses devoirs en faveur d’un droit individuel – ce qui signifie hors de tout rapport social –,
universel et désincarné. Comble de la déchéance,
il perdra finalement son rôle même qui lui permet
de représenter sa Famille par sa personne. Enfin, il
ne fait aucun doute que ce qu’on appellera plus
tard « libération de la femme » procède de l’héritage révolutionnaire.
Comme on doit s’y attendre, les principes
contre-Révolutionnaires font montre de l’exact inverse. Louis de Bonald nous dit : « L’État ne doit
voir l’homme que dans la famille. » Ce qui signifie que là où il voit l’homme, il aperçoit du même
coup la Famille. Pour atteindre l’homme, pour lui
rendre un quelconque bien, l’État passera donc par
ce domaine, la Famille, dont le rôle est véritablement d’abriter, d’accompagner, et de magnifier
l’homme. Le contre-Révolutionnaire tient alors la
Famille pour la cellule sociale qui fait le fondement de la société. Pour lui la société politique est
organique, c’est-à-dire composée de corps sociaux, et n’est surtout pas constituée d’individus
déracinés – que l’on conçoit isolément. Par consé-
quent, son but immédiat est le service des multiples Familles qui vivent en son sein, et le bien de
tous les hommes se pose en corollaire. La charge
du Chef de famille fait qu’en s’élançant dans le
monde, celui-ci ne représente non pas son unique
personne, mais sa Famille entière. D’ailleurs, cet
oxymore que figure une société individualiste ne
peut prendre pied dans la réalité. L’état qu’a produit la Révolution, tout en ayant l’apparence de
celui de société, ne réalise rien de telle. Ainsi, l’on
saisit qu’en s’attaquant à la Famille, l’on agresse
la société entière.
Quant au divorce, quoi de mieux que de laisser
notre place à l’admirable éloquence de Bonald :
« Serments de rester toujours unis, sacrés engagements que l’amour et l’innocence croient éternels,
vous n’êtes point une illusion ! La nature vous inspire à tous les cœurs épris l’un de l’autre ; mais,
plus forte que la nature, et d’accord avec elle
contre nos passions, une loi sainte et sublime vous
avait ratifiés ; et, arrêtant pour toujours le cœur de
l’homme à ces sentiments si purs, hélas ! et si fugitifs, elle avait donné à notre faiblesse le divin caractère de son immutabilité. Et voilà le législateur
du divorce qui a espéré dans notre inconstance, et
abusé du secret de nos penchants. Sa triste et
cruelle prévoyance est venue avertir le cœur de ses
dégoûts, et les passions de leur empire. Comme
ces esclaves qui se mêlaient au triomphe des
conquérants, pour les faire souvenir qu’ils étaient
hommes, il vient, mais dans des vues bien différentes, crier à la vertu, aux jours de ses joies les
plus saintes, qu’elle est faible et changeante, non
pour la fortifier, mais pour la corrompre ; non pour
lui promettre son appui, mais pour lui offrir ses
criminelles complaisances. »
À ne considérer rien qu’humainement, il tient
d’une évidence que le divorce n’apparaît point
comme la solution aux malheurs et difficultés du
Mariage. Ces maux ne viennent bien souvent que
de ce qu’on ne s’est pas sérieusement engagé, et
que l’on méconnaît cruellement son propre état.
Mais pousser l’homme dans ses plus sombres appétences, de le jeter au plus bas de sa faiblesse, à
qui viendrait une si criminelle pensée ? Bonald
aboutit en répondant à ceux qui restent dupes de
leurs illusions : « Faut-il dissoudre la famille, pour
ménager de nouveaux plaisirs à ses passions
(celles de l’individu), ou de nouvelles chances à
son inconstance, et corrompre tout un peuple,
parce que quelques-uns sont corrompus ? »
En un mot, la Famille comme unique garante de
l’homme et de son lignage, est la juste unité sociale. C’est elle qui le forme, le poli, et le prépare
au monde extérieure. En cela elle mérite toute protection et tout dévouement de la part de la société
politique.
Assaut contre la Patrie
Qu’est-ce au juste que la Patrie ? L’homme avisé parlera de la terre de nos Pères, non pas que du
seul territoire, mais de tout ce qui fut aussi d’eux
édifié en participation à la société : et quel incommensurable héritage !
Il n’y eut peut-être pas d’événement où l’on déclama autant sur la Patrie que la Révolution. Cependant, la façon dont on a méconnu le sens et la
portée de ce mot ne fut pas moins extraordinaire.
Les révolutionnaires ont fait perdurer la Patrie
dans leurs paroles et leurs discours, pour mieux
l’anéantir dans les faits ! Car la puissance même
de l’œuvre révolutionnaire, c’est la table rase du
passé. Il ne fut pas un instant où l’on eut l’intention de réformer l’ancien régime – garder ce qui a
fait ses preuves, corriger les erreurs – non, on était
plutôt déterminé à l’abolir tout de bon. Or pour
comprendre cette aberrante volonté, il faut remonter aux principes qui l’inspirent.
Le premier, c’est que le rationalisme érige
l’idéologie au-dessus de l’expérience historique.
Dans cette conception, il suffit de forger la bonne
construction intellectuelle, puis de l’appliquer infailliblement à la réalité. Pour exemple, la triple
séparation des pouvoirs : pensée au départ abstraitement, elle deviendra par la suite une règle indispensable et irrécusable chez l’esprit vulgaire.
Le second, dont le chantre le plus illustre fut le
théoricien du contrat social, pose que l’homme est
naturellement bon, et que son état de nature ne
correspond pas à celui d’état social. En conséquence, la société est faite pour la préservation des
intérêts individuels et ne saurait aller à l’encontre
de ceux-ci. Ainsi sombre-t-elle vers la loi du plus
fort ; et l’anarchie faisant suite, côtoie ou l’oligarchie – une poignée d’individu dominant le plus
souvent par l’argent et imposant leurs propres intérêts –, ou ce qu’on appelle totalitarisme – l’État,
en l’absence de corps intermédiaires, écrase et rabaisse au même niveau tous les individus. De surcroît, si l’homme devient mauvais c’est parce que
la société le corrompt, qu’elle le pousse au vice.
D’où la déclaration universelle des droits de
l’homme : Primauté de l’individu sur l’ensemble
des sociétés humaines. De là naquit une nouvelle
sorte d’idéaux, les faux dogmes de 1789 disait Le
Play, dont la liberté et l’égalité conçues tout en
abstractions prirent la plus large place. La démocratie, c’est-à-dire le principe de la souveraineté
populaire, composa naturellement le gouvernement le plus convenable à cette philosophie.
La contre-Révolution s’attache fermement à son
passé et à l’héritage qui lui a été fait. « Les opinions, les théories, les systèmes, nous explique
Antoine de Rivarol, passent tour à tour sur la
meule du temps, qui leur donne d’abord du tranchant et de l’éclat, et qui finit par les user. » Or
l’on reconnaît les principes impérissables à ce
qu’ils persistent dans l’épreuve du temps. Leur
usage répété, bien loin de les user, ne sert qu’à
mieux les établir. La politique en effet, se doit
d’être historique pour ne pas devenir utopique. Le
Marquis de la Tour du Pin à son tour nous le
confirme : « La société s’était formée et développée successivement à travers les siècles, et sa
constitution, suivant une expression connue, avait
crû suivant des coutumes à peine codifiées, mais
inscrites ès cœurs de tous les français. » La Révolution, qui prétendait fournir enfin au pays sa
constitution, n’a en réalité travaillé qu’a détruire
cette dernière. Et la Tour du Pin de continuer :
« Ainsi ce n’est pas avant 1789, comme on l’a dit
alors, que la France n’avait pas de constitution ;
c’est depuis qu’elle n’a plus d’éléments constituants organisés politiquement. Il faut donc rasseoir la représentation à la fois sur le domicile et
sur la profession, en un mot, faire le contraire de
ce qu’a fait la Révolution. La Révolution a systématiquement divisé, séparé, dissocié les éléments
de la cité. Rapprochons, réunissons, reconstituonsles amoureusement, et nous aurons rendu sa vigueur à la nation. L’œuvre est assez belle pour
qu’on s’y attache lorsqu’on l’a aperçue. »
Cette notion de constitution écrite, inventée, résidant non dans la forme que prend le pays charnel, mais dans les esprits de quelques théoriciens
fanatiques qui pensent imposer à la réalité leur vision des choses, voici comment Joseph de Maistre
l’expose : « Une constitution qui est faite pour
toutes les nations n’est faite pour aucune. » Pour le
contre-Révolutionnaire, il existe des lois sociales
que l’homme doit découvrir. Celles-ci à l'instar des
lois physiques trouvent leur élaboration dans la nature, et il est vain à l’homme d’en revendiquer et
la création et l’emprise.
La philosophie de l’ordre n’avance pas que
l’homme, compris hors la société, soit bon. Au
contraire, elle assure que la société formant
l’homme, c’est elle qui le rend bon, le perfec-
tionne, le civilise. Ainsi, et c’est à Bonald que
nous avons encore recours : « Il faut faire la société bonne, si l’on veut que l’homme soit bon ; il
faut qu’à son entrée dans la société il y trouve, établi par les lois, pratiqué dans les mœurs, enseigné
par les écrits, rappelé par les arts, autorisé, accrédité par tous les moyens dont la société dispose,
tout ce qui peut aider un naturel heureux ou fortifier une âme faible, et continuer une bonne éducation ou réformer une éducation vicieuse. »
L’homme, qui doit tout à la société ne lui apporte
que bien peu, malgré son génie. Et même ce qu’il
lui cède dépend de ce qu’elle lui donne. C’est
pourquoi l’homme n’a que des devoirs en rapport
à la société, mais ce qui est devoir pour lui est
droit pour les autres. Bonald termine sa considération : « La société est établie pour l’avantage général, et non pour le bien particulier, puisqu’il faut
au contraire que le particulier souffre pour le bien
général. Les sophistes qui ont traité de la société
n’y voient que l’individu et Pupendorff lui-même
dit que les lois sont faites pour l’avantage du chef :
erreur grossière, puisque le chef doit le premier
s’immoler pour le salut de ses membres. Toute société, dans ce sens, est une république, res publica,
la chose de tous, et non la chose de chacun (non
plus que le gouvernement de tous), et alors dit J.-J.
Rousseau, « la monarchie elle-même est une république ». Dans le siècle dernier, les bons auteurs
appelaient toute forme d’État république ; ce n’est
que dans ce siècle qu’on a donné exclusivement
cette dénomination au gouvernement populaire, de
tous les États celui où chacun est le plus occupé de
soi et où tous sont le moins occupés des autres. »
Le principe démocratique place le pouvoir en
chaque individu, ce qui fait que sa portée ne dépasse pas celle de l’individu et ne convient aucunement à la société. De même, la loi trouve son
expression dans la volonté générale, elle-même
qui est la somme de volontés particulières et désunis. Et l’on observe le droit subordonné à la loi,
alors que ce devrait être l’opposé.
Dans la monarchie organique soutenue par la
pensée contre-Révolutionnaire, le pouvoir est social, son domaine concerne les institutions auxquelles il s’applique. Ainsi il convient à la société
et aux hommes vivant dans cette société. En outre,
la loi sociale n’est pas la loi du nombre, celle-ci
n’est pas sujette à la démagogie et à la dictature de
l’opinion. Elle tient en revanche des bonnes
mœurs et coutumes, qui ont l’assurance des
peuples et l’empire des siècles. Il est remarquable
en cela qu’une institution comme les corporations
– qui produisait jusqu’à lors des effets excellents
parmi les hommes et la société – fut abolie à la
Révolution par la loi Isaac Le Chapelier : interdisant sous peine de mort ce genre de rassemblement !
Finalement, ce fut au nom du dogme abstrait de
la liberté que l’on détruisit les nombreuses et
réelles libertés existantes et formées au fur des années par la société. De même qu’au nom de l’égalité de tous, l’on désorganisa les fonctions sociales
si habilement et harmonieusement liées entre
elles : abolissant les charges et dignités qui donnaient pour devoir le service des plus petits, avilissant même les métiers qui autrefois faisaient la valeur de la France et la fierté de leurs agents, les
paysans et artisans.
Pour faire court, la Patrie est une œuvre qui jamais ne s’achève : construite sur le passé, nous en
prenons la suite jusqu’à ce que nos fils nous succèdent. Elle n’est pas un ouvrage de la pensée
mais du temps. La minutie se fait nécessité comme
la précipitation doit être bannie. Et il ne suffit pas
d’un homme, il faut la coordination des efforts de
toute la société à travers les époques ! C’est pourquoi une vue politique n’embrassant pas à la fois
ce qui fut, ce qui est, et ce qui doit être, – c’est-àdire la tradition – ne peut ni discerner, ni guider le
caractère d’un peuple, encore moins parvenir à la
constitution du pays. Voilà en quoi la dynastie
seule assure aussi adéquatement que dignement la
fonction du gouvernement.
Attentat contre la Religion
L’épreuve ici, pour l’homme averti un minimum, n’est pas de montrer que la Révolution tourmenta la Religion, mais comment elle le fit. Bien
sûr, ce ne fut pas les protestants, et encore moins
les juifs, qui eurent à pâtir de la Révolution ; l’ennemi explicitement visé était l’Église, et donc les
Catholiques occupant alors la grande majorité de
la population. Il serait autrement intéressant de
voir que le protestantisme – ou religion de l’individu – et certains juifs5 influents n’ont pas été pour
rien dans le développement des idées « nou5. Un juif éminent du XIXème siècle, James Darmsteter, ne craint pas de
reconnaître que : « Le juif est le docteur de l’incrédule. Tous les
révoltés de l’esprit viennent à lui dans l’ombre ou à ciel ouvert. Il est à
l’œuvre dans l’immense atelier de blasphèmes du grand empereur
Frédéric et des princes de Souabe ou d’Aragon. C’est lui qui forge tout
cet arsenal meurtrier de raisonnements et d’ironie qu’il léguera aux
sceptiques de la Renaissance, aux libertins du grand siècle. Le sarcasme
de Voltaire n’est que le dernier et retentissant écho d’un mot murmuré
six siècles auparavant dans l’ombre du ghetto, et plus tôt encore, au
temps de Celse et d’Origène, au berceau même de la religion du
Christ. »
velles » et de la philosophie individualiste qui préluda à leur avènement.
On pourrait nous rétorquer que les événements
tels la constitution civile du clergé, les persécutions religieuses, l’expulsion des congrégations6
sont des excès imprévus de la Révolution. Seulement un excès vient d’une circonstance extérieure
viciant le principe d’origine. Alors que ces conséquences ont simplement fermentées dans les esprits sinon complètement athées du moins particulièrement irréligieux de l’époque. Le germe en apparence si différent de la fleur qui éclot, n’est rien
de moins que celle-ci à un état antérieur, ayant déjà en sa puissance la floraison à venir.
Religieusement, on aura du mal à comprendre la
Révolution si on omet ce principe : qu’elle tend à
s’éloigner le plus possible de la religion native de
la France, la Religion catholique. La mutation ne
fut pas si radicale, et bien que le culte de l’Être suprême institué par Robespierre honnissait
6. Avant la Révolution, de nombreuses congrégations religieuses
parsemaient la France, s’occupant de bien des œuvres mais
particulièrement de l’instruction. Contrairement à ce que l’on nous fait
accroire, même les plus simples des gens recevaient le nécessaire
d’instruction, qui bien sûr n’était pas le même pour tous, et cela
gratuitement. On comprend que la Révolution pour avoir la mainmise
sur les enfants et les futurs « citoyens », profita largement de cette
expulsion. L’illettrisme fut terrible pendant la période qui suivit, et il
fallut attendre longtemps avant que naissent de nouvelles institutions
scolaires...
l’athéisme, la suite logique fut que l’athéisme se
propagea d’abord dans la loi, puis dans les mœurs,
enfin à la société entière, ou plutôt ce qu’il en restait – la religion n’étant admise que dans la sphère
domestique outrageusement fracturée, et réellement permise que dans la conscience personnelle
qui n’était tout de même pas universellement abusée. Sous le prétexte de liberté de conscience, la
Révolution proclama l’égalité des cultes ; il s’agissait inconcreto de réduire l’influence de l’Église et
d’anéantir la religion qui fut jadis nationale.
Là où la Révolution fut une aubaine pour les
juifs, les protestants, les franc-maçons, elle fut
l’ennemie déclarée des Catholiques. Elle fut dès
son début à l’origine de l’émancipation juive, et
chose remarquable, ceux-ci ont même conservés
une prière pour la République. François Pillon,
philosophe républicain de l’école néo-criticiste et
collaborateur de Charles Renouvier, protestant et
franc-maçon, nous divulgue quelques traits intéressants : « L’obstacle à la républicanisation de
l’âme française, c’est le catholicisme. Il n’est pas
possible que la France conserve la République si
elle n’a pas la force de rompre avec le catholicisme, de soustraire ses femmes et ses enfants à
l’influence de cette religion. Le catholicisme, religion monarchique, religion de sujets, ne peut être
la religion des libres citoyens d’une démocratie.
Ou la France républicaine se décatholicisera, sortira de l’ancien régime spirituel, ou le catholicisme
lui rendra tôt ou tard la monarchie. » « Comme le
catholicisme est une religion monarchique, le protestantisme mérite le nom de religion républicaine.
J’entends qu’il est en parfaite harmonie avec des
institutions fondées sur le principe démocratique
et électif. » « Oui, la réforme est la mère de la démocratie moderne, comme l’Église papiste est la
mère des royautés et des aristocraties. » Il en ressort nettement que l’héritage révolutionnaire, le
fondement de la République, justifie d’autant plus
qu’il nécessite l’éradication du Catholicisme.
« Le mal est religieux, la révolution est religieuse, le remède est religieux, nous ne guérirons
que religieusement », telles sont les paroles d’Antoine Blanc de Saint-Bonnet. Que la Révolution
soit religieuse, cela ne signifie pas qu’elle soutient
une religion particulière, mais qu’à l’instar de la
politique, son rôle fut un renversement complet
dans le domaine religieux, c’est-à-dire du Catholicisme qui imprégnait la société d’alors. En vrai, la
Révolution est irréligieuse au sens de l’Église ;
plus que l’individualisme, l’irréligion est sa
source. Ironiquement, cette irréligion prit rapidement des allures de religion, ce fut le culte de
l’homme et de sa raison en place de Dieu. Outre le
culte, l’inimaginable ferveur, les clubs pour
églises, les jacobins pour ministres, la constituante
pour concile, les philosophes du siècle pour saints,
les droits de l’Homme pour Décalogue : tout participa à ériger l’irréligion en système avec pour but
ultime de fabriquer l’homme nouveau. L’homme
éclairé, enfin affranchi de la Religion. Mais ce qui
fit de cette œuvre révolutionnaire plus un délire
qu’une religion, ce fut le désordre absolu, l’anarchie totale, les destructions innombrables et les
bains de sang qu’elle appela.
L’erreur funeste de la Révolution, dira le contreRévolutionnaire, c’est d’avoir méconnu le besoin
spirituel d’un peuple et voulu tout l’inverse, traitant en superstition ce qu’il avait de plus cher et
qu’il voyait comme le fondement de son histoire,
de sa cohésion. En effet, sans Religion, sans baptême de Clovis et d’elle-même, la France n’eut jamais connu les événements historiques qui firent
sa grandeur. Certes, nul pays ne se forme sans un
peuple, une terre, et une langue. De même, il ne
naît pas de civilisation sans une religion. La religion est à la fois le ciment et le levain des peuples.
Si les fausses religions peuvent avoir des effets
haïssables sur les personnes, leur principe les
sauvent pour ce qui est de la société, en cela elles
valent mieux que l’athéisme. De plus, la morale
qui n’a pour guide la Religion, tout comme la loi
sans justice, se flétrit et dégénère inéluctablement.
La Révolution en attentant à la Religion, s’en
prend immanquablement à la civilisation entière.
De son fait, les peuples ont été réduits à la plus abjecte barbarie : les révoltes, guerres civiles,
guerres révolutionnaires puis napoléoniennes, et
finalement mondiales, toutes portent en héritage la
Révolution. Fatalement, une fois la Religion ruinée, on a beau avoir la fraternité pour devise, il ne
sert de rien si l’on a oublié le grand précepte qui
incite à aimer son prochain, son frère comme soimême. Et sans notre divin Père constamment à
l’esprit, il est difficile, sinon impossible, de se souvenir de ses frères. Voilà comment de division en
division, l’ordre construit méticuleusement sur le
passé est vaincu d’une étincelle par le chaos moderne.
L’histoire ne nous cache pas que l’irréligion partage si facilement le trône à l’individualisme. Or
chacun sait que la noblesse de l’homme réside en
la cause dont il se fait le serviteur. Et c’est la défense d’une cause qui ne lui appartient pas, mais
qui devient sienne, qui à juste titre est valeureuse.
Rien de plus vil au contraire, pour celui qui ne
pense qu’à lui-même, le néant d’abnégation qui le
compose. Tout homme ressent le désir de servir, le
désir du sacrifice de sa personne au nom d’un intérêt supérieur, ainsi accepte-t-on la transcendance.
Malheureusement, tous n’ont pas cette clairvoyance, et quelque bien de la terre sont pour certains un frein, vanités dont ils s’aveuglent et qui
les retiennent en eux-mêmes. En revanche, celui
pour qui aucune excuse n’autorise la suffisance,
juge avec mépris tout ce qui ne le porte pas au-delà de sa personne. Il sait qu’en mettant son dévouement au service de Dieu, l’humanité en est la
bénéficiaire, et lui-même voit son accomplissement en cet acte éminent.
Les uns ne peuvent vivre pour eux-mêmes, tandis que les autres ne souffriraient pas le moindre
temps pour autrui. Or tous les hommes ayant la capacité d’aimer Dieu, cette différence vient que le
démon d’orgueil occupe les seconds, détournant
l’amour qu’ils éprouvent naturellement et le retournant sur leur misérable personne : voici précisément l’horreur de l’irréligion.
« La révolution a commencé par la déclaration
des droits de l’homme, et Bonald de prédire : elle
ne finira que par la déclaration des droits de
Dieu. » En effet, proclamer les droits de Dieu, voilà bien le but qu’il faut se donner. Car il n’y a vrai-
ment que les droits de Dieu qui puisse garantir le
bien être des hommes, en même temps que la justice et la paix. Sans reconnaître de Maître, sans
une autorité véritablement supérieure, les hommes
sont des enfants égoïstes qui se chamaillent entre
eux, ne soupçonnant pas la portée de leurs actes.
Mais pour autant qu’ils se rappellent la loi du
Père, alors de la crainte et de l’amour pénétrés, ils
sauront se maintenir dans la sagesse.
En résumé, si l’on peut dire de la Religion
qu’elle doit être contre-Révolutionnaire, c’est
parce que la Révolution s’est foncièrement établie
comme une contre-Religion, et qu’elle demeure
invétérée en ce principe !
♣
De tout ceci il reste que – selon la considération
de Joseph de Maistre –, l’on peut dire sans exagération de la Révolution qu’elle est satanique. Attaquant le Père, plus belle image de Dieu sur terre,
pour abattre la Famille ! Assassinant le Roy, Lieutenant7 du Christ, afin de subvertir la Patrie !
7. Le mot lieutenant désigne la personne qui tient lieu de chef en
l’absence du chef. Si le Roy est vénéré, c’est parce que son rôle est
d’agir comme le Christ agirait pour nous : être le bon Pasteur, le bon
Chef. Malheureusement, c’est du fait que le devoir du monarque
chrétien – le don de sa personne à la société en vue du bien commun –
S’acharnant au possible sur l’Église, la bien-aimée
de Dieu, dans le dessein de détruire la vraie Religion ! Impossible de ne pas s’apercevoir qu’une
volonté tout à fait démoniaque tente de mettre
entre l’homme et Dieu un gouffre infranchissable.
Au fil de cet esquisse, il est apparut que ce n’est
pas la contre-Révolution qui est contre la Révolution mais précisément l’inverse. Cela signifie que
les principes contre-Révolutionnaires ne naquirent
nullement en opposition à la Révolution ; ils furent
en fait établis bien avant et solidement à travers
l’histoire, si bien qu’il serait plus juste d’appeler
traditionalisme ou réalisme politique la position
philosophique de la contre-Révolution.
Pour cet article, il nous a été nécessaire de laisser bonne part aux citations afin d’étayer nos dires.
Néanmoins, il n’est pas raisonnable de tenir la
pensée d’un auteur à quelques phrases ; nous aurions aimer citer plus et plus longuement mais là
n’était pas notre dessein, et c’est pourquoi nous
achèverons sur la recension chronologique des
principaux maîtres de la contre-Révolution : L’Abbé Augustin Barruel, Joseph de Maistre, Antoine
de Rivarol, Louis de Bonald, Mgr Jean-Joseph
Gaume, Frédéric Le Play, Juan Donoso Cortés,
fut délaissé par eux, que tant de maux frappèrent la Chrétienté.
Louis Veuillot, Antoine Blanc de Saint-Bonnet, le
Cardinal Pie, René de la Tour du Pin, Mgr Henri
Delassus, Albert de Mun, Mgr Ernest Jouin,
Charles Maurras, Firmin Bacconnier, Jacques
Bainville.
À ceux-ci l’on pourra ajouter comme étant du
même lignage et de la même tradition, bien
qu’étant antérieur à la Révolution : Jacques-Bénigne Bossuet, Saint Thomas d’Aquin, et même
Aristote, – pour ne mentionner que les plus
connus.
Pour la Vérité !
Lars Sempiter.
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