Les principes de
la
contre-Révolution
Qu’est-ce donc que la contre-Révolution ? Com-
bien en ont déjà entendu parler ? Quels sont ceux
qui, de nos jours, peuvent finir, situer, détailler
le courant contre-Révolutionnaire, énoncer ses
grands principes et ses origines profondes ? Qui,
en un mot, saurait se le représenter assez claire-
ment pour en avoir une compréhension authen-
tique et précise ?
Il est naturellement difficile, au milieu de la
multitude des pensées pourtant classifiées en di-
vers et nombreux courants, de s’y retrouver. La
clef, c’est de pouvoir déchiffrer les rapports que
ceux-ci entretiennent les uns aux autres, afin d’en
établir la carte adéquate. Sous cet aspect, l’idée de
la Révolution constitue le point névralgique par
excellence. La simplification s’ensuit lorsqu’on
applique son examen sur les rapports profonds et
essentiels de ces courants. Ainsi l’on peut apparen-
ter libéralisme et socialisme, prétendument enne-
mis jurés, comme s’abreuvant à la même source,
c’est-à-dire le dogme révolutionnaire.
Dans le but de mener à bien l’esquisse que nous
voulons donner de la pensée contre-Révolution-
naire, il nous faudra d’abord montrer ce qu’est
foncièrement la Révolution, puis expliciter les
principes dont elle se fait l’adversaire.
Ceux-là qui voit en la Révolution un unique
événement historique n’y ont rien compris. La-
volution est permanente, elle est un état d’esprit,
ce que d’autres appelleraient une idéologie. Elle
fut avant 1789, et achemina les esprits jusqu’à
cette date, de même qu’elle fut après et propagea
jusqu’à affermir sur ceux-ci son hégémonie. De
ses revendicateurs comme de ses patients, elle ins-
pire chacune des actions politiques. Qu’ils se com-
plaisent ou ne voient pas même leur carcan, ils
agiront, certes diversement, mais dans un même
but qui les dépasse. Serviteurs plus ou moins vo-
lontaires, mais de quoi au juste ?
« Un appel fait à toutes les passions par toutes
les erreurs. » : telle est la cinglante définition que
Louis de Bonald donne de la Révolution. C’est
bien ce que nous allons voir.
Tout le monde s’entend pour reconnaître que la
philosophie des Lumières, si elle n’en fait elle-
même partie, est au moins un des principaux fer-
ments de la Révolution. Suite à la Renaissance et
aux succès éclatants des sciences, le rationalisme
fut en vogue et l’on commença à idolâtrer la raison
humaine. S’il n’y eut pas que des rationalistes par-
mi les Lumières, l’idée générale fut bien d’affir-
mer l’indépendance de l’homme vis à vis de la tra-
dition et de la Religion, et tout fut jugé bon pour
parvenir à cette fin. Le rationalisme eut la commo-
dité de ne pas se passer de Dieu dans un premier
temps, tout en refusant catégoriquement la
moindre explication non rationnelle. Inéluctable-
ment, d’un Dieu relégué à une place abstraite et de
plus en plus inconfortable, ce dans un système phi-
losophique l’homme régnait en maître, l’on
passa aisément à l’affranchissement total. Le
déisme engendra l’athéisme, parce qu’en lui-
même résidait déjà ce principe : échapper au
mieux à la Révélation chrétienne.1 Avec Kant, ce
fut la caution définitive pour fuir toute métaphy-
sique ; l’on n’expliquera désormais plus le monde
qu’à partir de l’homme. S’il faut un mot pour
réunir ces diverses philosophies en une, pour défi-
nir la philosophie de la Révolution, le Marquis de
1. « Un déiste est un homme qui n’a pas encore eu le temps de devenir
athée. » Louis de Bonald.
la Tour du Pin nous le livre : « L’individualisme,
c’est la Révolution. »
Qu’est-ce que l’individualisme sinon le pire des
mensonges, l’orgueil ? Orgueil pour la créature de
fuir son Créateur, orgueil pour le serviteur de -
gliger son Maître. L’insurgé, dans son aspiration
de l’absolu et au regard de laquelle il ne pouvait
supporter sa propre misère, préféra s’enclaver,
s’isoler radicalement afin de ne plus être irrité
d’aucune vue extérieure. En sorte que reportant
sur lui toute son attention, il se crut absolu et tout-
puissant dans cet espace personnel. Débarrassé de
sa crainte et de sa faiblesse, contrôlant parfaite-
ment l’ensemble de son territoire, progressant
même parcelle après parcelle. La science pouvait
enfin s’émanciper de la métaphysique : le com-
ment ne s’embarrasserait plus du pourquoi. D’où
vient cet homme ? est-ce qu’il va ? Ces ques-
tions désormais étaient pour lui dénuées du
moindre sens.
Bien peu de gens conçoivent les méfaits de la
Révolution2, d’où il vient que de cette ignorance, il
méconnaissent aussi la pensée contre-Révolution-
2. La plupart s’imagine que la Révolution est venu à cause de ce que le
peuple souffrait et de ce qu’il était oppressait : c’est se tromper
terriblement. Le témoignage de Bonald, contemporain de l’événement
révolutionnaire, nous éclaire et nous déleurre pour autant qu’on l’ait lu.
naire. C’est en établissant donc les erreurs à l’ori-
gine des principes révolutionnaires, que nous
pourrons amener à la connaissance et à la justifica-
tion de notre cause !
Offensive contre la Famille
La Révolution dans son essence même s’attaque
à la Famille. La conception révolutionnaire de la
société politique suggère que l’individu en est
l’élément irréductible, ce qui par définition sup-
plante la société domestique, la Famille. L’indivi-
du étant la mesure de tout, il fut facile de porter les
lois politiques jusque dans la Famille ; leur intru-
sion n’étant plus à craindre, puisque sous cet as-
pect la Famille n’est à considérer que comme un
ensemble de rapports et intérêts entre individus
membres de la société. Pour exemple, les restric-
tions quant au testament, comme le partage égal
imposé à la succession et qui fit beaucoup de mal
à l’agriculture3. Cette ingérence dans la Famille
amena logiquement à envisager les enfants comme
la propriété même de la République, selon le mot
3. Les paysans, en étant obligés de partager également leurs biens et leurs
terres à leurs enfants, n’eurent bientôt plus assez de surface pour
cultiver dignement.
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