La liste royale sumérienne. Introduction. Dans le Proche-Orient ancien, le IIIe millénaire a vu l’épanouissement, sinon la naissance, de deux phénomènes primordiaux dans l’Histoire, à savoir celui de l’écriture et celui de la ville en tant qu’organisation sociale. Les deux vont d’ailleurs très probablement de pair, l’organisation sociale étant dépendante d’une certaine forme de conservation de données et de savoir. Bien que le premier rôle de l’écriture ait concerné l’économie, il est apparu au cours du millénaire la possibilité de s’en servir à d’autres fins, notamment politique, et les documents administratifs, épistolaires ou littéraires en provenance des palais étaient devenus monnaie courante aux alentours de l’an 2000 avant notre ère, lors de l’effondrement de la civilisation sumérienne. Une forme remarquable d’écrits est celle des « listes », retrouvées en grand nombre dans le cas de listes lexicales mais pouvant porter sur d’autres objets. Dans ces listes, l’une des formes les plus intéressantes du point de vue historique est celle des « listes royales », qui indique, en sumérien, les souverains censés avoir régné sur le pays de Sumer en général depuis le premier jusqu’à la date de rédaction du document. Sauf exceptions, elles n’indiquent cependant rien sur ce que ces souverains ont accompli, ceci étant réservé à ce que l’on appelle les « chroniques ». Le texte présenté ici est l’un des 15 exemplaires connus de la liste royale sumérienne, appelé « manuscrit G », qui a été retrouvé sur un parallélépipède de pierre d’une vingtaine de centimètres de hauteur, dit « prisme Weld-Blundell », provenant peut-être de Larsa. Contrairement à la plupart des autres exemplaires, trouvés sur des tablettes, cette liste comporte assez peu de lacune ; elle est nécessairement postérieure au dernier roi mentionné, Sin-Magir de Isin, qui a effectivement régné 11 ans comme indiqué. Etant donné que son fils Damiq-Ilisu, le dernier roi d’Isin avant la prise de la ville par Larsa, n’est pas mentionné, on peut supposer qu’elle a été rédigé au moment de la succession, soit vers 1817, ou pendant son règne. Nous pouvons alors nous demander ce que cet exemplaire de la liste royale sumérienne nous apporte quant à la compréhension du fonctionnement politique de cette civilisation, par les rois qui y sont indiqués mais aussi par les choix ou sélections qui ont pu être effectués consciemment par le scribe en vue d’en orienter la compréhension, et d’autre part ce que nous pouvons en déduire sur l’écriture de l’histoire à cette époque. Pour ce faire, nous commencerons par montrer, après avoir décrit l’organisation général de la liste, que celle-ci laisse de toute façon une large place au surnaturel, surtout dans la première partout, puis nous chercherons quels éléments peuvent être considérés comme réalistes et nous être utile, et enfin nous nous intéresseront au rôle politique qu’a pu avoir cette liste au moment de sa rédaction. 1 I) Importance du surnaturel. A) Organisation globale de la liste. 1) Souverains et durées de règne. Ce type de document n’étant pas très habituel en histoire, il convient tout d’abord d’éclaircir sa présentation. Contrairement à ce que l’on ferait à notre époque et que les sumériens mettaient aussi en pratique dans certains documents, les données des règnes ne sont pas présentées sous forme de tableau mais sous forme littérale. Ainsi, les noms des 134 souverains (dont une reine) sont indiqués à la suite les uns des autres, avec à chaque fois précisé le nombre d’années de règne du souverain. Ceux-ci sont regroupés en chapitres sur le texte actuel, et probablement déjà sur l’original, les chapitres étant habituellement séparés par des lignes horizontales. 2) Importance des villes. Chacun de ses ensembles de rois à l’intérieur d’un chapitre forme ce que l’on appelle une « dynastie » ; toutefois, sauf quelques exceptions, ils correspondent en fait chacun à une cité et pas forcément à une filiation biologique entre les individus. La ville correspondante est indiquée à la fin du paragraphe précédent, en précisant en général que la ville précédente « fut vaincue ». Les seules exceptions sont situées entre les paragraphes 8 et 9 qui suivent « Le Déluge nivela » (l.10), mais d’autres présentations ne les séparent pas, entre les paragraphes 14 et 15 qui traitent de l’empire d’Akkad, mais la rupture correspond apparemment à une période de guerre civile (« Qui fut roi ? Qui ne fut pas roi ?, l.41), et entre les paragraphes 16 et 17 où la royauté va non pas à une ville mais à l’ « armée du Gutium » (l.45), autrement dit au peuple des Gutis venus du Zagros et n’étant pas apparenté à une cité-Etat. Globalement, l’élément primordial du découpage est donc la ville souveraine. 3) Totaux intermédiaires. Enfin, quelques autres éléments viennent d’ajouter à ces informations. Notamment, et c’est une habitude mésopotamienne dès qu’il s’agit de liste, des totaux sont régulièrement calculés, ici à la fin de chaque paragraphe, et également un fois pour faire la somme des sous-totaux d’avant le Déluge (l.6). On récapitule ainsi le nombre de roi et la durée totale de règne pour chaque dynastie, avec quelques erreurs éventuellement, que l’on indique par « sic » : à la ligne 28 le scribe a ainsi indiqué un total de 2310 ans alors qu’il aurait du trouver 2311. Il faut donc se garder de considérer ceci comme étant la mention de rois anonymes comme on pourrait le croire de prime abord : dans ce cas, le scribe l’indiquera clairement, comme à la ligne 46 : « un roi dont le nom n’est pas connu ». Ainsi, l’essentiel de la tablette est constituée par cette liste de rois et de durées de règne regroupés par villes, et synthétisés par des totaux. Ne s’y rajoute que quelques rares informations remarquables et sans doute connues de tous à l’époque, que le scribe a jugé utile de rappeler, et pour clore la tablette la mention comme colophon du nom du scribe qui a recopié la tablette, donc qui est peut-être à l’origine de l’ajout des derniers rois mais qui n’a fait que recopier une liste préexistante pour les anciens (« Nur-Ninsubur »). 2 B) Héros et règnes démesurés. 1) Longueur des règnes. On peut très vite s’apercevoir en parcourant ce document que, si la fin ne semble pas présenter d’incohérence manifeste, le début qui est pourtant rédigé exactement de la même manière ne saurait aucunement être réaliste. Les 8 rois antédiluviens ont tous des durées de règnes supérieures à 10 000 ans. Les durées sont d’ailleurs « rondes », dans la mesure où il s’agit pour la plupart de multiples de ce qu’on appelle le « sar », soit 3600 ans ou encore 60 x 60 ans, sachant que le système numérique mésopotamien est en base 60. Cette observation marche d’ailleurs aussi pour la trentaine de souverains qui suivent et dont les durées de règnes sont comprises entre 100 et 1000 ans. Le premier roi a se voir attribuée une longueur de règne plausible est le fils de Gilgamesh, UrNungal, avec 30 ans de règne (l.25). Le dernier souverain à se voir créditer d’une durée de règne clairement impossible est la reine Ku-Bawa de Kish avec ses 100 ans (l.34). Ainsi, la première moitié du texte, jusqu’à Gilgamesh voire Ku-Bawa, apparaît déjà comme légendaire, ou du moins totalement romancée en admettant que certains rois aient pu exister. Notons au passage la mention assez curieuse d’un roi ayant régné 420 ans, 3 mois et 3 jours ½ à la ligne 13, seul personnage à part un roi Guti dont la durée de règne soit plus précise qu’une année. 2) Personnages héroïques. Une telle précision dans la durée de règne, qui par ailleurs est tout à fait fantaisiste, ne semble pouvoir s’expliquer que par référence à un mythe dans lequel il doit être possible que calculer exactement la longueur de son règne. Etant donné que les dieux ne vont pas régner eux-mêmes sur les cités, il doit donc s’agir d’un personnage héroïque, comme Gilgamesh dont on vient également de parler. En cherchant dans les rois ayant une durée de règne « impossible », on peut également en identifier au moins une demi-douzaine d’autres connus par d’autres documents que cette liste royale. 3) Identité des personnages. Il s’agit en fait de ceux pour lesquels le scribe a rajouté une indication supplémentaire : ainsi, Etana « monta au ciel » (l.16), ce qui est une référence à un texte appelé le « mythe d’Etana » qui a effectivement été retrouvé et dit la même chose. Enmekar est effectivement censé avoir « fondé Uruk » (l.23), en plus d’avoir inventé l’écriture et soumis la ville d’Aratta. Ou encore, Lugal-banda (l.23) est le héros de deux mythes dans lesquels il est présenté effectivement comme « divin ». Notons toutefois que Akka, ou Agga, de Kish (l.20), est censé selon un récit avoir affronté Gilgamesh (cf p.8 de la brochure), alors que d’après la liste plus de 2000 ans les séparent. De même, le dernier roi avant le Déluge est ici Ubar-Tutu de Suruppak, alors qu’il existe un mythe très célèbre faisant de son fils Uta-Napishtim, roi de la ville après lui, le survivant du Déluge et prototype du « Noé » biblique. Il semble donc que la liste ne reprenne pas exactement les données des mythes, encore que ceux-ci, dans les versions que l’on connaît, soient plus récents que la rédaction de la liste, mais s’arrange pour présenter un ensemble qui apparaisse cohérent et suffisamment en rapport avec les récits traditionnels. 3 C) Rôle du Déluge et des divinités. 1) Une royauté accordée par les dieux. En plus de cette présence très marquée de héros pendant toute la première moitié de la liste, il convient de noter que les dieux n’en sont pas absent, bien au contraire, même s’ils ne dirigent pas eux-mêmes de cité. En effet, ce sont eux qui accordent la royauté : « La royauté étant descendue du ciel, Eridu fut choisie » (l.1, se retrouve ligne 11). Le fait de « descendre du ciel » signifie en fait être donnée par les dieux, ce qui peut être confirmé par certains des récits cités à l’instant, et on peut supposer également que ce ne sont pas les hommes qui ont « choisi » la cité de la royauté mais directement les dieux. Ce sont donc bien les dieux qui décident de donner cet élément-clé de la civilisations aux hommes, et semble-t-il orientent, au moins au commencement, son exercice. 2) Rôle du Déluge comme rupture. D’ailleurs, on peut au moins affirmer qu’ils continuent de la surveiller par la suite. En effet, le Déluge, qui introduit une rupture importante dans la liste en « nivelant tout » (l.10), est, d’après plusieurs mythes, un événement orchestré par les dieux afin de remettre de l’ordre sur Terre, et le fait que la royauté « redescende » (l.11) ensuite du ciel n’était pas évidente. Le scribe ayant mentionné cette événement dans une liste de roi, on voit donc que l’élément avait son importance dans la notion de continuité de la monarchie, et donc que les dieux eux-mêmes avaient leur mot à dire dans l’affaire. Pour faire une petite digression, nous pouvons rappeler rapidement l’histoire du Déluge mésopotamien tel qu’il est relaté par des sources du Ier millénaire puisant leurs racines dans des mythes sumériens : les dieux sont divisés en deux classes, les dieux dominants appelés Annunaki et les dieux inférieurs nommés Igigi. A l’origine, les Igigi travaillaient pour nourrir les Annunaki qui ne faisaient pas grand chose, mais ils ont un jour cessé le travail en affamant ainsi les Annunaki. Pour régler le problème, Enki/Ea, le dieu de la sagesse, créa alors des hommes à l’image des dieux pour travailler sur Terre à la place des Igigi, et nourrir les dieux au moyen de sacrifice. Toutefois, ces hommes étaient nettement plus résistants que nous, étant notamment immortels mais capables de se reproduire : ils finirent ainsi par tellement prospérer que le bruit qu’ils faisaient en travaillant importunait les dieux. Enlil, chef des dieux, décida d’en finir en envoyant aux hommes divers calamités. Toutefois, Enki qui souhaitait que sa création survive parvenait systématiquement à informer les hommes par l’intermédiaire d’un certain Uta-Napishtim, aussi connu sous le nom d’Atrahsis ou de Ziusudra, et que certaines versions de la liste royale indiquent comme dernier roi avant le Déluge, pour la ville de Shuruppak. Les hommes survécurent à chaque fois grâce à lui, et lorsque pour en finir une fois pour tout Enlil décida d’envoyer un Déluge, il construisit un bateau sur les indications d’Enki, y embarqua avec sa famille et des spécimens de tous les êtres vivants, et pu ainsi survivre au Déluge. Au bout de dix jours, il lâcha un corbeau qui ne revint pas au navire, et pu alors accoster. Enlil ayant finit par comprendre que détruire les hommes ne feraient que forcer les dieux à travailler, accepta que ceux-ci reprennent leur vie normale, mais en réduisant leur durée de vie et en leur infligeant divers maux comme les guerres ou les maladies pour éviter qu’ils ne prolifèrent à nouveau, et il accorda l’immortalité à Atrahasis. On voit évidemment tout de suite le rapport avec le récit biblique : même si les motivations ne sont pas les mêmes, absolument toute l’histoire est identique, jusqu’aux détails de construction de l’arche calfatée au bitume... 4 3) Implications divines dans les successions. D’ailleurs, en plus de cette double attribution de la royauté aux hommes, et du Déluge comme élément de rupture , les dieux ne sont pas non plus absents des successions plus « banales ». D’une part, en effet, certains rois ont un rapport plus ou moins direct avec le monde divin : Dumuzi (l.3 et l.24), dont deux personnages portent le nom et sont tous les deux appelés « le divin », correspond effectivement au nom d’un dieu, exactement comme pour Lugal-Banda (l.23), Etana (l.16) est allé voir les dieux pour pouvoir avoir son fils Balih, qui lui succède dans la liste, Meskiaggaser (l.22) est présenté directement dans la liste comme fils du dieu Utu, et Gilgamesh (l.24) est lui aussi on ne peut plus lié avec les divinités. Mais de plus, on considère en Mésopotamie qu’une cité est détruite parce que les dieux l’ont abandonné (cf p. 14 de la brochure), ce qui signifie que chaque changement de cité dominante induit une implication des divinités : ce sont donc finalement en dernier ressort les dieux qui ont décidé à qui irait la « royauté » du début à la fin. Toutefois, ceci conserve un aspect cyclique : la royauté est accordée à une ville qui la développe, puis la perd, mais l’essence même de la royauté existe en continue en passant d’une ville à l’autre. Nous voyons donc que cette liste, du moins dans sa première moitié, ne peut absolument pas être vue comme permettant d’appréhender une réalité quelconque, même si l’on peut émettre l’hypothèse que certains de ces personnages, surtout ceux dont il est fait mention dans des mythes, puissent avoir eu une existence réelle déformée au fil des siècles. Toutefois, il apparaît que cette partie de la liste n’est pas réalisée au hasard non plus : un certain nombre de personnages sont connus de tous, même si les liens entre eux ne sont pas forcément exactement ceux sous-entendus par la liste, et les dieux jouent un rôle très important dans la succession des rois. Pour un observateur de l’époque, cette liste apparaîtrait donc comme tout à fait cohérente, et d’autant plus qu’elle est forcément telle que les dieux l’ont voulu. II) Eléments réalistes. A) Crédibilité des villes. 1) Villes réelles. Toutefois, il convient de constater que, quel que soit la partie du texte considérée, au moins un élément est toujours réaliste, à savoir le nom des villes. Toutes les cités présentées dans la liste ont existé, et pour la plupart ont été retrouvé, à l’exception de Larak (l.4), la troisième ville des temps anté-diluviens, Akkad ou Agadé, et Awan qui est très excentrée en Elam. Globalement, on peut recenser une demi-douzaine de villes dans le pays de Sumer proprement dit, dont Eridu, Ur et Uruk qui sont toutes trois des cités de première importance, quatre dans le pays d’Akkad dont Kish, Sippar et Agadé, également cités de premier ordre, sachant qu’il faut aussi rajouter la cité d’Isin située plus ou moins à la limite des deux pays. A cela s’ajoutent trois villes situées hors de la basse Mésopotamie proprement dite, notamment Mari en haute Mésopotamie. 5 2) Puissance effective. Or, ces villes ont toutes eu une puissance notoire au moins à certaines époques de leur histoire : en pays de Sumer, Ur et Uruk sont connues pour leurs constructions imposantes et leur richesse, notamment à travers le cimetière royal d’Ur du DA III, et Eridu tient une place religieuse prépondérante en tant que cité du dieu Enki. Plus au Nord, Kish et Agadé ont toutes les deux contrôlé à une époque une région importante, prenant même la forme d’un empire pour la deuxième. Si les autres villes, Isin, Sippur ou Mari par exemple, n’ont peut-être pas joué non plus un rôle aussi important, ou du moins pas encore, elles n’en demeurent pas moins des cité-Etats à part entière, ce qui n’est déjà pas rien dans le contexte de l’époque. Toutes ces villes ont donc existé et ont eu une influence plus ou moins grande sur la région à certaines époques. 3) Chronologie relative en partie correcte. Or, en plus d’avoir presque toutes eu une certaine importance dans l’histoire du IIIe millénaire, il apparaît que ces cités ont eu leur période de gloire plus ou moins dans l’ordre indiqué par la liste royale, au moins pour certaines étapes. A la ligne 21, la transition entre Kish dirigée par Agga et Uruk se retrouve dans le récit du combat entre Agga et Gilgamesh, celui-ci étant roi d’Uruk et en sortant vainqueur. Certes, la liste le place beaucoup plus tard dans la chronologie, mais les deux villes correspondent, ainsi que l’un des rois. Pour la transition suivante (l.21), il apparaît qu’effectivement Mesannepada est connu comme le fondateur de la première dynastie d’Ur, même s’il semble plutôt avoir eu affaire à Nippur et Kish qu’à Uruk comme indiqué ici. Enfin, à partir de la ligne 35, soit là où cessent d’apparaître les durées de règne fantaisistes, la chronologie relative est de mieux en mieux vérifiée : effectivement, Lugal-zagesi (l.37) prend le pouvoir à la suite d’une période de troubles qui est sous-entendue ici, avant d’être renversé par Sargon d’Akkad peu de temps après. La dynastie sargonide est bien connue, et après la fin de l’empire suit une nouvelle période de troubles (l.42-44) et d’une certaine puissance des Guti. Finalement, certains éléments de chronologie relative apparaissent donc comme relativement valables, surtout à partir du moment où cessent les durées de règne à trois chiffres, et à plus forte raison au moment de l’empire d’Akkad. B) Historicité des souverains. 1) Règnes datés. De même que les puissances relatives des cités d’après la liste semblent plus ou moins confirmées par d’autres sources au moins dans la partie « historique » du texte, certains des règnes les plus importants ont pu être documentés par ailleurs, permettant d’une part de vérifier la validité de certaines informations de la liste, et d’autre part de mettre en place des repères chronologiques. Ainsi, alors même que la capitale de leur empire n’est pas connue, on a pu dater les règnes de Sargon (l.38) et de son héritier Naram-Sîn (l.40) respectivement de 2334-2279 et de 2254-2218, ce qui ne correspond pas exactement aux durées de la liste mais restent globalement compatible avec la durée de règne des deux rois entre eux. De même, un peu plus tard à Uruk, les 46 ans de règne de Shulgi, qui marquent l’apogée de la période d’Ur III, ont fourni suffisamment de documentation pour dater son règne de 2094-2047. Même en tenant compte du fait que ces datations ne sont jamais absolument certaines, on peut ainsi en déduire les grandes lignes des chronologies relatives des règnes, couplées avec des dates absolues fournies par d’autres moyens. De plus, une fois les dates des grands règnes établi, on peut en déduire celles des rois intermédiaires, et donc dresser des chronologies à la fiabilité acceptable de l’ensemble des dynasties. 6 2) Eléments généalogiques. D’ailleurs, lorsque l’historicité de certains rois est établie, on peut supposer que les informations diverses que le scribe a rajouté, notamment généalogiques, sont plus valable que le père « invisible » (l.25) de Gilgamesh. On peut donc ainsi, en plus des dates de règnes, reconstituer quelques aspects sommaires de l’histoire interne de ces dynasties. Le père jardinier de Sargon fait référence à la légende de sa naissance qu’il s’est bâti lui-même, où il aurait été abandonné dans l’Euphrate et adopté par un jardinier qui puisait de l’eau (le lien avec l’épisode de la naissance de Moïse est manifeste), mais il pourrait s’agir d’une trace d’une origine plus modeste que la moyenne des rois. De plus, il est dit « échanson » d’Ur-Zababa, un roi de la ville de Kish qui a été supprimé sur ce document ; on peut donc en conclure que, conformément à la mention selon laquelle « il fonda Akkad » (l.38), il n’est pas né roi mais a du se tailler son royaume par lui-même. Pour cette dynastie, toute la généalogie est ensuite donnée (les deux fils de Sargon puis son petit-fils et pour finir le fils de ce dernier), ce qui permet d’en déduire que la royauté dans l’empire d’Akkad est toujours restée dans le cadre familial. Par contre, dans les périodes de troubles qui suivent la transmission de père en fils n’est que rarement indiquée (trois fois, l.42, 44, 49) malgré une trentaine de souverains. On retrouve par la suite, à partir d’Ur-Nammu à la période d’Ur III, la mention de transmission de père en fils, ce qui est probablement symptomatique d’une situation revenue à la normale après une période de troubles. 3) Divinisation des rois. Enfin, on peut noter dans cette liste un indice de l’apparition de la notion de divinisation du roi : en effet, seuls certains rois pour des périodes précises sont qualifiés de « divin » : Lugal-banda, Dumuzi et Gilgamesh (l.23-24) règnent l’un après l’autre, mais dans la partie non-historique du texte. Ceci fait alors sans doute référence au statut de héros semi-divins qui leur est attribué dans les mythes les concernant. Le qualificatif ne se rencontre plus ensuite, mais il réapparaît brutalement ligne 52 avec Ur-Nammu et la dynastie d’Ur III, et va servir à qualifier l’intégralité des souverains de cette dernière dynastie d’Ur et de celle d’Isin qui la suit. Il faut probablement y voir là la trace d’une nouvelle habitude des rois, par référence à des premiers essais sous l’empire d’Akkad, à savoir de se faire diviniser de leur vivant, qui se remarque notamment dans l’iconographie par le port par le roi de la tiare à corne en principe réservée aux dieux. Le scribe a donc manifestement tenu compte de cette nouveauté et l’a reporté dans la liste, preuve qu’on devait y accorder une certaine importance à l’époque. C) Conflits entre cités 1) Traces des rivalités entre cités-Etats. Malgré cette relative fiabilité de la partie « historique » du texte, il apparaît cependant, en déduction logique, que la suprématie d’une cité sur toutes les autres ne devait pas être aussi évidente que ce que la liste veut faire entendre. En effet, à partir du moment où les dates de règnes deviennent réalistes, soit à partir de l’urukéen Lugal-zagesi, les cités ne se maintiennent pas plus de deux siècles d’affilée dans une situation hégémoniques, et l’Uruk de Lugal-sagezi tient juste 25 ans (l.37). Sachant qu’une bonne partie des changements de dynastie ont du être causés par des guerres, et que toutes les guerres n’ont sans doute pas abouti à de tels bouleversements, on peut en déduire que celles-ci étaient sans doute assez fréquentes. En admettant qu’une cité conserve bien une certaine forme de supériorité sur les autres, celle-ci n’était donc sans doute pas incontestable. 7 2) Implication de cités non-sumériennes. De plus, comme nous l’avons déjà signalé, un certains nombres de cités nommées dans la liste ne font pas partie de la zone géographique d’origine de la civilisation sumérienne : ainsi Awan et Hamazi son rattachées à la culture élamite plus que mésopotamienne, Mari est une ville de hauteMésopotamie largement excentrée par rapport à toutes celles dont il est question dans la liste, et même les villes de Kish et Akkad, entre autres, font plus partie de la région akkadienne à dominante sémitique que de la zone sumérienne à proprement parler. Ceci semble très étrange pour une royauté « unifiée » et donnée par les dieux sur le pays de Sumer, surtout pour les élamites que la littérature mésopotamienne a souvent tendance à voir comme des barbares. Et de même, il semble assez peu probable que ces villes lointaines, par exemple Mari, aient pu exercer une vraie domination sur le pays de Sumer, vu la puissance toute relative que possédaient même les cités les plus importantes. 3) Absence d’unité réelle. On peut en fait même aller plus loin et se risquer à affirmer, à l’aides d’autres sources, que le pays de Sumer n’a jamais connu d’unité réelle, étant constamment fragmenté en une douzaine de citésEtats, à part peut-être sous le royaume d’Akkad et la dynastie sargonide. En effet, nulle part dans les archives mésopotamiennes ne se trouve mention d’une supériorité d’une cité sur les autres telle que l’on pourrait parler de soumission ou d’hégémonie. Tout au plus une cité peut avoir assez de puissance pendant quelques temps pour commencer à dominer les autres, comme Kish dont l’idéogramme peut aussi vouloir dire « la totalité », ou à plus grande échelle Akkad, mais sans arriver à garder cette suprématie très longtemps. Notons d’ailleurs que certaines cités qui ont pu jouer ce rôle dans la réalité ne sont pas mentionnées dans la liste, par exemple Lagash (dirigée par Gudéa sous Ur III). Ainsi, cette mention d’une « royauté » sur tout le pays de Sumer est au mieux une vue de l’esprit assez éloignée de la réalité, dont il va convenir de comprendre les mécanismes. Ainsi, au moins pour la deuxième partie du texte, il apparaît que les informations mentionnées sont finalement relativement fiables : contrairement aux premiers rois, les cités indiquées dans l’ensemble du texte ont presque toutes existé de façon certaine en ayant eu pour la plupart une certaine importance au moins à une période donnée, et dans la deuxième partie du texte l’ordre de succession de la liste pourrait correspondre approximativement à une certaine réalité. De même, dans la deuxième partie du texte, les règnes les plus importants ont pu être documentés par ailleurs et permettent de dire que cette partie de la liste correspond globalement à la deuxième moitié du IIIe millénaire, débutant juste avant l’empire d’Akkad au XXIVe siècle, et se terminant peu après la chute de la troisième dynastie d’Ur au tournant du millénaire. Les quelques informations supplémentaires permettent par ailleurs de se faire une idée des modes de successions des souverains à l’intérieur d’une dynastie, et de quelques éléments idéologiques. Toutefois, il semble clair que cette unité de la royauté est, au mieux, une vue de l’esprit et n’a pas pu exister telle qu’elle dans la réalité, d’autant qu’elle semble légèrement contredite par la mention de villes largement extérieures au pays de Sumer. Il faut donc à présenter tenter de comprendre quel a été l’intérêt de déformer la réalité pour aboutir à cette royauté unifiée. 8 III) Un document de propagande. A) Unicité artificielle de la royauté. 1) Une unité inventée. Il convient tout d’abord de préciser que le scribe qui a recopié la tablette, ainsi que celui qui a écrit l’original, devaient pertinemment savoir qu’ils ne relataient pas le déroulement réelle de la « royauté ». On aurait en effet pu comprendre que cet érudit, s’il avait vécu dans un monde unifiée, s’imagine que celui-ci avait existé, d’autant que la mentalité mésopotamienne était plus orientée vers le respect des traditions ancestrales que vers le changement. Toutefois, les sources annexes nous apprennent qu’il n’en est rien : en effet, à l’époque du dernier roi d’Isin mentionné, donc à l’époque où cet exemplaire a du être rédigé, les villes de Sumer étaient en plein conflit, notamment entre Isin et Larsa. Et de la même manière, la date de rédaction de la version originelle, même si elle est hypothétique, semble correspondre à la période d’Ur III, peut-être sous Utu-Hegal d’Uruk, soit à une époque où l’empire d’Akkad relativement hégémonique venait justement de s’effondrer. Dans les deux cas, le scribe a donc écrit l’histoire d’une royauté unifiée alors qu’il vivait lui même à une époque où la réalité n’était absolument pas celle-ci. 2) La trace d’une supériorité théorique ? Toutefois, il est aussi possible de voir là non pas une mystification totale, mais en partie la trace d’une supériorité théorique d’une cité, admise dans les mentalités mésopotamiennes mais qui n’auraient presque jamais été concrétisée. En effet, certaines sources nous apprennent que, par la suite, un roi qui prétendait régner sur l’ensemble du pays se devait de contrôler la ville de Nippur, qui conférait traditionnellement la royauté sur le pays de Sumer. Ainsi, il est possible que l’unité soit en fait un idéal que cherchent consciemment ou non à atteindre les sumériens : ainsi, tous les rois qui ont se sont trouvés pour une raison ou une autre en position de force, comme Sargon ou plus tard Hammurabi, ont cherché à unifier la Mésopotamie sous leur couronne, quitte à ce que l’empire ainsi créé soit totalement lié à leur personnalité et s’effondre peu de temps après leur mort. Ce fut le cas des empires d’Akkad et du premier empire babylonien, et il semble que la ville de Kish ait aussi essayer d’imposer sa loi avec moins de succès. D’ailleurs, Kish est avec Uruk la ville ayant le plus de dynasties à son actif selon la liste royale. 3) Un choix lié aux dieux. Cependant, quelle que soit la part de réalisme, même théorique, qui se cache derrière cette idée d’unicité de la royauté, il convient de se rappeler que, comme nous l’avons signalé auparavant, l’attribution de la royauté est avant tout liée à la volonté des dieux. En combinant ceci avec l’idée selon laquelle la Mésopotamie devrait tendre vers l’unité, on en déduit logiquement que ce sont les dieux qui ont voulu cette unicité – d’ailleurs, ils ne choisissent qu’une seule cité à chaque fois qu’ils font « descendre la royauté ». Ainsi, si une cité apparaît comme hégémonique à un moment donné, cette situation est la volonté des dieux et il serait vain de vouloir s’y opposer : les dieux se chargeraient eux-mêmes de détruire la cité s’ils n’en voulaient plus. En utilisant ce ressort de la pensée mésopotamienne, il semblerait alors possible de justifier les prétentions hégémoniques d’une cité en prétendant qu’il s’agit là du dessein des divinités. 9 B) Absence de villes clés. 1) Villes manquantes. Or, on peut commencer à se poser des questions en ce sens en remarquant que certaines villes marquantes de la période « historiques » couverte par la liste ne sont jamais mentionnées. Par exemple, Umma et Lagash ont toutes les deux eu une certaine importance dans le pays sumérien, surtout Lagash pendant la période d’Ur III avec les règnes de Gudéa ; elles ont d’ailleurs du faire appel à Kish pour régler un conflit entre elles, preuve d’une certaine supériorité au moins de renommée de cette ville à une époque où la liste indique Ur comme ville de la royauté. De même, Lagash avait effectivement exercé une certaine hégémonie sur Sumer sous le règne d’Eannatum, juste avant l’empire d’Akkad, ce qui n’est pas mentionné ici, peut-être parce que Lagash avait sa propre liste royale. En tout cas, la liste présentée ici ne semble donc même pas faire le tour de toutes les cités ayant effectivement exercé une certaine forme d’hégémonie, et ce même en s’arrangeant avec la chronologie. 2) Absence de Larsa. Une autre ville peut également être mentionnée dans les oublis, à savoir celle de Larsa. En soi, cette ville ne peut pas être comparée à des cités comme Uruk, Kish ou Akkad, n’ayant pas d’importance vraiment particulière au IIIe millénaire, mais il faut tout de même remarquer qu’elle commence à apparaître dans les sources à peu près à l’époque où Isin est indiqué comme devenant la ville de la royauté, soit à la chute d’Ur III au tournant du millénaire, et à cette date la ville d’Isin ne semble en fait pas beaucoup plus puissante qu’elle. Pour preuve, ces deux cités ont été en conflit à peu près depuis cette date, soit à l’époque où elles apparaissent dans les sources, jusqu’en 1794 où Larsa finit par vaincre Isin avant de succomber 30 ans plus tard face aux babyloniens d’Hammourabi. 3) Conflit entre Isin et Larsa. Ainsi, sachant que la liste a du être rédigée ici pendant le règne du dernier souverain d’Isin avant la prise de la ville par Larsa, le scribe savait pertinemment qu’il accordait la royauté à une cité en guerre depuis deux siècles et qui ne semblait pas prendre l’avantage (et pour cause), alors qu’il ne mentionnait pas une seule fois sa rivale Larsa. D’ailleurs, l’histoire de cette guerre n’est globalement pas à l’avantage d’Isin : vers 1925, Larsa débute les hostilités en prennant Ur qui est le principal port d’Isin, puis 30 ans après détourne une partie des eaux alimentant Isin sans que celleci puisse s’y opposer, et en 1870 Larsa met la main sur Nippur, la ville sainte qui donne la royauté et que détenait auparavant Isin. Notons d’ailleurs que cela tombe pendant le règne de Lipit-Enlil d’après la liste, et que le scribe a continué à nommer les rois d’Isin comme si de rien n’était alors qu’il aurait logiquement du passer à Larsa d’après la tradition liée à la ville de Nippur. Globalement, la suite de la guerre compte en grande majorité des succès de Larsa, ce qui montre que le scribe devait vraiment avoir une bonne raison de continuer à attribuer la royauté à Isin alors qu’il était selon toute vraisemblance parfaitement au courant de la situation. 10 C) Document de propagande d’Isin. 1) Une lignée aboutissant à Isin. Il semble donc clair d’après la fin du document remise dans son contexte de rédaction que cette liste, en tout cas sous cette forme, est un document de propagande pour la ville d’Isin : il s’agit manifestement de mettre en valeur la ville alors même que les événements vont bientôt précipiter sa chute, et de tenter d’affirmer sa suprématie, au moins dans sa lutte contre Larsa, et si possible à une échelle un pue plus grande. Ainsi, à partir d’une liste de rois plus ancienne formant une lignée unifiée et continue pour répondre probablement à des impératifs idéologiques, le scribe de cet exemplaire l’a continué en choisissant sa ville, Isin, comme exerçant la royauté depuis la fin de la troisième dynastie d’Ur, et en ne changeant pas même au moment où Nippur échappait à son contrôle. 2) Absence d’opposition. Puisque la royauté est, par définition de pure forme, unifiée et décernée par les dieux, et qu’il se trouve d’après la liste que cette royauté a échue à Isin, il faut donc en déduire que toute opposition est futile, et que Larsa ne pourra jamais gagner cette guerre (sauf si l’on considère que les dieux ont abandonné Isin mais le scribe n’en voyait probablement pas de signe précurseur...). Il peut aussi s’agir de faire passer les rois d’Isin à la postérité en les privilégiants sur une liste plutôt que les rois des autres villes : la chose aurait d’ailleurs bien fonctionné puisque la liste qui sert de « référence » pour les rois sumériens est en général celle-ci ou une variante très proche ou légèrement corrigée, qui garde donc les rois d’Isin comme dernière dynastie mentionnée et oublie totalement ceux de Larsa ou des autres cités du moment. 3) Une pratique courante. Il convient enfin de noter que les rédacteurs de la liste royale sumérienne n’ont pas été les seuls à envisager ce type de document sous l’angle de la propagande : d’une part, rien que les multiples exemplaires de cette liste reflète chacun ce genre d’idéologie, mais on la retrouve également dans des listes concernant d’autres royautés. Par exemple, dans la liste royale assyrienne, qui présente tous les rois d’Assur également depuis le début des temps, est inclut le roi Shamshi-Adad Ier d’Ekallatum, qui a effectivement régné sur le pays mais ne peut pas vraiment être considéré comme faisant partie de la dynastie. Les deux principales hypothèses à sa présence sont alors soit qu’il s’y soit inscrit lui-même pour mieux se faire accepter, soit que, étant un roi renommé par la suite, les scribes assyriens l’auraient intégré pour donner plus de prestige à la lignée. De même, la liste royale babylonienne inclut à l’occasion des rois ou des régents assyriens, et surtout se prolonge sur les périodes achéménide et hellénistique... 11 Conclusion. Une fois cette réflexion menée à bien, nous voyons donc que ce document représente bien plus que la simple liste de noms de rois à moitié légendaires qu’elle paraît être de prime abord. Certes, la première moitié, avec des durées de règnes variant entre un siècle et quelques dizaines de milliers d’années, ne peut pas refléter de réalité. Toutefois, elle devait sembler parfaitement objective aux contemporains, en citant des personnages mythiques, comme Gilgamesh, connus par d’autres sources, et qui peuvent peut-être avoir vécu comme chefs importants à des époques archaïques. De toute façon, l’ensemble de la liste, et à plus forte raison cette première moitié, sont fondamentalement marquées par l’influence des divinités qui accordent la royauté, interviennent dans les successions, et au besoin peuvent tout remettre à zéro avec le Déluge qui coupe cette partie mythique en deux. Quant à la dernière partie, avec des durées de règnes à peu près réalistes, on peut la faire débuter avec le règne de Lugal-zagesi, juste avant la mise en place de l’empire d’Akkad, donc dans la première moitié du XXIVe siècle. Tout en restant dans l’idée que les dieux ont une influence fondamentale sur la transmission de la royauté, elle fait clairement intervenir un choix humain dans la désignation de la ville dominante, chose qui n’a jamais existé dans la région à cette époque, à part sous l’empire d’Akkad (et encore). Que ce soit sous la troisième dynastie d’Ur où la première version de la liste a du être rédigée, ou au XIXe siècle pour la version présente, le pays était morcelé en cité-Etats dont aucune ne dominait clairement les autres, et les scribes le savaient forcément. Seule la domination purement théorique de la cité contrôlant Nippur pourrait être prise en compte, mais nous avons vu que le scribe n’en tient aucun compte au moment où Larsa s’en empare au détriment d’Isin, donc cet élément passe au moins au second plan face à une autre motivation. Il semble donc en effet que le vrai but de cette liste était d’être un document de propagande au service de la dernière ville citée, à savoir Isin. A une époque où elle est en guerre contre Larsa, et plutôt dans une mauvaise passe, il s’est agi d’appuyer ses prétentions en montrant qu’elle était l’héritière d’une royauté unifiée vers laquelle veulent tendre les mésopotamiens, qui est décidée par les dieux et contre laquelle personne ne saurait alors lutter, l’omission totale de Larsa accentuant encore cette différence. On pourrait toutefois se demander comment un tel document a pu être reçu par la grande rivale, Larsa, qui était justement implicitement visée... 12 Bibliographie : GARELLI, Paul, Le Proche-Orient asiatique. Des origines aux invasions des peuples de la mer, Paris, PUF, 1969, 416 p. GLASSNER, Jean-Jacques, Chroniques mésopotamiennes, Paris, Les Belles Lettres, 2004, 304 p. JOANNES, Francis (dir.), Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, Robert Laffont, 2001, 974 p. JOANNES, Francis Les premières civilisations du Proche-Orient, Paris, Belin, 2006, 255 p. HUOT, Jean-Louis, Une archéologie des peuples du Proche-Orient. Tome I : Des peuples villageois aux peuples des cités-Etats (Xe-IIIe millénaire av. J.-C.), Paris, Errance, 2004, 249 p. MARGUERON, Jean-Claude, PFIRSCH, Luc, Le Proche-Orient et l’Egypte antiques, Paris, Hachette, 2005, 416 p. Pour trouver une version originale du texte (photographie, dessin et translitération) : FRIBERG, Jorän, A remarkable collection of Babylonian mathematical texts, Springer, Berlin, 2000, 533 p. En ligne sur Google Books. Sites Internet des universités d’Oxford et de Californie : http://www-etcsl.orient.ox.ac.uk/edition2/etcslbycat.php http://cdli.ucla.edu/search/result.pt?-op_id_text=eq&id_text=P384786 13