Espèces invasives ARTICLE - Avia-GIS

publicité
Les espèces invasives un casse tête environnemental Dans votre jardin, le long de nos routes… Vous en croisez tous les jours sans même vous en rendre compte. Les espèces invasives ou espèces exotiques envahissantes continuent de coloniser notre territoire belge. Avec 43 espèces placées sur la liste noire (ennemis numéro 1 du pays) beaucoup d’efforts sont encore à fournir. La bernache du Canada, la renouée du Japon… ne sont pas les seules à vouloir s’implanter dans le paysage belge. De nouvelles espèces invasives ont été détectées sur notre territoire. « Dans les nouvelles espèces récentes, il y a le gobie à taches noires (espèce de poisson d’Europe centrale) détecté en Wallonie cette A savoir… année. Ensuite le moustique japonais et le chien viverrin (échappé des élevages de fourrure dans les pays de l’Est) » La Commission Européenne nous cite Etienne Branquart, responsable de la Cellule prépare actuellement un instrument juridique sur les interdépartementale sur les Espèces invasives à espèces invasives. l'administration wallonne. Ces espèces sont étroitement surveillées mais pour tenter de s’en défaire le défit ne fait Il y a plus d’espèces invasives que commencer. dans les milieux perturbés par l’homme que dans les milieux Espèces invasives non présentes, quelles sont les « naturels ». possibilités ? Nous avons commencé à échanger les espèces à l’échelle des continents lors de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492. Pour lutter contre les espèces invasives, « il y a trois étapes » nous informe Etienne. « La première, c’est la prévention, pour éviter que l’espèce soit introduite. C’est le plus efficace. Le challenge c’est de déterminer si elle est à Source : Etienne Branquart. risque ou non. Et il y a deux façons d’identifier les espèces à problème. Le plus simple, ce sont les histoires d’invasion ailleurs. Si une espèce est invasive dans un pays aux conditions semblables à la Belgique. Alors si elle est introduite chez nous, le risque est majeur. La priorité c’est donc de recenser tous les cas d’invasion et d’utiliser ça comme base de réflexion. Cela se fait grâce au projet Harmonia basé sur le protocole ISEIA. C’est un outil standardisé et transparent qui permet de calculer « le niveau de dangerosité » d’une espèce invasive. Mais aussi de les recenser en différentes listes » ajoute Etienne. « L’autre approche c’est de regarder les caractéristiques écologiques de l’espèce. Parfois, sur cette base, on peut supposer qu’une espèce est à risque. » « Pour lutter contre ces espèces encore peu répandues, on va utiliser la liste noire. C’est la priorité car elles sont très dommageables. Pour elles, on peut mettre une règlementation assez stricte : en limiter le commerce et l’importation. Mais c’est une entrave au libre échange. Et donc, pour pouvoir prendre une réglementation aussi dure, on doit avoir une analyse de risque détaillée. Cette analyse doit prouver que le risque est établi et que le fait d’interdire l’importation de cette espèce est une mesure raisonnable. » explique Etienne Branquart. Espèces invasives présentes, que faire ? « La deuxième étape si on n’a pas pu éviter l’introduction» dit Etienne, « c’est de la détecter précocement et de l’éradiquer. Comme par exemple le moustique japonais ou le ragondin introduit en Angleterre et éradiqué en quelques années. » « La troisième étape c’est lorsque les populations sont déjà trop largement répandues. Alors, nous ne savons plus faire grand-­‐chose. » affirme-­‐t-­‐il. Ceci est également confirmé par Sonia Vanderhoeven, Docteur à la Plateforme Belge de la Biodiversité. « Nous n’avons pas des solutions pour toutes les espèces invasives. » nous avoue-­‐t-­‐elle. « Il y a beaucoup d’espèces que nous ne savons pas comment gérer. Par exemple pour la renouée du Japon. C’est une espèce qui se trouve un peu partout. Mais nous n’avons pas de solution pour en venir à bout. Quand on essaye d’agir, il suffit qu’il reste un petit fragment de la plante et on la dissémine un peu plus loin. Dans certains cas on doit dire aux gens qui veulent s’en débarrasser: « ne faites rien ». Et c’est assez frustrant. » nous confie-­‐t-­‐elle. Et en ce qui concerne l’interdiction d’importation ou de vente « ça n’a plus vraiment de sens » selon Etienne Branquart. « Parce que l’espèce se disperse essentiellement à partir des populations établies et non pas des nouvelles importations. Donc la seule chose qu’il est possible de faire c’est éviter de la propager plus encore. Nous pouvons prendre des mesures au niveau des déchets verts, interdire le transport des terres où une espèce invasive est implantée ou mettre en place des codes de conduite. Comme AlterIAS, par exemple. C’est une charte principalement à destination des horticulteurs. En y adhérant, ils s’engagent à ne plus produire et commercialiser des espèces invasives déjà présentes en Belgique. » Tout comme Bruno Jurdant, le propriétaire d’AquaProduction. Le plus grand producteur de plantes aquatiques en Belgique. « J’ai décidé d’y adhérer et de retirer les plantes invasives de tout mon catalogue. Parce que je me rends compte du tort que cela fait à la nature. Particulièrement quand elles prennent le dessus sur la faune et la flore locales. Donc, pourquoi aller à contre courant des choses qui sont à faire ? C’est du bon sens avant tout. » Restera ou restera pas ? « L’homme a donc
« En ce qui concerne l’implantation des espèces sur notre une part de
territoire, c’est vraiment du cas par cas. » affirme Sonia. responsabilité »
« Certaines se retrouvent avec des capacités de dispersion importantes. Ou alors, elles vont s’étendre car elles n’ont plus de prédateur dans le nouveau milieu d’introduction. D’autres encore peuvent s’adapter à leur nouvel environnement et aux nouvelles conditions Quelques dates à retenir climatiques. Et puis l’homme peut aussi favoriser cette La coccinelle asiatique a été introduite installation. Par exemple pour les espèces ornementales, le dans les années 2000 pour le bio. fait de chouchouter une plante lui permet d’atteindre un Les espèces invasives sont devenues certain stade de développement. Cela favorise leur une préoccupation belge grâce au installation. L’homme a donc une part de responsabilité. » Colloque SOS Invasion mené en 2006. Introduction des espèces invasives, une faute humaine Le projet Harmonia, basé sur ISEIA, permet de classer les espèces invasives en degré de « dangerosité ». Il a été mis en place en 2010. Pour pouvoir agir efficacement, il faut savoir comment les espèces se sont introduites sur notre territoire. « Il y a deux grandes classifications d’introduction » affirme Sonia. Le projet AlterIAS a été instauré en « Très souvent, l’homme les introduit volontairement. 2011. Pour les plantes, se sont souvent des espèces Source : Etienne Branquart. ornementales, médicinales ». Etienne Branquart rajoute même que « les plantes invasives sont à 90% des espèces amenées pour l’horticulture et le jardinage ». « Et, pour les animaux, ce sont parfois des espèces introduites pour faire de la lutte bio. Comme la coccinelle asiatique que tout le monde connait. Ou encore des animaux de compagnie qui sont relâchés dans la nature » continue Sonia. « Il y a aussi des introductions involontaires liées à l’ère de globalisation. Il y a de plus en plus d’échanges à grande distance. Donc l’homme voyage de plus en plus et dans ses bagages se trouvent parfois des graines, des animaux vivants... C’est le cas notamment dans ce qu’on appelle les eaux de ballaste (l’eau emprisonnée dans les bateaux déversée une fois arrivée à destination). Dès qu’il y a échange, mouvement, voyage, il y a potentiellement la possibilité d’introduire des espèces. » Comme par exemple « les moustiques importés avec les vieux pneus » illustre Etienne. Pour se débarrasser de ces espèces introduites involontairement « on doit travailler non seulement sur l’espèce mais aussi sur les modes d’introduction. Pour les moustiques, travailler en coopération avec les importateurs de pneus. » Un danger à tous les niveaux Les espèces invasives peuvent entrainer des problèmes importants dans trois grandes catégories de la vie humaine : l’environnement, la santé et les aspects socio-­‐économiques. C’est la raison pour laquelle, la lutte contre ces espèces est essentielle. Les invasives peuvent « créer des dommages importants sur l’écosystème» affirme Etienne Branquart. « Certaines espèces sont capables d’en modifier complètement le fonctionnement » affirme Sonia. « D’autres dommages s’exercent sur les espèces grâce à différents mécanismes. « Le premier c’est la prédation ». Sonia Vanderhoeven l’explique « ce sont les espèces exotiques qui consomment des espèces indigènes ». « Ensuite il y a la compétition entre les espèces. » reprend Etienne. « Comme la renouée du Japon par exemple qui tente d’étouffer tout le reste ». « Le dernier mécanisme c’est l’hybridation. Certaines espèces sont capables de se reproduire avec d’autres espèces indigènes » ajoute Sonia. Les espèces invasives ne sont pas juste une menace pour notre biodiversité. Elles ont aussi des conséquences sur la santé humaine et animale. « Certaines espèces introduites véhiculent des maladies. Comme par exemple la berce du Caucase. Elle cause des brûlures en lien avec l’exposition au soleil. Il y a aussi l’ambroisie à feuilles d’armoise. C’est une espèce très allergisante. Elle cause des problèmes respiratoires. » affirme Sonia. Les espèces invasives ont aussi des impacts sur notre économie. D’abord « les frais de santé liés aux espèces invasives. Ensuite, les coûts de gestion ou d’éradication des espèces ». Mais il y en a également qui se développent au point d’abîmer des infrastructures. Comme les moules zébrées qui bouchent les tuyaux des centrales nucléaires. » Attention au racisme ! « C’est vrai que certaines espèces invasives sont parfois très dommageables » affirme Etienne. « Mais il ne faut pas jeter le discrédit sur toutes les espèces exotiques. Certaines peuvent avoir des impacts dans un milieu et dans un autre pas du tout. Tout n’est pas blanc ou noir. Il faut donc éviter d’avoir une attitude un peu « raciste » envers elles. » En conclusion, les invasives sont comme les personnes, nous ne devons pas toutes les mettre dans le même panier. Interview En ce qui concerne la lutte, Guy Hendrickx, directeur de la société Avia-­‐GIS, est au premier plan. Il travaille sur l’éradication du moustique japonais apparu à Natoye dans la commune d’Hamois. Comment ce moustique territoire ? « La clé quand on veut
s’est il introduit sur note lutter contre un insecte
c’est de trouver sa
« Il est régulièrement introduit à travers le commerce faiblesse
»
de pneus de rechange. On l’a découvert en Belgique au début des années 2002. Mais c’est plus tard, vers 2004, qu’il a été confirmé officiellement. Il a déjà envahi beaucoup de pays. Chez nous il a réussi à s’établir à Natoye dans la commune d’Hamois. Il a pu se développer grâce aux œufs qui ont réussi à passer l’hiver. C’est une espèce adaptée à notre environnement. Car il est habitué au climat tempéré du Japon qui est plus ou moins semblable au notre. » Comment éliminer cette espèce ? La clé quand on veut lutter contre un insecte c’est de trouver sa faiblesse. Ici, chez ce moustique c’est la femelle ayant besoin de surface d’eau pour pondre. Il suffit donc d’éliminer toutes les zones où il y a de l’eau à ciel ouvert. Mais ca n’est pas possible. On a donc collaboré avec les villageois et la commune pour tenter d’en enlever un maximum. Mais quand il restait une surface d’eau on vérifiait si des larves de moustique y étaient. Si c’était le cas, on traitait avec un produit biologique. C’est une bactérie qui produit une toxine. Cette toxine va tuer uniquement les larves du moustique japonais. C’est très spécifique. Il n’y aura presque aucun autre insecte qui sera touché. On a aussi amélioré le système de stockage des pneus chez les importateurs. » Est-­‐ce que c’est possible de l’éradiquer complètement ? Et avec quel budget ? « Dans ce cas ci ça doit être possible car la population reste limitée. C’est notre projet pour 2013 en tout cas. Pour se faire, on a environ 60 milles euros cette année. » Quels sont les risques pour la santé humaine ? « C’est un moustique qui peut transmettre des virus tropicaux. Mais comme il est de sang froid, sa température est la même que celle de l’environnement extérieur. C’est donc impossible pour les virus de se développer. Mais on ne sait jamais ce qu’il peut se passer. Une mutation d’un virus qui le rende plus résistant aux températures, par exemple. Même si pour l’instant avec ce moustique japonais, il n’y a pas encore en Europe de cas de transmission de maladies. Il vaut mieux appliquer le principe de précaution. » Quels sont les impacts sur l’environnement possible ? « Il a été démontré qu’il y avait compétition entre les différents types de moustiques. Lors des tests, ce moustique à tendance à dominer les autres. Parce qu’il est peut être un peu plus rapide, plus grand. Et cette petite différence peut faire une grande différence. Mais ce n’est pas encore le cas chez nous.» Marie Roquiny 
Téléchargement