CHAPITRE PREMIER. — L’aristocratie et la démocratie en Grèce ;
guerres civiles dans les cités.
C’est par le régime municipal que la société grecque s’était constituée. L’esprit
nouveau de liberté, qu’elle apportait dans le monde, ne pouvait fonder d’abord
de grandes sociétés. Si l’on rejetait le despotisme de l’Orient, il fallait renoncer
aussi à la grande et calme unité des sociétés orientales. Le morcellement régna
donc sur cette terre où déjà la nature, avant l’homme, avait tracé tant de
divisions, et que les montagnes et la mer avaient tant découpée. Chaque
agglomération d’hommes forma un état ; chaque cité fut souveraine. Quelques
institutions religieuses rappelèrent aux villes leur fraternité, mais sans diminuer
en rien l’indépendance de chacune d’elles.
L’esprit municipal était si puissant chez le peuple grec, qu’il domina le génie de
tous ses hommes d’état. La Grèce eut d’admirables législateurs, et les modernes
n’ont rien ajouté à leur science de balancer les pouvoirs et d’assurer l’harmonie
des éléments divers d’un état. Mais leurs législations n’étaient faites que pour
une cité, et se seraient trouvées impuissantes à régir une nation entière. Les
philosophes eux-mêmes, qui avaient tout loisir de créer une république idéale,
bornaient l’association humaine à l’enceinte des murailles d’une ville ; et Platon,
dont l’imagination se trouvait embarrassée d’avoir à gouverner un trop grand
nombre d’hommes, n’admettait dans sa république que 5.000 citoyens.
Le patriotisme des Grecs ne s’étendait guère au-delà des limites de la cité.
Comme peu d’hommes avaient la conception nette de la patrie commune, peu
d’hommes aussi s’attachaient et se dévouaient à elle. Toutes les affections et
toutes les forces étaient données à la cité. Dans la guerre médique, Sparte aurait
volontiers livré toute la Grèce pour ne défendre que le Péloponnèse. Hérodote ne
songe pas à blâmer ces Ioniens qui à Salamine se montrèrent plus acharnés que
les Perses eux-mêmes à combattre les Grecs. Thucydide n’est pas non plus très
sévère pour ces Spartiates et ces Athéniens qui envoyaient à la fois des
ambassades au grand roi ; Aristophane marquait sans la flétrir cette politique
d’Athènes sur son théâtre. L’esprit politique des Grées ne se haussa longtemps
qu’à l’idée de cité. Corinthe ne comprenait pas qu’elle eût rien de commun avec
Mégare, ni Argos avec Sparte, ni Mégalopolis avec Mantinée. Entre deux villes
voisines il semblait le plus souvent qu’il ne pût y avoir que de la haine.
Une des conséquences de l’extrême division était une suite non interrompue de
guerres sanglantes. Mais la guerre n’amenait jamais l’unité. Une ville avait-elle
été conquise, il fallait la détruire ou l’asservir ; car les vaincus n’entraient pas
dans l’état et n’avaient aucune part dans la cité. Les Grecs ne comprirent que
fort tard qu’un état pût être composé de deux villes jouissant de droits égaux et
ayant part toutes les deux au gouvernement commun, très habiles à donner des
lois à une cité, s’ils venaient à agrandir leur puissance, la science du
gouvernement leur faisait défaut ; et l’on asservissait les villes, faute de savoir
les administrer. Or comme aucune ville ne s’était trouvée assez forte pour
imposera la Grèce un gouvernement absolu, la Grèce n’avait jamais pu être unie.
Menacée par des empires puissants, elle avait su plusieurs fois se confédérer.
Mais ces essais, tentés en vue d’un danger présent, duraient tout au plus autant
que ce danger même. Bientôt nul ne tenait plus à cette alliance, que ceux qui
avaient intérêt à la transformer en empire ; les autres villes, qui s’étaient
montrées empressées à former la confédération, l’étaient plus encore à la