esulivre1

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SENS, INTERET, LIMITES ET DANGERS
DE L’ÉQUIVALENT SURFACE UNIVERSEL
ET DE L’ÉQUIVALENT UNIVERSEL ÉNERGIE
LIVRE I
Un essai de Lucrèce pour Esprit68 :
http://www.esprit68.org/
Un dossier Esprit68
2
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3
4
Publié par Lucrèce sur Esprit68, ce travail envisage un Équivalent Surface
Universel (ÉSU) et un Équivalent Universel Énergie (ÉUÉ) pour servir à la
répartition des ressources entre les êtres humains et pour comptabiliser
leurs sollicitations écologiques afin que ces dernières n'excèdent pas les
capacités bio-régénératives de la planète. Cette nouvelle « monnaie »
écologique n'en est pas vraiment une – car ce n'est pas un véritable
instrument de paiement, mais plutôt le moyen d’honorer la dette contractée
à l'égard de la communauté humaine présente et à venir. Rend-elle pour
autant la monnaie « véritable » obsolète ou doit-elle la compléter ? La
nouvelle forme de valorisation qu'elle introduit est-elle nécessairement
souhaitable ? Au-delà des difficultés pratiques posées par son éventuelle
mise en œuvre, quelles questions éthiques soulève-t-elle ?
Ce premier livre détaille en trois parties les principes de bases et les modes
de fonctionnement possibles de l'ÉSU et de l'ÉUÉ. Le second livre à venir
s'attaquera aux relations avec la monnaie, aux questions éthiques, aux
problèmes de mise en œuvre ainsi qu'à des emplois alternatifs de l''ÉSU et
de l'ÉUÉ.
5
Sommaire
Introduction ............................................................................................... 9
1. L'Équivalent Surface Universel (ÉSU) dérivé de la notion
d’empreinte écologique .......................................................................... 11
1.1. La notion d’Empreinte Écologique ................................................. 11
1.2. Ce que montre l’empreinte écologique ........................................... 12
1.3. Limites et faiblesses de l’empreinte écologique .............................. 16
1.3.1. Limites de l’empreinte écologique dans la prise en compte des
ressources .................................................................................................... 17
1.3.2. Limites dans la prise en compte des déchets ..................................... 18
1.3.3. Les doutes émis sur la comptabilité de l’empreinte écologique et
les autres critiques susceptibles de lui être adressées ................................ 19
1.3.4. Le risque d’une décrédibilisation de l’empreinte ................................. 25
1.4. Comment améliorer le calcul de l’empreinte écologique ................. 26
1.4.1. Du côté des ressources ...................................................................... 26
1.4.2. Du côté des déchets ........................................................................... 27
1.4.3. Logique de production et logique de préservation .............................. 28
1.4.4. Suggestions sur le plan de la méthode .............................................. 33
1.4.5. Limite ultime ........................................................................................ 37
2. L’Équivalent Surface Universel (ÉSU) comme droit de tirage
universel sur les ressources rares ........................................................ 39
2.1. La monétisation de l’empreinte écologique conduit à l’ÉSU ............ 39
2.2. Principes de fonctionnement de l’ÉSU ............................................ 42
2.3. Exemples d’utilisation des comptes individuels et territoriaux ......... 49
2.3.1. Biens immobiliers ................................................................................ 49
2.3.2. Énergie ............................................................................................... 50
2.3.3. Biens meubles et biens d’occasion..................................................... 53
2.3.4. Absence de sollicitation des ressources écologiques ........................ 54
2.3.5. Biens produits pour autrui ................................................................... 55
2.3.6. Traitement de la pollution pour autrui ................................................. 58
6
2.3.7. Reports de soldes et dépassements de crédits écologiques ............. 59
2.3.8. Critères de répartition du seuil 2 territorial .......................................... 61
2.3.9. Transferts entre comptes individuels .................................................. 65
2.3.10. Quelques caractéristiques de l’ÉSU ................................................. 70
2.4. Exemples d’organisation de la production et de la distribution
compatibles avec l’ÉSU ......................................................................... 72
2.5. Prérequis à la mise en place de l'ÉSU ............................................ 82
3. L’Équivalent Universel Énergie (ÉUÉ) ............................................... 85
3.1. Considérations générales sur l’énergie, l’entropie et la
« dépense » énergétique ....................................................................... 85
3.2. L’énergie comme « monnaie » universelle ...................................... 89
3.3. Les différentes formes d’énergie utilisable ...................................... 92
3.4. La quantité maximale d’énergie utilisable doit résulter de choix
politiques compatibles avec une éthique générale de préservation
des habitats ........................................................................................... 95
3.5. Mode de calcul et méthodologie proposée...................................... 98
3.5.1. Du côté de l’offre ................................................................................. 98
3.5.2. Du côté de la demande ..................................................................... 102
3.6. Les différences entre l’ÉSU et l'ÉUÉ ............................................. 105
3.7 Conclusion de la troisième partie ................................................... 116
Plan détaillé du livre 2 .......................................................................... 117
Bibliographie et liens du premier livre ................................................ 130
7
8
Introduction
Il y a 6 ou 7 ans, en 2007 ou en 2008, j’ai imaginé l’Équivalent Surface
Universel (ÉSU) et l’Équivalent Universel Énergie (ÉUÉ) à partir de la
notion d’empreinte écologique. Je souhaitais réfléchir à des instruments
de partage et d’échange entre les êtres humains, remplissant certaines
fonctions de la monnaie sans en avoir les inconvénients, qui, s’ils étaient
largement adoptés, pourraient spontanément générer des comportements compatibles avec la préservation des habitats et avec l’octroi
équitable des ressources indispensables à la vie dignement vécue des 7
milliards de terriens humains.
Tout d’abord enthousiasmé par cette idée, j’ai commencé à percevoir les
difficultés posées par la définition précise et opérationnelle de ces
nouveaux instruments et à soupçonner les dangers de leur éventuelle
institutionnalisation. J’ai alors laissé mon idée en sommeil, sans me
résoudre à publier quoi que ce soit à son propos d’autant que le sujet
m’apparaissait trop difficile et que j’espérais naïvement mieux le
maîtriser plus tard. Comprenant que ce plus tard n’arriverait jamais, je
me suis décidé, à compter de 2014, à produire cet exposé en assumant
ses erreurs et ses insuffisances.
Au printemps 2015, j’ai rédigé ce premier livre qui expose les principes
de base de l’ÉSU et de l’ÉUÉ. Un second livre est en cours de rédaction.
Il doit traiter des rapports entre l’ÉSU (ou l’ÉUÉ) et la monnaie, ainsi que
des moyens, limites et dangers d’une institutionnalisation de l’ÉSU.
Enfin, il envisage un usage plus limité de l’ÉSU, comme instrument de
revendication d’un droit à la répartition des capacités écologiques. Les
difficultés que je rencontre dans la rédaction de ce second livre,
notamment pour ce qui concerne la partie sur la monnaie, que je ne
parviens pas à structurer de manière satisfaisante, m’ont décidé à
présenter une première version incomplète de mon travail.
Dans ce premier livre, j’explique comment l’ÉSU est dérivé de la notion
d’empreinte écologique, puis je décris ses principes de fonctionnement
9
et fournis quelques exemples d’utilisation. Enfin je montre le sens qui
peut être donné à sa conversion en un Équivalent Universel Énergie.
A la fin de mon exposé, j’ai inséré un plan détaillé, bien que provisoire,
du second livre en cours d’élaboration.
Lucrèce, mai 2015
10
1. L'Équivalent Surface Universel (ÉSU) dérivé de la notion
d’empreinte écologique
L’ÉSU et l’ÉUÉ sont dérivés de la notion d’empreinte écologique. Je
commencerai donc par revenir sur cette notion.
1.1. La notion d’Empreinte Écologique
La notion d’empreinte écologique a été élaborée par William E. Rees,
professeur à l’université British Columbia de Vancouver, d’abord dans un
article de 19921 paru à l’époque du Sommet de la terre de Rio, puis par
ce même William Rees et par son élève Mathis Wackernagel, dans le
cadre d’une thèse de doctorat en planification urbaine publiée en 1995.
Dans Notre empreinte écologique, paru en 1999, ces deux auteurs en
donnent la définition suivante :
L’empreinte écologique est la mesure de la charge qu’impose à la
nature une population donnée. Elle représente la surface de sol
nécessaire pour soutenir les niveaux actuels de consommation des
ressources et de production de déchets de cette population.
L’organisation internationale à but non lucratif Global Footprint Network
(GNF), créée en 2003 et présidée par Mathis Wackernagel se donne
pour but de coordonner la recherche sur l’empreinte écologique et d’en
fournir des mesures pour chaque pays. GNF collabore avec différentes
organisations partenaires, dont l’association World Wide Fund for Nature
(WWF, ou Fond mondial pour la nature en français) qui publie les
comptes nationaux de l’empreinte écologique dans ses rapports
« Planète vivante ».
La définition de l’empreinte écologique proposée par WWF2 apporte
quelques précisions :
1
Ecological footprints and appropriated carrying capacity : what urban economics leaves
out.
2
Source : WWF, rapport Planète vivante, 2008.
11
L’empreinte écologique mesure les surfaces biologiquement
productives de terre et d’eau nécessaires pour produire les
ressources qu’un individu, une population ou une activité consomme
et pour absorber les déchets générés, compte tenu des technologies
et de la gestion des ressources en vigueur. Cette surface est
exprimée en hectares globaux (hag), c’est-à-dire des hectares ayant
une productivité égale à la productivité biologique mondiale moyenne.
1.2. Ce que montre l’empreinte écologique
Le calcul de l'empreinte écologique fait correspondre à une « demande »
humaine, une « offre » de ressources naturelles qui correspond à la
capacité des écosystèmes requise par la satisfaction de cette demande.
L'empreinte écologique comptabilise en « hectares globaux3 » (hag), la
capacité bio-productive permettant, sur une année, la couverture de
besoins individuels ou collectifs, liés à des productions, des consommations, des activités diverses ou plus globalement des modes de vie.
L’empreinte écologique peut être calculée pour un individu ou pour un
groupe d’individus – par exemple une ville, ou un pays ou même
l’ensemble des êtres humains. Ce calcul permet d’indiquer que dans
certaines circonstances, les « besoins » d’une population sur un territoire
donné, excèdent les capacités bio-productives de ce territoire. Ces
besoins ne peuvent alors être couverts que si l’on fait appel à d’autres
territoires, ou si l’on « surexploite » le territoire considéré. Mais la
surexploitation ne peut être que temporaire car elle se traduit par une
augmentation de la masse des déchets non recyclés et par un non
renouvellement d’une part des ressources, c’est-à-dire, dans tous les
cas, par un appauvrissement du territoire qui entraine une diminution de
3
La notion « d’hectare global » résulte de l’agrégation de 5 types différents « d’hectares
bio-productifs » – champs, pâturages, forêts, pêcheries, terrains construits - et d’un type
d’hectare dédié au traitement des déchets, en l’occurrence les hectares de forêt non
comptabilisés pour la production de bois, mais pour la séquestration du carbone.
12
sa capacité bio-productive et donc un accroissement du déséquilibre
entre « besoins » et « capacités ».
Certains types d’habitats, notamment les habitats à forte densité
humaine, vont presque obligatoirement générer de tels déséquilibres.
Par exemple, une ville a généralement besoin d’une bio-capacité bien
supérieure à la surface qu’elle occupe pour satisfaire ses besoins. La
ville de Paris occupe une superficie intra-muros de 10 539 hectares,
pour une population totale de 2,125 millions d’habitants. Son empreinte
écologique totale était évaluée à 12 838 000 hectares globaux au début
des années 2000, soit 313 fois plus que sa biocapacité4. Ce résultat
révèle le poids écologique de la ville sur son environnement, puisque
Paris dépend quasi entièrement de l’extérieur pour son approvisionnement en ressources et pour l’absorption de ses déchets.
De même, la plupart des pays dits « développés » ont une empreinte
écologique qui excédent de beaucoup la bio-capacité de leur territoire
national. Dans le cadre de l'économie mondialisée contemporaine, les
produits « consommés » sur un territoire proviennent pour la plupart d’un
processus industriel engagé sur d’autres territoires et requérant des
ressources prélevées peut-être encore ailleurs. Globalement cependant,
un pays dont l'empreinte écologique excède de beaucoup la capacité
biologique de son territoire, ne peut subvenir à ses besoins sur le long
terme qu'en « important » davantage de bio-capacité qu'il n'en exporte,
c'est à dire en consommant davantage de biens produits avec les
ressources d'autres territoires, qu'il ne produit des biens consommés
dans d'autres territoires sur la base de ses propres ressources. Un tel
pays contracte une sorte de « déficit » écologique comblé par les
apports des autres territoires ou par la surexploitation de son territoire
propre. Ce déficit n'est pas comptabilisé en dehors des comptes de
4
Source, L’empreinte écologique en France, WWF, 2002. A titre de comparaison,
l’empreinte écologique de la ville de Besançon est « seulement » 26 fois supérieure à sa
capacité bioproduictive. A noter cependant que les empreintes écologiques d’un parisien
(6,5 hectares) et d’un bisontin (5,2 hectares) ne sont pas si éloignées. Besançon est
surtout moins densément peuplée que Paris.
13
l'empreinte écologique et doit être distingué d’un déficit de la balance
commercial exprimé en dollars ou en euros. Ainsi, selon THE
ECOLOGICAL FOOTPRINT ATLAS publié en 2008 par Global Footprint
Network, l'empreinte écologique générée en 2005 par la consommation
de la population française est de 298 millions d'hectares globaux, pour
une capacité biologique de 184 millions d'hectares globaux. Le « déficit »
écologique du territoire français est donc de 114 millions d'hectares
globaux, soit 1,88 hag par habitant. Parallèlement, l'empreinte
écologique générée par la consommation de la population bolivienne est
de 19 millions d'hectares globaux en 2005, pour une bio-capacité de 144
millions d'hectares globaux. L'« excédent » écologique de la Bolivie est
donc de 125 millions d'hectares soit 13,59 hag par habitants.
Le calcul de l'empreinte écologique révèle l'inégale contrainte que les
différents territoires nationaux exercent sur les capacités écologiques
mondiales. Certains territoires n’entretiennent leurs consommations
qu'en accaparant de manière déraisonnable les ressources des
territoires étrangers.
Le calcul de l'empreinte écologique révèle encore un déficit écologique
global au niveau planétaire, puisque l'empreinte écologique des
7 milliards d'humains, évaluée en 2008 à 18 milliards d'hectares globaux,
excède de beaucoup la capacité bio-productive de la planète, évaluée à
12 milliards d'hectares globaux. A ce niveau, il n'y a pas « d'autres
territoires » sur lesquels reporter le déficit, qui ne peut être comblé que
par une « surexploitation » de la bio-capacité planétaire, synonyme d'un
non renouvellement des ressources et d'une augmentation de la masse
des déchets non recyclés.
Ce « déficit » écologique, qui ne peut être pris en charge par d'autres
territoires, s'apparente à une « dette » écologique, dont le « règlement »
est reporté dans le futur. Si, comme actuellement, l'empreinte écologique
de l'humanité est une fois et demi supérieure à la capacité bio-productive
planétaire, cela signifie qu'il faut un an et demi à la Terre pour renouveler
les ressources et absorber les déchets correspondant à un an de
14
consommation humaine. Comme le temps manque à la terre pour
régénérer sa bio-capacité, la dette qui s'accumule est de plus en plus
difficile à payer. Dans ce cas, c'est un peu comme si l'humanité
contemporaine accaparait, non pas des ressources et des territoires
voisins, mais les ressources et le territoire des générations futures.
En 2005, le déficit écologique était surtout concentré dans les 20% des
pays les plus riches. Ces dernières années, l'empreinte écologique
humaine augmente, mais de manière plus rapide dans les pays riches,
alors qu'elle peut baisser dans les pays pauvres.
Le calcul de l’empreinte écologique indique que les modes actuels de
consommation, de production et d’échanges s’accompagnent d’une
captation injuste de ressources, insoutenable sur le long terme. Il
souligne encore les formidables inégalités qui existent, non pas
seulement entre les différents territoires nationaux mais entre les êtres
humains qui les peuplent. L'empreinte écologique d'un territoire national
résulte pour une bonne part de la densité de son peuplement. Rapportée
à l'habitant, elle rend mieux compte de la bio-capacité nécessaire à
l'entretien d'une consommation moyenne, représentative d'un mode de
vie national médian. Elle permet d'évaluer en nombre de planètes
équivalentes à la Terre, la bio-capacité nécessaire à l'entretien de ce
mode de vie, s'il était adopté par la population humaine toute entière.
D'après le rapport « Living Planète » de 2012, publié par WWF,
l’empreinte écologique « moyenne » d’un terrien humain est évaluée à
2,7 hectares globaux en 2008 (18 milliards d'hectares globaux pour une
population évaluée à 6,7 milliards cette année-là). Cette même année,
l’empreinte écologique moyenne d’un habitant des États-Unis est
évaluée à 7,19 hag. Compte tenu d'une bio-capacité planétaire évaluée
à 12 milliards d'hectares globaux, cela signifie que 4 planètes
équivalentes à la Terre (7,19 X 6,7 milliards / 12 milliards) seraient
nécessaires pour supporter sur le long terme le mode de vie « étatsuniens » étendu à la population humaine toute entière. De même,
l'Australie est un pays très vaste qui dispose d'un excédent de capacité
bio-productive à l'échelle de son territoire. Mais si la population humaine
15
dans son ensemble réclamait l'empreinte écologique moyenne d'un
australien, évaluée à 6,68 hag, un peu moins de 4 planètes (6,68 X 6,7
milliards / 12 milliards) seraient nécessaires pour le supporter sur le long
terme. Inversement, toujours en 2008, l’empreinte écologique moyenne
d’un indien était de 0,9 hectares globaux. On peut donc pareillement
indiquer que plus de 13 milliards d’êtres humains (12 milliards / 0,9)
pourraient cohabiter sur la terre avec une empreinte écologique
correspondant au mode de vie « indien » sans dégrader l’habitat
planétaire ou, plus précisément, sans outrepasser la capacité productive
estimée de la planète. On constate par ailleurs qu'un états-unien
accapare en moyenne huit fois plus de bio-capacité qu'un indien.
Le calcul de l'empreinte écologique permet donc de confirmer une
évidence : Les modes de production, de consommation et d'échanges,
actuellement mis en œuvre dans le cadre de l'économie capitaliste
mondialisée sont non seulement destructeurs, ou du moins
insoutenables sur le long terme, mais encore injustes et inégalitaires,
puisqu'ils conduisent à allouer une part très différentes de bio-capacité
aux différentes communautés et aux différents êtres humains et à ce que
certains groupements et certains êtres humains, s'accaparent
déraisonnablement les ressources écologiques.
En donnant un chiffre à un si terrible constat, la notion d'empreinte
écologique possède une portée véritablement révolutionnaire. Elle
suggère très fortement de rompre avec les modes actuels de production,
de consommation et d'échanges, afin, notamment, de réduire le poids
des activités humaines sur l’environnement et afin mieux répartir la
capacité bio-productive entre les êtres humains.
1.3. Limites et faiblesses de l’empreinte écologique
Pour autant cette « portée révolutionnaire » s'est pour l'instant très
faiblement manifestée. La notion d'empreinte écologique est peu utilisée
par les groupes écologistes radicaux. Elle est rarement mentionnée dans
les revendications devant conduire à une meilleure répartition des
16
richesses. Elle n'a pas favorisé l'émergence d'actions concrètes
permettant de réduire significativement la pollution et la surexploitation
de la biosphère au niveau régional, national, continental ou mondial. Elle
est au contraire souvent évoquée, parfois même instrumentalisée ou
détournée, dans des études gouvernementales qui prônent une
croissance économique incompatible avec la préservation des capacités
bio-productive de la planète.
Plusieurs raisons expliquent cette faible opérationnalité de l'empreinte
écologique. De nombreuses critiques peuvent tout d'abord être
adressées à son mode de calcul. Ensuite, au niveau conceptuel, elle
offre le flanc à toutes sortes de récupérations et de travestissement. Elle
s’inscrit dans le cadre d’une vision productiviste qui n’est pas
obligatoirement compatible avec la préservation effective de la
biodiversité. Enfin, elle apparaît comme une démarche inaboutie qui ne
fournit pas d'instruments contraignants, ou au moins incitatifs, permettant
de faire évoluer les comportements.
Je vais revenir sur ces différents points faibles en essayant de
déterminer comment il est possible d’y remédier. Ces propositions
d’améliorations de l’empreinte écologique conduiront finalement à
l’Équivalent Surface Universel.
1.3.1. Limites de l’empreinte écologique dans la prise en
compte des ressources
Par le biais des différents types d'hectares bio-productifs, l'empreinte
écologique ne prend en compte que les ressources renouvelables,
animales ou végétales qui directement ou indirectement se régénèrent
continuellement par l'effet de la photosynthèse. Elle n'intègre pas les
ressources non renouvelables et notamment les combustibles fossiles
qu'elle ne comptabilise que relativement aux déchets, et plus
précisément à l'émission de gaz carbonique liée à leur utilisation.
L'empreinte écologique reste donc, par exemple, complètement
étrangère à la thématique du « peak-oil », c'est-à-dire de l'épuisement
17
des réserves mondiales de pétrole, comme elle reste indifférente à
l'épuisement de toute autre réserve gazière ou minière.
L'empreinte écologique ne permet pas de suivre les processus qui
conduisent à l'épuisement progressif d'une ressource quelconque, et
endommagent à terme irrémédiablement la biosphère : extinctions
d’espèces animales ou végétales, tarissement aquifère, déforestation,
désertification... Ces processus ne sont pris en compte que lorsqu'une
fois achevés, ils entraînent une diminution chiffrable de capacité bioproductive. Ainsi, dans le calcul actuel de l’empreinte écologique, la
surconsommation d’eau douce ne peut être prise en compte que dans la
mesure où le manque d’eau aura finalement entraîné une réduction de
capacité bio-productive. Le non renouvellement des nappes phréatique,
dû, par exemple, à l'agriculture intensive pratiquée dans des zones
arides ou semi-aride, n'est comptabilisé que lorsque la nappe est
épuisée et que les rendements agricoles en sont affectés.
Du côté des ressources, on peut encore ajouter que depuis 2008,
l'empreinte écologique ne prend plus en compte l'énergie nucléaire.
Auparavant, l'énergie nucléaire était assimilée à l'énergie électrique
produite par combustible fossile et était comptabilisée par le biais de son
émission virtuelle de carbone. Cette méthode était évidemment
incohérente, mais la non-prise en compte de l'énergie nucléaire l'est tout
autant. L'empreinte écologique devrait idéalement tenir compte, d'une
part et selon une méthode à définir, du caractère non renouvelable des
ressources en uranium, et d'autre part et surtout, de l'incidence
spécifique de la production de déchets nucléaires, ainsi que je l’indique
dans les paragraphes suivants.
1.3.2. Limites dans la prise en compte des déchets
Du côté des déchets, l'empreinte écologique ne prend en compte que
l'absorption du CO2. Elle ne considère pas du tout les autres types de
pollutions et notamment les pollutions nucléaire et chimique. Elle ne rend
pas compte de la dissémination de matériaux comme le plutonium, les
18
polychlorobiphényles (PCB), les dioxines, les chlorofluorocarbures (CFC)
pour lesquels la biosphère ne possède pas de capacités d’assimilation
significative. Elle ne dit rien des diverses pollutions radioactives, de la
pollution par les métaux lourds comme le plomb, le mercure, l’arsenic,
qui rentrent dans la chaîne alimentaire, ou encore des composés
organique volatil d’origine humaine, comme ceux résultant de
l’évaporation des solvants ou du raffinage.
Seuls sont comptabilisés dans le calcul de l'empreinte les déchets
pouvant être recyclés « naturellement » par la biosphère, même si le
temps manque à la planète pour les traiter à la vitesse où ils sont
produits. Et parmi ces déchets « recyclables », seules les émissions de
gaz carbonique sont véritablement comptabilisées.
L'empreinte écologique, qui est par construction une empreinte
« réversible », paraît donc très incomplète. Car à côté des émissions de
gaz carbonique, qui constituent effectivement une pollution
« recyclable », il existe de nombreuses autres pollutions irréversibles, ou
recyclables sur un temps extraordinairement long, qui portent des
atteintes bien plus grave à l'écosystème et qui peuvent être considérée
comme des formes d'accaparement bien plus importantes, des
« empreintes » bien plus profondes, puisqu'elles contaminent des
habitats sur des années, des siècles ou même des millénaires.
L'empreinte écologique, telle qu'elle est calculée, peut apparaître comme
une empreinte superficielle, bénigne, alors que la véritable empreinte
humaine, celle qui marque parfois irrémédiablement les territoires, est
ignorée.
1.3.3. Les doutes émis sur la comptabilité de l’empreinte
écologique et les autres critiques susceptibles de lui être
adressées
Le calcul de l'empreinte écologique fournit un bilan très incomplet de
l’impact de l’activité humaine, qui apparaît globalement sous-évalué
puisque son estimation ne tient pas compte de l'utilisation des
19
ressources non renouvelables, de la production des déchets non
recyclables et des pertes de biodiversité consécutives à la disparition
d'espèces animales ou végétales. En outre, le calcul de l’empreinte ne
révèle la dégradation progressive des milieux naturels que par les
rendements déclinants des différents types d'hectares bio-productif. Par
exemple, l'appauvrissement des sols dû à la surexploitation agricole,
n’est pris en compte que dans le cadre de la perte de bio-capacité à
venir des surfaces dédiées à l'agriculture.
Dans un sens inverse, certains adversaires de l'empreinte écologique
pointent l'arbitraire de sa comptabilité pour minimiser l’écart constaté
entre les exigences du système de production actuel et les capacités de
la planète. Ils remarquent qu'aux 6 types d'hectares comptabilisés du
côté de la « demande » humaine, la comptabilité de l'empreinte ne fait
correspondre que 5 types d'hectares bio-productifs du côté de l’« offre »
de ressources naturelles. Selon ses détracteurs, cette méthode fait ainsi
apparaître un déficit écologique artificiel, reposant presque
exclusivement sur les émissions carbonées. Ce type de critique est par
exemple exposé dans Études et documents n°16 de janvier 2010, Une
expertise de l'empreinte écologique par le Commissariat français au
développement durable, page 16 :
Au niveau mondial, la balance écologique est par construction
équilibrée pour les espaces cultivés, les pâturages et les espaces
artificialisés. Cela ne signifie pas pour autant que certains
déséquilibres tels que le surpâturage, par exemple, n’existent pas
localement. En revanche, le déséquilibre est possible pour la forêt
et la pêche (déforestation, surpêche).
Pour l’empreinte carbone, le solde écologique est par construction
négatif. L’empreinte carbone est calculée comme l’espace forestier
nécessaire pour absorber le CO2 émis par les activités humaines et
non séquestré par les océans ; or, dans la présentation qui est faite
des comptes de l’empreinte (voir tableau ci-après), il n’apparaît pas
de biocapacité spécifique en regard : même si la forêt joue en
20
même temps le rôle de puits de carbone et de production de bois,
le GFN a choisi de n’affecter chaque surface qu’à une seule
fonction. Il considère en effet que du bois exploité émettra à plus
ou moins court terme son CO2 dans l’atmosphère. L’empreinte
carbone doit donc être considérée comme une forme de surface
forestière fictive, mise en réserve, qui n’aurait pour vocation unique
que de séquestrer le carbone émis aujourd’hui en surplus. Or,
l’empreinte carbone représente la moitié de l'EÉ (52 % pour la
France). La conséquence en est que le déficit écologique mesuré
par l’empreinte au niveau mondial reflète essentiellement le surplus
d’émissions de CO2.
Le Commissariat au développement durable en conclut que puisque
seule l'empreinte carbone est véritablement importante, l'empreinte
écologique n'est pas l'indicateur le plus pertinent pour l'évaluation des
politiques publiques et que d’autres indicateurs, liés aux émissions
carbonées, doivent lui être préféré.
Les limites de cet argument apparaissent à la lecture des résultats
détaillés de l'empreinte, tels qu'ils apparaissent par exemple dans le
rapport Living planet 2012 de WWF. Ce rapport
mentionne
effectivement dans tous les cas un équilibre entre empreinte et biocapacité pour les hectares « artificialisés » (c’est-à-dire les surfaces
construites). Pour les hectares globaux comptabilisés comme terres
agricoles, l'empreinte est supérieure d'environ 3% à la bio-capacité. Pour
les zones de pêche, l'empreinte est supérieure de 60% à la bio-capacité
(ce qui confirme effectivement une « surpêche » au niveau mondial).
Pour les pâturages, l'empreinte est inférieure de pratiquement 10% à la
biocapacité. Enfin pour les forêts comptabilisées pour l'exploitation du
bois, l'empreinte est inférieure de 192% à la bio-capacité. C'est cet
« excédent » de capacité forestière qui devrait permettre de compenser
l'empreinte carbone. La comptabilité de l'empreinte écologique ne place
rien du côté de l'offre pour compenser l'empreinte liée aux émissions de
carbone, parce qu’il faudrait très clairement disposer d'une surface bien
plus importante de forêts en croissance non exploitées, pour absorber
21
les émissions carbonées5. Mais cette surface de forêt supplémentaire ne
pourrait être réservée qu’au détriment d’autres surfaces bio-productives.
Le déficit écologique global constaté n’est donc pas du tout fictif mais
rend compte de la concurrence qui s’établit obligatoirement entre les
différents types d’hectares bio-productif sur une surface terrestre limitée.
Par ailleurs, l’argument selon lequel le déficit écologique trouve sa cause
principale dans le surplus d’émissions carbonées est valable au niveau
global, mais n’est pas toujours vérifié localement : certains pays, comme
la Tanzanie, montrent un déficit écologique, non pas principalement
causé par les émissions de CO2, relativement faibles pour ce pays, mais
par la surexploitation forestière : les surfaces forestières manquent
principalement pour répondre à la demande en bois et non pas pour
absorber le gaz carbonique émis par ce pays.
L'argument du commissariat au développement durable, repris par
d'autres détracteurs de l'empreinte écologique, conduit à ne considérer
l’impact de l’activité humaine que sous l’aspect des émissions de CO2.
Cette focalisation sur la seule empreinte carbone peut malheureusement
conduire à ignorer le dépassement global des capacités planétaires et à
se dispenser de remettre en cause le modèle de développement
économique qui l’entretient. « L’obsession du carbone » se concilie
facilement avec des politiques publiques qui ne remettent jamais en
cause ce modèle économique, mais qui favorisent des intérêts
5
Le cycle du carbone impose en effet de réserver de nouveaux « puits de carbone », pour
absorber les émissions d’origine humaine. Avant l’ère industrielle, la quantité de carbone
émise dans l’atmosphère et la quantité de carbone capturée par les écosystèmes
continentaux et océaniques s’équilibraient. A partir du début de l’ère industrielle, la
quantité de carbone émis et non recyclé augmente. Elle atteint près de 8 milliards de
tonnes à notre époque. Une forêt parvenue à maturité émet environ autant de carbone par
la décomposition des végétaux morts, qu’elle n’en absorbe par la photosynthèse. Le
surplus de carbone émis peut cependant être absorbé par des forêts en croissance,
notamment si ces forêts remplacent des surfaces auparavant dédiées à l’agriculture. Il y a
donc bien concurrence entre les surfaces pour remplir cette fonction d’absorption du
carbone d’origine anthropique.
22
particuliers et circonstanciels, comme l’illustrent l’extension du marché
du carbone (sur le principe duquel je reviendrai), la poursuite du
désastre nucléaire ou l’institution de nouvelles « taxes carbones », à
l’efficacité douteuses6.
Si l’on écarte les mauvaises intentions qui peuvent y être liées,
l’argument du commissariat au développement durable incite tout de
même à considérer les limites d’une comptabilité qui agrège différents
types de surfaces dédiées à une seule fonction. Cette exclusivité des
surfaces ne correspond pas à la réalité et ne permet pas de prendre en
considération certaines ressources pourtant vitales. Par exemple, les
ressources en eau douce peuvent être considérées dans certains cas
comme non renouvelables (nappes captives dans les déserts par
exemple), et dans d'autres cas comme renouvelables (nappes libres,
alimentées par l'eau de pluie). En reprenant la méthodologie de
l’empreinte, la « bio-capacité » renouvelable en eau7 pourrait être
calculée localement par hectare en considérant la part des précipitations
6
Taxes dont le recouvrement pourra, comme il était prévu en France dans le cas de
l’« éco-taxe », être confié à des entreprises privées, aboutissement d’une logique de
marchandisation qui considère la pollution comme une occasion de générer de nouveaux
profits.
7
A distinguer de ce qui est ordinairement dénommé l'« empreinte sur l'eau » : A partir des
travaux du géographe britannique John Anthony Allan sur l’« eau virtuelle », le
professeur Arjen Hoekstra de l’UNESCO-IHE, a mis au point en 2002 une « empreinte
eau » qui correspond au volume total d’eau virtuelle qui doit être employé pour produire
un bien ou un service. Comme l’empreinte écologique, cette empreinte eau peut être
calculée à l’échèle d’un consommateur, d’une entreprise, d’une ville ou d’un pays. Le
mouvement international Water Footprint Network établit les standards de la
comptabilité de l’empreinte eau et en assure la diffusion. L’empreinte eau a notamment
été conçue pour évaluer l’incidence des exportations et des importations sur les besoins
en eau d’un pays. Sa méthodologie diffère de celle de l’empreinte écologique. En incluant
l’« eau verte » consommée ou évaporée par les plantes, elle va au-delà des seules
réserves d’eau humainement exploitables et ne permet donc pas, par exemple, de fixer
des limites d’extractions et de consommation acceptables. Cette « empreinte eau » ne
peut pas non plus être agrégée à une empreinte plus générale et servir à enrichir
l'empreinte écologique.
23
locales qui alimente les nappes phréatiques. Cette « bio-capacité »
pourrait être comparée à la consommation en eau (l'empreinte en eau
« réelle » pour la différentier de l'eau « virtuelle » évoquée dans la note
7) des habitants du territoire considéré. Une telle approche conduirait à
comptabiliser un nouveau type d'hectare bio-productif, consacré à la
« production d'eau ». Mais, ce nouveau type d'hectare ne pourrait pas
être agrégé aux autres types d'hectares bio-productifs puisqu'il requiert
l’utilisation des mêmes surfaces. Ou alors, il faudrait faire apparaître une
même surface 2 fois dans la comptabilité de l’empreinte, du côté de
l’offre comme du côté de la demande, ce qui conduirait à gonfler
artificiellement le nombre d’hectares globaux et pourrait paradoxalement
conduire à ce que, toute chose égale par ailleurs, le déficit écologique
global constaté soit considéré comme plus faible au regard de la surface
qui lui sert de référence. On peut évidemment considérer que la capacité
de renouvellement des ressources en eau ne doit pas être comptabilisée
puisqu’elle ne constitue que l’un des facteurs déterminant la capacité
des hectares bio-productifs agricoles, forestiers et des pâturages. Mais
l’eau étant par ailleurs une ressource vitale, on peut s’étonner qu’elle ne
soit pas prise en compte pour elle-même, comme la ressource en bois
par exemple.
Par ailleurs, l’agrégation des différents types d’hectares bio-productifs du
côté de la demande et du côté de l’offre, pour aboutir à un excédent ou à
un déficit écologique global, est certes évocateur du dépassement global
des capacités de la planète, mais il occulte la nature de ce déficit (ou de
cet excédent) et une part importante de ses conséquences directes à
plus ou moins long terme. Le fait que le déficit écologique planétaire
actuel, résulte principalement du surplus d’émissions carbonées,
entraîne sans doute de sérieuses conséquences, – qui peuvent être
difficiles à appréhender précisément si l’on envisage par exemple
l’incidence exacte des émissions dues aux activités humaines sur les
bouleversements climatiques – mais ces conséquences diffèrent de
celles qui découleraient d’un déficit provoqué, par exemple, par une
24
perte brutale de bio-capacité des hectares agricoles, conséquences qui
seraient sans doute plus immédiatement dramatiques8.
Le déficit écologique global constaté révèle une information pertinente –
les capacités de la planète sont globalement dépassées par la demande
humaine et ne permettront plus d’y répondre à plus ou moins brève
échéance – mais il ne permet pas d’appréhender les conséquences
immédiates de ce dépassement qui peuvent être de nature très
différentes. Ce constat ne révèle pas un véritable « défaut » de
l’empreinte écologique mais plutôt une de ses limites. Il invite également
à réfléchir aux différents niveaux de calcul de l’empreinte, un équilibre
global – planétaire – entre empreinte écologique et bio-capacité pouvant
dissimuler des déséquilibres locaux catastrophiques.
1.3.4. Le risque d’une décrédibilisation de l’empreinte
Les défauts avérés de l'empreinte – non prise en compte des ressources
non renouvelables, des déchets non recyclables et des pertes de biodiversité – la fragilisent vis-à-vis de ses détracteurs, qui peuvent pointer
ses faiblesses pour rejeter ses conclusions générales ou bien pour
reprendre à leur compte ses résultats partiels lorsqu’ils sont conformes à
leurs intérêts.
Ainsi la focalisation excessive sur les émissions carbonées, camoufle
l’intérêt conjoint des états et des firmes, qui se manifeste dans certaines
politiques comme celles conduisant à l’instauration d’un marché du
carbone. L’institution d’un tel « marché » permet aux états de s’assurer
de nouvelles rentrées d’argent en instaurant de nouvelles taxes. Il
permet aux firmes de légitimer leur prétention à s’accaparer les
ressources planétaires tout en apparaissant comme des agents
écologiquement responsables.
8
Comme dans le film de Peter Brosens, La cinquième saison, sortie en 2012, dans
lequel la terre perd subitement sa fertilité.
25
1.4. Comment améliorer le calcul de l’empreinte écologique
Il me semble possible de remédier en partie aux défauts du calcul de
l’empreinte écologique, du côté des ressources comme du côté des
déchets. Mais les solutions qui peuvent être avancées demeurent
partielles et doivent être complétées par une nouvelle réflexion sur la
logique même du calcul de l’empreinte.
1.4.1. Du côté des ressources
Dans un souci de pertinence et de cohérence, différentes méthodes
peuvent être utilisées pour intégrer au calcul de l'empreinte écologique
l'utilisation des ressources « non renouvelables » ou renouvelables sur
des échelles de temps très importantes.
Selon une première approche, en partant du principe que la Terre a
« produit » l'équivalent de quelques centaines de milliards de tonnes de
combustibles fossiles en quelques millions ou quelques dizaines de
millions d'années, on pourrait considérer que chaque année, ce sont
l'équivalent de quelques centaines de milliers de tonnes de ces
combustibles qui sont spontanément « régénérés9 ». En rapportant cette
quantité à la surface terrestre, il apparaîtrait que la production d'un seul
kilogramme d’équivalent pétrole requiert très certainement une surface
de plusieurs centaines d'hectares sur un an. Si l'on est trop « effrayé »
par l'énormité de l'empreinte écologique ainsi associée à l'utilisation de
chaque tonne de combustible fossile, une seconde approche pourrait au
moins considérer la surface nécessaire à la production de biocarburants
d'une valeur énergétique équivalente au pétrole ou aux autres
combustibles fossiles. Il faut très vraisemblablement plus de 7000 km2
consacré à la culture des biocarburants10 pour produire un million de
9
Si l’on veut bien « oublier » que les conditions qui ont permis, il y a des millions
d’années, la formation du kérogène à partir des restes d’organismes vivants, sa
dissémination dans le sol et sa décomposition en hydrocarbures, ne sont pas à nouveau
réunies et ne le seront peut-être plus dans l’histoire à venir de la planète terre.
10
Source : rapport DIREM/ADEME sur les biocarburants, 2003.
26
tonnes d'équivalent pétrole (soit 7m2 par litre). Pour produire l'équivalent
des 4 milliards de tonnes de pétrole correspondant à la production
annuelle, il faudrait donc 28 millions de km2, soit 20% des terres
émergées, mais environ 75% des terres déjà cultivées. La prise en
compte de cette surface augmenterait dans tous les cas
considérablement l'empreinte écologique globale de la population
humaine. La prise en compte des 10 milliards de tonnes équivalent
pétrole correspondant à la consommation mondiale d'énergie fossile et
minérale (pétrole, charbon, gaz naturel) augmenterait encore cette
empreinte. Cette méthode suggère d'ailleurs la possible conversion entre
surface et énergie sur laquelle je reviendrai plus loin.
On peut toutefois objecter que cette seconde approche anticipe
abusivement un besoin futur : ce n'est que lorsque le pétrole sera épuisé
qu'il faudra nécessairement réserver des surfaces pour la culture des
biocarburants. Certes, mais sauf à recourir à la première approche, il
semble incohérent de ne pas tenir compte de ressources aussi
importantes que le pétrole, le charbon ou le gaz, alors que
l'approvisionnement en bois, et notamment en bois de chauffage est
comptabilisé dans l'empreinte écologique.
1.4.2. Du côté des déchets
De la même façon, il est possible de comptabiliser la surface occupée
par un déchet en la multipliant par son temps de bio-dégradabililté, ou de
traitement ou de décontamination. Ainsi on pourrait considérer que des
déchets radioactifs de haute activité qui nécessitent d'être stockés sur
une surface de 1 hectare (ha) pendant 10 000 ans, ont en réalité une
empreinte écologique de 10 000 ha soit 100 km2.
Le même raisonnement peut être appliqué aux divers autres types de
pollutions : l’empreinte d’un déchet quelconque peut être calculé en
multipliant la surface qu’il occupe (ou la surface qu'occupe son
confinement), multiplié par son temps de biodégradabilité exprimé en
année. Lorsque le déchet n'est pas bio-dégradable on peut envisager le
27
temps et l'énergie nécessaire à son traitement et les traduire en surface.
Si le déchet n'est pas du tout recyclable, il faudrait théoriquement
multiplier la surface qu'il occupe par la durée d'existence à venir de la
planète Terre estimée en année, ou du moins d'une Terre pouvant
abriter les êtres humains.
Cette méthode générale de comptabilisation des divers types de déchets
dans l'empreinte écologique doit être affinée pour tenir compte de la
dissémination d'innombrables polluants qui, tout en occupant des
surfaces minuscules, contaminent parfois mortellement les organismes
vivants. On peut, dans ce cas, tenir compte de la surface bio-productive
considérée comme contaminée au-delà d'une certaine concentration et
rendue impropre à l'utilisation pour une période donnée. Cette approche
impose de déterminer pour chaque polluant des niveau de concentration
et des normes d'acceptabilité au-delà desquels on estime que le polluant
« accapare » une surface bio-productive. Ces normes sont déjà fixées
pour de nombreux polluants par diverses institutions.
1.4.3. Logique de production et logique de préservation
Des solutions existent donc du côté des ressources comme du côté des
déchets pour rendre plus complet le calcul de l'empreinte écologique,
sans toutefois résoudre les inconvénients de la comptabilité en surface.
Ces solutions partielles doivent elles-mêmes être critiquées ou au moins
discutées. On peut par exemple considérer que le calcul de l'empreinte
n'a pas vocation à anticiper les baisses de bio-productivité à venir, dues
à la pollution ou à la raréfaction des ressources, mais qu’il vise
seulement à évaluer le niveau d’emploi des ressources renouvelables et
le niveau d’émission des pollutions immédiatement recyclables comme
le gaz carbonique. Les autres types de ressources et de pollutions
n'entreraient pas dans son domaine d'investigation. Mais il s'agirait là
d'une conception singulièrement étroite de l'empreinte, peu compatible
avec l’objectif de sa création qui est de mesurer la « charge » réelle et
complète que l’activité humaine impose à la nature. Cette conception
28
restreinte de l’empreinte écologique entre même en contradiction avec
son mode de calcul actuel. Car en calculant l'absorption plus ou moins
complète du CO2, l'empreinte écologique anticipe précisément des
nuisances à venir11. Sans la prise en compte d’une pollution non
recyclée et de ressources non renouvelées, la notion de dette
écologique n'aurait plus aucun sens. Et certes, l'empreinte écologique
pourrait ne pas faire apparaître cette dette écologique. Elle
correspondrait alors simplement aux surfaces réellement occupées par
les cultures, les pâturages, les constructions diverses, les forêts
exploitées et les zones de pêches en lien avec les sollicitations d'une
population donnée. Une telle « empreinte » révèlerait alors les inégalités
dans la répartition et l’utilisation des ressources entre les différents
groupes humains, mais ne permettrait pas de révéler la surexploitation
des ressources.
L’empreinte, telle qu’elle a été conçue, ne se limite pas à la simple
description de l’existant. Elle dépasse le seul constat d’accaparement
des surfaces par les activités humaines, pour évaluer le niveau
d’exploitation de la nature et juger de son caractère tolérable ou non sur
le long terme.
Une analogie reposant sur le fonctionnement du métabolisme humain
permet de mieux appréhender cette dimension nécessairement
prédictive de l’empreinte écologique. Le corps humain dispose de
différentes « filières » énergétiques pour supporter un effort physique.
Pour soutenir les efforts les plus courants, l’organisme a recours au
métabolisme aérobie, qui consiste à dégrader les glucides et les lipides
grâce à l’oxygène de l’air afin de produire sous forme d’Adénosine
Triphosphate (ATP) l’énergie nécessaire au fonctionnement des
muscles. Lorsque l’intensité de l’effort dépasse les capacités
d’oxygénation de l’organisme, le corps humain utilise d’autres procédés
qui ne peuvent pas être maintenus sur le long terme. Dans le cadre du
métabolisme anaérobie alactique, il peut employer ses « réserves
11
Nuisances, dont, comme on l'a vu, les effets sont difficiles à circonscrire.
29
énergétiques » en dégradant directement l'adénosine triphosphate puis
la créatine phosphate. Mais ces réserves s'épuisent au bout de 10 à 15
secondes. Ensuite, le corps peut recourir à la filière anaérobie lactique
qui consiste à dégrader le glycogène musculaire en acide pyruvique,
avec production d’acide lactique. Mais l’emploi de cette filière
s’accompagne d’un déficit d’oxygène dans le sang et d’une
augmentation de l’acidité qui paralyse les muscles et oblige à
abandonner l’effort au bout de quelques minutes. Le dépassement des
capacités normales de l’organisme (seuil aérobie) n’est pas durable. Il
conduit à un épuisement des ressources (ATP et créatine phosphate) et
à une accumulation de déchets (acidité) incompatible avec la poursuite
de l’effort. C’est la raison pour laquelle le coureur de marathon ne peut
pas débuter sa course comme s’il s’élançait sur un 800 mètres (qui
sollicite principalement la filière anaérobie lactique) ou a fortiori un 100
mètres (qui sollicite principalement la filière anaérobie alactique).
L’analogie avec le dépassement des capacités bio-productive de la
planète est éclairante pour ce qui concerne l’utilisation des ressources
plus ou moins rapidement renouvelables et la production de déchets. A
cet égard, on peut préciser que c’est l’accumulation du gaz carbonique
et de nombreux autres polluants qui peut être comparé à l’augmentation
de l’acidité de l’organisme. L’organisme peut également absorber
d’autres substances – drogues, produits dopants – qui augmenteront ses
« capacités » sur le court terme mais qui le détruiront à long ou à moyen
terme en le « polluant » d’une autre manière. L’analogie trouve toutefois
ses limites. Un être humain qui dépasse durablement ces capacités va
recevoir des signaux facilement interprétables – essoufflement, douleurs,
crampes – qui vont l’obliger à interrompre un effort trop intense avant
que celui-ci ne cause des dégâts irrémédiables à son organisme. La
planète ne dispose pas de tels signaux douloureux et elle ne peut pas
interrompre ou simplement réduire l’activité des êtres humains qui la
peuplent avant que ceux-ci ne lui aient infligés des dommages
irréparables.
30
Quelle que soit la portée de cette comparaison, elle montre que des
instruments comme l’empreinte écologique – ou comme l’analyse du
fonctionnement des différentes filières métaboliques – qui établissent
des liens entre la gestion de capacités et les rendements que l’on peut
en attendre, ne peuvent se limiter à une fonction descriptive. Pour un
sportif, la connaissance de ses allures limites est une information
capitale pour la gestion de son effort dès lors que celui-ci dépasse
quelques dizaines de secondes. Savoir qu’il utilise principalement telle
ou telle filière énergétique à telle ou telle allure ne l’intéresse finalement
que parce qu’il en tire des indications directes sur la manière de mener
sa course : s’il poursuit à tel ou tel rythme, il ne pourra même pas
franchir la ligne d’arrivée, ou au contraire, il sera en mesure de lancer un
sprint final.
L'empreinte écologique analyse l’emploi des capacités bio-productive et
révèle ainsi des inégalités entre les différents groupes humains. Mais
elle doit également servir à prévenir la dégradation brutale des capacités
écologiques. Les fonctions prédictives et prescriptives qu’elle est
naturellement conduite à prendre en charge sont cependant
actuellement très imparfaitement assumées, puisque l’empreinte ne
considère pas toutes les données à sa disposition. Les fonctions
prédictives et prescriptives pourraient au moins être renforcées par la
prise en compte des ressources non renouvelables et des pollutions
autres que l’accumulation de gaz carbonique. A noter encore, que même
dans ses dimensions prédictives et prescriptives, la logique de
l’empreinte demeure « productiviste ». C’est une logique de production
et non de conservation. La réduction de la dette écologique au sens de
l’empreinte, ne vise pas à « sauvegarder » la nature, mais plutôt à
préserver le haut niveau de ses capacités de production12.
12
L'empreinte écologique, telle qu'elle est actuellement calculée, révèle donc bien un
réductionnisme productiviste. En faire la principale mesure de l'activité humaine
serait comparable à l'attitude d'un sportif qui considérerait la connaissance de son
seuil aérobie – certes utile pour gérer son effort – comme la référence ultime de son
existence.
31
Un projet technicien dément, pourrait ainsi prévoir de rendre la planète
encore plus productive en rasant toutes les forêts naturelles et en ne
laissant subsister que quelques dizaines d’espèces végétales et
animales chargées de capturer le carbone et les autres polluants et de
fournir la matière première et l'énergie de productions de synthèse.
On peut donc légitimement souhaiter que l’empreinte écologique
dépasse cette logique productiviste pour reposer davantage sur une
logique de préservation. Mais que faut-il « préserver ». L'être humain,
tout simplement pour assurer sa survie, avant même d'améliorer son
confort, doit nécessairement aménager les conditions naturelles. Il ne
s'agit donc pas de remettre cette nécessité en question, mais d'essayer
de définir les limites au-delà desquelles les êtres humains doivent
s'interdire de transformer la nature. Ces limites ne peuvent se justifier
que par un contrat implicite liant les êtres humains et reposant sur un
principe simple : ne pas imposer à des tiers les conséquences d'un choix
qu'ils n'ont pas approuvé. Le coureur de marathon est théoriquement
libre d'utiliser de manière déraisonnable les ressources de son corps
pour établir un nouveau record, car il n'engage que lui dans ce « suicide
sportif ». Un être humain ou un groupement d'êtres humains n'est pas
dans une situation comparable lorsqu’il utilise de manière déraisonnable
les ressources naturelles, car ce comportement engage sans leur
consentement les autres êtres humains présents ici et maintenant sur la
terre, et les êtres humains à naître13.
D'un point de vue éthique (et plus précisément en référence à l'éthique
de l'habitat humain que j'ai voulu définir dans un essai publié sur le site
Esprit68 ), il convient donc de s'abstenir, autant qu'il est possible (c'est à
dire tant qu'il ne s'agit pas de sauvegarder des vies humaines), de tout
acte irréversible, dont les conséquences ne pourront pas être réparées,
au moins dans le cours d'une existence humaine.
13
Je n'inclus pas dans ce groupe de référence les êtres conscients non-humains pour des
raisons que j'ai détaillées dans mon essai Éthique de l'habitat humain. Mais il me faudra
revenir sur cette question délicate dans la suite de mon exposé.
32
Le calcul de l'empreinte écologique devrait permettre de déterminer
comment préserver non pas une capacité à produire, mais une capacité
à choisir, à choisir un mode de vie parmi d'autres, qui lui-même n'affecte
pas de manière irréversible le milieu naturel, pour que les êtres humains
à venir puissent eux-mêmes envisager d'autres choix. L'empreinte
humaine devrait donc être comparée, non pas à une capacité bioproductive, mais à une capacité bio-régénérative.
Ainsi, le calcul de l'empreinte indiquerait le seuil au-delà duquel
l'exploitation de la nature n'est plus éthiquement acceptable parce qu'elle
excède les capacités régénératives et qu'elle conduit, à plus ou moins
long terme, à la disparition de ressources, d'espèces animales ou
végétales, d'habitats, ou même de paysages.
L'empreinte écologique ainsi envisagée serait nécessairement beaucoup
plus complète que celle actuellement calculée. Pour reprendre l'analogie
avec le métabolisme du sportif, elle résulterait d'une démarche similaire
à celle de l'athlète qui ne se contente pas de connaître son seuil aérobie
afin de réaliser la meilleure performance sur une course donnée, mais
qui veille de manière plus générale à la qualité de son alimentation et à
son hygiène de vie afin, non seulement de renouveler ses performances,
mais surtout de profiter pleinement de l'existence – ce qui pour lui peut
impliquer la poursuite d'objectifs sportifs, mais pas exclusivement – et de
préserver sa santé aussi longtemps que possible.
1.4.4. Suggestions sur le plan de la méthode
Tels sont donc les principes qui devraient idéalement guider l’évaluation
des capacités bio-régénératives et le calcul de l’empreinte des activités
et des productions humaines. Leur traduction pratique n’est sans doute
pas aisée à mettre en œuvre. L’évaluation des capacités biorégénératives ne peut être déterminée de manière abstraite. Elle
nécessite d’abord que des niveaux et des natures de préservation soient
définis sur les différents territoires : veut-on « préserver » le parcours de
tel cours d’eau, l’aspect de telle lande ou de telle forêt, l’habitat de telle
33
espèce animale ? Quels aménagements, quels transformations de
l’habitat peuvent-ils être autorisés et sur quelles durées ? Un processus
démocratique devrait permettre de répondre localement à toutes ces
questions. Ensuite il semble difficile de faire abstraction des productions
et des activités réelles en vue desquelles les capacités écologiques
devront être sollicitées. Il faut donc tenir compte des grands besoins
humains – se nourrir, se loger, se chauffer, se déplacer, fournir de
l’énergie pour opérer tels grands types de transformation (fondre du
métal, fabriquer tel matériel de construction, etc.), recycler tel ou tel type
de pollution, etc. – et déterminer quel type de surfaces ces besoins
réclament pour être satisfaits en utilisant les sciences et les techniques
« éthiquement acceptables » d’une époque donnée. En fonction du
niveau de préservation précédemment déterminé, la disponibilité des
différentes surfaces peut alors être évaluée pour chaque territoire. Les
différents types d’hectares recensés doivent ensuite être convertis en
« hectares bio-régénérateurs globaux » censés fournir la mesure de la
capacité écologique d’un territoire. Je ne suis pas capable de détailler
selon quelle méthodologie. La conversion des différents types de
surfaces en quantité d’énergie utilisable (voir les développements sur
l’Équivalent Universel Énergie dans la troisième partie) peut permettre
d’opérer leur agrégation dans un hectare bio-régénérateur global.
L’Équivalent Universel Énergie est alors un moyen d’aboutir à
l’Équivalent Surface Universel. Cette méthode comporte cependant
certains « risques », que j’évoque plus loin, notamment celui de conférer
une trop grande importance aux espaces artificialisés par rapport aux
espaces naturels. Si l’on écarte la conversion en énergie, une autre
méthode doit être employée, par exemple la pondération des différents
types de surfaces recensées, pour aboutir à un nombre d’hectares
globaux censé indiquer la capacité écologique d’un territoire.
La somme des capacités écologiques des différents territoires fournit la
capacité écologique planétaire. C’est à cette capacité que doit être
comparée l’empreinte écologique des différentes activités humaines. Le
calcul de l’empreinte consiste alors à évaluer la quantité de surface que
34
chaque type de production réclame pour être généré et/ou absorbé par
l’écosystème en un an, tout en « préservant » le milieu naturel – le
niveau de cette « préservation » ayant été collectivement déterminé. Une
même activité peut nécessiter différents types de surfaces biorégénératrices : par exemple tant de m2 de culture, tant de m2 pour
absorber le carbone émis, tant de m2 pour recycler tel autre type de
pollution, tant de m2 pour recueillir l’eau de pluie et alimenter la nappe
phréatique à rajouter ou non aux précédentes surfaces, selon les
conditions locales et la quantité utilisée14, etc. Ces différents types de
surfaces s’additionnent le plus souvent, ou se compensent partiellement
ou totalement pour atténuer les inconvénients de la comptabilité en
surface (la note 14 évoque cette possibilité de compensation à propos
des besoins en eau). Ils fournissent enfin une empreinte totale exprimée
en hectares globaux, qui rend compte, non pas de capacités bioproductives, mais des diverses capacités bio-régénératives nécessaires
pour soutenir une activité dans un cadre préservé. Cette quantité
d’hectares globaux représente une surface réelle plus ou moins
importante selon les territoires, en fonction de leurs qualités biorégénératives respectives. Une certaine production peut voir son
empreinte différemment évaluée en fonction du territoire dans laquelle
elle est mise en œuvre et de la période de l’année considérée. Une
production agricole nécessitant une grande quantité d’eau doit par
exemple avoir une empreinte plus forte dans une zone aride que dans
une zone tempérée. L’empreinte du kilo de tomates ne doit pas réclamer
la même capacité bio-régénérative selon qu’il a été récolté en plein air
au mois d’août, ou dans une serre au mois de novembre, en Espagne ou
dans le nord de la France. Il faut évidemment y rajouter l’empreinte du
14
Par exemple, si l’activité nécessite 0,8 hectare de terre agricole, 0,2 hectare de forêt, et
une quantité en eau inférieure à ce que cet hectare peut recueillir d’eau de pluie en un an
pour alimenter la nappe phréatique, alors aucune surface ne serait rajoutée. Si cette
quantité en eau requiert 1,5 hectare, on ne rajouterait que le dépassement, soit 0,5
hectare, pour aboutir à une empreinte d’1,5 hectare global pour l'activité considérée.
35
transport vers le consommateur final et éventuellement la manière dont
les déchets consécutifs à la consommation sont traités ou utilisés.
Il est ainsi possible de calculer l’empreinte bio-régénératrice globale
d’une population sur un territoire donné. Comme pour l’actuelle
empreinte écologique cette nouvelle empreinte rend compte des
ressources qu’une population engage sur son territoire mais également
des capacités qu’elle sollicite à l’extérieur par le biais des marchandises
importées. La somme des empreintes de toutes les populations sur tous
les territoires fournit enfin l’empreinte humaine globale qui peut être
comparée aux capacités régénératrices réellement existantes sur la
planète ou du moins, aux capacités estimées. Le dépassement ou
l’excédent, exprimé en hectares bio-régénérateurs globaux, et constaté
suite à la comparaison entre empreintes et capacités au niveau
planétaire, fournirait une indication importante, qui devrait être complétée
par l’analyse de la nature du dépassement, et notamment des types de
capacités bio-génératrices déficitaires ou excédentaires. Les capacités
engagées n’étant pas convertibles et interchangeables sur tous les
territoires, des comparaisons de l’empreinte et des capacités biorégénératrices devraient être effectuées localement pour déterminer la
nature des menaces pesant sur la préservation des divers habitats.
Comme je l’ai déjà indiqué, du niveau local au niveau global des
assemblées démocratiques devraient idéalement fixer les niveaux de
préservation des habitats escomptés et donc les niveaux d’activités
maximum.
On remarquera encore que pour répondre aux exigences éthiques
précédemment énoncées, le calcul de l'empreinte qui doit permettre de
déterminer les seuils d'activités excédant les capacités biorégénératives, doit être complété par l'interdiction de pratiques qui, dès
leur plus bas niveau de mise en œuvre, provoquent des extinctions ou
des dégradation irréversibles, ou font courir des risques disproportionnés
à des groupements humains présents ou à venir, qui n'ont pas été
consultés pour en accepter les possibles conséquences. Entrent très
vraisemblablement dans cette catégorie de pratiques à proscrire, la
36
dissémination d'organismes génétiquement modifiés susceptibles de
contaminer des espèces existantes, la production d'énergie nucléaire,
l'utilisation de ressources non-renouvelables dans des circonstances non
vitales, la dispersion de polluants non recyclables, etc.
1.4.5. Limite ultime
L'empreinte écologique n'intègre pas cette dimension contraignante. Elle
n'a pas même une dimension réellement incitative puisqu'elle prend la
forme d'un constat dont rien ne garantit l'appropriation au niveau
individuel ou collectif.
Telle est son ultime limite. L'empreinte écologique est plus ou moins
complète, plus ou moins pertinente, plus ou moins cohérente avec les
principes éthiques qui devraient lui servir de base, mais dans tous les
cas, elle n'oblige à rien et n'incite pas davantage, comme le montre son
influence dérisoire sur les comportements réels.
On peut donc essayer de transformer l'empreinte écologique pour qu’elle
puisse véritablement orienter les activités humaines. C'est ce à quoi je
vais m'atteler dans la prochaine partie.
37
38
2. L’Équivalent Surface Universel (ÉSU) comme droit de
tirage universel sur les ressources rares
2.1. La monétisation de l’empreinte écologique conduit à
l’ÉSU
Le calcul de l'empreinte écologique n’a pas débouché sur des actions
concrètes permettant d'interrompre la surexploitation des ressources et la
dégradation des habitats. Les institutions publiques ou les firmes ont
prétendu répondre aux périls écologiques révélés par les résultats de
l'empreinte en proposant des actions qui contredisent sa logique même.
Ainsi les mesures dites « compensatoires » qui prétendent « réparer » les
dommages causés à l'environnement, mais qui dissimulent de nouveaux
moyens d'accaparement des ressources. L'exemple le plus emblématique
de cette déviance est celui de la « compensation carbone », concrètement
mise en œuvre par l'instauration d'un « marché du carbone » qui légitime
la confiscation d'hectares bio-productifs par les firmes polluantes.
L’institution d’un marché du carbone consiste, pour des collectivités
publiques, à distribuer aux firmes émettrices de gaz à effet de serre, des
quotas d’émission pour une période donnée, d’un niveau normalement
inférieur aux émissions actuelles. A l’issue d’une période de contrôle, les
firmes qui ont dépassé leur quota d’émission doivent acheter de
nouveaux « droits à polluer » ou payer une amende, et inversement, les
firmes qui ont émis moins de gaz à effet de serre que la quantité prévue,
peuvent revendre leur quota. L’empreinte écologique permet de
reconsidérer cette pratique : les quotas d’émissions doivent être
rapportés aux hectares de forêts nécessaires pour les absorber. En
fixant des quotas d'émissions autorisées, les institutions publiques offrent
implicitement et sans contrepartie aux firmes, la surface qui permet de
recycler leur pollution, puis elles autorisent ces dernières à leur acheter
d'autres surfaces pour dépasser leurs quotas de pollution. Ce prétendu
« marché » n'est rien d'autre que la légalisation d'un double vol, perpétré
d'abord par les firmes, puis par les institutions publiques, qui
« revendent » des surfaces bio-productives sur lesquelles elles n'ont pas
39
de droits clairement définis et qui devraient plutôt être considérées
comme des biens communs à l'humanité toute entière. Dans le cadre de
ce « marché », une firme qui en a les moyens financiers, peut
théoriquement s'accaparer toute la surface terrestre et épuiser toutes ses
capacités bio-productives.
Toutes les formes de « compensation » n'ont pas des effets aussi
pervers. Certaines mesures compensatoires peuvent effectivement
atténuer les effets d'une pollution. Le recours à la compensation
écologique peut cependant laisser penser que tout est compensable,
que toute pollution est réparable, et pour finir, que les capacités
régénératives de la planète sont illimitées, ce qui est tout simplement
faux. Il existe une empreinte écologique maximale au-delà de laquelle
les dommages causés à l'environnement sont irréversibles et ne peuvent
par définition pas être compensés. Il ne s'agit plus, dès lors, de
« compenser » l'activité polluante, mais de l'interrompre. Pour reprendre
l'exemple sportif précédemment cité, si le coureur de fond maintient une
allure qui excède ses capacités d'oxygénation, il ne peut absolument pas
« compenser » sur le long terme l'augmentation d'acidité de son
organisme et n'a pas d'autres choix que de ralentir son allure.
Pour autant, les mesures compensatoires, et notamment la
compensation carbone, offrent l'exemple d'une monétisation de
l'empreinte écologique. Cette monétisation est dans ce cas incohérente,
puisqu'elle place au regard de capacités biologiques limitées, une offre
financière théoriquement illimitée. C'est cette voie de la monétisation que
j'ai voulu suivre en imaginant l'Équivalent Surface Universel, pour
transformer profondément l'empreinte écologique et lui donner une
nouvelle portée. Comme je vais bientôt le montrer, la « monétisation » à
laquelle j'aboutis n'est d'ailleurs pas complète, puisque l'Équivalent
Surface Universel ne remplit pas toutes les fonctions de la monnaie.
L'Équivalent Surface Universel conteste cependant le droit conféré à
quelques individus ou quelques groupements humains de s'accaparer
sans limites les ressources de la planète.
40
En effet, si l'on considère que l'ensemble des capacités bio-productives
ou bio-régénératives évoquées plus haut, constituent une richesse mise
à la disposition de l'humanité toute entière, on peut prétendre que tous
les êtres humains15, et non pas seulement quelques institutions et
quelques firmes, doivent en bénéficier sous la forme d'un droit de tirage
permettant :
- de confier à chaque être humain et chaque groupement humain,
une part minimale de la richesse globale, sous la forme d'une
empreinte écologique minimale,
- de définir une empreinte écologique maximale pour chaque être
et chaque groupement humain, de manière à ce que la somme de
toutes les empreintes humaines ne dépasse pas les capacités de
la planète.
Pour y parvenir, il est possible d'associer aux productions et aux
consommations diverses, un « prix », ou du moins une quantité,
« libellée » en surface ou en énergie, non pas a posteriori, mais a priori.
Les êtres humains disposent alors d'un « budget » écologique annuel,
qu'ils ne peuvent ordinairement pas dépasser, sauf pour répondre à un
besoin vital, ou pour permettre la réalisation d'une action exceptionnelle
compensée sur plusieurs années. L'empreinte écologique n'est plus
alors un résultat, mais un seuil écologique qui doit avoir été
préalablement défini et accepté – selon un processus démocratique à
déterminer – et qui limite l’activité humaine avant qu’elle ne dépasse les
capacités écologiques.
Qu’est-ce qu’implique, au niveau le plus général, l'introduction d’un tel
seuil écologique ? C’est ce que je vais à présent tenter d’esquisser, sans
toutefois détailler les conséquences, potentiellement innombrables, qui
pourraient en être tirées sur le régime de propriété, les modalités de
15
Qu’en est-il des autres espèces animales ? Les humains peuvent-ils prétendre seuls au
titre de « maîtres et possesseurs de la nature » comme le formulait Descartes ? Ce point
sera débattu plus loin, pour répondre aux arguments anti-spécistes.
41
l'échange, l’organisation de la production, la répartition des ressources et
des biens, etc. Dans un premier temps je m’attache simplement à
déterminer la forme que peut revêtir l’introduction d’une empreinte
écologique maximale et minimale par individu, sans chercher à définir
précisément par quel moyen technique, législatif ou social, elle pourrait
être réellement mise en œuvre. Je tente d’imaginer comment un tel
système
pourrait
concrètement
fonctionner,
sans
détailler
systématiquement les conséquences de sa mise en œuvre.
2.2. Principes de fonctionnement de l’ÉSU
Par rapport à l’empreinte écologique, l’Équivalent Surface Universel
(ÉSU) propose donc de faire un pas supplémentaire, d’abord en
corrigeant les défauts inhérents au calcul de l’empreinte, puis, à partir
d’une évaluation rénovée des capacités écologiques, en instaurant un
droit de tirage sur l’ensemble des ressources utilisables, à la disposition
des territoires et des individus.
L’ÉSU sert de base à la répartition de la richesse écologique entre les
êtres humains et les territoires. Il est déterminé à la suite d’une
évaluation du nombre maximal d’hectares bio-régénérateurs globaux16
utilisables, pour la planète entière et pour ses différentes régions
écologiques. Pour être efficace, les seuils écologiques doivent en effet
concerner des territoires restreints. Il serait inutile d'équilibrer la
demande humaine et les capacités biologiques au niveau planétaire si la
moitié de la surface terrestre est surexploitée et l'autre moitié laissée en
friche. Des comptes écologiques doivent être tenus territoires par
territoires, pour faire en sorte, non seulement que chaque individu ne
« dépense » pas plus d'un certain montant en ÉSU, mais encore que
16
Je rappelle qu’à la différence des hectares bio-productifs de l’empreinte écologique, les
hectares bio-régénérateurs globaux rendent compte, non pas de la capacité d’une surface
à « produire », mais de sa capacité à se régénérer, afin de garantir les choix de vie des
générations futures. En suivant une méthodologie rénovée, ils intègrent notamment
l’utilisation des combustibles fossiles (et d’autres types de ressources ignorées par
l’empreinte écologique) et le traitement des déchets autres que le CO2.
42
chaque territoire ne soit pas sollicité au-delà de ses capacités par les
individus qui y résident ou qui sollicitent d’une manière ou d’une autre
ses ressources. C'est donc également une sorte de limite aux
importations et aux exportations qui n'a pas pour but de réduire les
échanges, mais plutôt de faire en sorte que ceux-ci ne se réalisent pas
au détriment des équilibres écologiques locaux.
Afin de garantir ces principes, la mise en œuvre de l’ÉSU pourrait
reposer sur deux types de comptes, les comptes individuels et les
comptes territoriaux. La tenue des comptes territoriaux nécessite la
constitution d’un certain nombre de territoires écologiques, caractérisés
par la spécificité de leur écosystème. La constitution de tels ensembles
homogènes a déjà été envisagée de diverses manières. Le Fond
mondial pour la nature (WWF) reconnait par exemple 867 écorégions
organisées en 14 biomes et 8 écozones. Ce découpage est conçu dans
un but de préservation des différents types de faune et de flore
planétaires. Le biorégionalisme, fondé par l’ancien activiste radical
Peter Berg (1937-2011) et l’environnementaliste Raymond Dasmann
(1919-2002), envisage des « biorégions » définies sur la base de
caractéristiques écologiques (hydrographie, nature du sol, climat, faune,
flore, etc.), et également humaines. Je ne discuterai pas ici de la
pertinence de ces différentes approches dans la perspective d’une
institution de l’ÉSU. Quelle que soit la méthode utilisée, les territoires
qu’il s’agit de circonscrire dans ce cadre, devraient selon moi être définis
en fonction de la manière dont ils peuvent couvrir les besoins humains
tout en étant écologiquement préservés. Il conviendrait donc de
déterminer le type de cultures qu’ils peuvent le plus facilement supporter,
le type d’énergie ou de matières premières qu’ils peuvent le plus
facilement fournir durablement par les aménagement les plus simples et
les plus réversibles, le type de pollutions qu’ils peuvent le plus facilement
recycler et les grands équilibres qui, dans leur circonscription,
demandent à être maintenus pour garantir leur capacité biorégénératrice. Il s’agirait de favoriser autant qu’il est possible la
couverture autonome des besoins humains fondamentaux au niveau
43
d’un territoire. En plus de leurs caractéristiques écologiques, les
territoires pourraient éventuellement se constituer sur la base de
spécificités culturelles pour favoriser l’émergence d’assemblées
territoriales chargées de gérer les comptes écologiques territoriaux en
tenant compte des besoins spécifiques induis par des modes de vie
locaux. Le nombre de territoires servant à la comptabilisation en ÉSU
reste à déterminer. Dans les exemples qui suivent, je considère
qu’environ 10 000 de ces territoires sont créés à l’échelle planétaire.
Figure 1 : seuils 1 et capacité bio-régénératrice planétaire
Pour chacun d’eux, une capacité bio-régénératrice est définie
annuellement. Elle constitue la limite des sollicitations écologiques
acceptables par le territoire et restreint ainsi la charge des activités
humaines engageant ses ressources. Je nomme « seuil 1 » cette biocapacité locale17. La somme de toutes les bio-capacités de tous les
17
Ce seuil devrait idéalement être validé par une assemblée démocratique statuant pour
le territoire considéré. Mais le travail de détermination du « seuil 1 » devrait au moins pour
partie être confié à une autorité indépendante, afin que les territoires ne soient pas tentés
de minorer leur capacité bio-régénératrice, pour ne pas avoir à la « partager ».
44
territoires, c’est-à-dire de tous les seuils 1, définit une bio-capacité
planétaire exprimée en hectares bio-régénérateurs globaux (par exemple
14 milliards d’hectares globaux répartis sur 10 000 territoires).
Le « seuil 2 » individuel représente la capacité bio-régénératrice
maximale que chaque être humain devrait pouvoir s’accaparer, si la biocapacité planétaire était égalitairement répartie. Dans cet exemple et
pour 7 milliards de terriens humains, le seuil 2 est égal à 14 milliards
divisé par 7 milliards = 2 hectares bio-régénérateur globaux par terrien
humain, soit 20 000 Équivalents Surface Universels, si l’on considère
qu’un ÉSU = 1 m2 de surface bio-régénératrice globale.
Figure 2 : Capacité bio-régénératrice planétaire et seuil 2 individuel
Tous les êtres humains sont rattachés à un territoire18, celui dont ils
sollicitent le plus fortement les capacités bio-régénératives19. Chaque
territoire « reçoit » annuellement une créance correspondant au nombre
d’êtres humains qui lui sont rattachés, multiplié par le seuil 2. Un
18
Les nomades peuvent être exceptionnellement rattachés à plusieurs territoires ou bien
rattachés à des territoires fictifs, mais cette dernière solution implique de réserver une
partie de la bio-capacité planétaire, en minorant légèrement les seuils 1. Il est également
envisageable de mutualiser certains espaces entre différents territoires ou de réserver
certains territoires au niveau mondial, pour les préserver, ou au contraire pour les affecter
leurs ressources à telle ou telle entreprise humaine.
19
Notamment par leurs consommations et leurs propriétés foncières qui accaparent
directement une certaine surface bio-régénératrice.
45
territoire à qui 1 million de terriens humains sont rattachés, se voit dans
notre exemple, attribuer 20 milliards d’ÉSU au titre du seuil 2 territorial.
Ce montant peut être supérieur ou inférieur au montant déterminé au
titre du seuil 1. Le territoire en question peut ainsi avoir une bio-capacité
évaluée à 15 milliards d’ÉSU au titre du seuil 1.
Figure 3 : seuil 2 territorial
L’assemblée du territoire, décide annuellement de la répartition des 20
milliards d’ÉSU attribués au titre du seuil 2 entre tous les individus qui lui
sont rattachés, sous réserve d'attribuer à chacun au moins le minimum en
ÉSU devant localement permettre la satisfaction des besoins essentiels20,
dans ce cas, par exemple, 10 000 ÉSU. L'assemblée du territoire peut
décider d'attribuer 20 000 ÉSU à chacun de ses « administrés » ou bien
un montant différencié pour récompenser certains services rendus à la
collectivité. On peut même envisager qu’elle autorise certains individus à
disposer de plus de 20 000 ÉSU, sous réserve que tous les individus qui
lui sont rattachés disposent au moins de la dotation minimale en ÉSU et
que la somme de toutes les dotations individuelles n’excède pas le
montant attribué au territoire au titre du seuil 2. L’assemblée du territoire
peut encore choisir de ne pas redistribuer tous les ÉSU acquis au titre du
seuil 2, pour « financer » écologiquement, sur un terme pluriannuel, des
entreprises collectives ou individuelles ou pour favoriser une politique plus
rigoureuse de préservation de l'environnement, en collaboration avec
d’autres territoires.
20
Minimum à propos duquel il faudrait idéalement obtenir un consensus planétaire.
46
Les montants en ÉSU définis pour chaque territoire sont versés sur des
comptes territoriaux.
Les montants en ÉSU attribués par les territoires aux terriens humains
qui leur sont rattachés, sont versés chaque année sur des comptes
individuels21.
Chaque fois qu’un individu « sollicite » une ressource écologique
préalablement recensée (ou plus exactement bénéficie d’une telle
sollicitation), son compte individuel est débité de la surface biorégénératrice impliquée, c’est à dire du montant en ÉSU correspondant.
Dans le même temps le compte du territoire à partir duquel cette
ressource a été sollicitée, est débité du montant en ÉSU correspondant.
Les comptes individuels et territoriaux sont crédités une fois par an et
débités tout au long de l’année. Une fois l’exercice écoulé les comptes
sont normalement remis à zéro et crédités pour une nouvelle année
conformément à une nouvelle évaluation des capacités bio-productive.
Des reports de solde sur les comptées individuels peuvent
éventuellement être autorisés dans certaines circonstances par les
assemblées territoriales.
Les sollicitations écologiques ne peuvent ordinairement excéder ni
les seuils 1 ni les seuils 2.
Un territoire « A » relativement pauvre en capacité bio-régénératives et
plus fortement peuplé que la moyenne – par exemple le territoire cité en
exemple, rassemblant 1 million d’individus pour une bio-capacité estimée
à 1,5 millions d’hectare bio-régénérateurs globaux, soit 15 milliards d’ÉSU
– dispose d'un seuil 2 supérieur au seuil 1.
21
J’évoque la notion de « compte individuel », mais plusieurs comptes seraient le plus
souvent au moins partiellement associés, pour tenir compte des besoins exprimés par des
associations humaines aussi fréquentes ou naturelles que les couples ou les familles,
sans même évoquer les associations de plus grande importance, qui pourraient regrouper
plus ponctuellement les comptes individuels de leurs membres dans la prise en charge
d’une même dépense en ÉSU.
47
Figure 4 : seuil 1 et seuil 2 territorial
Un territoire « B » relativement riche en capacité bio-régénératives et plus
faiblement peuplé que la moyenne – à qui sont rattachés par exemple
200 000 individus, pour une bio-capacité estimé à 1 million d’hectares biorégénérateurs globaux – dispose d'un seuil 1 (10 milliards d’ÉSU)
supérieur au seuil 2 (4 milliards d’ÉSU).
Le seuil 1 du territoire « A » interdit à ses ressortissants d'y exercer des
activités qui dépasseraient ses capacités bio-régénératives. Les crédits
supplémentaires en ÉSU de ses habitants peuvent cependant être
employés en sollicitant les ressources d'autres territoires. Les
ressortissants du territoire « B » ne disposent pas d'assez d'ÉSU sur leurs
comptes individuels pour épuiser les capacités bio-régénératives de leur
territoire. Ces capacités sont toutefois disponibles pour financer
écologiquement la demande de territoires relativement moins bien lotis22.
22
Cet échange de ressources n’est possible que si d'une manière ou d'une autre, les
territoires collaborent. Dans la société actuelle, le principal motif de cette collaboration est
la monnaie. Mais les échanges et les activités qui en résultent excèdent les capacités biorégénératives des territoires. L’ÉSU réclame une autre forme de contractualisation basée
sur un principe assez simple et facilement acceptable : les territoires qui se sont
accaparés davantage de ressources que la moyenne, acceptent de les partager avec
leurs voisins plus mal lotis. Comme je l’indique en note 17, les territoires peuvent être
tentés de sous-évaluer leurs ressources pour ne pas avoir à les « partager ». L’évaluation
de la bio-capacité doit donc être réalisée de manière indépendante sur une base
méthodologique unifiée et non contestable. Mais les territoires doivent également pouvoir
48
2.3. Exemples
territoriaux
d’utilisation
des
comptes
individuels
et
Je vais à présent indiquer quelques circonstances typiques qui
pourraient conduire à débiter des montants en ÉSU sur les comptes
individuels et territoriaux.
2.3.1. Biens immobiliers
Les comptes écologiques doivent notamment porter à leur débit la surface
directement « accaparée » dans le cadre du « droit de propriété23 ». Le
compte d’un individu ou d’un groupe d'individus, « propriétaire » d'un bien
immobilier – une maison occupant 100 m2 de surface au sol par exemple
– est ainsi débité chaque année de la valeur en ÉSU de cette surface
bâtie qui n'est plus disponible pour répondre aux autres sollicitations
humaines. Parallèlement, le compte du territoire sur lequel se situe cette
propriété est débité du même montant. Ces 100 m2 ne correspondent pas
obligatoirement à 1 centième d’hectare global ou à 100 ÉSU. Tout dépend
de la méthodologie employée pour agréger les différents types de
surfaces dans l'hectare bio-régénérateur global et de la manière dont sont
localement comptabilisés les surfaces « artificialisées » ; car la maison
occupe peut-être de bonnes terres maraîchères ou au contraire un terrain
faire valoir leurs arguments pour mener des politiques de préservation plus rigoureuses
que celles pratiquées dans les territoires voisins. Si elles tentent de trop minorer leur seuil
1, les assemblées territoriales s’interdiront également d’entreprendre certains projets sur
leur territoire. Elles ne chercheront donc pas obligatoirement à minorer leur seuil 1.
23
Il faudrait s’interroger sur le concept même de « propriété » que l’introduction de l’ÉSU
conduit à réévaluer. A ce stade de l’exposé, je fais référence de façon acritique à la notion
la plus communément admise de propriété, car c’est le régime commun de propriété qui
constitue le mode le plus courant d’accaparement des ressources et notamment de la
surface. Le « propriétaire » auquel je fais allusion, peut être individuel ou collectif – famille
ou autre groupement d’individus. Une discussion plus serrée à propos de la prise en
compte des surfaces privativement accaparées devra être menée ultérieurement. Car en
toute rigueur, l’appropriation privative d’une surface ne s’accompagne pas obligatoirement
de la sollicitation effective des capacités écologiques qui y sont associées.
49
stérile à très faible valeur bio-régénérative. Comment comptabiliser les
1 000 m2 de terrain individuellement accaparés qui entourent cette
maison ? On peut penser qu'ils doivent également venir en déduction du
compte écologique individuel puisque le droit d'usage exclusif que leur
confère le régime de propriété individuelle les rend théoriquement
« indisponibles » pour supporter d'autres activités humaines. Mais
l'intégralité de leur « valeur » bio-régénérative n'est peut-être pas
totalement à déduire du compte individuel, parce que, par exemple, les
arbres qui y sont plantés contribuent « malgré le droit de propriété » à
l'absorption du carbone communément émis24.
2.3.2. Énergie
Un individu doit également porter au débit de son compte écologique, la
valeur en ÉSU de « l'énergie » nécessaire pour éclairer et chauffer sa
maison, sauf pour la part de cette énergie – le bois de chauffage par
exemple – directement produite sur le terrain dont il supporte déjà
annuellement la charge sur son compte écologique au titre du droit de
propriété. La valeur en ÉSU d'une consommation énergétique prend en
compte non seulement la surface nécessaire à la « production » de
l'énergie, mais également la surface requise par l'absorption des déchets
– et notamment le gaz carbonique ou les « particules fines » – liés à
cette consommation25. Cette part de l'empreinte énergétique liée à
24
En suivant la même “logique”, la surface construite ne devrait sans doute pas
occasionner la même dépense en ÉSU si le toit de la maison est végétalisé ou s'il ne l'est
pas. La dépense en ÉSU est-elle la même si le toit est recouvert de panneau solaire ? A
priori oui, même si dans ce cas, le propriétaire bénéficie directement de l’énergie produite
en acquittant le prix de la surface utilisée. Mais il peut également la « revendre » à un
voisin, ou plus précisément en faire supporter le prix en surface par un autre individu en
échange d’un transfert d’énergie. Ce cas particulier sera abordé lorsque j’évoquerai la
possible utilisation d’un « Équivalent Universel Énergie ».
25
A ce stade de la réflexion, on pourrait penser qu’une telle comptabilisation en ÉSU
repose nécessairement sur des procédés déclaratifs, contraignants et peu fiables. Le
propriétaire devrait ainsi « déclarer » aux « gestionnaires » des comptes ÉSU qu’il utilise
telle quantité du bois produit sur sa parcelle pour le chauffage de sa maison et non pour
50
l'absorption des déchets peut pareillement être pour partie ou totalement
prise en compte par le montant d'ÉSU déjà défalqué au titre des
capacités du terrain privativement approprié. Les dépenses énergétiques
défalquées sur un seul compte individuel peuvent être débitées sur
plusieurs comptes territoriaux, si les ressources nécessaires proviennent
de plusieurs territoires. Les figures 5 et 6 illustrent diverses modalités de
comptabilisation en ÉSU de propriétés individuelles ou collectives.
Figure 5 : coût en ÉSU de diverses propriétés individuelles
jouer aux quilles avec ses enfants, ce qui n’emporte pas les mêmes conséquences en
termes de CO2 émis et donc d’ÉSU à « payer ». Les démarches déclaratives peuvent
cependant être réduites, si en fonction des déclarations déjà fournies sur le type de
chauffage et le dispositif d’isolation thermique, il est supposé, sauf autres éléments
fournis, que le ou les propriétaires vont nécessairement brûler telle quantité de bois et
émettre telle quantité de CO2 dans l’atmosphère et vont donc être amenés à acquitter tel
montant en ÉSU sur l’année pour l’occupation de leur maison (auquel il faudrait par
exemple rajouter le coût estimé du dispositif de cuisson des aliments). Ce montant ne
serait plus redevable si les propriétaires se chauffent grâce à des panneaux solaires dont
ils ont déjà acquitté le coût de confection. Dans ce cas, les panneaux solaires permettent
d’économiser la surface qui devrait autrement être payée pour absorber la pollution émise
par le combustible utilisé pour le chauffage.
51
Dans cet exemple, un groupement urbain d'une centaine d'individus habite un
immeuble d'une vingtaine d'appartements. Il s'est réapproprié un terrain de football
attenant, transformé en potager collectif et un petit parc transformé en verger.
L'installation est complétée par des bâtiments et des équipements divers, salle de
restauration/salle des fêtes, entrepôt réfrigéré, moulin, atelier mécanique, cabanes,
serres, ruches, four à pain et pizzas, etc., et plus de 2 000 m2 de panneaux solaires
pour des besoins en électricité réduis du fait de la mutualisation des équipements.
Le groupement dispose d'une flotte de 10 véhicules dont 1 bus et 2 utilitaires, pour
une consommation en biocarburant évaluée à 100 000 ÉSU annuels. La chaufferie
collective de l'immeuble est alimentée en combustible pour une valeur de 250 000
ÉSU. Ce groupement urbain occupe 3 hectares de terrain d'une valeur de 30 000
ÉSU. Il a conclu un accord avec un groupement paysan en bordure de la ville qui
lui fournit des céréales et des produits fermiers pour un montant de 50 000 ÉSU.
Chaque année le groupement urbain procède à des achats collectifs d'un montant
de 70 000 ÉSU environ. La somme des ÉSU dépensés annuellement au titre du
groupement est environ égale à 500 000 ÉSU, soit 5 000 ÉSU par personne, sur
15 000 ÉSU inconditionnellement attribués dans le territoire concerné au titre du
seuil 2 individuel. Chaque membre du groupement peut donc en théorie
« dépenser » 10 000 ÉSU à titre « individuel », même si ses besoins les plus
essentiels sont en grande partie couverts dans le cadre du groupement.
52
L'énergie nécessaire aux divers types de transports peut être
comptabilisée selon les mêmes modalités. Pour l'énergie, comme pour
tout autre bien, c'est le consommateur final qui en supporte le coût en
ÉSU. Dans le cas d'un bien durable, ce coût n'est logiquement supporté
qu'une fois si, d'année en année, ce bien ne génère pas de nouvelles
« consommations », c'est à dire s'il ne sollicite pas de nouvelles
capacités bio-régénératives.
2.3.3. Biens meubles et biens d’occasion
J'ai indiqué que la surface d'une maison bâtie doit être « payée » en
ÉSU chaque année, mais l'équivalent en ÉSU des ressources
nécessaires à sa construction n'est logiquement acquitté qu'une seule
fois. De même, le meuble à l'intérieur de cette maison ne doit être
« payé » qu'une seule fois pour compenser les ressources requises par
sa confection. Si ce « paiement » a déjà été effectué, l'échange du
meuble entre deux individus n'engage pas de nouvelles capacités biorégénératives. Les comptes territoriaux ne doivent donc pas être
concernés par cette transaction. Il est cependant possible de traduire
cette opération sur les comptes individuels, en considérant que c’est aux
différents bénéficiaires d’un bien ou d’un service d’en assumer le coût
écologique à proportion des avantages que chacun d’eux en retire. Un
propriétaire « A », qui assume en année 1 l’intégralité du coût écologique
fixé à 100 ÉSU d’un bien conçu pour durer 20 ans et cède ce bien à
« B » en année 5, pourrait ainsi espérer un transfert du compte individuel
de « B » vers son propre compte individuel, correspondant à ¾ de la
valeur écologique du bien, soit 75 ÉSU. Les comptes territoriaux ne sont
pas modifiés puisqu’il n’y a pas de nouvelles sollicitations écologiques et
que le montant global des droits de tirages des individus demeure
identique : 75 ÉSU en plus pour « A » et 75 ÉSU en moins pour « B ».
Ce genre d’opération pose cependant une nouvelle difficulté car dans les
3 derniers quarts de son existence, la valeur d’usage du bien sera peutêtre fortement dégradée. « B » ne serait peut-être disposé à reprendre le
bien de « A » qu’au prix de 40 ÉSU. Un marchandage pourrait en
53
résulter, éventuellement sur la base d’une « cote » d’amortissement
publiée pour des biens semblables. La difficulté tient au fait que, dans ce
cas, l’ÉSU ne semble pas seulement indiquer une valeur écologique
mais également une « valeur d’usage » ou du moins une valeur
marchande. Je reviendrai plus loin sur la possible prise en compte d’une
cession de bien par un transfert d’ÉSU qui peut poser d’autres difficultés.
Comme je le montre dans les exemples qui suivent, la difficulté disparait
pour ce qui concerne la production « pour autrui ». Dans ce cas, c’est
bien le bénéficiaire final qui doit assumer sur son compte individuel
l’intégralité du coût écologique d’un bien produit.
2.3.4. Absence de sollicitation des ressources écologiques
Plus généralement, si l’on écarte le cas du « marché de l’occasion », un
bien ou un service dont la production, l'échange ou la consommation
n'engage pas de capacités bio-régénératrices ne donne pas lieu à un
« paiement » en ÉSU. C'est le cas par exemple du savoir ou de
l'information échangés, mais non pas des supports de conservation ou
de diffusion de ce savoir. Un livre, par exemple, doit être payé une seule
fois pour compenser les ressources engagées dans sa confection. Mais
l'accès à un serveur informatique doit être comptabilisé à chaque
nouvelle connexion pour tenir compte de la dépense énergétique
occasionnée, contrairement au livre que l'on peut rouvrir sans engager
de nouvelles ressources.
Figure 7 :
paiement ou
non-paiement en
ÉSU en fonction
de la sollicitation
effective des
capacités biorégénératrices.
54
2.3.5. Biens produits pour autrui
Un bien de consommation, une botte de carottes par exemple, doit être
payée par le consommateur final. La nature des opérations engagées sur
les comptes écologiques est cependant déterminée par la manière dont
les carottes ont été produites. Si le consommateur se trouve être le
producteur des carottes, alors il a de bonne chance d'avoir déjà payé
l'ÉSU de ses légumes dans le cadre de la comptabilisation de la surface
cultivable dont il est « propriétaire ». Si la botte de carottes est
« achetée » par un « consommateur » qui n'est pas le producteur, alors
les quelques millièmes d’ÉSU correspondant à l'empreinte des carottes,
doivent être portés au débit du compte du consommateur et au crédit du
compte du producteur. Dans ce cas, le maraîcher ne supporte pas luimême l’intégralité du coût en surface de sa production, car il « vend » ses
légumes à des consommateurs qui en paient, ou plutôt qui en assument
le prix en surface. Le maraîcher voit son compte « crédité » par ses
clients26, car il a lui-même auparavant assumé le coût en surface de
toutes les ressources qui ont permis l'obtention de sa production. Mais les
« acheteurs » de carottes ne doivent pas être considérés comme de
véritables « clients » du maraîcher, mais plutôt comme ses « associés »
dans son entreprise de production de carottes.
Figure 8 : coût en ÉSU
d’un bien de
consommation, lorsque le
producteur est différent du
consommateur.
26
Il s’agit d’un abus de langage. En réalité, le compte du maraîcher n’est pas « crédité »
par ses clients. Les comptes en ÉSU ne sont ordinairement crédités qu’une seule fois
chaque année. Ensuite, les opérations sur les comptes sont des opérations de débits qui
correspondent aux capacités bio-régénératives réellement engagées. En toute rigueur, il
faudrait donc indiquer qu’à terme, le débit correspondant à la bio-capacité sollicitée par les
légumes produits est porté, non pas au compte du maraîcher, mais au compte des
consommateurs finaux.
55
Avec de tels « associés », un agriculteur peut donc théoriquement
cultiver une surface « privativement appropriée » plus étendue que celle
définie par le seuil 2 individuel (2 hectares globaux dans cet exemple)
puisqu'une partie du coût en ÉSU de cette parcelle est assumée par les
bénéficiaires finaux de sa production. A noter cependant que si la
production de l'agriculteur ne trouve plus d'acquéreurs, alors ce dernier
risque de ne plus être capable de supporter seul le coût écologique de
sa parcelle. Je rappelle que la valeur en ÉSU de cette parcelle est
toujours annuellement débitée sur le compte du territoire qui l’inclut.
En conservant cette logique, comment traiter le cas du quota d'émissions
carbonées attribué à une compagnie pétrolière ? Pour qu'une telle
activité soit permise (en admettant que l’on autorise encore l’utilisation
de cette ressource non renouvelable pour des activités non vitales), il
faut que les consommateurs finaux du combustible soient suffisamment
nombreux pour pouvoir, en plus de leurs autres dépenses écologiques,
assumer collectivement son coût en ÉSU, lié non seulement à
l'absorption du gaz carbonique et des autres polluants émis au terme de
son utilisation, mais également à la surface nécessaire pour produire les
tonnes équivalent pétrole correspondant à son pouvoir calorifique (en
adoptant l'une des méthodes de calcul que je propose en 1.4.1). Là
encore, les consommateurs finaux deviennent en quelques sortes des
associés dans l'entreprise d'extraction, de raffinerie et de transport du
carburant. Ils contribuent collectivement à « compenser » cette activité
en débitant leurs comptes écologiques et en réduisant par là-même le
niveau des capacités bio-régénératives qu'ils peuvent encore engager.
Le même procédé peut être utilisé pour prendre en compte la confection
d'un bien complexe qui nécessite plusieurs étapes de production,
réalisées par des acteurs différents. A chaque étape, le coût écologique
devient plus important et est assumé par le nouvel acteur ou le nouveau
bénéficiaire : le coût écologique du métal extrait est assumé auprès du
mineur par le métallo, le coût du métal extrait ajouté au coût du métal
travaillé est assumé par le mécanicien auprès du métallo, le coût du
métal extrait, travaillé, assemblé et des autres composants de l'objet fini,
56
est assumé auprès du mécanicien par le client final. Tous les territoires
concernés par l’extraction des ressources et par la pollution émise,
voient parallèlement leurs comptes territoriaux débités en conséquence.
Pour qu’une telle activité, mettant en œuvre cette chaîne de production
complexe, soit autorisée, les réserves en ÉSU présentes sur le comptes
des consommateurs finaux doivent le permettent, mais également les
réserves présentes sur les comptes des territoires écologiquement
impliqués. Cette comptabilisation favorise évidemment le recyclage des
objets manufacturés et des matières premières, car il rend le prix en
ÉSU du produit beaucoup plus faible pour le consommateur final. Si le
métal de son véhicule est déjà « constitué » et ne réclame pas de
nouvelles ressources écologiques sauf peut-être pour être « restauré »,
le consommateur n’a pas à compenser son coût en ÉSU auprès du
mineur et du métallo. Dans ce cas, il reste cependant à déterminer
comment la fourniture du métal et son passage éventuel d’un
propriétaire à un autre, doit être (ou non) sanctionné par un transfert
d’ÉSU sur les comptes individuels, ce qui repose le problème du
« marché de l’occasion » précédemment évoqué, et au-delà celui de la
répartition des matériaux « déjà produits ».
Techniquement, comme dans le cas du maraîcher qui « nourrit » en
légumes un nombre important d'individus, pour que ce système
fonctionne, il faut admettre qu'un compte écologique puisse présenter au
moins provisoirement un solde négatif dans l'attente du règlement par les
consommateurs ou les bénéficiaires finaux. Ce compte peut également
être crédité de « promesses d'achat », ou de la valeur d'un
« abonnement » à une certaine production (comme dans le cas des
« paniers de marchandises » actuellement proposée par les Associations
pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne). De manière plus simple et
plus cohérente, les ÉSU peuvent encore être débités par anticipation sur
les comptes des consommateurs. On peut également envisager la
création d'un compte collectif alimenté par les comptes individuels de tous
les associés à une entreprise de production quelconque de la même
façon que dans la figure 6, j’évoquais un compte collectif associé à une
57
association de copropriété. Cette dernière possibilité implique une sorte
de « collectivisation » des moyens de production, qui peut toutefois se
concilier avec une gérance ou une direction, confiée dans les exemples
proposés ci-dessus, au maraîcher, aux ingénieurs de la raffinerie, ou à un
« constructeur » d'automobile, de matériel électroménager ou de vélos...
Figure 9 : Prise en compte du coût écologique d’un bien complexe… A noter que le coût en
ÉSU du vélo serait sans doute quelques dizaines de fois inférieur, s’il était assemblé à partir de
métal recyclé. Ni le mineur ni le métallo ne seraient alors concernés par la transaction et la
fourniture du métal, si elle ne sollicite pas de nouvelles ressources écologiques, ne donnerait
pas lieu à une destruction d’ÉSU sur les comptes territoriaux. Resterait à déterminer si cette
fourniture devrait ou non occasionner des transferts sur les comptes individuels.
2.3.6. Traitement de la pollution pour autrui
A côté de ces « entreprises de production », œuvrant pour le compte de
tiers, pourraient également se constituer des « entreprises de
dépollution ». Lorsqu’un individu traite lui-même sa propre pollution, par
le tri ou la réutilisation de ses déchets, il réduit en réalité le coût en ÉSU
de ses consommations. Par contre, s'il traite la pollution d'un autre
individu, il rétablit après coup certaines capacités écologiques sur le ou
les territoires concernés. Son compte individuel pourrait donc être dans
ce cas crédité de la valeur en ÉSU des capacités bio-productives ainsi
épargnées, dès lors que le consommateur a « payé » l'intégralité de la
58
pollution initiale. On peut même envisager que dans une telle
circonstance, un compte individuel puisse être crédité au-delà du seuil
communément admis. Il reste à déterminer si ce crédit supplémentaire
devrait être utilisé dans une période limitée ou non. Cette forme
« d'entreprise de dépollution » fonctionne d'une manière un peu
différente des « entreprises » évoquées plus haut, qui associent
producteurs et consommateurs. Dans un cas, des producteurs
n'acquittent pas l'intégralité du prix en ÉSU de leur production, car des
consommateurs en assument au moins partiellement le coût. Dans
l'autre, des consommateurs acquittent un prix plus élevé pour leurs
consommations, parce que des dépollueurs traitent leurs déchets et
récupèrent les ÉSU dépensés au-delà des capacités bio-régénératrices
réellement engagées. A noter qu’il s’agit dans ce cas d’actions
ponctuelles de dépollution, qui n’améliorent pas durablement les qualités
bio-génératives d’un milieu, c’est-à-dire qui n’augmentent pas d’année
en année le « seuil 1 » des territoires. J’aborde un peu plus loin le cas
des travaux entrepris pour accroître durablement les qualités biorégénératives.
2.3.7. Reports de soldes et dépassements de crédits écologiques
Un individu peut ne pas dépenser en une année l’intégralité des ÉSU qui
lui sont accordé au titre du seuil 2. Ce solde positif pourrait-il être reporté
sur l’exercice suivant ? Dans l’affirmative, comme dans l’exemple
précédent, un individu pourrait disposer au moins momentanément d’un
montant supérieur au seuil communément admis sur son compte
individuel. Cette solution parait cependant envisageable car elle
dissuaderait les individus de solliciter les capacités écologiques au-delà
de leurs besoins réels pour ne pas « perdre » leur solde d’ÉSU à la fin
de l’exercice annuel. Pour autant, ce report de solde ne pourrait
effectivement être employé l’année suivante, que si les capacités du ou
des territoires dans lesquels l’individu fait valoir ses ÉSU le permettent.
Toute chose étant égale par ailleurs, il faudrait donc qu’au cours de ce
59
nouvel exercice, d’autres individus ne consomment pas l’intégralité du
seuil 2.
La problématique inverse du dépassement de crédit permet de mieux
cerner les implications du report de solde. On peut en effet envisager
que le dépassement du crédit porté annuellement au compte écologique
soit autorisé pour couvrir une opération exceptionnelle. Un individu
pourrait par exemple « dépenser » 100 000 ÉSU sur une année pour
couvrir l'utilisation des capacités bio-régénératives impliquées dans la
construction de sa maison. Il pourrait ensuite « amortir » cette dépense
sur 10 années, pendant lesquelles il ne pourrait plus « dépenser » que
10 000 ÉSU. La durée de cette amortissement et l'ampleur du
dépassement initial autorisé, seraient à déterminer en fonction des
spécificités du territoire impliqué et de ses capacités bio-régénératives.
Les demandes de « crédits » écologiques pourraient être collectivement
prises en compte et accordées ou refusées par l’assemblée du territoire,
de manière à ce qu’émises en nombres trop important, elles ne
conduisent pas à un dépassement du seuil 1. On remarquera que les
« crédits non consommés » permettre précisément de « financer »
écologiquement des dépassements individuels et qu’inversement, les
amortissements pluriannuels de dépassements de crédits permettent de
financer des reports de solde. Idéalement, reports de solde et
dépassements de crédit en ÉSU doivent donc s’équilibrer. Les territoires
peuvent favoriser cet équilibre en autorisant un nombre plus ou moins
important de dépassements de crédit et en édictant des règles plus ou
moins restrictives relatives à l’emploi des reports de solde et à leur
cumul maximum autorisé. Les territoires peuvent également être tentés
de ne pas distribuer l’intégralité du seuil 2 territorial entre leurs
ressortissants, afin de se laisser une marge de manœuvre dans
l’attribution des dépassements de crédits. Une telle politique n’a
cependant pas la même signification selon que le seuil 1 du territoire est
supérieur ou inférieur au seuil 2 territorial. Un dépassement de crédit
autorisé par un territoire ne devrait logiquement pas être utilisé pour
solliciter directement des ressources écologiques d’un autre territoire. Un
60
individu ne devrait donc pas pouvoir dépasser son crédit d’ÉSU pour
entreprendre la construction d’une villa dans un territoire voisin. Pour
autant, les ressortissants d’un territoire dont le seuil 1 est inférieur au
seuil 2, devraient également pouvoir bénéficier ponctuellement de
dépassements de crédits pour mettre en œuvre des projets dans leur
circonscription, ce qui semble impliquer une entente entre territoires
voisins, en référence éventuellement à des normes supra-territoriales. Il
faut par ailleurs se rappeler que les reports de soldes et les
dépassements de crédits écologiques ne peuvent être envisagés qu’au
niveau individuel, et non au niveau territorial, puisque, pour chaque
territoire, les capacités bio-régénératives sont réévaluées annuellement
et ne peuvent théoriquement pas être dépassées par les sollicitations
humaines.
2.3.8. Critères de répartition du seuil 2 territorial
Le thème des dépassements de crédit et de leurs incidences possibles
sur la répartition du seuil 2 territorial me donne l’occasion d’approfondir
la réflexion sur les conditions de cette répartition.
A cet égard, l’assemblée d’un territoire doit d’abord décider si l’intégralité
du montant en ÉSU qui lui est alloué au titre du seuil 2, est à répartir
entre ses ressortissants. Une partie de ce montant peut en effet être
réservé en prévision de demandes individuelles de dépassements de
crédits écologiques ou bien pour financer une « production » publique
particulière ou encore pour assumer le coût écologique d’une propriété
foncière acquise au nom de la collectivité publique territoriale (si l’on
considère que cette appropriation « publique », est effectuée en vue
d’une fin particulière qui « accapare » la surface concernée et la rend
indisponible pour d’autres sollicitations écologiques).
Une fois déterminée la part du seuil 2 devant être réparti, il convient de
définir les critères qui permettront de procéder à cette répartition. La
solution théoriquement la plus simple, consiste à opérer une répartition
égalitaire. Chaque ressortissant du territoire reçoit alors annuellement un
61
même crédit en ÉSU. Sans doute faudrait-il aménager cette règle pour
déterminer à partir de quel âge un individu peut bénéficier d’une part
complète. Je n’ai jusqu’à présent pas abordé ce problème assez délicat
qui pourrait conduire à définir différents seuils pour différentes catégories
d’âge. Si aucun consensus n’est trouvé à un niveau interterritorial,
chaque territoire devrait définir les règles en la matière, par exemple en
majorant le montant attribué aux adultes et en minorant le montant
attribué aux enfants, de tel manière que, compte tenu de la proportion
des différentes catégories d’âge, la part du seuil 2 territorial devant être
répartie soit effectivement intégralement distribuée.
Si l’assemblée territoriale n’opte pas pour une répartition strictement
égalitaire, elle devra dans tous les cas accorder à chaque individu le
minimum censé couvrir les besoins essentiels (là encore, il faudrait
déterminer si ce minimum est le même pour les adultes et les enfants).
L’attribution du minimum tend à réduire les écarts entre les individus mais
autorise néanmoins d’importantes disparités. A titre d’exemple, le territoire
« A » peuplé d’un million d’habitants et disposant de ce fait d’un maximum
de 20 milliards d’ÉSU à répartir au titre du seuil 2 territorial, avec une
dotation individuelle minimale fixée à 10 000 ÉSU, pourrait distribuer ce
minimum à 400 000 individus, accorder 20 000 ÉSU à 300 000 individus,
30 000 ÉSU à 200 000 ressortissants et 40 000 ÉSU à 100 000. Mais le
territoire pourrait également accorder le minimum de 10 000 ÉSU à
900 000 individus et 110 000 ÉSU à une minorité de 100 000
ressortissants, si toutefois ce montant n’excède pas un maximum
préalablement défini. A noter que si ce maximum était fixé à 20 000 ÉSU,
une répartition strictement égalitaire s’imposerait de fait entre tous les
ressortissants, sauf à ne pas distribuer la totalité du seuil 2 territorial.
Si donc un territoire n’opte pas pour une répartition strictement égalitaire,
sur quel critère peut-il se baser pour accorder davantage à un
ressortissant qu’à un autre ? Cette inégalité de traitement peut refléter
pour partie la distribution de la propriété foncière telle qu’elle existait
avant l’instauration de l’ÉSU. Lors du passage à l’ÉSU, les comptes
individuels sont dans ce cas alimentés de manière à pouvoir supporter
62
d’année en année le coût écologique des surfaces accaparées
privativement. Cette option doit cependant rester compatible avec
l’existence d’un montant maximum d’ÉSU attribuable et avec l’octroi d’un
minimum accordé à chaque individu, à partir d’un seuil 2 territorial limité.
Par ailleurs, il semblerait peu logique qu’une assemblée territoriale
adapte la répartition de son seuil 2 pour permettre à ses ressortissants
d’assumer des propriétés en dehors de sa circonscription. Seules les
propriétés foncières du territoire concerné pourraient donc
éventuellement être prises en compte pour déterminer le montant initial
d’un compte individuel lors du passage à l’ÉSU. L’institution de l’ÉSU
devrait être précédée d'un vaste mouvement de partage des terres,
impliquant qu'un seul individu ne puisse pas disposer de beaucoup plus
de 2 hectares de surface bio-régénératives privativement accaparés,
sauf s'il est associé à des « clients » à qui il fournit des biens (nourriture,
énergie ou autre) sollicitant les capacités bio-régénératives de sa
parcelle. Mais dans le monde, seule une petite minorité d’individus
accapare privativement plus de 2 hectares pour son propre compte27.
Par ailleurs, si des dotations individuelles trop différentiées sont
reconduites à l’identique d’année en année, elles renforceront les
inégalités sur le long terme – notamment si les reports de solde sont
largement autorisés – et risquent d’interdire toute redistribution de
propriété foncière.
Je considère pour ma part que l’octroi d’ÉSU au-delà du minimum
devrait plutôt être conditionné par l’implication des bénéficiaires dans les
27
La plus grande partie de l’alimentation mondiale est produite dans de petites fermes
dont la taille n’excède pas 2 hectares et dont l’exploitation, le plus souvent familiale et
destinée à un marché local ou à l’autosubsistance, implique nécessairement plus d’un
individu. Bien que représentant la majorité des exploitations et produisant la plus grande
partie de l’alimentation, ces fermes n’occupent qu’un quart des terres agricoles et sont de
plus en plus menacées par le développement d’une agriculture industrielle d’exportation et
par les politiques d’accaparement des terres menées par les firmes et les états.
Paradoxalement ces petites exploitations sont globalement plus productives que les
grandes. Voir les données recensés par l’organisation GRAIN à ce sujet.
63
actions de la collectivité territoriale, par exemple par la participation à
des « services publics » ou à des travaux d’intérêt général. Le niveau de
cette implication pourrait conditionner d’année en année le montant de la
part de la dotation individuelle dépassant le minimum.
Des travaux d'améliorations des qualités bio-régénératives d'un milieu,
volontairement entrepris par un individu ou un groupe d'individus,
pourraient également conduire à augmenter le montant annuel des
dotations individuelles, peut-être même au-delà même du maximum
communément admis. Je ne fais pas référence ici aux actions de
dépollutions évoquées plus haut qui réduisent l’incidence écologique des
consommations d’un tiers, mais à des actions qui augmentent
véritablement les capacités bio-régénératives au niveau local, de sorte
que, toutes choses étant égales par ailleurs, la bio-capacité
« planétaire » en est bien augmentée, même de manière minime.
Pourraient rentrer dans cette catégorie la réintroduction d’insectes
pollinisateurs, la plantation d’espèces végétales, des aménagements
favorisant la biodiversité, la mise en œuvre de nouvelles méthodes
d’irrigations ou de procédés de captation de polluants divers, etc. Pour
encourager ce type d’actions, les territoires pourraient reverser aux
individus qui en sont à l'origine, le gain écologique obtenu, sous la forme
d’une augmentation de la dotation individuelle annuelle. De telles actions
entreprises au niveau d’un territoire pourraient également ne bénéficier
temporairement qu’à ses ressortissants (par exemple par la réservation
d’une partie du seuil 1). Mais à l’issu d’un certain délai (dont la durée est
à définir, entre une année et la durée de vie des individus impliqués), les
capacités bio-régénératives doivent redevenir un bien commun
équitablement partagé. Si grâce à l'ensemble de ces actions, les
capacités bio-régénératives de la planète passent de 14 à 21 milliards
d'hectares globaux, à terme, le « seuil 2 individuel » doit passer de
20 000 à 30 000 ÉSU pour chacun des 7 milliards de terriens humains
(si dans l'intervalle, le nombre des terriens humains est passé à 7,5
milliards, le seuil doit évidemment être réduit à 28 000 ÉSU).
64
Un montant différentiel de dotation individuelle ne devrait pas pouvoir
être hérité. L’héritage pourrait concerner, les biens, y compris les biens
fonciers, éventuellement les reports de soldes, mais en aucun cas le
montant différentiel d’une dotation individuel. Ainsi un individu devrait
renoncer au legs d’une propriété foncière si le montant disponible sur
compte individuel ne permet d’en assumer d’année en année la
contrepartie en ÉSU28.
2.3.9. Transferts entre comptes individuels
Le montant accordé individuellement au titre du seuil 2 ne détermine
cependant pas à lui seul le pouvoir de sollicitation des capacités bio28
Si les reports de solde sont autorisés, un individu qui, tout au long de sa vie
« économiserait » la plus grande part de son droit de tirage, pourrait obtenir dans sa
vieillesse un montant de 500 000 ÉSU ou plus sur son compte. Pourrait-il alors utiliser
sans plus de précaution cette capacité écologique ? Et s'il n'a pas l'occasion de le faire,
pourrait-il la transmette à ses héritiers ? La comptabilité par territoire limite les risques
d'une dilapidation soudaine d’un solde aussi important et ses conséquences
potentiellement néfastes sur l'habitat concerné. La question de l'héritage est plus
délicate. Comme je l’ai indiqué, il faut bien distinguer l’héritage d’un bien tel qu’il a
classiquement cours dans nos sociétés, l’héritage d’un solde en ÉSU et l’héritage d’un
niveau de dotation annuelle, qui pour moi doit être exclu. L'individu qui obtient la
propriété d'un nouveau bien, quelle qu'en soit la cause – héritage, don, conséquence
d'une transaction, fruit d’un travail – doit pouvoir en assumer la charge sur son compte
écologique d'année en année, si le bien en question – un bien foncier par exemple –
engage durablement des capacités bio-régénératives. L'individu « héritant » d'un solde
d’un demi-million d’ÉSU peut théoriquement « s'acheter » 50 hectares de surface
globale – si quelqu'un veut bien lui céder et surtout si cette bio-capacité est
effectivement disponible d'après la comptabilité des territoires où cette acquisition est
envisagée. Cet héritier ne pourra cependant assumer la charge de cette surface qu'une
seule année. Car l'année suivante, il ne « recevra » au maximum que quelques dizaines
de milliers d’ÉSU et devra donc abandonner sa surface, sauf si entre-temps, il a trouvé
des associés qui en supportent le prix parce qu'ils bénéficient de la production qui en est
tirée. Le risque d'une nouvelle concentration des terres dans les mains de quelques-uns
est donc limité, mais n'est pas nul, si les « associés » sont contraints et n'ont pas les
moyens de trouver ailleurs de quoi satisfaire leurs besoins.
65
productives d’un individu, qui dépend également des reports de solde,
des crédits écologique à rembourser, et des transferts entre compte
individuels pouvant se dérouler dans le cours d’une année. Puisque j’ai
déjà abordé le cas ses reports de solde et des dépassements de crédits,
je vais à présent livrer quelques considérations sur les transferts entre
comptes.
Passé leur alimentation périodique, les comptes en ÉSU départementaux
et individuels, sont régulièrement débités à la hauteur des diverses
sollicitations écologiques. Les ÉSU sont donc régulièrement détruits sur
ces comptes pour refléter l’utilisation des réserves écologiques. La plupart
des « transferts » de comptes à comptes que j'ai jusqu'à présent évoqués,
sont en fait des modifications dans l'identité d’un compte individuel à
débiter : une dépense écologique initialement imputée à « X » est
finalement imputée à « Y ». Le montant en ÉSU correspondant est débité
sur le compte de « Y » et rétablit sur le compte de « X ». Tel est le
mécanisme qui préside à la production « pour autrui ». C’est le
bénéficiaire d’une production quelconque qui voit son compte individuel
débité du montant en ÉSU correspondant à la sollicitation écologique
induite par cette production. Le nombre d’ÉSU disponibles sur l’ensemble
des comptes est diminué au moment de la prise en compte de la
production, il reste identique après le transfert de propriété du bien
produit. Dans le cas d’une action de dépollution opérée pour le compte
d’autrui, suite à l’action de « X », il s’avère que, rétrospectivement, la
consommation de « Y » a donné lieu à une destruction trop importante
d’ÉSU sur le compte territorial concerné. La différence est rétablie sur le
compte de « X » et sur le compte territorial impliqué. Après l’opération de
dépollution, le nombre d’ÉSU disponible est plus important. En toute
rigueur, il ne s’agit donc pas d’un transfert mais d’un rétablissement.
D’autres formes de transferts véritables d’ÉSU sont-elles possibles et
souhaitables ? Le transfert d’un bien foncier de « X » à « Y » ne
s’accompagne pas à proprement parler d’un transfert d’ÉSU sur les
comptes correspondants, mais plutôt du transfert du prélèvement
périodique qui y est associé au titre des capacités écologiques
66
accaparées. S’il s’agit d’un immeuble dont la dont la valeur écologique
n’a pas encore été totalement amortie suite à un dépassement de crédit
autorisé, la « dette » en ÉSU restant à rembourser doit dans ce cas être
cédée en même temps que le bien. Le montant d’ÉSU transféré d’un
compte à l’autre est alors négatif, il s’agit d’un « reste à payer » devant
être régularisé par des prélèvements ultérieurs. Dans tous les cas, les
comptes territoriaux ne sont pas impactés par ces transferts et
continuent à être débités périodiquement de la valeur écologique de la
propriété foncière, quel que soit le compte individuel qui parallèlement,
supporte ce prélèvement.
J’ai montré plus haut comment un transfert d’ÉSU entre comptes
individuels pouvait accompagner la cession d’un bien dont la propriété
n’engageait pas périodiquement de nouvelles ressources écologiques.
Dans un tel cas, avant et après la cession, le montant d’ÉSU globalement
disponible demeure identique. Les comptes territoriaux ne sont pas
concernés, une somme d’ÉSU passe simplement d’un compte individuel à
un autre. Sur le plan intellectuel, cette opération peut se justifier en
référence au principe selon lequel c’est au bénéficiaire d’un bien ou d’un
service d’en assumer le coût écologique. Si plusieurs bénéficiaires se
succèdent dans le temps, il peut sembler logique qu’ils se répartissent le
coût écologique en fonction du temps pendant lequel ils bénéficieront du
bien. Les considérations relatives à l’usure du bien et à la diminution
progressive de sa valeur d’usage compliquent cette analyse, car l’ÉSU
n’est théoriquement pas conçu pour rendre compte des valeurs d’usage
ou des valeurs marchandes, mais seulement des valeurs écologiques.
Les possibilités d’interprétations subjectives de la vétusté du bien et de
marchandages qui en résultent, peuvent aboutir à ce que le transfert
d’ÉSU négocié pour accompagner la cession n’ait plus qu’un lointain
rapport avec son empreinte écologique mais révèle plutôt l’état des
rapports de force entre vendeur et acheteur. Par ailleurs ce type de
transferts peut favoriser de nouvelles concentrations illégitimes de
capacités écologiques, tout particulièrement si les possibilités de
transferts sont étendues non seulement à la cessions, mais à la location
67
et au prêt des biens. Un propriétaire pourrait par exemple louer d’année
en année ses engins agricoles et une misérable masure à des paysans
pauvres en échange de tous leurs ÉSU, excepté un minimum
correspondant à la nourriture nécessaire à leur survie. Le propriétaire
pourrait ainsi faire travailler des paysans à son compte et accaparer leur
production tout en les dépossédant de leurs terres pour recréer les
inégalités que l’ÉSU était censées abolir. Tout en étant réservés à la
seule cession de biens, les transferts entre comptes individuels peuvent
également permettre de transformer une richesse matérielle acquise
avant l’instauration de l’ÉSU en un moyen d’accaparer des ressources
écologiques supplémentaires sur un terme assez long si les reports de
solde sont largement autorisés. Cette possibilité ne remet pas en cause
les équilibres écologiques puisque le nombre d’ÉSU restant à dépenser
demeure le même avant et après les transferts entre comptes
individuels, mais elle contribue à accroitre les inégalités entre les
individus. Par ailleurs, sur un plan théorique, la cession pour un montant
en ÉSU, de biens qui auront été acquis dans un autre cadre,
vraisemblablement celui des échanges monétaires actuels, n’est pas
satisfaisante. Cette possibilité me parait de nature à fausser l’évaluation
de la valeur écologique d’un bien pour le confondre avec sa valeur
marchande. Il me semble prudent de limiter les transferts entre compte
individuel à la cession des biens produits après l’entrée en vigueur de
l’ÉSU29, sur des critères aussi objectifs que possibles, par exemple
l’existence de cotes unanimement acceptées pour les grandes
catégories de biens afin de prendre en considération l’augmentation
progressive de leur vétusté.
Mais si les locations ou les cessions de biens entre individus ne sont pas
motivés par des transferts en ÉSU, elles pourront, si elles ne sont pas
29
En revanche, les formes de locations et de prêts organisées par une collectivité
publique dans le cadre de l’ÉSU ne semblent pas comporter de risque. Un territoire peut
par exemple faire assumer collectivement la production de biens divers par l’ensemble de
ses ressortissants sur une ou plusieurs années et ensuite les louer « gratuitement » du
point de vue de l’ÉSU puisque leur coût écologique a déjà été assumé.
68
autrement motivées, ne jamais se produire et laisser quantité de biens
peu ou pas utilisé et quantité de besoins non couverts. J’esquisse dans
la section 2.4, comment la réponse aux besoins humains pourrait être
organisée et motivée dans le cadre d’une mise en œuvre de l’ÉSU. Je
remarque pour l’instant que l’instauration de l’ÉSU requiert sans doute
non seulement un partage des terres mais également une redistribution
de l’ensemble des richesses matérielles et notamment des instruments
de production, un partage des connaissances et un rapport renouvelé à
la propriété.
Il reste cependant au moins une occasion de transfert entre comptes
individuels que je n’ai pas encore évoquée : la contrepartie en ÉSU qui
pourrait, non pas valider le changement de propriétaire d’un bien, mais
« rémunérer » des services rendus de particuliers à particuliers. Je
considère que cette possibilité doit être absolument écartée. L’ÉSU doit
rendre compte de la sollicitation des capacités bio-productives par des
individus au sein de différents territoires, afin, non seulement de prévenir
une surutilisation des ressources écologique, mais aussi afin de favoriser
leur répartition équitable. C’est seulement à ce titre qu’un transfert d’ÉSU
peut être associé à un transfert de bien, afin de valider le changement de
bénéficiaire d’une sollicitation de capacité écologique. L’ÉSU n’a
absolument pas vocation à rémunérer le travail humain, il n’a d’ailleurs
pas vocation à rémunérer quoi que ce soit, mais plutôt à sanctionner
l’utilisation d’une ressource par un individu ou un territoire. J’ai pourtant
suggéré plus haut que le travail effectué pour le compte de la collectivité
territoriale pourrait servir à déterminer une partie du montant distribué
annuellement sur les comptes individuels. Mais selon moi cette part
supplémentaire ne constitue pas une rémunération mais un droit attribué
sous certaines conditions. Le versement d’ÉSU en contrepartie d’un
travail effectué pour répondre au besoin d’un ou plusieurs individus
n’aurait aucun rapport avec une quelconque sollicitation de capacités
69
écologiques30. Il pourrait en outre introduire de nouvelles formes
d’exploitation en consacrant le pouvoir des détenteurs d’un grand crédit
écologique sur ceux qui en sont pratiquement dépourvus31. Cette
situation ne serait pas forcément transitoire, car l’histoire humaine
montre que le pouvoir trouve généralement les moyens de sa
pérennisation.
Pour limiter les risques inhérents aux transferts entre comptes
individuels, je suggère qu’ils soient réservés aux seuls échanges de
biens produits après l’instauration de l’ÉSU, et surtout qu’une partie de la
dotation annuelle attribuée à chaque individu ne soit pas transférable,
mais uniquement « consommable ». Le bénéficiaire ne pourrait pas
céder cette part, mais seulement la « dépenser » par la sollicitation
effective de ressources écologiques pour son propre compte.
2.3.10. Quelques caractéristiques de l’ÉSU
Pour conclure cette suite d’exemples d’utilisation des comptes
individuels et territoriaux, nécessairement lacunaire, peut-être
incohérente et irréaliste, tant il est hasardeux de détailler le
fonctionnement d’une institution qui n’existe pas, je vais récapituler
quelques caractéristiques de l’ÉSU telles qu’elles sont apparues.
30
Sauf à considérer l’énergie cinétique associée à un travail « physique » ou bien la
dépense calorifique qu’il génère, qui peuvent théoriquement être exprimées aussi bien
dans une unité d’énergie que dans une unité de surface, comme je le suggère dans la
troisième partie. Mais il me paraitrait absurde et même monstrueux de réduire les
multiples dimensions du travail humain à cette vision mécaniciste.
31
Comme le suggère la note 28 ou l’exemple du grand propriétaire entretenant son
emprise sur de petits paysans par la location de matériel agricole, au fil du temps, les
écarts peuvent se creuser entre les comptes individuels présentant un solde élevé et ceux
demeurant à zéro en fin de période tout en étant éventuellement grevés par une dette
écologique non encore remboursée. Les détenteurs de soldes écologiques élevés
pourraient en outre profiter de leur avantage en faisant adopter par l’assemblée territoriale
des mesures plus restrictives de distribution du seuil 2, afin de rendre les « endettés
écologiques » dépendant de leurs propres ÉSU accumulés.
70
Il me faut d’abord reconnaître que l'ÉSU entretient des rapports ambigus
avec la monnaie. Comme je l'ai indiqué en introduction de cette étude,
j'avais volontairement imaginé l'ÉSU comme une sorte de nouvelle
« monnaie » favorisant la sauvegarde des habitats et la répartition
équitable des ressources. Il s'agit pourtant d'une monnaie bien
« étrange ». Les « prix » qu’elle définit ne sont nullement déterminés par
l’offre et la demande. Que la carotte soit plus ou moins « désirée » ne
contribue pas à augmenter sa « valeur » en ÉSU. Cette « valeur »
dépend plutôt de la nature du sol qui l’accueille, de la quantité d’eau qui
lui est nécessaire, des techniques plus ou moins couteuse en énergie
employées pour la produire etc. C’est une valeur écologique et non pas
marchande, qui ne conférera pas obligatoirement un prix plus élevé au
terroir accueillant un grand cru, qu’à la surface, peut-être
« écologiquement » plus riche, servant à produire une humble piquette.
L’ÉSU n’oriente donc pas naturellement l’activité humaine vers l’échange
marchand. Afin de ménager leurs réserves de crédits écologiques, les
agents ne sont pas incités à produire pour autrui, les biens « fortement
désirés » comme actuellement32. Ils sont plutôt incités à produire pour
eux-mêmes, des biens peu couteux en capacité bio-régénératives.
A lui seul, l’ÉSU ne rend pas très avantageux un grand nombre
d’échanges. Les individus ne sont par exemple pas incités à céder « aux
plus offrants » leurs biens immobiliers. S’ils décident de « vendre » une
part de leur propriété foncière, pour ne plus avoir à en supporter chaque
année le coût écologique, les acquéreurs potentiels ne peuvent pas se
départager par le montant de leur offre. De même, le « vendeur » ne
32
Il faudrait corriger cette assertion en remarquant que la société marchande incite
plutôt les agents à produire les biens fortement désirés par les détenteurs d'un
« pouvoir d'achat » suffisant, ce qui ne garantit nullement qu'il s'agisse des biens
réellement désirés par le plus grand nombre et encore moins des biens utiles au plus
grand nombre. Car les agents sont également incités à produire des « biens » ou des
services qui servent à rendre désirables d'autres biens qui n'apparaissent pas
immédiatement utiles ou désirables. Ce type particulier de production se nomme
« publicité ».
71
peut pas baisser le prix en ÉSU de sa propriété s'il ne trouve pas
preneur. Ce prix est « objectif ». Il ne dépend pas de la volonté des
agents. Les agents peuvent être incités à céder des biens meubles,
uniquement dans l’espoir de récupérer une partie des ÉSU qu’ils ont
eux-mêmes versés pour en être bénéficiaires (si l’amortissement
écologique est bien pris en compte). L’ÉSU n’est pas impliqué dans les
échanges de biens immatériels qui ne sollicitent pas les capacités biorégénératives. Il n’est pas non plus impliqué dans l’échange de services
et ne devrait pas servir à rémunérer le travail humain effectué pour le
compte d’un tiers (même si certains travaux pourraient éventuellement
augmenter le montant de la dotation individuelle en ÉSU). L’individu
producteur d’un bien dont il ne compte pas faire lui-même usage, voit
théoriquement le coût écologique de ce bien assumé par son « client »,
mais l’ÉSU ne lui « paie » pas son travail33.
Ainsi énoncés, ces quelques particularités pourraient laisser penser que
l’ÉSU est un instrument peu adapté aux besoins d’une société humaine.
Ce n’est pourtant pas obligatoirement le cas. Dans la section qui suit, je
vais tenter de décrire un peu plus concrètement différentes formes
d’organisation de la production et de la distribution compatibles avec la
mise en œuvre de l’ÉSU.
2.4. Exemples d’organisation de la production et de la
distribution compatibles avec l’ÉSU
Les exemples d’utilisation des comptes individuels et territoriaux que je
viens d’évoquer peuvent être sous-tendus par des modes très différents
de production, d’accès aux ressources, de distribution et d’échanges. La
possibilité, pour les individus de « faire valoir » leurs ÉSU, peut
notamment être envisagée de manières très diverses. Ainsi le
« minimum écologique », établi en ÉSU et susceptible d’être attribué sans
33
Sauf, encore une fois, lorsque ce travail est effectué dans le cadre d’un service public et
devient un moyen d’obtenir des droits supplémentaires dans l’attribution du seuil 2. Mais il
ne s’agit pas alors d’une initiative individuelle.
72
condition à tout individu pour permettre la satisfaction des besoins dont la
couverture est essentielle à une vie dignement vécue, peut être envisagé :
- soit comme le « droit » inconditionnel de « posséder »
privativement ou au moins d’avoir accès aux capacités biorégénératives – principalement la surface terrestre – permettant de
satisfaire une part des besoins ;
- soit comme un « droit de tirage » permettant d' « acheter » en ÉSU
des biens « déjà produits » qui répondent aux besoins n’ayant pu
être satisfaits par l'autoproduction.
Le minimum ainsi définit ne permet pas à lui seul d'en finir avec la
misère, car rien ne garantit qu'un individu dispose des connaissances et
des outils adéquats pour produire les biens qui lui sont essentiels avec
les capacités qui lui sont accordées et rien ne garantit non plus qu'il
puisse localement trouver à qui « acheter » en ÉSU ce qu'il ne peut
produire lui-même. Les moyens de faire valoir leurs « droits
écologiques » doivent également être définis pour les habitants d’un
territoire « A » dont le seuil 1 est inférieur au seuil 2, c’est-à-dire qui ne
peut théoriquement pas supporter écologiquement la somme des crédits
en ÉSU de tous ses ressortissants. Ces derniers parviendront à « faire
valoir » les ÉSU qu’ils ne peuvent pas utiliser sur leur territoire :
Si un autre territoire « B » met certaines ressources à leur
disposition – des surfaces réservées pour la culture par exemple
ou pour capter de l’énergie solaire réacheminée vers le territoire
A – ou bien si le territoire B fournit directement de l’eau, du bois ou
toute autre ressource au territoire « A ».
Ou bien si une « production de masse » est organisée d’une
manière ou d’une autre et distribuée dans des « supermarchés »
interterritoriaux permettant d’« acheter » des biens en ÉSU, ou
mise à disposition, par exemple dans des entrepôts « publics »
autorisant le prêt de différents outils, machines, ou véhicules (voir
également les notes 29 et 34 à ce sujet).
73
Une telle « production de masse » organisée au niveau territorial ou à un
niveau supérieur, permet également de faire valoir les ÉSU accordés
dans le cadre du minimum écologique.
Plus généralement, les besoins d’un individu ou d’une population
peuvent être couverts :
o soit par l’autoproduction ;
o soit par une production réalisée « pour autrui », qui résulte :
 d’initiatives « individuelles », lorsque des individus ou des
groupes d’individus produisent des biens et des services,
- pour les échanger contre d’autres biens et services dans
le cadre de l’économie marchande,
- ou pour les donner ou les rendre dans le cadre d’actions
caritatives ou associatives ;
 d’initiatives publiques engageant une ou plusieurs collectivités
qui décident de satisfaire les besoins de leurs ressortissants,
- en produisant des biens et des services publics, qui ne
peuvent être privativement appropriés, mais qui sont mis à
disposition : routes, écoles, hôpitaux, équipements divers,
matériels, véhicules, temporairement accordés à tel ou tel
individus ou groupes, etc.
- ou en produisant des biens qui peuvent être privativement
accaparés, des biens de consommations notamment,
mais aussi tous autres types de biens susceptibles d’être
« achetés » dans des magasins publics.
L’ÉSU s’accorde facilement avec quelques-unes de ces modalités,
moins bien avec d’autres. Il se concilie parfaitement avec
l’autoproduction, en garantissant à chaque individu ou groupe
d’individus, l’accès aux capacités écologiques nécessaires. Il permet
également d’encadrer la production pour autrui « socialement
74
organisée » 34. Par contre, il n’incite pas à la production pour autrui liée à
une initiative individuelle. Dans ce cas, comme je l’ai déjà indiqué, le
producteur fait assumer le coût écologique de la production par son
« client », mais aucun ÉSU supplémentaire ne vient récompenser ses
efforts. La motivation individuelle à produire pour autrui doit donc être
recherchée ailleurs que dans l’ÉSU : dans l’altruisme, le désir de
reconnaissance ou d’intégration sociale, la perspective d’échanges
réciproques de biens ou de services avec d’autres individus ou même le
paiement en monnaie si une monnaie est utilisée en complément de
l’ÉSU. Mais il faut également reconnaître que la répartition des
34
Dans le cadre de la production de biens et de services publics, la valeur en ÉSU des
productions considérées devrait simplement être défalquée des comptes des territoires
concernés et des comptes individuels de leurs ressortissants. Par exemple, si le territoire
« A » décide la construction d’un hôpital dont le coût écologique est estimé à 100 millions
d’ÉSU, son compte territorial est débité du montant correspondant (dans l’hypothèse où
les ressources employées sont locales) et les comptes individuels de son million de
ressortissants sont chacun débités de 100 ÉSU. Si le territoire « A » et le territoire « B »
décident conjointement de la construction d’une route dont le coût écologique est évalué à
12 millions d’ÉSU, les comptes individuels des 1,2 millions de ressortissants des territoires
« A » et « B » sont débités de 10 ÉSU. Les comptes territoriaux sont quant à eux débités
de la valeur en ÉSU des ressources écologiques ponctionnées sur chaque territoire.
Dans le cas d’une production de masse « socialement décidée », ayant vocation à être
distribuée et privativement accaparée par les individus qui le désirent, le calcul serait
différent. Par exemple si le territoire « A » et le territoire « B » s’associent pour consacrer
120 millions d’ÉSU à une production de masse distribuée dans un « supermarché
interterritorial », ce coût est dans un premier temps assumé à part égale (si tel est l’accord
validé par les deux assemblées territoriales) par les 1,2 millions d’habitants des territoires
A et B. 100 ÉSU sont donc retranchés à ce titre de tous les comptes individuels des
territoires concernés et dans le même temps les comptes territoriaux sont respectivement
débités de capacités écologiques réellement engagées. Mais lorsqu’un individu achète
dans le « supermarché interterritorial » des biens pour une valeur de 1200 ÉSU, ces 1200
ÉSU sont naturellement retranchés de son compte individuel, mais doivent théoriquement
être recrédités sur l’ensemble des comptes individuels des ressortissants des territoires A
et B, à hauteur de 0,001 ÉSU sur chaque compte (1 200/1 200 000) : ainsi les membres
de la collectivité n’assument pas le coût écologique des biens privativement accaparés, le
coût en ÉSU des biens produits est assumée par leurs acquéreurs finaux.
75
ressources sur la base de l’ÉSU limite les possibilités de production
individuelle pour autrui.
Pour énumérer ces divers modes de production et de distribution, la
question qui me guidait implicitement était « qui produit quoi pour qui ».
Si à présent je m’intéresse à la question « qu’est-ce qui doit être produit
ou mis à disposition et comment » je peux avancer que les besoins
d’une population peuvent être couverts :
o Par des biens déjà produits ou déjà disponibles ou des services
déjà constitués, dont la jouissance ne sollicite pas de nouvelles
ressources ou de nouveau travaux.
- Ces biens ou ces services peuvent être « libres », comme par
exemple l’air qu’on respire.
- Ils peuvent être publics.
- Ils peuvent être privativement accaparés par des
« propriétaires » qui sont disposés à les louer ou à s’en
séparer.
o Ou bien par des biens à produire ou des services à fournir, dont la
production et la mise à disposition nécessite cumulativement ou
non :
- du travail humain
- l’emploi de ressources naturelles (typiquement celles qui sont
comptabilisées en ÉSU)
- des outils, des équipements, des machines (l’énergie qui active
ces machines est fournie par les ressources naturelles
comptabilisées plus haut)
- des connaissances ou des savoir-faire particuliers.
Souvent, la satisfaction d’un besoin requiert à la fois un bien déjà
constitué et un nouveau bien ou un nouveau service à produire. Par
exemple l’utilisation d’un appareil hospitalier déjà existant – un appareil de
76
radiologie – nécessite la supervision d’une personne compétente et une
alimentation en énergie donc la sollicitation de ressources naturelles.
L’ÉSU n’intervient théoriquement pas dans la mise à disposition des
biens déjà produits ou déjà disponibles en tant que « biens libres ». La
notion de bien libre doit pour moi être étendue aux biens « non rivaux »
dans l’usage35. Selon mon opinion, les restrictions d’accès à de tels
biens doivent être prohibées. Les règles d’accès aux biens publics
doivent être collectivement déterminées et peuvent prendre toutes les
formes imaginables.
La restriction des montants en ÉSU versés sur les comptes individuels
limite en amont les diverses formes d’accumulation privative. Les biens
privativement appropriés, dont le coût écologique a déjà été acquitté,
peuvent cependant exister en très grand nombre. L’ÉSU ne permet pas
de motiver leur prêt et ne pourrait motiver leur cession que par la
rétribution d’une partie de la valeur écologique du bien, à la charge du
nouvel acquéreur. Comme indiqué plus haut, un individu qui les
35
Un bien ou un service « non rival » peut être simultanément utilisé par plusieurs
individus sans que ses conditions d’usage en soient dégradées. Un même morceau
de pain ne peut pas être mangé par plusieurs individus. Un même espace ne peut
pas être occupé par plusieurs individus. Il est donc nécessaire d’établir des règles
d’attribution de biens rivaux comme le pain et l’espace, en limitant le cas échéant les
possibilités de leur appropriation privative, pour que chacun puisse en avoir sa part.
A l’inverse, un procédé technique, peut être employé par une multitude d’individus,
ou une mélodie peut être jouée et écoutée par des foules entières, sans que la
satisfaction tirée de ces usages en soit altérée. C’est la raison pour laquelle, savoirs,
techniques, procédés industriels, œuvres intellectuelles et autres biens non rivaux,
doivent pouvoir être inconditionnellement partagés. Rien ne justifie que l’accès à ce
type de biens soit artificiellement restreint pas des « brevets », des « droits d’auteur »
ou tout autre dispositif. D’autres types de biens, comme les routes ou les différents
types de réseaux, sont seulement partiellement non rivaux et peuvent voir leur usage
dégradé lorsqu’ils sont simultanément utilisés par un trop grand nombre d’individus.
Dans ce cas, leurs conditions d’accès peuvent être limitées selon des critères à
déterminer. La solution la plus simple compatible avec l’utilisation de l’ÉSU est que
ces biens soient déclarés publics et que leurs conditions d’utilisation soient
collectivement déterminées au niveau le plus opportun.
77
possède, peut être intéressé par la cession ou la location de tels biens,
par altruisme, désir de reconnaissance, d’intégration sociale, ou plus
sûrement dans la perspective d’un échange qui lui permettra d’obtenir
d’autres biens ou d’autres services – y compris de la monnaie si celle-ci
est utilisée36 – de la part d’autres individus ou même de la part d’une
collectivité37.
L’ÉSU ne valide la production des nouveaux biens qu’au niveau des
ressources écologiques engagées. Il ne « paie » pas le travail et
l’assistance. Dans le cadre d’une production collective, ceux-ci peuvent
être librement consentis ou dans certains cas requis. Des individus
peuvent naturellement trouver de l’intérêt dans la construction
d’équipements dont ils bénéficieront plus tard… Moins peut-être dans le
ramassage des ordures ! Mais le ramassage des ordures peut être
considéré comme un travail de dépollution qui ménage les capacités bioproductives et peut donc à ce titre être individuellement compensé en
ÉSU. En dehors même de ce type de compensation, une collectivité à
d’innombrables moyens, sinon de motiver, au moins d’organiser les
travaux, parfois peu stimulant, mais nécessaires au bien-être de ses
membres. Ces moyens seront d’autant plus efficaces que les individus
désignés seront assez directement impliqués pour constater l’effet de
leurs efforts sur leur qualité de vie et celle de leurs proches. Les efforts
de chacun peuvent également être pris en compte avec des instruments
monétaires ou quasi-monétaires, comme ceux utilisés par exemple dans
les « Système d’Échange Locaux » (SEL) pour comptabiliser les heures
de travail prodiguées.
36
Je ne me prononce pas encore sur le type de « monnaie » utilisable dans ces
circonstances, qui pourrait par exemple prendre la forme d’une monnaie « alternative ».
J’aborde ce sujet dans la partie consacrée aux rapports entre monnaie et ÉSU.
37
On peut en effet imaginer qu’une collectivité échange un bien public contre le bien privé
d’un individu. Le bien auparavant public est alors privatisé et le bien privé est socialisé,
mais cette opération ne concerne pas l’ÉSU s’il n’y a pas de nouvelles capacités bio
régénératives engagées.
78
Le travail et l’assistance, lorsqu’ils sont accordés par des individus à titre
privé pour la production de nouveaux biens peuvent être motivés par
tous les facteurs que j’ai énumérés plus haut. Dans le cadre de
l’autoproduction, la perspective de bénéficier soi-même du bien produit
doit suffire à motiver la dépense de travail. Dans le cadre de la
production pour autrui, le travail et l’assistance peuvent à nouveau être
motivés par l’altruisme, le désir de reconnaissance et d’intégration
sociale, la volonté d’apprendre ou la perspective d’un échange
permettant l’obtention d’autres biens et services, y compris la monnaie si
celle-ci est utilisée en plus de l’ÉSU. Cette « monnaie » peut d’ailleurs à
nouveau être un instrument de type « SEL » basé sur l’échange des
heures de travail38. Comme je l’ai déjà indiqué, il me semble dangereux
de permettre le paiement en ÉSU du travail et de l’assistance, en dehors
de tout lien avec les capacités écologiques réellement engagées.
L’ÉSU peut donc se concilier avec des modalités très différentes de
production, de répartition et de propriété des biens et des services. Ces
diverses modalités peuvent évidemment cohabiter : l’autoproduction sur
des parcelles individuelles, familiales ou collectives, peut se concilier
avec une production industrielle de masse qui sollicite quelques heures
par mois les individus d’un ou de plusieurs territoires pour être constituée
et mise à disposition ou distribuée.
38
Je me méfie cependant de toute « valorisation » systématique du travail humain,
valorisation qui peut aboutir à de regrettables dérives. Pour moi le travail est une
extension de la personne humaine qui doit rester fondamentalement inappropriable
tout en demeurant un critère d’appropriation (c’est-à-dire que je dois pouvoir
revendiquer la propriété de l’objet que j’ai fabriqué – dès lors que je n’ai pas
accaparé injustement des ressources pour le faire). Le travail peut être librement
consenti ou requis dans le cadre de l’accord passé entre l’individu et sa
communauté, mais il ne doit être « échangé » entre individus que ponctuellement.
Pour le dire plus simplement, je pense qu’un individu ne devrait pas pouvoir
systématiquement s’approprier le fruit du travail d’un autre individu comme c’est
malheureusement le cas dans le cadre du salariat.
79
Figure 10 : possibilités diverses d’organisation de la production et de la consommation
Comme j’ai commencé à le suggérer, l’institution de l’ÉSU peut se
concilier (ou non !) avec l’usage de la monnaie traditionnelle ou avec
l’usage d’une monnaie alternative. Sur un plan théorique, je dénombre
au moins quatre façons d’envisager les rapports de l’ÉSU avec la
monnaie :
L'ÉSU peut être utilisé « en plus » de la monnaie. Dans ce cas,
chaque transaction marchande donne lieu comme auparavant à un
échange de monnaie et, en fonction de son incidence écologique,
elle provoque éventuellement une opération – le plus souvent un
débit – sur un ou plusieurs comptes écologiques individuels et
territoriaux. La monnaie classique valide comme auparavant les
échanges de biens et de services entre les êtres humains, mais les
possibilités d’appropriations et de sollicitation des ressources qui en
découlent, sont limitées par la comptabilité en ÉSU et ne peuvent
plus contredire les intérêts écologiques. L'ÉSU n'est pas utilisé pour
médiatiser des échanges qui n'ont pas d'incidence sur l'utilisation
des capacités bio-régénératrices, ce qui semble conduire, par
exemple, à abandonner la mise en œuvre délicate du transfert

80
d’ÉSU entre comptes individuels dans le cadre d’un « marché des
biens dl’occasion ».
La monnaie peut être utilisée pour faciliter les échanges de biens
et de services qui ne sont pas pris en compte par l’ÉSU parce qu’ils
n’engagent pas de capacités bio-régénératives. Elle peut
notamment permettre de rémunérer le travail d’autrui. L’ÉSU suffit
alors à valider un grand nombre de transactions dont la monnaie est
exclue. La monnaie qui « supplée » l’ÉSU peut prendre la forme
d’une monnaie « alternative », basée, par exemple, sur la
comptabilisation des heures de travail.

L’ÉSU « remplace » complètement la monnaie en assumant les
fonctions monétaires qui, initialement, devaient lui échapper. Des
transferts d’ÉSU entre comptes individuels interviennent en dehors
de tout engagement de capacités bio-régénératives. Il devient
possible de faire des dons en ÉSU, de rémunérer des travaux de
particulier à particulier en ÉSU, d'« acheter » un bien en ÉSU, non
seulement pour prendre en charge son empreinte écologique, mais
également pour rémunérer le vendeur. Le volume mondial d'ÉSU
reste malgré tout limité et il diminue chaque fois que les capacités
bio-régénératives sont réellement sollicitées, par les débits
enregistrés sur les comptes territoriaux. Dans ces conditions, les
productions et les échanges humains ne peuvent pas conduire à
dépasser la capacité écologique globale. Mais de grandes disparités
peuvent exister sur les comptes écologiques individuels, à moins
que ne soit défini un montant maximum, et un montant minimum
d’ÉSU qu'un individu ne pourrait pas céder et qu'il devrait
obligatoirement employer afin de solliciter des capacités
écologiques pour son propre compte.

Enfin, l'ÉSU peut remplacer complètement la monnaie sans
toutefois assumer l'ensemble des fonctions monétaires actuelles si
l’on considère qu'une part au moins de ces fonctions est inutile voire

81
nuisible dans le cadre des nouveaux rapports sociaux suscités par
l'instauration de l'ÉSU.
Je reprendrai la discussion sur les avantages et les inconvénients de ces
diverses possibilités dans la quatrième partie qui approfondi la réflexion
sur le rôle de la monnaie et sur les points communs et les différences
que l’ÉSU entretient avec elle.
Auparavant, je terminerai cette deuxième partie en récapitulant
quelques-uns des prérequis à l’institution de l’ÉSU, tels qu’ils semblent
apparaitre au vu de mes premiers développements, avant d’évoquer
dans une troisième partie l’utilisation possible, non pas d’un équivalent
surface universel, mais d’un équivalent universel libellé en énergie.
2.5. Prérequis à la mise en place de l'ÉSU
Quelles sont les conditions les plus générales de mise en œuvre du
système que je viens de décrire ?
L’institution de l’ÉSU nécessite inévitablement une redistribution
des ressources au niveau mondial et notamment un partage des
terres. Au-delà des ressources, les différents systèmes de
production et de distribution compatibles avec l’ÉSU impliquent
sans doute une réappropriation collective des moyens de
production, le partage de certains biens, outils et équipements déjà
constitués et une diffusion généralisée des connaissances.
La mise en œuvre de l’ÉSU requière la définition
« d’entités territoriales » démocratiquement organisées, qui ne se
superposent pas obligatoirement aux actuelles entités politiques
supranationales, nationales ou infranationales et l’organisation de
leur collaboration et éventuellement de leur représentation à un
niveau planétaire.
Elle impose que des normes écologiques soient acceptées au
niveau planétaire et déclinées aux niveaux des nouveaux territoires
constitués. Une méthode d’évaluation des capacités bio82
régénératrices doit être unanimement acceptée et mise en œuvre.
Le coût écologique des diverses productions, des divers procédés
et techniques doit être déterminé de manière non contestable.
L’utilisation de l’ÉSU nécessite encore la gestion impartiale et
fiable de comptes individuels et de comptes territoriaux. Elle
requiert la compréhension et l’acceptation de la population
mondiale qui doit nécessairement se soumettre dans ce cadre à un
certain nombre de procédés déclaratifs.
Certaines questions pratiques demeurent en suspens, par exemple :
Comment et par qui sont gérés les comptes écologiques ?
Comment et par qui sont déterminés les capacités biorégénératives des différents territoires et les coûts en ÉSU des
diverses activités et occupations humaines ?
Comment est organisée la représentation des divers territoires ?
Etc.
Sur un plan plus théorique, on peut se demander si l’ÉSU doit être utilisé
en plus ou à la place de la monnaie. C’est pour mieux circonscrire cette
dernière question que je m’interrogerai plus longuement sur le rôle de la
monnaie dans la quatrième partie. La cinquième partie me permettra de
revenir sur tous les prérequis que je viens d’esquisser afin d’évoquer les
possibles conséquences d’une introduction de l’ÉSU.
Mais auparavant je vais tenter d’analyser le sens du possible passage
de l’ÉSU à l’Équivalent Universel Énergie.
83
84
3. L’Équivalent Universel Énergie (ÉUÉ)
J’ai énuméré quelques principes de fonctionnements de l’ÉSU, je vais
maintenant indiquer comment les capacités écologiques inscrites sur les
comptes individuels et territoriaux peuvent être comptabilisées non pas
en surface mais en énergie et quel est le sens de cette conversion.
L'ÉSU, tel que je l'ai décrit, se présente comme une unité de compte
« universelle » qui a vocation à « comptabiliser » toutes les activités
humaines dès lors qu'elles ont une incidence écologique. Est-il possible
d'envisager une unité de compte équivalente, qui serait libellée, non pas
en surface, mais en énergie et quels en seraient les avantages et les
inconvénients ?
3.1. Considérations générales sur l’énergie, l’entropie et la
« dépense » énergétique
L'idée de comptabiliser en énergie les sollicitations humaines sur
l'environnement découle de la convergence qui s'est manifestée au
cours du 20ième siècle entre les sciences physiques et la biologie. Les
principes de la thermodynamique définis au 19ième siècle, établissent
notamment l’irréversibilité des phénomènes physiques et l’accroissement
de la fonction d’état entropie, qui implique la diminution inéluctable de la
quantité d’énergie utilisable dans un système clôt. Au 20ième siècle, on
s’est interrogé sur la manière dont les organismes vivants obéissaient à
ces principes. La question a par exemple été abordée par le physicien
Erwin Schrödinger dans son livre Qu’est-ce que la vie paru en 1948,
qui introduit la notion de « néguentropie », pour expliquer l’étonnante
capacité des êtres vivants à échapper à la désorganisation qui gouverne
les systèmes physiques d’après les lois de la thermodynamique.
L'entretien de la vie, la possibilité pour les cellules et les organismes
vivants de maintenir leurs formes complexes, de se nourrir, de se
développer, de se reproduire, de se déplacer, de modifier à leur avantage
leur environnement et, dans le cas de l'être humain, la possibilité de
85
mettre en œuvre des activités de transports, de construction, de
transformations diverses, requièrent l'utilisation de l'énergie. L'énergie
permet de produire le mouvement et la chaleur que toutes ces activités
réclament. La chaleur elle-même peut être considérée comme une forme
de mouvement, plus exactement comme la somme de l'énergie cinétique
des composants microscopiques d'un corps.
Du point de vue des sciences physiques, l'énergie est une quantité qui
demeure toujours constante. Elle ne peut être ni créée ni détruite mais
uniquement transformée d'une forme en une autre ou être échangée
d'un système à un autre. Il n'en va pas de même de l'énergie utilisable
qui tend à diminuer dans un système clos. Cette énergie « utilisable »
est celle qui permet de réaliser un travail quelconque, c'est-à-dire
d'engager un grand nombre d'éléments dans une action ordonnée.
L'énergie utilisable se dissipe sous forme de chaleur diffuse. L'entropie
est la grandeur physique qui mesure cette dissipation. D'après le
deuxième principe de la thermodynamique, l'entropie ne peut
qu'augmenter dans un système clos. L'énergie s'y « dégrade »
inexorablement, passant de formes concentrées à des formes diffuses
de moins en moins « utilisables ». Plus l'entropie d'un système est
élevée, moins ses éléments sont ordonnées, moins ils sont capables de
produire des effets mécaniques. L'augmentation de l'entropie peut être
interprétée comme une augmentation du désordre d'un système, mais
elle se traduit aussi, et paradoxalement, par une homogénéisation de sa
température (pour accomplir un travail il faut en effet disposer d’une
différence de température ou d’une différence de potentiel).
L’augmentation de l’entropie s'accompagne du passage de formes
complexes et organisées, engagées dans des mouvements
coordonnées, vers une dispersion généralisée.
L'entropie peut cependant diminuer localement, en cas d'apport extérieur
d'énergie. Dans ce cas, la diminution d'entropie du système non isolé
est possible, si l’augmentation de l’entropie du milieu extérieur fait plus
que compenser la diminution d’entropie de ce système.
86
Les organismes vivants n'échappent pas à cette contrainte. Pour
compenser l'entropie qui menace leur structure interne, ils
« consomment », « utilisent » ou plutôt « dégradent » l'énergie présente
dans leur environnement et augmentent ainsi l'entropie du milieu
extérieur. A l’échelle planétaire, cette augmentation de l'entropie est
compensée par l'apport énergétique de la lumière du soleil qui contribue
à entretenir les formes complexes dégradées par les êtres vivants.
Si la « dépense », ou plus exactement la dégradation d’énergie
occasionnée par l’activité des organismes vivants, et au sein de ces
organismes vivants, par l’activité humaine, est trop importante, elle peut
ne plus être compensée par l’apport d’énergie solaire. Il s’ensuit alors
théoriquement une augmentation du « désordre », c’est-à-dire une
destruction non compensée des « formes complexes » qui a toute les
chances de déboucher sur une extinction généralisée des espèces39.
Intuitivement, on peut donc avancer que la « dépense énergétique » des
êtres vivants et au sein de ces êtres vivants, la dépense énergétique
humaine, ne doit pas dépasser une certaine limite. Sinon, elle ne permet
pas de préserver l'hétérogénéité du milieu terrestre car l'entropie qu'elle
génère n'est plus compensée40.
39
A noter que paradoxalement, dans un sens différent, « l’entropie », ou plus exactement,
« l'indice de Shannon » permet de mesurer la biodiversité en quantifiant l'hétérogénéité
d’un milieu. Mais il s’agit alors d’une fonction mathématique utilisée dans la théorie de
l’information pour mesurer la quantité d’information moyenne d’un ensemble
d’événements. Cette fonction montre une ressemblance formelle avec la formule de
Boltzmann-Gibbs qui définit l’entropie en thermodynamique statistique tout en étant de
signe inverse. L’augmentation de l’entropie « thermodynamique » a toute les chances
d’altérer la biodiversité et donc de faire diminuer « l’indice de Shannon » c’est-à-dire
l'entropie « informationnelle ». A l’extrême, si la température était totalement homogène
sur toute la surface de la terre, il n’y aurait plus aucune espèce vivante, et donc la plus
faible hétérogénéité possible du milieu, une entropie thermodynamique maximale et une
entropie « informationnelle » la plus faible possible.
40
Une autre manière d’aborder la question du maximum de dépense énergétique
tolérable est de considérer que l’énergie mesure la capacité à modifier un état. En
définissant, si possible démocratiquement, une quantité maximale d’énergie utilisable, les
87
On peut alors tenter de chiffrer dans une unité appropriée, joule, calorie,
kilowattheure ou tonne équivalent pétrole41 cette quantité maximale
d'énergie utilisable sur une année à l'échelle planétaire, dans une
démarche comparable à celle qui nous a conduit à fixer une limite
d' « hectares globaux » utilisables dans le cadre de l'ÉSU. Il devient
alors théoriquement possible de proposer une répartition équitable de
cette quantité d’énergie utilisable entre les êtres humains, tout en
calculant le coût énergétique des diverses activités humaines. La
difficulté est alors de déterminer la « quantité limite » d’énergie utilisable,
notion plus difficile à appréhender que la quantité maximale d’hectares
globaux qui renvoie plus ou moins directement à une surface terrestre
réellement existante et précisément mesurable.
êtres humains établiraient une limite à la transformation de leur environnement. Cette
limite peut permettre de prévenir la dégradation entropique des milieux et les
transformations irréversibles qui en résultent, afin de ne pas imposer des conditions
d’existence dégradées aux générations futures. Mais elle peut également résulter d’un
choix de préservation des habitats qui dépasse cette seule préoccupation « entropique »
et qui peut engager des considérations culturelles, historiques et sociales, pour favoriser la
préservation du tracé de telle rivière, l’aspect de telle lande, le peuplement de telle forêt,
etc.
41
Le Joule est l'énergie qui permet de soulever 1 kilogramme d'un mètre. La calorie
vaut 4 joules et elle permet d'élever 1 gramme d'eau de 1 degré. 1000 calories font
une « grande calorie ». Il faut environ 2 500 de ces « grandes calories », ou
kilocalories (Kcal) pour obtenir la ration alimentaire permettant à un être humain adulte
d'entretenir le bon fonctionnement de son organisme. Le Watt n'est pas une unité
d'énergie mais une unité de puissance c'est-à-dire de dépense d'énergie sur un temps
donné. 1 Watt vaut une joule par seconde. Par contre le kilowatt-heure (KWh) est bien
une unité d'énergie qui correspond à la quantité d'énergie consommée par un appareil
de 1 000 watts pendant une heure, soit 3 600 000 joules ou encore 900 Kilocalories
(ce qui correspond encore environ à l'énergie nécessaire pour faire 1,5 km en voiture à
essence, ou 150 km en vélo). Une tonne équivalent pétrole (tep) vaut 11 630 KWh soit
10 millions de Kcal. La consommation annuelle moyenne d'un terrien humain est de
1,4 tep ou 16 000 KWh. La consommation moyenne d'un américain est de 8 tep. La
consommation annuelle mondiale est d'environ 10 milliards de tep.
88
3.2. L’énergie comme « monnaie » universelle
Si l’on écarte cette difficulté, l’énergie utilisable paraît au premier abord,
plus encore que la surface, la candidate idéale au titre d'unité de compte
universelle. Toutes les activités humaines et tous les besoins humains
semblent plus aisément convertibles en énergie qu'en surface. Une
ration alimentaire journalière correspond à une certaine quantité
d'énergie (2500 Kcal), le chauffage annuel d'un logement va par
exemple nécessiter 10 000 KWh (soit 9 millions de Kcal), un voyage de
500 km en voiture à essence correspond à plusieurs centaines de KWh
(donc plusieurs centaines de milliers de Kcal), comme la consommation
annuelle d'un réfrigérateur, l’« énergie grise » correspondant à la
construction d’une maison contemporaine « standard » peut représenter
plusieurs centaines de milliers de KWh...
L'idée de faire de l'énergie une « monnaie » universelle a donc
logiquement déjà été émise, notamment par le biologiste Joël de
Rosnay, dans son livre Le Macrocosme, paru en 1975. Ainsi page 165 :
L'économie dans son interprétation classique se définit par la répartition
de la rareté. Or la ressource ultime dont la rareté conditionne celle de
toutes les autres est l'énergie libre (appelée aussi potentiel
thermodynamique). L'économie des systèmes biologiques et
écologiques est totalement organisée autour de la « reconnaissance »
de la valeur de ce bien ultime. Cette économie se ramène donc à la
gestion d'un patrimoine énergétique et à la judicieuse utilisation de
l'information pour « organiser » l'énergie en produits directement
assimilables par la cellule, l'organisme ou les différentes espèces de
l'écosystème.
Ne devrait-on pas élargir et enrichir l'acte économique traditionnel par le
biais de liaison féconde entre énergie et information ? Dans l'optique
nouvelle de l'éco-énergétique, l'économie deviendrait alors la gestion et
la répartition équitable d'un stock et d'un flux d'énergie, couplés à
89
l'« information » (c'est-à-dire la mise en forme) de cette énergie en
produits et en services utiles à la société.
Une approche systémique des processus reliant l'économie à l'écologie
doit donc chercher à dépasser la notion, désormais étriquée de « valeur
monétaire », et la compléter par la notion de « coût énergétique »,
exprimé en une unité énergétique universelle. Cette unité pourrait être la
kilocalorie.
Plus loin, dans un paragraphe intitulé « Une monnaie universelle : la
kilocalorie », Joël De Rosnay ajoute :
Une des clefs de l’éco-énergie repose sur la détermination de la valeur
économique de la Kilocalorie. Peut-on calculer un facteur de conversion
reliant valeur monétaire et coût énergétique ? Même un ordre de
grandeur serait déjà très significatif. On peut partir, par exemple, des
courbes établissant la relation entre le produit national brut et la
consommation d’énergie par habitant, et en tirer une première
approximation de la valeur en dollars de la kilocalorie suivant les
économies.
On remarquera, à la lecture de ces extraits, l'extraordinaire timidité de
Joël De Rosnay, qui après avoir affirmé que l'énergie était la source de
toute « valeur » et avoir « inventé » la monnaie énergétique, atténue la
portée de son propos – le coût énergétique ne fait que « compléter » la
valeur monétaire – puis se ravise complètement : il s'agit simplement de
donner une valeur monétaire (en dollars !) à la kilocalorie ou au
kilowattheure. Stupéfiante réticence à considérer ce qu’il a pourtant luimême nommé42 ! De Ronay ne voulait finalement que monétiser
42
Le livre de De Rosnay regorge d'autres incohérences et de réjouissantes extravagances qui abondent simplement parce que l'auteur fait une utilisation complètement
acritique de notions telles que l'« entreprise » ou le « marché du travail », qu'il considère
comme des données « naturelles », au même titre que les constituants d'une cellule
vivante. Et c'est également parce qu'il considère « l'économie » contemporaine comme
une donnée « naturelle » que De Rosnay se montre incapable de comprendre ce qu'il
90
l’énergie avec la vieille monnaie, mais il n'envisageait pas sérieusement
de faire de l'énergie la « monnaie universelle » vantée dans son titre, qui
pourrait rendre le dollar ou toute autre monnaie superflue… Ou non ! Car
il faut auparavant s’interroger sur le rôle de la monnaie et sur ce que l’on
entend par « valeur » (Le sens que De Rosnay donne au mot « valeur »
n’est par exemple pas le même dans le premier et dans le second
extrait), ce à quoi je m’attacherai dans la quatrième partie.
Pourtant, même si Joël de Rosnay avait fait un pas supplémentaire et
avait véritablement proposé un Équivalent Universel Énergie, il n'aurait
encore
rien
dit
de
ce
qu'implique
la
bonne
« gestion »
du
« patrimoine énergétique » et l’utilisation raisonnée de « l'énergie libre »
cette « ressource ultime » dont « la rareté conditionne la rareté de toutes
les autres » et qui, parce qu'elle est rare, doit être « répartie ».
Le soucis de sauvegarde du « patrimoine énergétique », aurait d'ailleurs
dû inciter De Rosnay à souligner que « l’énergie libre », supposément
utilisable pour un travail quelconque, est en fait l’énergie utilisable
d’année en année sans outrepasser le renouvellement des ressources
énergétiques permis par l’apport d’énergie solaire. Mais même ainsi
amendée,
l’approche
de
De
Rosnay
resterait
résolument
« productiviste ». Il ne s'agit pas pour De Rosnay de « préserver » quoi
que ce soit, mais plutôt de faire « tourner » des « systèmes » – qui pour
lui peuvent être aussi bien des organismes vivants que des entreprises
ou des sociétés – au maximum de leur efficacité. Puisqu’il « oublie » de
considérer la préservation des ressources énergétique, il ne donc faut
pas s’étonner que De Rosnay ne mentionne pas non plus la préservation
décrit pourtant. De Rosnay me fait songer à un Darwin de conviction créationniste, qui
après avoir prouvé que l'être humain descend du singe, maintiendrait tout de même Adam
et Eve à l'origine de la famille humaine, parce que la religion judéo-chrétienne constitue
son indépassable cadre de pensée. En l’occurrence, la religion à laquelle sacrifie De
Rosnay et qui réunit sur la terre le plus grand nombre d’adeptes se nomme l’économisme.
91
des habitats, de la biodiversité, ou plus globalement, la préservation
d’une « capacité à choisir » pour les générations futures.
Il est cependant possible de dépasser cette logique productiviste, pour
aboutir à une logique de préservation qui seule est compatible avec les
exigences du contrat éthique qui devrait lier les individus libres de la
société humaine.
3.3. Les différentes formes d’énergie utilisable
Pour y parvenir, il faut commencer par évaluer la quantité maximale
d’énergie qui peut être utilisée d’année en année tout en préservant les
capacités bio-régénératives de la planète et des divers habitats. Cette
quantité ne peut être directement déduite de la quantité – énorme à
l’échelle humaine – d’énergie solaire qui atteint la surface terrestre. En
une heure, ce sont environ 600 milliards de milliards de joules, 170 mille
milliards de kilowattheures ou 15 milliards de tonnes équivalent pétrole
qui atteignent la terre sous la forme d’énergie solaire, soit davantage que
la consommation énergétique annuelle de la population humaine,
évaluée à plus de 10 milliards de tonnes équivalent pétrole. Sur un an,
l’énergie solaire qui atteint la terre est environ 10 000 fois supérieure à la
consommation énergétique humaine mondiale. Mais cette énergie n'est
pas directement utilisable pour les activités humaines. Elle va plutôt
entretenir les habitats et les écosystèmes43 qui fourniront indirectement
le théâtre et les ressources indispensables à ces activités.
Du point de vue humain, c’est par l’intermédiaire de la surface qui la
recueille que l’énergie solaire est utilisable, directement ou
indirectement.
43
L’énergie solaire alimente les grandes cycles écologiques qui tous ne sont pas encore
parfaitement compris. Par exemple les connaissances actuelles sur le cycle du carbone
dans les océans ne permettent pas de déterminer précisément la capacité de l’eau de
mer à absorber le CO2 et les conséquences qui peuvent en résulter sur l’acidification des
océans.
92
- Soit parce que la surface peut être recouverte de dispositif de type
panneaux solaires, thermiques ou photovoltaïques, qui vont
produire de la chaleur ou de l’électricité directement à partir des
rayons lumineux.
- Soit parce que cette surface, sous l’effet de la lumière solaire, est
le support de la croissance d’organismes autotrophes, qui
produisent de la matière vivante à partir de la matière inorganique,
au premier rang desquels se placent les végétaux. Ces végétaux
constituent sous forme d’aliments la réserve d’énergie assimilable
par les animaux (directement ou indirectement selon qu’il s’agit
d’herbivores ou de carnivores) ou peuvent être utilisés en tant que
« bio-masse »44 pour répondre aux besoins énergétiques humains.
La surface a également fourni la base de subsistance des êtres
vivants morts depuis des millions d’années qui se sont transformés
en combustible fossile présent dans le sous-sol. Il n’y a pas de
différence fondamentale entre la surface terrestre et la surface des
océans, puisque c’est également l’énergie solaire qui alimente la
croissance du phytoplancton à la base de la chaîne alimentaire
aquatique.
L’énergie solaire peut encore être utilisée par l’intermédiaire des
courants créés dans l’atmosphère qu’elle a réchauffée et qui, ajoutés au
mouvement de rotation de la planète, donnent naissance aux différents
vents. Mais les dispositifs qui permettent cette utilisation – éoliennes,
moulins à vents – doivent être « ancrés » dans le sol et occupent
également de la surface.
44
Si l’on retient la définition fournie par Wikipédia, « le terme de biomasse désigne
l'ensemble des matières organiques d'origine végétale (algues incluses), animale ou
fongique pouvant devenir source d'énergie par combustion (par exemple le bois), après
méthanisation (biogaz) ou après de nouvelles transformations chimiques
(agrocarburant). »
93
L'énergie hydraulique – quand elle n'est pas d'origine marémotrice – est
également dérivée de l'énergie solaire qui alimente le cycle de l'eau. Il
est moins évident de rapporter l'énergie fournie par un barrage
hydroélectrique à une surface donnée, mais cette conversion est
toujours envisageable.
En dehors de l’énergie solaire, on doit également compter l’énergie
géothermique et l’énergie marémotrice comme sources d’énergie
utilisables. Le potentiel de ces deux énergies est beaucoup moins
important que celui de l’énergie solaire et toutes deux peuvent, plus ou
moins artificiellement, être rapportées à la surface.
- L’énergie
géothermique
est
produite
par
les
phénomènes
thermiques internes au globe terrestre. Elle doit également être
exploitée à partir de la surface et fournit, si on la rapporte à chaque
m2, une quantité d’énergie plusieurs milliers de fois inférieure à
l’énergie solaire (de l’ordre de 0,5 KWh par m2 et par an).
- L’énergie marémotrice enfin, résulte du mouvement des marées
créé par les forces de gravitation de la Lune et du Soleil. Sur un
an, elle est évaluée à 20 mille milliards de KWh, ce qui représente
1/5ième de la consommation énergétique mondiale, chiffre assez
théorique, car ce potentiel est difficilement exploitable. Même si
l’énergie marémotrice n’est pas directement liée à une surface, il
est possible de la rapporter artificiellement à l’étendue des océans.
Par m2 de surface océane, elle s’élèverait alors à 0,06 KWh par an,
ce qui est environ inférieur de 10 fois à l’énergie géothermique.
L’énergie solaire est donc bien directement ou indirectement la première
source d’énergie utilisable. Comme la plupart des autres sources
d’énergie renouvelable, il semble opportun de la rapporter à la surface
terrestre puisque la quantité d’énergie délivrée par le rayonnement
solaire augmente en fonction de la surface exposée. La surface du globe
étant limitée, les différents types d’étendues rentrent nécessairement en
94
concurrence quant à leur utilisation. La surface utilisée pour capter
directement l’énergie solaire par des panneaux solaires thermiques ou
photovoltaïques n’est par exemple plus disponible pour l’agriculture – qui
fournit également de l’énergie utilisable sous forme de biomasse ou
d’aliments dotés d’un certain pouvoir calorifique – et plus généralement,
elle n’est plus disponible pour supporter les écosystèmes à l’origine de
l’entretien et du développement de la vie.
3.4. La quantité maximale d’énergie utilisable doit résulter
de choix politiques compatibles avec une éthique générale
de préservation des habitats
Au-delà même du souci de préservation des habitats et d’entretien des
écosystèmes, le fait de chercher, dans une logique productiviste, à
recueillir le maximum d’énergie utilisable pour les activités humaines sur
un territoire donné, ne peut être considéré comme une fin en soi. Car
certaines activités « vitales » comme la production de nourriture ne sont
pas les plus « rentables » du point de vue énergétique.
Imaginons par exemple que l’on envisage de capter plus directement et
plus systématiquement l’énergie solaire pour la convertir en électricité,
qui reste la forme d’énergie la plus facilement utilisable pour les activités
humaines. Ce projet peut être mise en œuvre par le déploiement d’un
parc toujours plus important de panneaux photovoltaïques, progressivement mis en œuvre pour ne pas entamer le patrimoine énergétique
existant. La confection d’un panneau photovoltaïque requiert en effet de
l’énergie, estimée à environ 300 KWh45 par m2. Un panneau d’1 m2
fournit lui-même environ 100 KWh d’énergie électrique46 par an. Il n’est
45
Selon la méthodologie et les estimations fournies sur Photovoltaique.info, un site de
ressources documentaires dédiées au photovoltaïque..
46
Ce chiffre très approximatif dépend évidemment des conditions locales
d’ensoleillement. A l’échelle planétaire, il est difficile d’évaluer le rendement moyen d’un
panneau solaire. Sans doute serait-il supérieur à 100 Kw/h par m2, valeur qui correspond
plutôt à un pays tempéré comme la France, la valeur moyenne à l’échelle planétaire serait
plutôt comprise entre 150 et 200 Kw/h par m2. Le chiffre 100 a surtout été choisi pour
95
donc « rentable » énergétiquement qu’au bout de trois ans. Si l’on
installe 1 Km2 de panneaux photovoltaïques, l’énergie qu’ils ont permis
de capter au bout de 6 ans « rembourse » le coût énergétique de leur
fabrication et permet théoriquement d’ériger un autre Km2 de panneaux
photovoltaïques. 3 ans plus tard, ces deux Km2 de panneaux photovoltaïques, permettent théoriquement de compenser le coût énergétique
de la confection de 2 nouveau Km2 de panneaux photovoltaïques. 70
ans plus tard, on peut envisager de recouvrir toutes les terres émergées
de panneaux photovoltaïques47. Ils fourniraient alors près de 15 millions
de milliards de KWh, plus de 100 milliards de tonnes équivalent pétrole,
soit plus de 100 fois la consommation énergétique mondiale actuelle,
mais 100 fois moins que la quantité réelle d’énergie qui nous parvient du
soleil. Cette folle multiplication de panneaux photovoltaïques signerait
également la fin de l’espèce humaine et de la plupart des autres espèces
terriennes, puisque plus aucun espace ne serait disponible pour subvenir
aux besoins des créatures terrestres. Cet invraisemblable scénario
montre les conséquences absurdes d’une logique productiviste qui
considèrerait la mise à disposition de l’énergie comme une fin en soi,
sans prendre en compte la préservation des habitats et les aspirations
des diverses communautés humaines48.
faciliter les calculs qui suivent. A noter que le « rendement » d’un panneau solaire
thermique, c’est-à-dire ne fournissant pas de l’électricité mais de la chaleur, est environ 10
fois plus important. 1 m2 de panneau thermique fournit ainsi environ 1 000 KWh sur un an
dans un pays comme la France. L’énergie thermique est cependant plus difficilement
utilisable et en tout cas moins facilement « transportable » que l’énergie électrique.
47
Je néglige, dans ce scénario très invraisemblable, le remplacement et le retraitement
des panneaux qui seront usagés au bout de quelques décennies. Mais si la période est
encore rallongée, on peut penser que le remplacement des anciens panneaux sera
également énergétiquement compensé.
48
Et certes, la volonté d’augmenter la capacité énergétique d’un territoire, peut facilement
conduire à détruire sa diversité ou sa spécificité. Par exemple le projet d'une scierie de
cogénération à bois dans le Morvan, tout en causant un désastre écologique, aurait peutêtre, sur un terme plus ou moins long, augmenté la capacité énergétique du territoire… de
la même façon que son recouvrement complet par des panneaux photovoltaïques !
96
Quelle est donc la quantité maximale d’énergie utilisable compatible
avec la préservation des habitats et avec le respect des aspirations
humaines ?
Pour la déterminer, il faut d’abord disposer de connaissances fiables et
aussi précises que possibles sur les caractéristiques des différents
écosystèmes, sur leur capacité à supporter les divers types d’exploitation
et de pollution et sur les limites au-delà desquelles les transformations
qu’on leur impose sont irréversibles.
Après avoir établi au niveau planétaire et dans les différents types
d’habitats, des normes écologiques inconditionnellement applicables, il
faudrait ensuite déterminer localement et démocratiquement (c’est-à-dire
en impliquant dans les décisions les populations qui en subiront au
quotidien les conséquences) le degré de préservation souhaité des
divers territoires et les grands choix d’aménagement qui peuvent les
concerner. Ce devrait être la tâche d’une assemblée démocratique
locale de déterminer, par exemple, quelle surface maximale peut être
recouverte par des panneaux solaires ou plantée d’éoliennes, quelle
proportion d’hectares doit être réservée à l’agriculture, au
développement urbain ou forestier. C’est encore cette assemblée qui
devrait, par exemple, arbitrer entre la préservation d’une rivière et de ses
alentours et la construction d’une centrale hydraulique49.
La quantité maximale d’énergie utilisable pour un territoire donnée, va
donc dépendre de la manière dont la collectivité humaine qui y réside
envisage « d’exploiter » son habitat ou, pour mieux dire, de la manière
dont elle envisage tout simplement d’y vivre.
Il faut donc considérer la limite d’énergie utilisable pour les diverses
activités humaines, compatible avec :
49
Si toutefois il est admis que la construction de cette centrale ne cause pas un dommage
irréparable à l’écosystème local, et qu’elle constitue donc un choix « réversible »
d’aménagement du territoire.
97
- la sauvegarde des capacités bio-régénératives et des grands
équilibres écologiques d’un territoire – ce qui garantira que cette
limite sera également compatible avec la capacité à choisir des
générations futures
- avec les décisions de ses habitants concernant les choix
d’aménagement et le degré de préservation de l’habitat.
3.5. Mode de calcul et méthodologie proposée
3.5.1. Du côté de l’offre
Mais comment évaluer cette limite plus précisément ? Comment
quantifier « l'offre énergétique » maximale ?
Sur un territoire autonome politiquement, d’une superficie par exemple
égale à 10 000 km2, on peut commencer par recenser les dispositifs
artificiels humains déjà existants – qui devraient théoriquement être le
reflet des choix démocratiques passés d'aménagement du territoire –
fonctionnant à partir de l'énergie solaire et de ses dérivés, ou des
énergies géothermiques et marémotrices – panneaux solaires, centrales
hydroélectriques, éoliennes ou tout autre dispositif similaire – et chiffrer
la quantité d’énergie qu’ils peuvent fournir annuellement. Ces dispositifs
sont pour la plupart « non polluants ». Ils accaparent cependant de la
surface et réclament eux-mêmes des ressources énergétiques pour être
créés, entretenus et recyclés lorsqu’ils arrivent en fin de vie. Ces
ressources doivent être comptabilisées du côté de la demande d’énergie
et doivent être retranchées de l’offre énergétique « brute » des dispositifs
artificiels de production renouvelable d’énergie utilisable, pour aboutir à
leur offre énergétique « nette ».
L'énergie fournie par de tels dispositifs, quand elle prend notamment la
forme d'un courant électrique, a par ailleurs la particularité de pouvoir
être facilement distribuée et éventuellement stockée. La possible
distribution de l'énergie est un élément important à prendre en
considération pour évaluer la quantité d'énergie réellement utilisable sur
un territoire donné. Quant au stockage d'énergie, il peut prendre de
98
multiples formes et permet ponctuellement d'obtenir un surcroit d'énergie
utilisable. Des réserves d'énergie électrique peuvent ainsi avoir été
accumulées sous formes de batteries ou de piles à combustibles. Mais si
elles sont utilisées, elles devront nécessairement être rechargées par un
apport d’énergie qui ne sera plus disponibles pour d'autres activités
humaines. A noter que les combustibles fossiles comme le pétrole ou le
charbon, doivent également être considérés comme des stocks d'énergie
utilisable constitués au cours des millénaires à partir de l'action de
l'énergie solaire sur les écosystèmes. Ce type de stock n'est cependant
pas issu des dispositifs humains, mais a été constitué à partir de
l'énergie « naturellement » mise à disposition par la biosphère.
Après avoir recensé les dispositifs humains « producteurs » d'énergie, il
faut en effet évaluer la quantité d’énergie susceptible d’être directement
fournie par les écosystèmes alimentés en énergie solaire. Pour y
parvenir, on peut considérer la valeur énergétique de la biomasse
utilisable – bois de chauffage, déchets végétaux etc. – dans les espaces
forestiers et les terres agricoles. Pour ces dernières, il serait
théoriquement possible de comptabiliser la valeur calorifique des aliments
produits, éventuellement augmentée de la valeur de la biomasse agricole
non réutilisée pour le compostage. Ces deux méthodes fournissent
d'ailleurs probablement des résultats comparables50.
Contrairement aux dispositifs artificiels évoqués plus haut, l'énergie
fournie par la biomasse, utilisable par combustion, méthanisation ou
transformations diverses – biocarburants ou même nourriture –,
s'accompagne de la production de déchets – et notamment d'émission
50
La valeur énergétique des surfaces agricoles pourrait être différemment évaluée en
fonction de la destination de ce qui y est cultivé, nourriture ou biocarburant par exemple.
Mais les résultats finaux seraient sans doute assez proches malgré les différentes
méthodes. Ainsi, selon les rendements moyens français, un hectare de blé fournirait
pratiquement 30 000 KWh en tant que « biomasse », et environ 20 000 KWh ou 18
millions de Kcal en tant qu’ « aliment » si l’on prenait en compte la valeur « nutritionnelle »
de la céréale produite et transformée. Mais il faudrait y rajouter la valeur énergétique de la
paille produite, ce qui conduirait certainement à un chiffre proche des 30 000 KWh.
99
de CO2 – qui doivent être recyclés. Les ressources nécessaires pour
permettre ce recyclage devront être prises en compte du côté de la
« demande » d'énergie lorsque la biomasse sera concrètement utilisée.
Par exemple, les 50 000 Km parcourus en automobile nécessitent
environ 30 000 KWh sous forme de biocarburant (davantage même, car
il faut y rajouter la « dépense énergétique » utilisée pour cultiver et
récolter ces biocarburants – intrants et énergie nécessaire pour faire
fonctionner les engins agricoles), soit l'équivalent d'un hectare de terre
cultivée, mais ils vont également rejeter près de 8 tonnes de CO2 dans
l'atmosphère, qui pourraient théoriquement être absorbés par 4 hectares
de forêts en croissance. Pour obtenir en KWh le coût réel des 50 000 Km
parcouru, il faudrait donc convertir en énergie les hectares de forêt en
croissance et les ajouter au 30 000 KWh. Si l'on revient du côté de
l'offre, les différents types de surfaces doivent donc, selon les cas, être
considérés du point de vue de leur biomasse utilisable, ou du point de
vue de leur capacité à traiter une pollution quelconque et notamment à
recycler des émissions de CO2. En « capturant » le carbone, les forêts
ou le plancton marin, accomplissent un « travail », soutenu par l’apport
d’énergie solaire. Ce travail, indispensable à la préservation des
écosystèmes, s’il n’est pas accompli, ou accompli imparfaitement
comme actuellement, peut théoriquement être compensé par des
procédés « artificiels » de séquestration du carbone qui réclament euxmêmes de l’énergie. Les forêts ou le plancton, permettent de ce point de
vue « d'économiser » l'énergie que réclamerait le dispositif humain qui
les remplacerait. Leur « valeur énergétique » pourrait donc
théoriquement être évaluée sur la base de cette « économie »51.
51
Une autre manière de procéder consisterait à évaluer la surface du territoire nécessaire
au traitement de la pollution ordinairement émise et de la « réserver » à cet usage en ne
comptabilisant pas la valeur de sa biomasse dans l'« offre » énergétique. Du côté de la
« demande », dans le cas d’une activité émettrice de CO2 ou d’un autre polluant, on
pourrait rajouter à la consommation d’énergie effective, le coût énergétique des surfaces
nécessaires à l’absorption de la pollution, fixé d'après la capacité énergétique moyenne
par hectare du territoire considéré. Dans ce cas, plus le territoire a réservé de surface pour
100
D'une manière générale, la « valeur » énergétique des surfaces non
occupées par un dispositif humain de production d'énergie, pourrait être
mesurée, dans un cas en prenant en compte l’apport énergétique
qu’elles peuvent effectivement fournir dans le cadre d'une exploitation
« raisonnée » et reconductible dans le temps, et dans l’autre cas, en
considérant les « services » qu’elles rendent, évalués à la hauteur de
l’énergie qui serait autrement nécessaire pour les accomplir
« artificiellement ».
La biomasse fournit une énergie généralement polluante, mais qui reste
du moins renouvelable. Il n’en va pas de même des combustibles
fossiles présents sur un territoire – charbon, gaz, pétrole etc52. – qui n’en
sont pas moins polluants, mais qui ne sont pas renouvelables. Comme
indiqué plus haut, ces combustibles fossiles doivent être considérés
comme des stocks hérités du passé dont la dilapidation pose un
problème éthique vis à vis des générations futures. Sans même évoquer
les ressources nécessaires pour recycler la pollution émise par leur
utilisation, ils ne devraient donc pas être pris en compte pour évaluer la
capacité énergétique d’un territoire, sauf, exceptionnellement pour
répondre à un besoin vital ne pouvant être autrement satisfait.
Bien d’autres éléments devraient être pris en considération53, et il
conviendrait également de pointer les limites d’une évaluation
l’absorption du carbone, plus la capacité énergétique par hectare est basse et donc plus le
coût énergétique du CO2 émis est bas. Cette méthode semble assez opérationnelle pour
les installations fixes. Pour les véhicules, elle pose un problème pratique, puisque le coût
de recyclage du CO2 émis évoluerait théoriquement fonction des territoires traversés, ce
qui a un sens écologique certain, mais ne facilite pas le calcul !
52
L’uranium n’est pas à proprement parler un combustible fossile puisqu’il n’est pas issu
de la « fossilisation » d’organismes vivants, mais de la désintégration des étoiles. Il n’est
cependant pas renouvelable et son utilisation dans les centrales nucléaire, de par les
dangers démesurés et la pollution irréparable sous forme de déchets radioactifs qu’elle
génère, la rend inacceptable d’un point de vue éthique.
53
Par exemple, il faudrait également prendre en considération les réserves renouvelables
en eau – nappes phréatiques principalement – pour ensuite pouvoir évaluer l’énergie
101
strictement annuelle. Malgré toutes les difficultés méthodologiques et
pratiques d'une telle comptabilisation, je propose d’admettre qu’on
puisse déterminer par une méthode comparable à celle que j’ai
esquissée, la capacité énergétique d'un territoire. Par exemple
10 milliards de Kw/h pour les 10 000 Km2 évoqués plus haut, soit 1kw/h
par m2 sur un an. Le territoire en question disposerait donc d’une offre en
Équivalent Universel Énergie (ÉUÉ) de 10 milliards d’ÉUÉ – si l’on
admet qu’1 ÉUÉ = 1KWh – susceptible d’être affectée à la demande
humaine.
Une fois sommées les capacités énergétiques de tous les territoires (qui
correspondent, je le rappelle, à des quantités limites d’énergie utilisable
compatibles avec des niveaux de préservation et des choix
d’aménagement collectivement déterminés), on obtient une limite
planétaire exprimée dans une unité énergétique unique, par exemple
150 000 milliards de KWh ou 13 milliards de Tep. C’est cette capacité,
cette « offre » énergétique que l’on peut envisager de répartir entre les
êtres humains, selon une méthode similaire à celle détaillée plus haut
pour l’Équivalent Surface Universel. C’est-à-dire que l’on peut fixer un
minimum d’énergie utilisable auquel chaque être humain a droit, et un
maximum qu’un être humain ne peut normalement pas dépenser – en
l’occurrence, si l’on reprend le chiffre de 150 000 milliards de KWh un
peu plus de 21 000 KWh par an pour chacun des 7 milliards de terriens
humains.
3.5.2. Du côté de la demande
Du côté de la demande humaine, il faut alors comptabiliser le « coût »
énergétique des diverses activités humaines augmenté du coût des
ressources nécessaires pour « absorber » ou « réparer » la pollution et
les dégradations diverses provoquées par ces activités et les porter au
débit des comptes individuels et territoriaux libellés en ÉUÉ.
devant être dépensées pour se procurer l’eau lorsque la demande humaine excède les
capacités de ces réserves.
102
Un être humain, de par ses activités, ne doit normalement pas, dans
l’hypothèse considérée, « engager » plus de 20 000 ÉUÉ ou 20 000
KWh sur son compte individuel. Mais qu'est-ce qui donne lieu à un
« paiement » en ÉUÉ et pour quel montant ?
Pour que la démarche soit cohérente, il faut que ce qui est comptabilisé
du côté de la demande soit comparable à ce qui a été comptabilisé du
côté de l’offre.
Toutes les dépenses énergétiques au sens strict ne doivent pas être
comptées du côté de la demande humaine et toutes ne doivent donc pas
conduire à un « paiement » en ÉUÉ. Une dépense énergétique ne doit
être prise en compte qu’en tant qu’elle sollicite une réserve d'énergie
utilisable qui a été préalablement comptabilisée du côté de l’offre
énergétique d’un territoire. A titre d’exemple, tous les gestes que nous
effectuons, les charges que nous portons, les distances que nous
parcourons avec nos moyens corporels, sont bien mesurable en termes
d’énergie dépensée, mais ne doivent pas être comptabilisés – et
heureusement – pour déterminer la limite d’énergie utilisable. Par contre,
les aliments qui fournissent l’énergie dont notre corps à besoin pour se
mouvoir ont accaparé une ressource – en l’occurrence de la surface
agricole – pour être produits. Cette surface n’est plus disponible pour
recueillir l’énergie solaire via différents dispositifs ou pour fournir de la
biomasse utilisable pour un autre usage. De même, le litre de
biocarburant qui a permis à un véhicule automobile de parcourir 10 km a
« accaparé » quelques m2 de surface agricole et éventuellement d’autres
ressources énergétiques pour être cultivé ; il va également nécessiter
plusieurs autres m2 de forêt en croissance pour absorber le CO2 émis. Il
doit donc être « payé » en ÉUÉ à la hauteur de toutes ces réserves
d'énergie sollicitées.
Il ne s’agit donc pas de comptabiliser toutes les dépenses énergétiques
humaines et il ne s'agit pas non plus de comptabiliser seulement certaines
dépenses énergétiques humaines, puisqu’il faut également prendre en
compte les incidences des actes humains sur les habitats en évaluant
103
l'énergie nécessaire pour recycler la pollution qu'ils génèrent. Dans tous
les cas, la dépense énergétique consécutive à un déplacement, à un
changement de température ou à une transformation quelconque n'est
comptabilisée que parce qu'elle sollicite une ressource rare. L'énergie
solaire qui paraît extraordinairement abondante devient elle aussi
relativement rare si elle est rapportée à la surface qui permet de la
recueillir.
La surface « accaparée » dans le cadre du « droit de propriété » doit-elle
donner lieu à un paiement en ÉUÉ comme elle donnait lieu à un paiement
en ÉSU ? On peut le soutenir, car en occupant une surface, le
propriétaire, individuel ou collectif, accapare une ressource énergétique
potentielle, qui sous l'effet du rayonnement solaire peut produire de la
biomasse, de la chaleur ou de l'électricité. Dès lors, les précisions
apportées précédemment à propos de l'ÉSU sont la plupart du temps
transposables pour l'ÉUÉ. Le crédit annuel en ÉUÉ sur les comptes
départementaux et individuels remplace simplement les crédits en ÉSU.
Une part d'une surface privativement accaparée peut comme
précédemment être défalquée du montant en ÉUÉ dû par son propriétaire
au titre de sa capacité à absorber le carbone ou un autre type de pollution
pour le compte de la communauté. Comme il a été expliqué dans le cas
de l'ÉSU, un « propriétaire » ne doit pas payer en ÉUÉ les aliments qu'il
produit à partir d'une parcelle dont il assume déjà le coût énergétique sur
son compte individuel (sauf pour les intrants et pour l'énergie nécessaire
aux travaux agricoles qui ne seraient pas issus de sa parcelle). Si les
aliments sont « vendus », leur prix en ÉUÉ additionné du coût énergétique
de leur transport, doit être assumé par le consommateur final. Les
ressources énergétiques utilisées par l'individu pour se chauffer, pour se
déplacer ou pour tout autre usage, si elles ne proviennent pas de la
surface dont il assume déjà le coût énergétique, doivent être payées en
ÉUÉ. A l'inverse d'une surface dont il faut assumer annuellement le coût
énergétique, les « biens » meubles et « durables » ne sont payés qu'une
seule fois en ÉUÉ afin de compenser l'énergie et les matières premières
utilisées pour les fabriquer. Dans le cas d'un véhicule dont le prix en ÉUÉ
104
a déjà été acquitté, le carburant ou l'énergie électrique qui le font
fonctionner doivent évidemment être payés en ÉUÉ, sauf s'ils proviennent
d'une surface dont le coût en ÉUÉ a déjà été prélevé sur un compte
individuel. Les biens échangés doivent être payés aux différentes étapes
de leurs conceptions et leur coût total en ÉUÉ est assumé par le
consommateur ou le propriétaire final. Ce coût intègre également le coût
énergétique correspondant au recyclage de la pollution engendré par leur
consommation. On peut également envisager que des travaux de
dépollutions permettent de créditer un compte en ÉUÉ, de même que
des aménagements augmentant la capacité énergétique du territoire, etc.
3.6. Les différences entre l’ÉSU et l'ÉUÉ
Puisque le « fonctionnement » de l'ÉUÉ semble si proche de celui de
l'ÉSU, on peut se demander quel est son avantage. Fondamentalement
l'ÉUÉ ne change rien au système précédemment décrit dans le cadre de
l'ÉSU. L'ÉUÉ est lui-même très lié à la notion de surface, puisqu'il conduit
à attribuer un prix moyen en énergie aux différents types de surfaces, de
la même façon que les différents types de surfaces étaient évaluées au
regard d'un hectare bio-régénérateur global dans le cadre de l'ÉSU. Cette
dépendance à la surface ne doit pas étonner. La principale source
d’énergie utilisable, l’énergie solaire, est reçue par la surface planétaire et
c’est encore sur cette surface – maritime ou terrestre – ou immédiatement
au-dessus ou en dessous, que se meuvent les êtres vivants et parmi eux
les êtres humains. Même s’ils envoient quelques fusées dans les couches
supérieures de l’atmosphère ou quelques sous-marins dans les eaux
profondes, les êtres humains, sont d’abord des êtres de surface. Parce
qu’elle est le théâtre principal de leurs activités, c’est cette surface qu’ils
doivent se partager. L’énergie utilisable ne doit être partagée que parce
qu’elle en est principalement dérivée.
Je remarquerai cependant que les développements que je viens de
fournir sur l’ÉUÉ peuvent aider à mieux appréhender la méthodologie qui
pourrait présider au calcul de l’ÉSU. Le fait de convertir les différents
types de surfaces et donc les différents types d’hectares bio105
régénérateurs, en une unité énergétique commune, permet de les
agréger, avant de les convertir éventuellement à nouveau en surface pour
aboutir à l’hectare bio-régénérateur global qui doit mesurer la capacité
écologique disponible à l’échelle des territoires et à l’échelle planétaire.
Sous cet aspect, et comme je l’ai déjà indiqué, l’ÉUÉ peut donc être un
moyen d’aboutir à l’ÉSU.
Mise à part cette fonction de conversion des différents types de surfaces,
quelle peut donc être l’avantage de l'ÉUÉ ? Il peut au moins permettre de
mieux rendre compte des diverses modalités de production, de
distribution, de partage et d’utilisation publique ou privée de l’énergie.
Cette problématique pourrait connaître une importance croissante si les
possibilités d'une production décentralisée et abondante d'énergie se
multiplient. Tel est le thème du livre de l'économiste et conseiller politique
américain Jeremy Rifkin, La troisième révolution industrielle, paru en
2012. Pour répondre à l'épuisement prochain des énergies fossiles,
Jeremy Rifkin y évoque la possibilité de transformer la plupart des
logements en « mini-centrale électrique capable de collecter sur site des
énergies renouvelable » (page 106), notamment par l’utilisation
généralisée de panneaux solaires. Il propose également, d’ « Installer,
dans chaque bâtiment et dans toutes l’infrastructure de la société, des
technologies de l’hydrogène et d’autres moyens de stockage pour
conserver l’énergie renouvelable intermittente et garantir la satisfaction de
la demande par un offre fiable et continue d’électricité verte ». Enfin, la
technologie de communication d’Internet lui semble utilisable pour
partager l’énergie directement captée ou stockée et la répartir selon les
besoins54.
54
En plus de la transformation des logement en centrales électrique, de l’utilisation des
techniques de stockage de l’énergie, du recourt à un réseau « intelligent » de diffusion de
l’énergie, les deux autres « piliers » de la troisième révolution industrielle sont selon Rifkin
le passage d’un régime d’énergie fossile fondée sur le carbone à un régime d’énergie
renouvelable et le renouvellement de la flotte mondiale des moyens de transport avec
« des véhicules à pile à combustibles et des véhicules électriques branchables alimentés
par les énergies renouvelables produites sur des millions de sites bâtis… »
106
On peut faire globalement les mêmes reproches au livre de Rifkin qu’au
livre de De Rosnay, quoique Rifkin paraisse à bien des égards plus réaliste
et plus pertinent sur les enjeux liés à l’épuisement des combustibles
fossiles et au réchauffement climatique d’origine anthropique. Rifkin reste
cependant pareillement prisonnier du fétichisme économique55, même s’il
prétend dans le titre d’un de ses chapitres « Mettre Adam Smith à la
retraite ». Certes, Rifkin insiste sur la contrainte entropique qui contredit la
prétention à une croissance économique illimitée, il dénonce le caractère
artificiel d’indicateurs comme le PIB et livre des réflexions audacieuses sur
la nécessaire relocalisation des activités, sur l’obsolescence de la
conception actuellement dominante du travail ou encore sur la
responsabilité humaine au regard des générations futures. Mais il ne
dépasse pas l’horizon de la valeur monétaire. Il n'envisage pas que les
êtres humains puissent démocratiquement décider des besoins qu'ils
souhaitent satisfaire et de la manière dont ils entendent y employer leur
existence, plutôt que de laisser façonner leur vie par les forces d’une
économie, peut-être rénovée, mais toujours aux mains des firmes et des
états. Pour autant, si on les extrait du fétichisme marchand, les
propositions de Rifkin paraissent pertinentes. Il leur manque cependant
l'instrument adéquat pour organiser le partage de l'énergie dans un monde
affranchi de la dictature marchande et des rapports monétaires qui en
découlent. L'ÉUÉ pourrait être cet instrument, il semble du moins à
première vue plus opérationnel que l’ÉSU pour rendre compte du modèle
de société esquissé par Rifkin, dans lequel une grande quantité d’énergie
est produite par de nombreux dispositifs artificiels peu polluants.
55
Ainsi page 73, lorsqu’il écrit, « Quand les cinq piliers de la troisième révolution
industrielle seront interconnectés, ils doteront l’économie d’un nouveau système nerveux
central, ce qui déclenchera un bond dans l’efficacité de l’utilisation de l’énergie et un
nombre inimaginable d’activités nouvelles et de nouveaux emplois. », on a le sentiment
que Rifkin défend l’avènement de ce qu’il décrit comme « la troisième révolution
industrielle », non pas pour le bien-être du plus grand nombre, non pas pour l’amélioration
des conditions d’existence et l’accroissement de la liberté, mais pour la bonne marche de
l’économie et ses corollaires : l’accroissement de « l’activité » (pour répondre à quels
besoins ?) et de « l’emploi » (pour quoi faire ?).
107
Voyons donc comment le modèle décrit par Rifkin pourrait se concrétiser
au niveau des divers comptes en ÉUÉ.
Imaginons qu'un individu soit propriétaire d'un terrain de 500 m2, avec une
propriété bâtie de 100 m2, et qu'il dispose par ailleurs de 100 m2 de
panneaux photovoltaïques fournissant 10 000 KWh à l'année, dont le coût
énergétique de confection a déjà été acquitté. Quel prix en ÉUÉ doit-il
acquitter chaque année au titre de cette propriété ? Supposons que la
valeur énergétique moyenne des surfaces soit localement fixée à 1 KWh
ou 1 ÉUÉ le m2, 500 ÉUÉ devraient donc être débité chaque année de
son compte individuel pour l'occupation du terrain. Mais faudrait-il
également débiter 10 000 ÉUÉ de son compte au titre de l'énergie
électrique, produite par ses panneaux ? Peut-être notre « propriétaire »
n'utilise-t-il pas ces 10 000 KWh « pour lui-même », peut-être cette
énergie est-elle distribuée à des habitations voisines, auquel cas il ne doit
logiquement pas en supporter seul le coût en ÉUÉ. Mais si l'énergie
produite par ces panneaux n'est pas distribuable, doit-il pour autant
soustraire annuellement 10 000 ÉUÉ à son compte ? Dans ce cas, notre
individu qu’on imagine pour la démonstration célibataire et isolé, n'aurait
pas la possibilité de rajouter 100 ou 200 m2 supplémentaires de panneaux
photo-voltaïques sur sa propriété, puisque la somme d'énergie fournie
dépasserait alors sans doute la limite des 20 000 KWh individuel. Les
assemblées démocratiques des territoires devraient logiquement être
amenées à statuer sur ces questions pour définir les pratiques autorisées
et les règles de comptabilisation. Si la production et l'usage strictement
individuel de l'énergie sont autorisés et si le « propriétaire », a
précédemment acquitté en ÉUÉ le coût de tous les panneaux
photovoltaïques et de tous les dispositifs qu'ils alimentent, on peut
considérer que le potentiel énergétique des panneaux solaires n'est pas
publiquement utilisable. Il ne doit donc pas être compté du côté de l'offre
énergétique du territoire. Rien n'étant comptabilisé du côté de l'offre, rien
non plus ne doit être comptabilisé du côté de la demande : notre
propriétaire doit simplement acquitter les 500 ÉUÉ correspondant à la
surface qu'il accapare. Tout ce qu'il peut faire avec les 30 000 KWh
108
supplémentaires produit par ses 300 m2 de panneaux solaires ne regarde
plus la collectivité, sauf évidemment si cette activité accapare une
nouvelle ressource ou génère une pollution qu'il faut alors compenser en
ÉUÉ. Par contre, les possibilités offertes par cet « apport » énergétique
supplémentaire lui épargnent d’autres dépenses en ÉUÉ, comme il est
précisé plus haut. Mais s’il évite des débits sur son compte, l'individu
« propriétaire » des panneaux photovoltaïques ne peut pas non plus les
utiliser pour augmenter son « capital » annuel d'ÉUÉ au-delà des 20 000
KWh en « revendant » des KWh à ses voisins, ce qui lui confèrerait
théoriquement de nouvelle capacité d'appropriation (mais comme je
l’indique un peu plus loin, s’il accepte de partager son énergie, le montant
d'ÉUÉ qui lui est annuellement accordé peut être temporairement
augmenté dans le cadre d’une mesure « incitative ») Comme dans le cas
de l'ÉSU, les opérations sur un compte individuel en ÉUÉ au cours de
l'année sont ordinairement des opérations de débit. On l'a déjà remarqué :
un consommateur ne « crédite » pas le compte en surface ou en énergie
d'un producteur, il assume à sa place le débit correspondant à la valeur
du bien produit.
Le propriétaire ayant installé un grand nombre de panneaux
photovoltaïques sur la surface dont il assume le prix en ÉSU, peut
également accepter de partager l'électricité qu'ils fournissent, et dans ce
cas, il augmente bien la capacité énergétique publique. Ce n'est en effet
que si l'énergie est distribuable et publiquement utilisable qu'elle
augmente véritablement l'offre énergétique d'un territoire. L'énergie ainsi
« collectivisée » sera comptabilisée du côté de l'offre énergétique du
territoire et également du côté de la demande, par des débits en ÉSU sur
les comptes de ses utilisateurs. On peut soutenir que le propriétaire qui
augmente ainsi la capacité énergétique du territoire devrait être au moins
momentanément « récompensé » par la collectivité – par une
augmentation temporaire de son crédit en ÉUÉ, par exemple – comme on
l'a déjà évoqué dans le cas d'une augmentation des capacités biorégénérative d'un territoire suite à une initiative individuelle. Mais c'est à la
collectivité concernée de pratiquer des politiques plus ou moins incitatives
109
dans ce domaine. A terme cependant, l'augmentation des capacités d'un
territoire doit logiquement bénéficier à tous les individus sous la forme
d'une augmentation – même minime – de leur crédit en ÉUÉ.
Ce cas de figure montre une différence concrète générée par le passage
d’une comptabilité en ÉSU à une comptabilité en ÉUÉ.
Dans le cadre de l’ÉSU, l’électricité produite par les panneaux solaires ou
par tout autre dispositif artificiel est payée au prix de la surface accaparée,
évaluée sur la base d’une bio-capacité globale moyenne à l’hectare. Avec
l’ÉUÉ, la surface est valorisée au KWh. Plus les dispositifs artificiels de
production d’énergie sont nombreux et plus leur potentiel est important,
plus l’offre énergétique globale d’un territoire augmente. Le coût moyen
en ÉUÉ de la surface accaparée en est mécaniquement augmenté et le
nombre d’ÉUÉ disponible sur les comptes individuels et les comptes
territoriaux s’accroit. Mais le coût relatif des surfaces dont l’offre
énergétique a été évaluée sur la base de la biomasse produite va
diminuer. La biomasse issue d’une surface cultivée ou d’une forêt, fournit
une quantité d’énergie utilisable quelques dizaine de fois inférieure à la
même surface équipée de panneaux photovoltaïques et quelques
centaines de fois inférieure à la même surface équipée de panneaux
solaire thermiques. Du côté de la demande humaine, si les produits
« d’origine naturelle » et notamment les produits alimentaires, sont payés
en ÉUÉ sur la base de leur « valeur énergétique », leur prix va chuter
relativement. La part du budget qui leur est consacré sur chaque compte
individuel devrait fortement diminuer, comparativement à leur part dans un
budget géré en ÉSU56.
On peut donc craindre que le mécanisme de l’ÉUÉ ne contribue à
« dévaloriser » les produits d’origine naturelle. Les assemblées des
56
Leur prix pourrait certes être réévalué en comptant non pas la valeur énergétique
de la surface qui a permis de les cultiver, mais en convertissant cette surface sur la
base de la valeur énergétique moyenne du m 2 dans le territoire considéré. On
reviendrait cependant alors à la logique de l’ÉSU en se basant prioritairement sur la
surface et non pas sur l’énergie. Dans ce cas, l’ÉUÉ n’est qu'une autre manière
d'exprimer l'ÉSU, en KWh et non plus en hectare.
110
territoires pourraient être incitées à augmenter leur offre énergétique en
sacrifiant un plus grand nombre d’espace naturel, artificialisés pour
« produire » davantage d’énergie57. Cette artificialisation s’opérerait
nécessairement au détriment de la biosphère et de ses capacités biorégénératives. Elle pourrait théoriquement conduire à l’absurde
« envahissement » de panneaux solaires que j’ai évoqué plus haut. Par
ailleurs, la mise à disposition d’une quantité d’énergie utilisable
beaucoup plus importante, génèrera une augmentation des activités
(transports transformations, constructions diverses), qui, même si elles
sont réalisées de manière à limiter au maximum les rejets polluants
accroîtront forcément le « bilan entropique » au niveau planétaire.
De manière assez significative, Jeremy Rifkin anticipe ce type de risque
dans son livre, même s’il ne le traduit pas en terme « d’ÉUÉ » ainsi page
296 :
Il existe à long terme un risque infiniment plus inquiétant : l’impact
entropique potentiel d’une offre pratiquement illimitée d’énergie propre
renouvelable, si bon marché qu’elle sera pratiquement gratuite … Il est
très probable que la première réaction sera : « Génial ! Une énergie
renouvelable illimitée, presque gratuite ! Pourquoi s’en priver ? »
Rappelons, encore une fois que la Terre est un système partiellement
fermé qui échange avec le système solaire de l’énergie mais fort peu de
matière. Avec une offre pratiquement illimitée d’énergie verte bon marché,
nous pourrions être tentés de convertir de plus en plus vite en produits les
réserves limitées de la Terre en matière à faible entropie, ce qui grossirait
le flux entropique et accumulerait davantage de chaos de matière – de
matière dispersé, devenue indisponible pour faire un travail utile.
Prenons un exemple : l’extraction de l’aluminium. Nous pourrions
extraire et produire de l’aluminium à des fins commerciales en utilisant
57
Avec la même réserve que celle émise dans la note 17 : un territoire qui augmente
sa capacité énergétique aura davantage de chances (ou de risques) de devoir
partager cette capacité avec les territoires voisins. Mais les territoires peuvent être
tentés d’augmenter collectivement leurs capacités énergétiques.
111
pour ce faire, de l’énergie verte. Mais à la longue, l’aluminium s’oxyde :
les molécules libérées se dispersent au hasard dans l’environnement et
entrent dans le flux entropique. Jamais elles ne se réassembleront pour
reconstituer le minerai d’aluminium dont elles sont issues.
On voit ce que cela suggère : si nous devons passer aux nouvelles
énergies vertes distribuées, il nous faut aussi les utiliser avec
parcimonie, afin qu’elles ne dépouillent pas notre planète de la matière à
faible entropie, tout aussi cruciale pour le maintien de la vie sur terre. Ce
que nous pouvons apprendre de plus important, du point de vue
thermodynamique, c’est à budgétiser nos structures de consommation
conformément aux rythmes de recyclage de la nature : voilà ce qui nous
permettra de vivre durablement sur cette planète.
Comme De Resnay, qui évoquait précédemment une « monnaie
universelle » libellée en énergie, on remarque à la lecture de cet extrait
que Rifkin, en suggérant de « budgétiser nos structures de
consommation conformément aux rythmes de recyclage de la nature »,
apporte des arguments pour l'instauration d’un ÉSU ou d’un ÉUÉ, même
s'il n'ose pas envisager l'abandon du vieil étalon monétaire. Quoi qu'il en
soit, sa remarque très pertinente doit nous alerter sur le fait qu’un
dispositif reposant sur l’ÉUÉ risque de renforcer la tentation d’une
artificialisation croissante des territoires.
Ce risque peut être réduit de plusieurs façons, d'abord par les
délibérations des diverses assemblées territoriales qui ont le pouvoir
d'imposer des normes de préservation strictes – par exemple en
interdisant l'artificialisation des surfaces au-delà d'un certain
pourcentage de l'étendue du territoire. Mais ces assemblées pourrontelles résister à la tentation d'augmenter leur propre capacité
énergétique ? Cette tendance peut être limitée par le mécanisme des
seuils territoriaux qui conduit à partager l’énergie entre les territoires
pour augmenter globalement le seuil des comptes individuels au niveau
112
mondial. Collectivement, les territoires et les individus, peuvent
cependant être tentés de réclamer toujours davantage d’énergie.
Plus fondamentalement, ce risque pourrait être réduit par une définition
différente de l'ÉUÉ qui redonnerait un plus juste prix aux productions des
écosystèmes et pénaliserait plus fortement l'accroissement d'entropie lié
aux entreprises humaines. Mais cette redéfinition n'est pas simple à
envisager. Je ne pense pas avoir les compétences pour l’esquisser de
manière précise et cohérente. Une manière d’y parvenir serait sans
doute de prendre en compte les propriétés « néguentropiques » du
vivant et leur capacité à entretenir les formes complexes sur le long
terme. Mais ce travail nécessiterait certainement des connaissances plus
étendues sur le fonctionnement des écosystèmes et aboutirait peut-être
à un mode de calcul moins instinctivement compréhensible.
Malgré ses inconvénients, il faut au moins reconnaître que la
manipulation du concept d’ÉUÉ encourage justement l’approfondissement des connaissances relatives aux écosystèmes et à l’énergie qui
les entretient. L’ÉUÉ permet également d’appréhender simplement
l’incidence de certaines activités humaines sur les habitats. Ainsi,
certains extraits pertinents des livres de De Rosnay et de Rifkin
semblent naturellement appeler une « traduction » en termes d’ÉUÉ. Par
exemple, Joël De Rosnay pages 171,172 et 173 sur les rendements
agricoles, qui indique que, paradoxalement, dans les « pays pauvres ou
des cultures dites "primitives" » « pour une calorie investie, on obtient 5 à
50 calories alimentaires. Alors que, dans nos pays développés, il faut 5 à
10 calories de combustibles fossiles pour produire une calorie de
nourriture. »
Ou Jeremy Rifkin page 285 qui dénonce le coût environnemental de la
viande : « Il faut quatre kilos de céréales fourragères pour obtenir un
steak de 450 grammes. Cela signifie que 11% seulement des céréales
servent à produire de la viande de bœuf proprement dite … Dans son
livre Sans viande sans regrets, France Moore Lappé souligne qu'une
acre de céréales donne cinq fois plus de protéines que la même acre
113
utilisée pour produire de la viande. Une acre de légumineuses en donne
dix fois plus, et une acre de légumes feuillus quinze fois plus ... »
Ces extraits suggèrent qu'une valorisation énergétique des productions
agricoles, telle qu’elle pourrait être établie par l’introduction de l’ÉUÉ,
tend à favoriser les cultures les moins couteuses en ressources
énergétiques et les moins polluantes. Mais les constats dressés par
Rifkin et De Rosnay pourraient également être traduit en surface et
exprimés en termes d’ÉSU. De Rosnay pourrait par exemple soutenir
que l’agriculture industrialisée des Etats-Unis, du point de vue de la
surface ou de l’énergie accaparée, est en réalité beaucoup moins
rentable que l’agriculture traditionnelle. Et de même, Rifkin pourrait
avancer qu’il faut 10 fois plus de surface pour se nourrir de protéines
animales plutôt que de protéines d’origine végétale. A l’inverse, comme
je l’ai montré plus haut, l’introduction de l’ÉUÉ pourrait dévaluer la valeur
globale des terres agricoles par rapport aux espaces artificialisés
producteurs d’énergie.
Sur un plan plus théorique, l’ÉSU repose davantage sur une logique
d’occupation. Les diverses activités humaines sont censées « occuper »
une partie du territoire disponible dont on doit se partager la propriété.
L’ÉUÉ repose davantage sur une logique de mobilisation : des
ressources sont « mobilisées » pour fournir une capacité énergétique et
c’est cette mobilisation qui doit être limitée.
L’énergie utilisable mesure l’étendue du pouvoir de transformation de
l’ordre « naturel » existant, conféré aux êtres humains. En déterminant
un seuil maximum d’énergie utilisable, on détermine un seuil maximum
de transformation de l’environnement, car on estime qu’au-delà de ce
seuil, les transformations seront soit irréversibles, soit de nature à
réduire dans le futur, l’étendu du pouvoir de transformation. En
déterminant une « empreinte » écologique maximale libellée en surface,
on délimite un espace appropriable, plus ou moins étendu en fonction
des ressources qu’il abrite, cet espace devant être partagé non
114
seulement entre les êtres humains vivants ici et maintenant, mais entre
les différentes générations se succédant sur la terre.
C’est sans doute en fonction de la nature des activités humaines
réellement engagées que la logique d’occupation et d’appropriation
s’avère plus ou moins adaptée que la logique de mobilisation et de
transformation. Pour autant, à ce stade de ma réflexion, l’introduction de
l’ÉSU me semble moins « risquée » et plus protectrice des capacités biorégénératives. L’ÉUÉ paraît peut-être plus indiqué pour répartir de
grandes quantités d’énergie, générées par de nombreux dispositifs
artificiels, dès lors que l’énergie fournie par ces dispositifs ne
concurrence pas les produits de la biosphère et ne met pas en péril ses
capacités bio-régénératives. En se prétendant « universel », l’ÉUÉ peut
réduire la distance qui devrait être prudemment maintenue entre les
machines ou les dispositifs humains et les organismes vivants 58.
L’organisme vivant, végétal ou animal « produit » peut être moins
d’énergie immédiatement utilisable pour les activités humaines qu’un
panneau photovoltaïque. Mais en comparaison du dispositif de silicium
inerte, il représente une capacité « néguentropique » bien plus
importante et une énergie bien plus considérable en tant qu’il est
l’aboutissement du travail de l’énergie solaire sur des milliards d’années.
En attendant de trouver la bonne méthode pour prendre en compte cette
spécificité du vivant dans une valorisation en ÉUÉ, on pourrait envisager
de compléter l’instauration de l’ÉSU par une comptabilisation partielle en
ÉUÉ pour mieux tenir compte des capacités énergétique des territoires.
58
Je ne peux détailler ici les perspectives ouvertes par la biologie de synthèse, qui
conduisent justement à créer artificiellement des « machines vivantes » censées œuvrer
pour satisfaire les besoins humains. Cette perspective semble effrayante à bien des
égards, puisqu'en plus des risques de dissémination des organismes « modifiés » ou
« artificiels » qu'elle implique et du pouvoir exorbitant qu'elle confère implicitement à une
technostructure peu contrôlable, elle renforce la tentation d'instrumentaliser le vivant à des
fins productivistes. Cette tentation est presque inévitablement contraire à l'éthique
humaine intergénérationnelle en ce qu'elle peut conduire à modifier de manière
irréversible les écosystèmes.
115
Mais il resterait encore à définir les incidences de cette comptabilisation
partielle sur la tenue des comptes en ÉSU.
3.7 Conclusion de la troisième partie
Dans la deuxième partie, j’ai tenté de décrire un système globalement
cohérent (ce qui ne signifie pas réaliste ou viable) fonctionnant avec un
Équivalent Surface Universel. Ce système me parait globalement
transposable à un Équivalent Universel Énergie. En comparaison avec
l’Équivalent Surface Universel qui repose sur une logique
d’appropriation, l’Équivalent Universel Énergie repose davantage sur une
logique de mobilisation. Sa définition opérationnelle nécessiterait un
travail plus important et plus complexe pour corriger les inconvénients et
les risques que pourrait susciter sa mise en œuvre.
Au cours de cette troisième partie le problème des rapports avec la
monnaie, laissé en suspens à la fin de la deuxième partie, a
spontanément ressurgi. Comme les auteurs qui ont précédemment
abordé le thème de l’évaluation de la quantité d’énergie utilisable et de
sa répartition, j’en suis venu à utiliser les termes de « monnaie
universelle » et de « valeur », énergétique et monétaire. Il est donc
temps d’aborder plus directement et plus systématiquement la question
des liens entre l’ÉSU ou l’ÉUÉ et la monnaie, afin de déterminer
notamment s’ils doivent s’y substituer, ou plutôt corriger ou compléter un
instrument monétaire éventuellement redéfini.
L’exposé détaillé des rapports entre l’ÉSU et la monnaie sera regroupé
dans un second livre avec les parties relatives aux difficultés d’une mise
en œuvre réelle et aux perspectives alternatives d’utilisation.
Je fournis cependant un plan détaillé des parties à venir dans les pages
suivantes qui terminent le présent livre.
116
Plan détaillé du livre 2
4. L’ÉSU et la monnaie
4.1. Ce que la monnaie est censée faire
4.1.1 Les fonctions traditionnellement dévolues à la monnaie et la
manière dont elles sont ou non assumées par l’ÉSU
Limites de l’approche fonctionnaliste ou instrumentaliste. Apports de
Karl Polanyi sur les monnaies à usage spécifique ou à usages
multiples. Apport d’Alain Testart sur la monnaie comme moyen de
paiement. Malgré ses inconvénients, l’approche fonctionnaliste sera
utilisée pour initier une comparaison entre l’ÉSU et la ou les monnaies.
4.1.1.1. La monnaie unité de compte
La monnaie sert à fixer des prix qui rendent compte de la valeur
d’échange des biens. Elle permet de comparer les biens dans la
perspective de leur échange marchand. Il existe une multitude d’autres
unités de compte – mètres, calories, degrés – qui permettent des types
de valorisation et de comparaison différents. Certaines « valeurs »,
morales, esthétiques, se prêtent mal à la quantification par une unité de
mesure quelconque. La monnaie porte le signe de la valeur marchande
comme d’autres objets ou distinctions portent le signe d’autres types de
valeurs (médailles, décorations…) sans toutefois pouvoir faire nombre.
Historiquement certaines unités de compte monétaire (Mine, Shât,
Deben…) n’étaient pas des monnaies circulantes. L’ÉSU, quant à lui, est
une unité de compte qui permet de mesurer des capacités biorégénératives.
4.1.1.2. La monnaie, moyen de l’échange et plus largement,
moyen de paiement
La monnaie est plus qu’un facilitateur des échanges. Par le cours légal
elle est le moyen imposé de tous les échanges marchands. Elle peut
elle-même s’apprécier ou se déprécier relativement à tous les autres
biens. Le domaine des échanges monétaires est délimité par les normes
117
sociales en vigueur. La monnaie intervient dans des relations qui ne sont
pas des échanges, mais des paiements unilatéraux – pratique historique
du Wergeld, amendes, impôts et typologie d’Alain Testart. La monnaie a
un pouvoir libératoire. Inversion contemporaine : la monnaie n’est pas
principalement le moyen de l’échange, c’est l’échange qui est le moyen
d’obtenir de la monnaie. L’ÉSU n’est pas un moyen de l’échange, même
s’il sanctionne les conséquences écologiques de l’échange et même s’il
contribue à autoriser ou à restreindre l’échange.
4.1.1.3. La monnaie, réserve de valeur
La monnaie est un bien censé conserver dans le temps une valeur
d’échange. Celle-ci peut être garantie par le « cours forcé » imposé
par l’état. Il existe d’autres réserves de valeur, des biens matériels
ou des actifs financiers qui se distinguent parfois faiblement de la
monnaie en raison de leur liquidité plus ou moins importante. En
plus de sa fonction de réserve de valeur, la monnaie permet sous
certaines conditions l’enrichissement. L’ÉSU représente une réserve
de valeur écologique. Il constitue autant une réserve de pouvoir
d’achat qu’une limitation aux acquisitions marchandes. Il pose
également une limite à la capacité d’enrichissement.
4.1.1.4 Conclusion sur les fonctions monétaires
Les fonctions monétaires ne peuvent s’envisager indépendamment de la
société dans laquelle elles ont cours. La monnaie crée son propre
espace monétaire et sa communauté d’utilisateurs. L’ÉSU crée
également son espace et sa communauté.
Retournement du questionnement, non plus « à quoi sert la monnaie ? »,
mais « en quelles circonstances doit-on payer, éventuellement en
monnaie ? » Puisque dans notre société, la majorité des paiements
constituent la contrepartie monétaire d’échanges marchands, la monnaie
est principalement considérée comme un moyen de l’échange.
L’ÉSU n’est pas un moyen de paiement, ou plutôt c’est un moyen de
paiement d’un type très particulier puisque la dette dont il permet de
118
s’acquitter n’est pas établie à l’égard de tel ou tel contractant, mais à
l’égard de l’humanité tout entière sur son habitat planétaire.
4.1.2. Le sens plus général donné au processus de valorisation
monétaire
4.1.2.1. Les divers fondements donnés à la valeur marchande
La monnaie étant réduite à son rôle de facilitateur des échanges, les
économistes se sont affrontés pour déterminer le fondement de la valeur
monétaire des biens échangés. Les partisans de la conception
« objective » de la valeur font dépendre le montant des prix de facteurs
objectifs comme la terre, le travail ou même l’énergie. Les partisans de la
conception « subjective » considèrent que la valeur marchande repose
sur l’utilité des biens, évaluée par les participants à l’échange. Ces deux
conceptions ne s’intéressent pas directement à la valeur de la monnaie
elle-même, mais plutôt à la valeur des biens exprimée en monnaie. Elles
entretiennent une même conception « substantialiste » de la valeur,
tantôt pour encourager le processus de valorisation marchande, tantôt
pour le dénoncer. Elles postulent une certaine neutralité de la monnaie
qui est contestée par d’autres approches « institutionnalistes ».
4.1.2.2. Fétichisme, essentialisme et impérialisme de la valeur
marchande
Retour sur la notion de fétiche introduite par Marx. Son utilisation par la
« Wertkritik » et par David Graeber.
Dans la société actuelle se développe une idéologie qui considère la
valeur marchande exprimée en monnaie, comme une valeur ultime et qui
fait du comportement supposé des participants à l’échange marchand le
modèle de tous les comportements humains.
4.1.2.3. La monnaie comme instrument universel et neutre
d’information
L’idéologie marchande tend à considérer la monnaie comme un
instrument universel d’information qui indiquerait l’utilité générale,
autrement dit la valeur sociale fondamentale de toute chose.
119
4.2. Ce que la monnaie fait réellement
La monnaie, telle qu’elle est aujourd’hui institutionnalisée, ne remplit pas
ce rôle supposé d’instrument universel d’information.
4.2.1 La dure épreuve des faits
L’observation du monde réelle montre que la valorisation marchande ne
favorise pas la production des biens les plus utiles et ne permet pas de
réguler la demande humaine et l’exploitation des ressources planétaires.
Elle encourage au contraire de nombreux gaspillages, des productions
objectivement néfastes et une grande inégalité entre les êtres humains.
L’extension du domaine de l’échange marchand dans les conditions
actuelles est en passe d’aboutir à une « désutilité » absolue puisqu’elle
pourrait anéantir les conditions même de la vie.
4.2.2 La monnaie n’est pas un instrument neutre des échanges /
Elle en fait « plus » que ce qu’affirme l’idéologie marchande
4.2.2.1. La monnaie, moyen d’un marché imposé
Remise en cause du « mythe du troc » par différents auteurs : Mauss,
Malinowski, Polanyi, Graeber… Historiquement le marché n’est pas un
préalable à l’utilisation de la monnaie (pratique du Wergeld et
impositions diverses dans les sociétés ou les échanges marchands sont
rares), mais la monnaie est une condition nécessaire à l’extension du
marché. L’extension du marché réalisée par la violence (occupation du
territoire par les soldats qui dépensent leur solde) et l’expropriation
(mouvement des enclosures et prolétarisation).
4.2.2.2. La monnaie, moyen d’enrichissement
Fonction d’enrichissement par la perception de l’intérêt, de la rente et de
la plus-value.
4.2.2.3. La création monétaire moyen d’accaparement
Une création monétaire réussie est un moyen d’accaparer des richesses,
de la frappe des pièces au minage des bitcoins.
4.2.2.4. La monnaie un facteur d’exclusion
120
La monnaie exclut de la jouissance de certains biens, ceux qui ne la
possèdent pas, non pas nécessairement parce que ces biens sont rares
et doivent être partagés, mais parce qu’on leur a conféré un prix que
tous ne peuvent pas acquitter. Pauvres et riches ne peuvent se
présenter à égalité sur le marché. La richesse confère une position
dominante dans l’échange.
4.2.2.5. La monnaie instrument de domination
La monnaie impose une distribution des rôles au sein de la société.
Inégalité entre les propriétaires des moyens de production et ceux qui
doivent offrir leur force de travail. La monnaie est la pièce maîtresse d’un
système particulier de domination qui succède à d’autres. La « valeur »
de la monnaie est d’abord garantie par sa capacité à réclamer et à
obtenir le travail d’autrui. La monnaie a largement été instrumentalisée
par le pouvoir, pour mener ses guerres, organiser ses grands travaux.
Elle constitue une alternative à l’esclavage.
4.2.2.6. La monnaie, moyen des politiques publiques
Les approches « monétaristes » d’inspiration libérales ou néo-libérales
proclament la neutralité de la monnaie pour éviter qu’elle ne devienne
l’enjeu de luttes sociales et politiques qui pourraient déboucher sur une
répartition plus équitable des richesses. La tradition marxiste écarte
également la possible instrumentalisation de la monnaie car elle ne
s’inscrit pas dans une perspective de rupture radicale avec le
capitalisme.
Dès son origine la monnaie a été instrumentalisée par l’état puis par de
puissants intérêts privés souhaitant s’émanciper de la puissance
étatique. Les différentes formes qu’elle a prises à compter du 13ième
siècle (lettres de change, monnaie fiduciaire, etc) ont favorisé l’essor du
capitalisme marchand. Par la suite, de nombreux états ont été amenés à
corriger les contradictions du capitalisme et à gérer la lutte de classe par
le moyen d’une politique monétaire active et par l’organisation d’une
redistribution sociale (création monétaire par la banque centrale, crédit
bancaire, relance keynésienne, new-deal, sécurité sociale, etc). Depuis
121
le dernier quart du 20ième siècle, nouvelle évolution vers l’indépendance
des banques centrales et l’abandon de la politique monétaire (loi de
1973 en France), essor de la financiarisation de l’économie, déclin de la
politique sociale restreinte par les états qui n’ont plus les moyens de la
financer. Orléan, d’Agletta, Lordon expliquent comment les différents
modèles monétaires révèlent les rapports de force entre créanciers et
débiteurs et comment ils favorisent tel ou tel type de développement
économique.
4.2.2.7. La monnaie, la croissance économique et le désastre
écologique
Le système monétaire tel qu’il est institutionnalisé (argent dette et taux
d’intérêt, exigence du profit, travail comme moyen principal d’obtenir la
monnaie dans un contexte de gains de productivité où il est de moins en
moins nécessaire) impose une croissance économique illimitée dans un
monde limité. Il entretient la surexploitation des ressources naturelles et
la dégradation des habitats. Il induit la mise à disposition de tout et de
tous pour satisfaire un nouveau moloch économique.
4.2.3. La monnaie véhicule une mauvaise information sur l’utilité /
Elle en fait « moins » que ce qu’affirme l’idéologie marchande
4.2.3.1. L’utilité dans et hors de l’échange peuvent entrer en
concurrence
Si l’utilité n’est pas un vain mot employé abusivement à la place du mot
« prix », on doit admettre qu’il y a de l’utilité produite en dehors de la
sphère économique. L’utilité dans et hors l’échange marchand entrent en
concurrence au fur et à mesure que s’étend le domaine des relations
marchandes. Le maximum d’utilité auquel est censé aboutir le marché
n’est pas le maximum d’utilité possible, il ne coïncide pas avec le
maximum de bien-être. Avantages et inconvénients du recours au
marché. Optimisation sociale et séparation marchande.
4.2.3.2. Dans l’échange, le prix n’indique que l’utilité appréciable
par une part réduite de participants
122
Les prix du marché ne révèlent que la « désirabilité » de la population
« solvable » faisant valoir ses offres « ici et maintenant ».
4.2.3.3. La valeur monétaire révèle autant l’utilité que la désutilité
La « désutilité » sociale valorisée par les prix peut être très importante,
parce que beaucoup d’actes rendu possibles par l’échange marchand
ont des conséquences qui ne seront jamais marchandisées. L’inégale
distribution de la propriété rend illusoire toute prise en compte réelle des
externalités économiques. Dès lors, l’« utilité » révélé par le chiffre
monétaire n’a aucun rapport avec la notion commune d’utilité. La
« valeur » marchande ne révèle rien d’autre qu’elle-même.
4.2.4. Conclusion sur le rôle réel de la monnaie
La monnaie ne peut être appréhendée en dehors du système de droits et
de l’infrastructure technique dans lequel elle s’inscrit et de la forme
principale que prennent les relations humaines dans la société où elle a
cours (importance relative des relations marchandes notamment). La
manière dont elle est actuellement institutionnalisée ne semble pas
concourir au bien-être de la plus grande partie de la population humaine.
4.3. Ce que la monnaie pourrait faire
Certains auteurs avancent que la monnaie n’est pas intrinsèquement
mauvaise, mais que seule est en cause la manière dont elle est
actuellement institutionnalisée. Il serait donc possible de créer une
monnaie qui serve véritablement le « bien commun ».
4.3.1. Récapitulatif des principaux reproches adressés à la monnaie
existante et exposé de quelques propositions théoriques de réforme
monétaire.
Les reproches adressés à la monnaie ne sont pas tous compatibles.
Certains déplorent que la monnaie ne révèle pas la « véritable valeur »
des biens échangés, et d’autres considèrent au contraire que le
processus de valorisation monétaire est un fétiche social nuisible.
Certains prétendent que la monnaie devrait être instrumentalisée par
l’état pour réduire les inégalités sociales et améliorer l’efficacité
123
économique, d’autres que la création monétaire étatique est un
monopole injustifié et despotique.
Proudhon et la banque du peuple, Silvio Gesell et la monnaie
fondante, Karl Polanyi et l’économie réencastrée, Georg Simmel,
Robert Owen, les courants distributifs, les courants plus radicaux.
4.3.2. Exemples de réponses globales et étatiques
4.3.2.1. Créditisme, fédéralisme et économie distributive
Le crédit social, Clifford Hugh Douglas, Louis Even au Canada. Le
fédéralisme européen, Alexandre Marc. L’économie distributive et sa
variante écosociétale, Jacques Duboin et sa fille, André-Jacques
Holbecq. Limite des systèmes distributifs et pièges de l’économisme
4.3.2.2. Le mouvement technocratique et ses prolongements
Thorstein Veblen et Howard Scott aux États-Unis. Le « Technat » et la
monnaie-énergie technocratique. Jacques Fresco, « The Vénus
Project » et le mouvement « Zeitgeist ».
4.3.2.3. L’exemple soviétique
Gosbank et Gosplan.
4.3.2.4. Similitudes et différences entre l’ÉSU ou l’ÉUÉ et les
grands systèmes de redistributions centralisées
Les monnaies distributives ou technocratiques sont en réalité, tout
comme l’ÉSU, des droits de tirages concédés aux individus. Mais ce
sont d’abord des biens et non pas des moyens que les monnaies
distributives ou technocratiques permettent de distribuer. L’ÉSU place le
partage plus en amont. Même s’il peut y contribuer, il ne vise pas
prioritairement la distribution des biens, mais la répartition des
ressources qui ont permis de produire ces biens, et qui parce qu’elles
sont limitées, doivent être partagés entre tous les êtres humains
présents ici et maintenant, mais également avec les êtres humains à
naître.
4.3.3. Exemple de réponses non étatiques, locales et alternatives
124
Les monnaies non étatiques répondent à des intentions très diverses et
parfois opposées. Elles peuvent encourager la logique de la valorisation
marchande, la corriger ou la combattre.
4.3.3.1. Les monnaies privées
Recommandées par des économistes néo-libéraux comme Friedrich
Hayek ou libertariens comme David Friedman pour permettre la
création monétaire en dehors du contrôle des états et des banques
centrales. L’extension de la titrisation sur les marchés financiers. Le
Liberty dollar. Les monnaies libres. Le Bitcoin. Le projet metacurrency.
Pierre Levy et l’intelligence collective. 4 types d’arguments contre le
projet metacurrency.
4.3.3.2. Les monnaies complémentaires
Bernard Lietaer. Le projet Terra. Système de bons et cercles
coopératifs. Le Chiemgauer. Le système Wat. L’Abeille. Le Credito
argentin. La banque WIR.
4.3.3.3. Les monnaies (plus ou moins) alternatives
Robert Owen et les « labours exchanges ». Le système LETS, les SEL.
Time Dollar et Ithaca Hours. Le Nayahan Banjar.
4.3.3.4. Limites des monnaies complémentaires ou alternatives.
Souvent considérées comme des moyens de relancer le développement
économique local, elles demeurent immergées dans l’économie dominée
par la monnaie légale. Elles se heurtent aux inconvénients de l’échange
reconduit dans des conditions sociales inchangées.
4.3.3.4. Monnaies utopiques : la leçon de Bolo’Bolo
Le SADI et les monnaies occasionnelles. « Le problème n'est donc pas
l'argent (or ou papier) mais bien la nécessité ou pas d'échanges
économiques dans un contexte social donné. »
4.4. L’ÉSU et la ou les monnaies : quelles combinaisons
possibles et souhaitables ?
4.4.1. En quelles circonstances doit-on payer et comment ?
125
Les différents types de transferts et de paiement. Les origines de la
dette. Les moyens de se libérer d’une dette et leur évolution.
4.4.2. Le cas des paiements non marchands
Collectes, amendes, réparations, redistributions… Les paiements non
marchands peuvent être effectués avec d’autres moyens que la monnaie
et notamment avec l’ÉSU. Le cas particuliers de la redistribution.
Parentés et distinctions entre monnaies distributives et « véritables »
monnaies.
4.4.3. Le cas des paiements marchands
4.4.3.1. Pourquoi et dans quelle circonstances doit-on échanger ?
Les besoins couverts par l’échange et les autres moyens de les
satisfaire. Avantages et inconvénients de l’échange marchand
généralisé, optimisation, efficacité, division du travail, séparation
marchande et irresponsabilité.
4.4.3.2. Échanger sans la
l’institutionnalisation de l’ÉSU
monnaie
dans
le
cadre
de
Quelles alternatives à la monnaie ? La transformation des choix
économiques en choix politiques. Délibération, votes, tirages au sort,
comptabilisations non monétaires. Parenté entre certains instruments de
comptabilisation et la monnaie. Le cas paradoxal de l’échange marchand
sans monnaie : le recours au « commissaire-priseur ».
4.4.3.3. Échanger avec l’ÉSU comme monnaie
Points communs de l’ÉSU et de la monnaie. Cas limites de
transformation d’un instrument distributif en instrument monétaire.
Dangers d’une transformation complète de l’ÉSU en monnaie.
4.4.3.4. Échanger avec la
l’institutionnalisation de l’ÉSU
monnaie
dans
le
cadre
de
L’ÉSU limite les inconvénients de la monnaie par le système de droits
spécifique qu’il introduit et par les limites qui posent à l’utilisation des
ressources écologiques.
126
La monnaie peut être utilisée pour tous les échanges – dans ce cas
l’ÉSU doit abandonner ses fonctions quasi-monétaire (marché de
l’occasion) – ou bien la monnaie peut être utilisé uniquement pour les
échanges qui n’engagent pas les capacités bio-régénérative.
Les différents types de monnaie pouvant être utilisées avec l’ÉSU. Le
décompte du temps, le décompte de l’utilité, le décompte des
ressources. Le possible retour du fétichisme de la valeur.
L’ÉSU peut être utilisé sans lien avec la monnaie et les besoins
ponctuels peuvent commander l’introduction d’instruments monétaires
divers, si d’autre solution ne sont pas trouvées.
4.4.4. Conclusion : pouvoir choisir de jouer ou non le jeu de
l’optimisation sociale
5. Institutionnalisation de l’ÉSU : moyens, limites et
dangers
5.1. Moyens d’une institutionnalisation de l’ÉSU
Des comptes individuels et territoriaux gérés par qui et comment ? Le
problème du recensement. Les assemblées territoriales. Un système de
comptes imbriqués. La traçabilité.
Redistribution des richesses, réappropriation. Tactiques.
5.2. Limites et difficultés
5.2.1. Difficultés théoriques
5.2.1.1. Propriété humaine et éthique de l’habitat humain.
L’homme « maître et possesseur de la nature ». La question de la
propriété humaine. Quelle place accorder aux êtres conscients non
humains.
5.2.1.2. La question plus générale de l’appropriation
L’appropriation d’une surface n’implique pas obligatoirement la
sollicitation de ses capacités bio-régénératives. Retour sur la prise en
compte de la propriété privée et de la propriété publique. Doit-on
127
considérer certaines surfaces comme non appropriées et non
appropriables ? Ambiguïté théorique de l’ÉSU à la fois instrument de
comptabilisation des sollicitations écologiques et instrument de
redistribution
5.2.2. Difficultés pratiques
La notion de capacité bio-régénérative peut difficilement être
appréhendée sans liens avec la satisfaction des besoins humains
fondamentaux. Risque de revenir à la conception productiviste qui soustend le calcul de l’actuelle empreinte écologique.
Les capacités bio-régénératives ne recoupent pas obligatoirement les
aptitudes à répondre aux besoins humains. Exemple : le problème de
l’accès à l’eau. La redistribution écologique permise par l’ÉSU doit
s’accompagner d’autres types de redistribution : ressources particulières,
outils, savoirs, etc. Y-a-t-il un sens à « agréger » des besoins si
différents.
5.3 Dangers
Les possibles dérives totalitaires.
Le recensement mondial. Les alternatives au recensement.
Le problème du contrôle.
La spécialisation et la possible émergence d’une nouvelle bureaucratie.
L’autorité mondiale. Les interdits écologiques. La police des prix
écologique.
Moyens d’allégement des contrôles.
5.4 Interrogations sur la légitimité et l’utilité de l’ÉSU
Le recensement des besoins humains et la définition des manières d’y
faire face constituent l’exigence fondamentale, l’institution de l’ÉSU estelle vraiment nécessaire ?
Si la répartition des ressources entre les territoires, et la nouvelle
organisation de la production et des échanges interdit a priori le
128
dépassement des capacités bio-régénératives, la tenue des comptes
individuels est-elle indispensables ?
6. D’autres usages possibles pour l’ÉSU
La mise en place de l'ESU ou de l'EUE ne serait qu'une conséquence
possible parmi d'autre d'une « révolution », d'un changement radical
dans les pratiques d'appropriation et de partage des biens, de la même
façon que la généralisation des relations monétaires a accompagné les
grands mouvements de spoliation et d’asservissement à l’origine de
l’expansion du capitalisme. Dès lors, les changements radicaux
permettant l’introduction de l’ÉSU rendraient peut-être son usage
inutile…
L’ÉSU peut cependant être un moyen de porter des revendications dans
les luttes en cours.
Une version faible de l’ÉUÉ peut être utilisée, non comme instrument
des échanges, mais comme moyen d’évaluer l’incidence des productions
et des consommations sur l’habitat humain et de limiter si besoin les
capacités individuelles et collectives d’appropriation. Mais dans ce cas,
elle n’est pas très différente de la notion d’empreinte écologique, et
seules les luttes écologiques et sociales pourront lui donner la force de
produire ses effets escomptés.
L’ÉSU peut également être envisagé comme un premier pas vers la
reconnaissance d’un droit à la répartition équitable des capacités
écologiques entre les individus, les groupes humains et les générations.
Il faudrait que tout individu ou tout groupe humain puisse faire valoir ce
droit pour obtenir les moyens de subvenir à ses besoins (droit à la terre
avant le droit au logement, droit à l’énergie et non plus droit au travail) ou
dénoncer un dépassement des capacités bio-régénératives, par exemple
une association qui en se basant sur les standards acceptés de l’ÉSU,
pourrait faire interdire telle exploitation de l’énergie fossile, telle
surexploitation des capacités agricoles ou aquifères, telle dissémination
de déchets nucléaires ou chimiques, etc...
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Bibliographie et liens du premier livre
Commissariat français au développement durable, Études et
documents n°16, Une expertise de l'empreinte écologique, janvier 2010
Erwin Schrödinger, Qu’est-ce que la vie, 1948
Esprit68, Éthique de l'habitat humain, 2011
Global Footprint Network, The Ecological Footprint Atlas, 2008
Jeremy Rifkin, La troisième révolution industrielle, 2012
Joël de Rosnay, Le Macrocosme, 1975
World Wide Fund for Nature (WWF), rapport Planète vivante, 2008
World Wide Fund for Nature (WWF), Living Planète Report, 2012
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Publié par Lucrèce sur Esprit68, ce travail envisage un Équivalent Surface
Universel (ÉSU) et un Équivalent Universel Énergie (ÉUÉ) pour servir à la
répartition des ressources entre les êtres humains et pour comptabiliser
leurs sollicitations écologiques afin que ces dernières n'excèdent pas les
capacités bio-régénératives de la planète. Cette nouvelle « monnaie »
écologique n'en est pas vraiment une – car ce n'est pas un véritable
instrument de paiement, mais plutôt le moyen d’honorer la dette contractée
à l'égard de la communauté humaine présente et à venir. Rend-elle pour
autant la monnaie « véritable » obsolète ou doit-elle la compléter ? La
nouvelle forme de valorisation qu'elle introduit est-elle nécessairement
souhaitable ? Au-delà des difficultés pratiques posées par son éventuelle
mise en œuvre, quelles questions éthiques soulève-t-elle ?
Ce premier livre détaille en trois parties les principes de bases et les modes
de fonctionnement possibles de l'ÉSU et de l'ÉUÉ. Le second livre à venir
s'attaquera aux relations avec la monnaie, aux questions éthiques, aux
problèmes de mise en œuvre ainsi qu'à des emplois alternatifs de l''ÉSU et
de l'ÉUÉ.
D’autres livres ou livrets à télécharger :
Les autres livres et livrets de l’infokiosque sont présentés dans le
catalogue téléchargeable à cette adresse : http://www.fichierpdf.fr/2015/07/04/catalogue31/catalogue31.pdf
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