Arch Inst Pasteur de Madagascar 2000; 66 (1&2) : 36-38 La méningo-myélo-radiculite bilharzienne chez l’enfant Rasamoelisoa JM1, Tovone XG2, Rakotovao E3, Razafimandimby D4, Andriambao D1 RESUME : Du fait de la rareté de cette complication, même dans les zones d’hyperendémie, et de la fréquence d’autres étiologies de paralysie flasque aiguë, la méningo-myélo-radiculite bilharzienne chez l’enfant pose des problèmes diagnostiques en l’absence des antécédents ou de signes de bilharziose intestinale ou urinaire. L’observation d’un cas chez un garçon de 14 ans est rapportée, et l’étiopathogénie discutée. Mots-clés : Bilharziose - Enfant – [Méningo-myélo-radiculopathie] - Endémie - Praziquantel. ABSTRACT : “Childhood schistosomial meningomyeloradiculopathy” : Child meningomyeloradiculitis is a rare complication form of schistosomiasis, even in hyperendemic area. Its diagnosis is very difficult, especially if there are not history or signs of Schistosoma mansoni or hematobium infections. It must be evocated in case of acute flask paralysis occuring in children living in Schistosoma infections endemic area. The authors report a 14-year-old boy’s case and suggest etiopathogeny of the disease. Key-words : Schistosomiasis - Child – [Meningomyeloradiculopathy] - Endemicity - Praziquantel. INTRODUCTION aiguë d’urine associé à une paralysie flasque aiguë des quatre membres dans un contexte infectieux. Il a été par la suite adressé au service de neurologie qui l’a transféré au service de pédiatrie B de l’Hôpital général de Befelatanana. La maladie a débuté brutalement le 18 novembre 1999 par une douleur scapulaire bilatérale avec une sensation de pesanteur et de parésie des membres supérieurs. Sont apparus par la suite : une gêne respiratoire, un œdème du visage et des membres inférieurs, des troubles de la statique et de la marche et une rétention aiguë d’urine dans un contexte fébrile. L’aggravation rapide de son état, malgré le traitement instauré, a motivé son évacuation à Antananarivo. A. Rom…, enfant unique, est né à terme avec un poids de 3 400 g d’un accouchement dystocique, sans retentissement neurologique ultérieur. Ses antécédents ne comportent pas de faits marquants. Les vaccinations sont à jour. A l’entrée : A. Rom est conscient, hyperthermique à 39°C, présente un état général peu altéré, un œdème des membres inférieurs, un encombrement diffus des deux champs pulmonaires. Le syndrome neurologique est prédominant : douleurs cervico-dorsolombaires, raideur méningée, tétraplégie avec abolition des réflexes ostéo-tendineux et des réflexes cutanés abdominaux, signe de Babinski bilatéral et troubles sphinctériens à type de rétention aiguë d’urine et de constipation. Les complications médullaires de la bilharziose ont été rarement décrites à Madagascar [1,2] alors que le nombre de sujets parasités était déjà estimé très important en 1994 (Schistosoma mansoni : 2 millions, Schistosoma haematobium : 500 000) [3]. Chez l’enfant, à cause de la rareté de cette complication, même dans les zones d’hyperendémie, et de la multiplicité des étiologies en milieu tropical (maladies virales surtout à entérovirus, autres maladies parasitaires dont la cysticercose, Mal de Pott, syndrome de Guillain Barré), la méningomyélo-radiculite bilharzienne pose des problèmes diagnostiques en l’absence d’antécédents ou de manifestations cliniques de bilharziose intestinale ou urinaire. Nous rapportons le cas survenu chez un enfant betsileo résidant à Fandriana (province de Fianarantsoa). Cette observation nous permet de faire une approche ponctuelle sur la prise en charge actuelle de cette affection chez l’enfant, en particulier sur les critères de décision thérapeutique. OBSERVATION A. Rom…, garçon de 14 ans, est évacué de Fandriana (Ambositra) le 23 novembre 1999 vers le service de néphrologie de l’hôpital Joseph Ravoahangy Andrianavalona (HJRA) pour un syndrome œdémateux avec rétention Hôpital général de Befelatanana, Centre Hospitalier Universitaire d’Antananarivo, BP 14 bis - 101 Antananarivo - Madagascar. 2 Centre Hospitalier de Soavinandriana, Centre Hospitalier Universitaire d’Antananarivo, 101 Antananarivo - Madagascar. 3 Centre Hôpital Joseph Ravoahangy Andrianavalona d’Ampefiloha, Centre Hospitalier Universitaire d’Antananarivo, 101 Antananarivo - Madagascar. 4 Faculté de Médecine d’Antananarivo 1 36 Les aires ganglionnaires sont libres et aucune viscéromégalie n’existe. Les examens biologiques ont montré notamment une réaction inflammatoire : C Reactive Protein à 121 mg/l, VSH de la 1ère heure à 52 mm, des sérologies bilharziennes positives à 1/1024 (technique HAI), les réactions immunologiques bilharziennes n’ayant pas été effectuées dans le LCR. Les autres examens (étude virologique comprise) sont normaux. Les examens paracliniques instrumentaux (radiographie, échographie) sont normaux, à part une surcharge hilaire bilatérale à la radiographie cardio-pulmonaire, une fibrose périportale sans épanchement péritonéal, et un foie de volume normal à l’échographie abdominale. L’EMG et le scanner de la région cervicodorsolombaire n’ont pas pu être effectués. L’évolution a été progressivement favorable sous un traitement antiparasitaire bilharzien : praziquantel à la dose de 40 mg/kg associé à une corticothérapie : prednisone 2 mg/kg pendant 14 jours ; une antibiothérapie par bétalactamine et une kinésithérapie de stimulation. Le déficit des membres supérieurs ainsi que l’encombrement respiratoire ont disparu en moins d’une semaine. La réapparition des réflexes ostéotendineux et l’acquisition de la station assise ont été observées à J15, ainsi que l’amélioration des fonctions sphinctériennes. L’enfant a pu marcher avec appui à J21. La sortie a été autorisée à J30 avec comme seule séquelle une petite incontinence vésicale à l’effort. sujets immunocompétents. Ces complications neurologiques résultent de la migration aberrante des S. mansoni ou S. haematobium ou de l’embolisation ectopique d’œufs de bilharzies dans les vaisseaux médullaires, la ponte ayant lieu dans le système veineux mésentérique inférieur ou dans les plexus veineux vésicaux, d’où ectopie plus aisée vers les vaisseaux médullaires [5,6,7]. Les complications médullaires de la bilharziose sont de deux types [8] : - les granulomes bilharziens, essentiellement intramédullaires, radiculaires mais parfois méningés qui sont des granulomes inflammatoires se comportant comme une lésion expansive affectant la plus fréquemment le cône terminal, la moelle basse, les racines. Ces granulomes sont en rapport avec une hypersensibilité retardée vis-à-vis d’antigènes ovulaires; - la myélite aiguë peut correspondre à de multiples granulomes intramédullaires, mais peut être aussi la conséquence d’une nécrose de la moelle avec vacuolisation et atrophie sans réaction inflammatoire nette autour des œufs. La démarche diagnostique doit tenir compte de plusieurs facteurs. Dans les lésions granulomatoses bilharziennes, la présentation neurologique la plus typique associe une paraplégie flasque aiguë ou très rarement une tétraplégie avec des troubles sphinctériens parfois méningés, réalisant une méningo-myélo-radiculite. Des douleurs dorsolombaires et des membres inférieurs sont fréquentes. En cas de myélite transverse, les symptômes neurologiques ont un caractère plus aigu avec une période d’incubation plus courte [8]. Mis à part ces signes neurologiques, les particularités de notre cas sont : - le jeune âge du sujet, le premier cas décrit à Madagascar étant celui d’un enfant de 9 ans, hospitalisé en 1990-1991 à l’hôpital Befelatanana d’Antananarivo dans le service de Neurologie du Pr Andriambao D, pour une paraplégie flasque avec rétention d’urine et dont les sérologies bilharziennes (hémagglutination passive) et de la cysticercose étaient toutes les deux positives. La sérologie permettait, en effet, comme dans notre cas, le diagnostic indirect de la bilharziose, la mise en évidence des œufs de schistosomes dans les selles et les urines et plus rarement dans les expectorations ou le LCR pouvant être négative. - l’échographie abdominale peut montrer des images hyperéchogènes assez spécifiques dans les atteintes hépatospléniques [9,10,11]. C’est ce qui a orienté le diagnostic chez notre patient qui a présenté un épaississement périportal alors que le foie, la rate, les reins, le pancréas, la vésicule biliaire DISCUSSION La pathogénèse de la ménigo-myélo-radiculite pourrait s’expliquer ainsi : le transport des œufs de schistosomes jusque dans les structures nerveuses (intramédullaire, radiculaire ou arachnoïdien) implique l’utilisation des vaisseaux d’une part, et l’existence d’un certain déterminisme par la conjonction de plusieurs facteurs locaux ou généraux d’autre part [4]. Ainsi, la moelle peut être le siège d’expansions superficielles multiples, de foyers de nécrose et d’hémorragie. Sur la moelle et les racines nerveuses, plusieurs œufs peuvent être visibles, entourés par une zone de nécrose périovulaire. D’après Brudzilovitch [4], la présence d’œufs de Schistosoma mansoni dans la moelle et les racines nerveuses n’induit pas systématiquement des lésions ou des manifestations cliniques chez les 37 et les voies biliaires étaient par ailleurs normaux. Les clichés sans préparation peuvent également montrer des calcifications vésicales pathognomoniques dans la bilharziose à S. haematobium, mais non retrouvées dans notre observation. La myélographie lipiodolée devrait être l’examen primordial car aurait visualisé la réalité anatomique de la lésion tel un rétrécissement des espaces arachnoïdiens périmédullaires mais n’a pas pu être réalisée de même que le myéloscanner qui peut montrer des images évocatrices de granulomes bilharziens [8]. L’origine poliomyélitique de la paralysie était écartée devant le caractère central de la paralysie et l’absence d’isolement de virus dans les selles. L’insuffisance des moyens diagnostiques paracliniques dans le pays étant manifeste, le test thérapeutique par praziquantel et cortico-stéroïdes devrait être prescrit systématiquement chez tout patient résidant en zone d’endémie bilharzienne présentant une myélopathie et des signes même indirects et non spécifiques de la bilharziose (hyperéosinophilie, fibrose périportale à l’échographie, sérologie bilharzienne positive, calcifications vésicales). chimiothérapie de masse de la population, associée au programme environnemental et d’assainissement, serait à envisager dans les régions hyperendémiques. REFERENCES 1- Randria HV. Contribution à l’étude des schistosomoses médullaires. [Thèse de doctorat en Médecine]. Antananarivo : Faculté de Médecine, 1977. 2- Mara B. Aspects évolutifs d’une myélopathie bilharzienne à Schistosoma mansoni. 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Arch Inst Pasteur Madagascar 1994; 63 : 38-42. 10- Lanuet R, Klotz F, Delege P, Ribeau G, Capron A. Intérêt de l’échographie dans la surveillance de l’endémie à Schistosoma mansoni (à propos d’une étude réalisée dans la région de Richard Toll au Sénégal). Med Trop 1996; 56 : 271-274. 11- Cairo/WHO. Meeting on ultrasonography in schistosomiasis. Proposal for a practical guide to the standardized use of ultrasound in the assessment of pathological changes. Geneva : WHO, 1991 (TDR/SCH/ ULTRASON/91.3.). CONCLUSION Notre observation illustre le problème diagnostique de la méningo-myélo-radiculite aiguë alors qu’un traitement précoce est important pour prévenir les séquelles neurologiques lourdes de conséquence sur la vie sociale des patients. Ici réside l’intérêt de l’échographie et de la sérologie bilharzienne qui ont guidé la conduite thérapeutique. Pour rompre le cercle vicieux de la chaîne de transmission et réduire la morbidité bilharzienne, une 38