Le Maghreb dans tous ses états SALAMA magazine SALAMA magazine L e M a g h r e b d a n s t o u s s e s é t a t s Cheikh Khaled Bentounès Les sources du soufisme Droit algérien N° 24 - octobre 2015 La kafala Réfugiés L’Europe trop frileuses Algérie 200 DA - Maroc 22 DH - Tunisie 3 DTU - Afrique 2600 CFA - Espagne 3,25 € - Belgique 3,50 € - Suisse 5,50 CHF - Allemagne 5,50 € - Canada 4,50 $CN LES NOUVELLES Cheikh Bentounès Chantre de la paix… Ce n’est pas par vocation que Khaled Bentounès, né en 1949 à Mostaganem, s’engage dans la voie de la spiritualité soufie. Alors âgé de 26 ans, il apprend le brutal décès de son père, le 24 avril 1975. Cet événement le ramène au pays pour assister aux funérailles. Le conseil des sages désigne alors ce jeune chef d’une entreprise d’import-export à Paris pour prendre la succession du cheikh Hadj al Mahdi Bentounès, son père. P eu enclin à vouloir abandonner les plaisirs de cette vie parisienne naissante, Khaled Bentounès refuse la lourde charge que lui impose la voie de la sagesse. Mais rapidement, la raison reprend le dessus et finalement il accepte de devenir le 46e cheikh depuis le Prophète, source du soufisme, et le 4e de la confrérie Alawiyya (une chaîne spirituelle qui compte plusieurs milliers d’adeptes dans le monde). à partir de ce moment, la vie du cheikh Khaled Bentounès devient un tourbillon ininterrompu de conférences, de rencontres et de voyages dans le monde entier. Répondant à l’appel du pape Jean-Paul II, il se rend à Assise (en Italie) en 1986. Il échange avec le souverain pontife. Le 22 Salama N° 24 • octobre 2015 cheikh Khaled Bentounès affirme, dès cette première rencontre, son esprit d’ouverture aux autres religions : « Si Dieu avait voulu, il aurait fait une seule communauté. Mais il a voulu nous éprouver par le don qu’il nous a fait. Cherchons à nous surpasser les uns les autres dans nos bonnes actions. » En 1982, monseigneur Claverie (évêque d’Oran) disait déjà de lui : « Ce chef spirituel est d’une profondeur extraordinaire et, en même temps, ouvert à tout ce que les autres courants religieux portent de meilleur. Le fondement de sa voie est l’amour universel. Musulman dans l’âme, il est le prototype d’un islam de dialogue et de fraternité… » C’est en 1999 qu’il est invité par le dalaï-lama lors de la Rencontre intertraditions de Savoie. Le chef spirituel de la branche tibétaine du bouddhisme apporte une nouvelle dimension à la religion : pas de « Dieu » unique à vénérer, mais une spiritualité partagée par l’ensemble des « croyants » qui subliment une philosophie supérieure au « Tout ». Cette année-là, il crée également l’association Terres d’Europe, trait d’union entre l’islam et le monde occidental afin de favoriser un dialogue de paix et de réconciliation. Alors que le monde aborde le xxie siècle, le pape Jean-Paul II déclare : « Le xxie siècle sera religieux ou ne sera pas »* (concluant son Entrez dans l’espérance, Plon/Mame, 1994, p. 331). En janvier 2000, le cheikh Bentounès est l’initiateur d’un colloque international Pour un islam de paix. Ce colloque, qui se déroule sous l’égide de l’Unesco, attire des personnalités de tous hori- LES NOUVELLES De g. à d., cheikh Bentounès, Omar Said Aitoun, l’arrière-petit-fils d’Abd el-Kader, et le professeur Aziza, président de MED 21. présence de son ami et compatriote Pierre Rabhi et du moine franciscain, frère Alain Richard. En effet, L’Onu a proclamé l’année 2010 « Année internationale du rapprochement des cultures » et recommande d’organiser des activités appropriées sur le dialogue, l’entente et la coopération entre les religions et les cultures au service de la paix. « Nul n’est prophète en son pays. » C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles le cheikh Bentounès a choisi l’Algérie pour organiser, avec son ONG l’Association internationale soufie Alawiyya (Aisa, fondée en 2001), le Congrès international féminin pour une culture de paix : Parole aux femmes. De nombreux dirigeants participent à cette première mondiale qui a pour objectif d’amorcer une réflexion sur l’importance des femmes pour l’humanité. Guide spirituel du soufisme et homme de paix Cheikh Bentounès avec Mohamed Aissa, ministre algérien des Affaires religieuses et des Wakfs. Le cheikh Khaled Bentounès lors de l’ouverture du colloque de l’Unesco. zons pour échanger autour des valeurs fondamentales et universelles de l’islam. Précurseur, le cheikh Bentounès a compris que la paix dans le monde ne se fera pas sans l’aide des religieux. C’est cet axe « paix et religion » qui animera désormais les nombreuses actions du cheikh. Écrivain et poète, il écrit en 2002 un poème, Le Livre international de la paix, qui lui vaudra une invitation officielle à la cérémonie inaugurale du Mémorial de Caen en compagnie de nombreuses personnalités internationales. L’année suivante, en 2003, comme membre fondateur du Conseil français du culte musulman, il participe au festival Les Journées des 5 continents (en Suisse à Martigny). C’est un forum en faveur d’une culture de paix. Expérience que le cheikh Bentounès renouvellera en 2010 (18-19juin), en Aucune incompatibilité pour cette religion qui est au cœur de l’islam. Le cheikh affirme : « Si l’islam est un corps, le soufisme en est le cœur, on y réapprend à goûter la saveur de Dieu dans le silence de l’instant. » Si le soufisme fait partie de l’islam, il en est la partie la plus subtile. Considéré comme « trop spirituel » pour certains, il peine à s’intégrer au début dans l’islam. Pour le cheikh : « À notre époque, la confusion est grande entre spiritualité et religion. Et il s’avère même que certains religieux craignent, voire condamnent, le spirituel, car celui-ci libère l’homme, par une réflexion profonde et une méditation attentive, du dogmatisme étroit de la dialectique et de la casuistique théologiques. Cet enseignement permet de retrouver en nous la connaissance qui structure et nourrit la conscience. Cela nous conduit à expérimenter un état d’être en harmonie avec la réalité qui nous entoure. » La tradition soufie prêche « la voie du juste milieu entre le Auteur Vivre l’islam, Le Relié, 2003. Le Soufisme, cœur de l’islam, 1re édition, La Table ronde, 1996, 2e édition, Pocket 1999 L’Homme intérieur à la lumière du Coran, Albin Michel, 1998 Coauteur Le Coran, Jésus et le judaïsme, K. Bentounes, A. Houziaux, G. Israël, Desclée de Brouwer, 2004 temporel et le spirituel ». Entre la loi (charia) et la vérité (haqiqa) : si la première est un moyen d’adoration, une aide et un garde-fou permettant à l’homme de vaincre ses passions, d’atténuer son égoïsme et d’ouvrir son cœur à la générosité et au respect d’autrui, la seconde lui permet de vivre l’intime expérience de la présence divine. Par ailleurs, la loi, ou charia, en elle-même, s’avère impuissante et dénuée de sens si elle se pratique sous la contrainte : « Pas de contrainte en religion… », affirme clairement le Coran (sourate 2, verset 256). Si une minorité d’islamistes appliquent de façon rigoureuse la charia et font de l’islam une idéologie politique radicale, ils ont inversé le sens véritable du djihad. Ce devoir religieux qui consiste à « faire un effort dans le chemin de Dieu » est détourné de sa vocation première par des fanatiques avides de « guerres saintes » d’un autre temps. « L’action de l’homme vertueux d’œuvrer pour le bien dans la société au sein de l’humanité devient alors une nécessité pour sa quête et un impératif dans sa relation avec le divin, et non seulement un devoir moral ou religieux. Elle est le salut de l’âme ici-bas sans attendre de récompense future dans l’au-delà. C’est le chemin de l’amour désintéressé qui conduit vers la paix… » Extrait tiré de l’article « Revenir vers le miséricordieux », Témoignage chrétien, septembre 2000. En 2015, Aisa organisait un colloque international sur l’islam spirituel et les défis contemporains les 28 et 29 septembre dernier à la Maison de l’Unesco à Paris. n Patrice Auro (www.2012etapres.fr) Journaliste humaniste et holiste * Cette phrase, attribuée par erreur à André Malraux, est abordée par Éric Geoffroy (islamologue spécialiste du soufisme) dans son livre L’islam sera spirituel ou ne sera plus, éd. du seuil, 2009 Bibliographie Lettres à Dieu, collectif, Calmann-Lévy, Paris, 2004 La Fraternité des cœurs, cheikh Adda Bentounès, Le Relié, 2003 La Transmission spirituelle, A. Desjardins, P. Haddad, P.Fenner, cheikh Bentounès, Le Relié, 2003 Cet autre mon frère, Trabucaire, 2002 Dieu, voici comment les Français te prient, Fayard, Paris, 2002 Pour un islam de paix, Albin Michel, Paris, 2001 La Réincarnation, Albin Michel, Paris, 2001 Le Sens du sacré, Albin Michel, 2000 La Quête du sens, Albin Michel, 2000 Le Chœur des prophètes, cheikh Adda Bentounès, Albin Michel, 1999 Sagesses pour aujourd’hui, Calmann-Lévy, Paris, 1999 octobre 2015 • N° 24 Salama 23