Le dépistage du cancer du sein est-il justifié ? Lancet É

Quel est l’objectif de P. Gotzsche et O. Olsen dans la démarche qu’ils ont entreprise et qu’ils intitulent : “ Le dépistage du cancer
du sein par mammographie est-il justifiable ? ” (1) et qu’ils terminent par : “ Nous concluons que le dépistage du cancer du sein
par mammographie est injustifié ” ?
n’en retiennent que deux dans leur méta-analyse pour lesquels,
par ailleurs, les données par âge ne sont pas directement dispo-
nibles, et qu’ils estiment sur des données indirectes.
Par ailleurs, la présentation du résultat de leur analyse est
très globale et ne tient pas compte, ainsi que l’ont fait toutes
les analyses précédentes, des différences d’impact entre les
groupes d’âge 40-49 ans et 50-65 ou 50-69 ans puisqu’un bon
nombre d’essais incluaient les femmes de 40 à 65 ou 69 ans, et
que l’impact du dépistage ne peut être globalisé sur ces deux
groupes d’âge.
La prétendue rigueur de leur critique est, par-là même, tout à fait
mise en défaut.
Le point de départ de ce travail est présenté comme étant
l’absence de réduction de la mortalité par cancer du sein en
Suède, sur une étude apparemment critiquable dont nous
n’avons pas le détail, puisqu’elle n’est publiée qu’en suédois ;
il n’y a aucune information sur les données prises en compte
dans cette étude, qui porte sur l’ensemble de la population sué-
doise, alors que le dépistage n’a pas été mis en place de la même
façon et dans le même temps partout en Suède. Par ailleurs,
l’absence de réduction ne veut pas dire l’absence d’efficacité,
notamment dans ce domaine, où, dans de nombreux pays, l’évo-
lution modélisée de la mortalité par cancer du sein présenterait
plutôt une tendance à l’augmentation.
Leur conclusion apparaît donc elle-même tout à fait discutable,
sur la base de deux arguments :
d’une part, la méthodologie de leur travail ne présente pas toute
la rigueur souhaitable pour une conclusion de cette importance ;
d’autre part, la remise en question d’une telle action de santé
publique ne peut être fondée uniquement sur une critique métho-
dologique des essais randomisés de cohorte, alors que sa construc-
tion au fil des années et des programmes a été nourrie par les
réflexions de nombreux spécialistes et les résultats de différents
travaux d’évaluation dont les rapports épidémiologiques, mais
aussi les analyses des différentes spécialités concernées, notam-
ment la radiologie.
ÉDITORIAL
Le dépistage du cancer du sein est-il justifié ?
Commentaires sur l’article publié dans le Lancet
du 8 janvier 2000
M. Vincenti-Delmas*, N. Sellier**
3
La Lettre du Cancérologue - Volume IX - no1 - février 2000
* Vice-présidente de l’Ardepass, association de dépistage organisé du cancer
du sein en Seine-Saint-Denis, épidémiologiste.
** Président de l’Ardepass, radiologue.
Certes, la réduction de la mortalité dans les programmes de
dépistage organisé reste un sujet de controverse, mais la reprise
critique des différents essais et de nombreuses méta-analyses pré-
sentées ces dernières années a permis d’asseoir la validité des
résultats obtenus.
En épidémiologie, une relation de causalité ne se fonde jamais
sur un seul type d’analyse mais recherche un faisceau de conver-
gences entre différents types d’études et les études biologiques
ou physiopathologiques et l’analyse logique. La rapidité des
conclusions présentées ici est loin d’être construite de cette façon.
Donc, quelle que soit la réponse : l’arrêt des programmes de
dépistage ou la relance de la controverse sur la stratégie du
dépistage, le travail se devait d’être mené plus rigoureusement
et d’apporter des éléments nouveaux et utiles dans la discus-
sion, car, doit-on le rappeler, le dépistage précoce des cancers
du sein concerne des millions de femmes dans le monde, et la
remise en cause de programmes de santé publique développés
par des experts doit reposer, à ce niveau, sur des travaux com-
plets et menés rigoureusement.
Or, la conclusion des auteurs repose uniquement sur un travail
de critique méthodologique des huit plus importants essais ran-
domisés de cohorte, et une méta-analyse portant sur les essais
jugés validés selon leurs critères personnels.
L’essentiel de la critique des deux auteurs suédois est basé sur
l’analyse de la comparabilité des bras exposés et non exposés de
chaque cohorte ; leur déduction d’une non-comparabilité pour
six études sur huit est presque uniquement basée sur des diffé-
rences d’âge, certes statistiquement significatives, mais minimes,
en termes de modification du risque de cancer et sans consé-
quence sur les conclusions des essais, ainsi que le souligne déjà
A. Sasco dans les premières réactions à cette étude. Sur les bases
d’une apparente rigueur, ils éliminent donc six essais sur huit, et
La mise en cause du dépistage doit intégrer des paramètres d’ana-
lyse plus complets et plus complexes que la simple analyse de la
validité de la randomisation. La réflexion et l’analyse critique,
aujourd’hui, devraient plutôt porter sur les stratégies d’organi-
sation et de diffusion de l’application d’un dépistage de qualité
à l’échelle des populations.
En faisant abstraction des contre-messages multiples
qu’il apporte, cet article présente deux effets bénéfiques non
négligeables :
celui d’ouvrir le débat sur la mortalité ; plusieurs éléments font
que ce critère choisi initialement par les précurseurs du dépistage
est en évolution permanente : les comportements féminins face
à cette affection ont changé (le début des études remonte à plus
de 20 ans), les moyens d’affirmer le diagnostic se sont considé-
rablement améliorés tant sur le plan radiologique qu’anatomo-
pathologique (ces deux spécialités ont mis en place un authen-
tique processus d’assurance qualité compte tenu des enjeux en
termes de santé publique et d’impact psychologique), enfin, les
modalités thérapeutiques plus ou moins associées ont permis de
disposer d’un arsenal thérapeutique adapté aux diverses situa-
tions rencontrées.
La conjugaison de ces différents facteurs aboutit, en Suède
comme en France, à des résultats indéniables avec des taux de
survie à 5 ans de plus de 80 % ;
le deuxième intérêt de cet article, et non le moindre, est d’abor-
der le discours de la méthode en insistant sur l’incontournable et
indispensable rigueur qui doit accompagner tout essai randomisé
ou tout travail de méta-analyse ; curieusement, usant et abusant
de biais méthodologiques que pourtant ils pourchassent et pour-
fendent, les auteurs de cet article se retrouvent en situation
“d’arroseurs arrosés” : l’analyse épidémiologique critique faite
ci-dessus en est une démonstration.
Sur la forme, les résultats sont exposés par les auteurs sur un
mode conditionnel signifiant qu’il s’agit là d’hypothèses qui
n’engagent qu’eux-mêmes et qui ne correspondent pas à une des-
cription rigoureuse et objective des données des huit essais étu-
diés. Ces hypothèses et ces supputations de biais méthodologiques
auraient dû apparaître dans le cours de la discussion, après pré-
sentation objective de ces huit essais.
Si, dans le dépistage de masse du cancer du sein, un test positif
ne constitue qu’une probabilité, les résultats d’une méta-analyse
ne constituent que des tendances.
Sur le fond, quelques remarques...
Dans l’essai de Stockholm, les auteurs jugent plus défavorablement
la méta-analyse suédoise qui a été faite que l’essai lui-même...
Dans l’essai new-yorkais, un biais est évoqué à propos des
nodules, mais aucune définition n’est apportée quant à la signi-
fication morphologique exacte de ces nodules.
Le facteur éducation (p = 0,05) est limite et ne mérite sûrement
pas un refus de l’essai. Un récent article du Lancet (Alexan-
der 1999 ; 353 : 1903) démontre l’influence du niveau socio-éco-
nomique sur la différence de mortalité (ratio de différence pas-
sant de 0,87 à 0,79).
Pour ce qui est des classes d’âge, les auteurs élaborent un “sau-
cissonnage” assez personnel des huit essais analysés, qui leur per-
met de conclure à une randomisation inadéquate pour la plupart
de ces essais. C’est sans doute oublier que le principal facteur de
risque du cancer du sein est l’âge, et que, bien évidemment, une
cohorte jeune aura nécessairement une mortalité inférieure à celle
d’une cohorte âgée.
De même, la critique masquée apportée dans l’article à l’examen
clinique et à l’auto-palpation fait peu de cas des réalités quoti-
diennes que vivent les médecins cliniciens et radiologues : une
part non négligeable des cancers du sein sont découverts par la
palpation et notamment par l’auto-palpation.
Un facteur totalement éludé dans l’article est celui qui touche à la
qualité des examens radiologiques pratiqués. Spontanément, la
sensibilité et la spécificité de la mammographie sont élevées ; la
sensibilité et, de fait, la spécificité sont directement corrélées à la
qualité de l’image. L’amélioration obtenue grâce à des processus
d’assurance et de contrôle qualité permettent un gain au moins
identique à celui obtenu par le passage d’une à deux incidences
par sein ; l’essai canadien retenu comme valable sur le plan de la
randomisation ne serait pas exempt de larges critiques sur le plan
de la qualité des images mammographiques. L’assurance qualité
touche autant la réalisation de l’acte que son interprétation ; l’inci-
dence sur les inévitables cancers d’intervalle sont évidentes.
Faut-il rappeler l’absence de prévention primaire du cancer du
sein ? Il faut sûrement rappeler que l’examen clinique et la mam-
mographie restent la base de toute action de dépistage, sous
réserve qu’elles aient l’une et l’autre le niveau de qualité requis.
L’évaluation de l’efficacité du dépistage du cancer du sein est
une action longue et complexe : délai d’obtention des résultats,
nécessité d’actions pérennes d’au moins dix ans, mesure difficile
d’un non-événement, choix réducteur des valeurs : la mortalité
habituellement choisie comme objectif et comme critère d’effi-
cacité, est un élément effectivement mesurable sous réserve de
la disponibilité et de la fiabilité de registres adaptés. Ce critère
prévaut car il est mesurable, mais a-t-il plus de valeur que d’autres
critères difficilement mesurables tels que la morbidité, la qualité
de vie, les années de vie gagnées ?
Faut-il rappeler les chiffres ? De 25 à 30 000 nouveaux cas et
plus de 11 000 décès par an en France, combien en Europe ?
L’efficacité réelle d’une action de dépistage repose sur le cumul
d’une efficacité théorique (basée sur des données scientifiques)
visant une couverture optimale de la population cible (basée sur
des actions de communication et d’information) par des pratiques
médicales efficientes (basées sur la notion de qualité) et un
suivi adéquat dans lequel interviennent efficacité diagnostique,
efficacité thérapeutique, diminution des délais et contrôle de la
compliance des femmes.
Il est très certainement faux d’annoncer actuellement que les
campagnes de dépistage aboutiront à une réduction de la morta-
lité de 30 %. Il est tout aussi faux d’annoncer qu’elles n’abou-
tissent à aucune réduction de la mortalité. La vérité est entre les
deux, avec, au moins pour la France, l’objectif et l’espérance de
réduire la mortalité de 15 à 20 %.
ÉDITORIAL
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La Lettre du Cancérologue - Volume IX - no1 - février 2000
Soutenant l’essai canadien, les auteurs soulignent que les tumeurs
détectées étaient plus petites que celles détectées dans les essais
suédois. Ce facteur taille est évidemment fondamental, mais sa
valeur, prise isolément, est largement insuffisante : il est néces-
saire de croiser ce facteur taille avec le facteur histologique (type
de lésion, caractère infiltrant et invasif) pour en déduire des don-
nées fiables sur la mortalité.
Un mot sur les essais et les méta-analyses...
Aucun des huit essais cliniques randomisés et actuellement dis-
ponibles n’est parfait ; cette hétérogénéité doit être acceptée et
les conclusions hâtives bien sûr évitées. La méthodologie varie
selon plusieurs critères : procédés de randomisation, calculs du
nombre de sujets nécessaires, modèles statistiques utilisés, ana-
lyse dans l’intention de traiter et, pour les données de mortalité,
façon de confirmer que les décès enregistrés pendant la période
d’étude sont bien dus au cancer du sein. Ces méthodologies
variables démontrent à quel point les méta-analyses doivent être
considérées avec prudence, même si des tendances peuvent s’en
dégager.
Le travail de méta-analyse réalisé par les auteurs sur des essais
utilisant des cohortes d’âges différents se réduit à une “mini-
méta-analyse”, en peau de chagrin : en effet, seulement deux
essais sont retenus, avec des cohortes certes appariées, mais des
cohortes de 66 000 femmes, ce qui est infiniment trop faible pour
autoriser la moindre conclusion.
Si l’on voulait établir des comparaisons avec le milieu littéraire,
cet article relèverait très certainement d’un simple essai.
Pour conclure, nous retiendrons que ce type d’essai, qui va à
l’encontre de politiques de santé publique menées dans le monde
entier, est, en dehors de son caractère méritoire, tout à fait impor-
tant car il souligne avec force le besoin de rigueur que nous
devons tous et toujours plus apporter aux essais en cours (ou à
venir). Cette rigueur doit intervenir à tous les niveaux de l’action,
dans la randomisation des essais, dans l’assurance qualité des
procédures d’imagerie, d’anatomopathologie et de chirurgie,
enfin, dans les actions de suivi et de communication à destina-
tion de la population féminine.
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE
1. Gotzsche P.C., Olsen O. Is screening for breast cancer with mammography
justifiable ? Lancet 2000 ; 355 : 129-34.
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