La mise en cause du dépistage doit intégrer des paramètres d’ana-
lyse plus complets et plus complexes que la simple analyse de la
validité de la randomisation. La réflexion et l’analyse critique,
aujourd’hui, devraient plutôt porter sur les stratégies d’organi-
sation et de diffusion de l’application d’un dépistage de qualité
à l’échelle des populations.
■
En faisant abstraction des contre-messages multiples
qu’il apporte, cet article présente deux effets bénéfiques non
négligeables :
–celui d’ouvrir le débat sur la mortalité ; plusieurs éléments font
que ce critère choisi initialement par les précurseurs du dépistage
est en évolution permanente : les comportements féminins face
à cette affection ont changé (le début des études remonte à plus
de 20 ans), les moyens d’affirmer le diagnostic se sont considé-
rablement améliorés tant sur le plan radiologique qu’anatomo-
pathologique (ces deux spécialités ont mis en place un authen-
tique processus d’assurance qualité compte tenu des enjeux en
termes de santé publique et d’impact psychologique), enfin, les
modalités thérapeutiques plus ou moins associées ont permis de
disposer d’un arsenal thérapeutique adapté aux diverses situa-
tions rencontrées.
La conjugaison de ces différents facteurs aboutit, en Suède
comme en France, à des résultats indéniables avec des taux de
survie à 5 ans de plus de 80 % ;
–le deuxième intérêt de cet article, et non le moindre, est d’abor-
der le discours de la méthode en insistant sur l’incontournable et
indispensable rigueur qui doit accompagner tout essai randomisé
ou tout travail de méta-analyse ; curieusement, usant et abusant
de biais méthodologiques que pourtant ils pourchassent et pour-
fendent, les auteurs de cet article se retrouvent en situation
“d’arroseurs arrosés” : l’analyse épidémiologique critique faite
ci-dessus en est une démonstration.
Sur la forme, les résultats sont exposés par les auteurs sur un
mode conditionnel signifiant qu’il s’agit là d’hypothèses qui
n’engagent qu’eux-mêmes et qui ne correspondent pas à une des-
cription rigoureuse et objective des données des huit essais étu-
diés. Ces hypothèses et ces supputations de biais méthodologiques
auraient dû apparaître dans le cours de la discussion, après pré-
sentation objective de ces huit essais.
Si, dans le dépistage de masse du cancer du sein, un test positif
ne constitue qu’une probabilité, les résultats d’une méta-analyse
ne constituent que des tendances.
Sur le fond, quelques remarques...
Dans l’essai de Stockholm, les auteurs jugent plus défavorablement
la méta-analyse suédoise qui a été faite que l’essai lui-même...
Dans l’essai new-yorkais, un biais est évoqué à propos des
nodules, mais aucune définition n’est apportée quant à la signi-
fication morphologique exacte de ces nodules.
Le facteur éducation (p = 0,05) est limite et ne mérite sûrement
pas un refus de l’essai. Un récent article du Lancet (Alexan-
der 1999 ; 353 : 1903) démontre l’influence du niveau socio-éco-
nomique sur la différence de mortalité (ratio de différence pas-
sant de 0,87 à 0,79).
Pour ce qui est des classes d’âge, les auteurs élaborent un “sau-
cissonnage” assez personnel des huit essais analysés, qui leur per-
met de conclure à une randomisation inadéquate pour la plupart
de ces essais. C’est sans doute oublier que le principal facteur de
risque du cancer du sein est l’âge, et que, bien évidemment, une
cohorte jeune aura nécessairement une mortalité inférieure à celle
d’une cohorte âgée.
De même, la critique masquée apportée dans l’article à l’examen
clinique et à l’auto-palpation fait peu de cas des réalités quoti-
diennes que vivent les médecins cliniciens et radiologues : une
part non négligeable des cancers du sein sont découverts par la
palpation et notamment par l’auto-palpation.
Un facteur totalement éludé dans l’article est celui qui touche à la
qualité des examens radiologiques pratiqués. Spontanément, la
sensibilité et la spécificité de la mammographie sont élevées ; la
sensibilité et, de fait, la spécificité sont directement corrélées à la
qualité de l’image. L’amélioration obtenue grâce à des processus
d’assurance et de contrôle qualité permettent un gain au moins
identique à celui obtenu par le passage d’une à deux incidences
par sein ; l’essai canadien retenu comme valable sur le plan de la
randomisation ne serait pas exempt de larges critiques sur le plan
de la qualité des images mammographiques. L’assurance qualité
touche autant la réalisation de l’acte que son interprétation ; l’inci-
dence sur les inévitables cancers d’intervalle sont évidentes.
Faut-il rappeler l’absence de prévention primaire du cancer du
sein ? Il faut sûrement rappeler que l’examen clinique et la mam-
mographie restent la base de toute action de dépistage, sous
réserve qu’elles aient l’une et l’autre le niveau de qualité requis.
L’évaluation de l’efficacité du dépistage du cancer du sein est
une action longue et complexe : délai d’obtention des résultats,
nécessité d’actions pérennes d’au moins dix ans, mesure difficile
d’un non-événement, choix réducteur des valeurs : la mortalité
habituellement choisie comme objectif et comme critère d’effi-
cacité, est un élément effectivement mesurable sous réserve de
la disponibilité et de la fiabilité de registres adaptés. Ce critère
prévaut car il est mesurable, mais a-t-il plus de valeur que d’autres
critères difficilement mesurables tels que la morbidité, la qualité
de vie, les années de vie gagnées ?
Faut-il rappeler les chiffres ? De 25 à 30 000 nouveaux cas et
plus de 11 000 décès par an en France, combien en Europe ?
L’efficacité réelle d’une action de dépistage repose sur le cumul
d’une efficacité théorique (basée sur des données scientifiques)
visant une couverture optimale de la population cible (basée sur
des actions de communication et d’information) par des pratiques
médicales efficientes (basées sur la notion de qualité) et un
suivi adéquat dans lequel interviennent efficacité diagnostique,
efficacité thérapeutique, diminution des délais et contrôle de la
compliance des femmes.
Il est très certainement faux d’annoncer actuellement que les
campagnes de dépistage aboutiront à une réduction de la morta-
lité de 30 %. Il est tout aussi faux d’annoncer qu’elles n’abou-
tissent à aucune réduction de la mortalité. La vérité est entre les
deux, avec, au moins pour la France, l’objectif et l’espérance de
réduire la mortalité de 15 à 20 %.
ÉDITORIAL
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La Lettre du Cancérologue - Volume IX - no1 - février 2000