et médecine du sport

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K I NÉS I T HÉRAP I E ,
et médecine du sport
T RAU MATO LO G I E
Coordonné par Jean-Claude Chanussot
Syndrome du nerf fémoro-cutané
ou méralgie paresthésique
de Bernhardt et Roth
Jean-Claude CHANUSSOT*
*
Kinésithérapeute cadre de santé
Centre médico-chirurgical des Jockeys, Chantilly (60)
▲ Figure 1
La méralgie paresthésique est un syndrome canalaire
de la hanche et de la cuisse lié à une atteinte
du nerf fémoro-cutané.
Particulièrement méconnue, on la confond souvent
avec d’autres pathologies lombaires (cruralgie), inguinales
(contractures du psoas, pathologies de la hanche),
ou fémorales (ténobursite du moyen fessier, syndrome
de la bandelette ilio-tibiale, pathologies musculaires
du vaste externe).
Introduction
La méralgie paresthésique est un syndrome
complexe associant un engourdissement,
des paresthésies et une douleur de la face
antéro-latérale de la cuisse, résultant d’un
conflit entre le nerf fémoro-cutané (nerf
cutané latéral de la cuisse) et le canal
ostéo-fibreux dans lequel il chemine au pli
inguinal.
En pathologie sportive, la méralgie paresthésique concerne le plus souvent des adultes
qui pratiquent soit des sports qui sollicitent
plus particulièrement les muscles de la hanche, soit des sports qui font appel à une posture longtemps maintenue en flexion de
hanche.
En France cette pathologie est dénommée
“syndrome du nerf fémoro-cutané” “syndrome du nerf cutané latéral de la cuisse”,
“méralgie paresthésique de Bernhardt et
Roth”, “méralgie paresthésique”, “syndrome
canalaire du nerf fémoro-cutané”.
Dans les pays anglo-saxons le nom employé
est “meralgia paresthetica”, “lateral femoral
cutaneous nerve syndrome”, “lateral femoral
cutaneous nerve entrapment”.
Le nerf fémoro-cutané (nerf
cutané latéral de la cuisse)
Le nerf fémoro-cutané (nerf cutané latéral
de la cuisse), comme son nom le suggère,
Le nerf fémoro-cutané se divise en deux branches terminales : une branche fessière et une
branche crurale
est un nerf purement sensitif. Il est issu du
rameau ventral de la racine L2. Il se dirige en
bas et en dehors, traverse le muscle grand
psoas, et émerge de ce muscle le long de
son bord externe.
Il descend ensuite obliquement en dehors,
en avant et en bas vers l’épine iliaque
antéro-supérieure. Durant ce trajet, le nerf
passe d’abord en avant de la partie inférieure
du carré des lombes puis croise la face antérieure du muscle iliaque dans un dédoublement de son aponévrose.
o
Selon Rouvière, il quitte la cavité abdominale
en passant au-dessous de l’arcade crurale
(ligament inguinal) et en dedans du couturier. Il passe dans l’échancrure qui sépare les
deux épines iliaques antérieures. Au-dessous de l’épine iliaque antéro-supérieure
dans l’angle formé par l’os et l’arcade crurale, il traverse un tunnel ostéo-fibreux assez
étroit. Le nerf émerge du dédoublement de
l’aponévrose du psoas-iliaque, pénètre dans
l’épaisseur de l’aponévrose fémorale en
dedans du TFL. Il devient superficiel et se
divise en deux branches terminales, l’une
fessière, l’autre crurale (fig. 1).
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La branche fessière se porte en bas et en
arrière vers le grand trochanter et se perd
dans les téguments de la fesse et de la face
postérieure de la cuisse.
La branche crurale se divise en plusieurs
rameaux qui descendent vers le genou et se
distribuent aux téguments de la région
antéro-externe de la cuisse.
Les atteintes du nerf fémoro-cutané (nerf
cutané latéral de la cuisse) sont essentiellement dues à un conflit lors de son passage
dans le canal ostéofibreux formé par l’épine
iliaque antéro-supérieure, l’arcade crurale et le
dédoublement de l’aponévrose du psoas
iliaque. Malgré cela, un certain nombre de
méralgies paresthésiques sont qualifiées
“d’idiopathiques” : ceci est certainement lié à
des rapports et des variantes anatomiques complexes cliniquement difficiles à appréhender.
Variantes anatomiques
Selon P. Kamina et J.-J. Santini, le nerf
fémoro-cutané passe sous ou à travers l’arcade crurale (ligament inguinal),
Selon K.-M. Erbil et coll., à partir d’une étude
réalisée sur 28 cadavres, les racines L2 et L3
sont parfois anastomosées et donnent naissance à un nerf qui se divise en quatre branches : nerf obturateur, nerf crural (nerf fémoral), rameau médial du nerf fémoro-cutané
(branche crurale), et rameau latéral du nerf
fémoro-cutané (branche fessière).
Selon J. Brizon et J. Castaing, le nerf fémorocutané (nerf cutané latéral de la cuisse) peut
s’anastomoser après son passage sous l’arcade crurale avec une branche collatérale
inconstante du nerf fémoral, le nerf fémorocutané antéro-externe de Valentin.
Étiopathogénie
de la méralgie paresthésique
L’étiopathogénie de la maladie est le plus
souvent idiopathique, mais elle peut être soit
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microtraumatique, traumatique, iatrogénique,
ou s’inscrire dans un cadre nosologique plus
large (métabolique par exemple).
L’étiologie microtraumatique s’explique
par les contraintes en tension, en frottement
ou en compression auquel le nerf fémorocutané (nerf cutané latéral) est soumis dans
sa coulisse ostéo-fibreuse. Ces contraintes
itératives se retrouvent dans les sports sollicitant fortement les muscles de la hanche ou
de la paroi abdominale (course de fond,
cross-country, football, musculation), et les
sports faisant appel à une posture en flexion
longtemps maintenue (canoë-kayak, aviron).
Ces microtraumatismes aboutissent à des
phénomènes irritatifs et inflammatoires
conduisant progressivement à la constitution
d’un épaississement localisé du nerf. Ce véritable “névrome de continuité” (Y. Guégan)
est à l’origine d’une production lente de
fibrose cicatricielle qui entraîne une dégénérescence des fibres nerveuses avec association fréquente de complications vasculaires,
au niveau de la microcirculation intraneurale,
responsables de lésions ischémiques.
La compression du nerf fémoro-cutané peut
être liée aussi à des vêtements trop serrés au
regard du pli inguinal (ceintures, ceintures
de contention lombaire, ceintures de sécurité, vêtements compressifs).
Le syndrome canalaire (entrapment neuropathy des auteurs anglo-saxons) se définit
comme la traduction clinique d’un conflit
entre un défilé ostéo-fibreux ou myo-aponévrotique (le contenant) et un tronc nerveux périphérique (le contenu).
L’augmentation de volume du nerf, liée à des
phénomènes irritatifs et inflammatoires,
aggrave ce conflit.
direct, voire par arrachement des épines
iliaques, soit plus volontiers chez des adolescents sportifs au cours d’une avulsion des épines iliaques antérieures (M. Thanikachalam et
coll.). Le mécanisme est alors lié à une contraction brutale du droit antérieur (arrachement de
l’épine iliaque antéro-inférieure) ou du tenseur
du fascia lata et du couturier (arrachement de
l’épine iliaque antéro-supérieure), associée à
une extension du tronc, chez des garçons pratiquant le sport de manière intensive.
L’étiologie iatrogénique n’est pas spécifique au sportif car cette complication peut
survenir après toute chirurgie de la hanche
par voie d’abord antérieure ou prélèvement
de greffon iliaque. On la retrouve aussi après
une compression per ou postopératoire
(latérocubitus homolatéral au nerf lésé, posture déclive imposant une flexion des hanches de longue durée).
La connaissance par le kinésithérapeute
d’une atteinte du nerf fémoro-cutané doit
imposer certaines précautions dans l’application de techniques physiques (thermothérapie, cryothérapie) ou manuelles (massages) sur cette région anesthésiée (risques de
brûlures ou d’autres lésions cutanées).
Les autres étiologies s’inscrivent dans un
cadre nosologique plus large. Les principales
causes de neuropathies périphériques sont :
– les pathologies métaboliques : diabète,
hypothroïdie, déficience en vitamine B12,
alcoolisme, etc. ;
– les connectivites : polyarthrite rhumatoïde,
lupus érythémateux, etc. ;
– les maladies toxiques : postchimiothérapie,
exposition au plomb, etc. ;
– les pathologies neurologiques héréditaires :
maladie de Charcot-Marie-Tooth, etc. ;
– les pathologies tumorales ;
– les pathologies infectieuses : maladie de
Lyme, infection HIV, etc.
L’étiologie traumatique est rare. Elle s’observe
soit chez les adultes au cours de traumatismes
graves de la hanche avec mécanisme par choc
Cette liste n’est pas exhausive car de nombreuses pathologies peuvent être à l’origine
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externe de la cuisse, une hyperesthésie cutanée (le patient supporte difficilement le
contact de ses vêtements), des dysesthésies
et des paresthésies à type de fourmillements,
de brûlures, de picotements, une sensation
d’engourdissement, voire une anesthésie à la
face externe de la cuisse (fig. 2).
La recrudescence nocturne de ces signes et
leur territoire précis plaident en faveur d’une
douleur d’origine neurologique de siège typiquement tronculaire.
Ces douleurs peuvent être augmentées par
le port d’une ceinture, la station assise prolongée, ou le port d’une ceinture de sécurité.
▲ Figure 2
Topographie des douleurs et des paresthésies
d’une neuropathie périphérique mais lorsqu’un sportif se plaint d’un syndrome canalaire il est important de se rappeler qu’il ne
faut pas se focaliser seulement sur les étiologies microtraumatiques.
L’étiopathogénie de la méralgie paresthésique est souvent idiopathique.
Les microtraumatismes liés à la pratique
sportive entraînent des phénomènes irritatifs
et inflammatoires conduisant à un conflit
entre le nerf fémoro-cutané et sa coulisse
ostéo-fibreuse.
En dehors de la pratique sportive, les causes
microtraumatiques pouvant expliquer une
méralgie paresthésique sont l’obésité et les
phénomènes de mode (vêtements moulants, pantalons “taille basse”).
Dans la population générale un certain nombre de pathologies infectieuses, inflammatoires, tumorales ou métaboliques peuvent
entraîner une neuropathie.
À l’examen les signes positifs sont :
– une douleur retrouvée à la pression profonde, en regard du conflit, juste au-dessous
de l’épine iliaque antéro-supérieure (fig. 3) ;
Figure 3 ▲
▲
▲
▲
▲
La palpation du nerf fémoro-cutané est réalisé
à un travers de doigt sous l’épine iliaque
antéro-supérieure, entre les tendons du TFL
et du couturier
– une douleur retrouvée à l’extension de
hanche (test en étirement du nerf fémorocutané) et surtout à la mobilisation en
flexion pure ou en flexion-abduction (test
en compression du nerf) (fig. 4a et 4b) ;
– une hypoesthésie ou une anesthésie “en
raquette” retrouvées au test du pique-touche (fig. 5) ;
– un signe de Tinel à la percussion (difficile
à retrouver) ;
– une dépilation de la face externe de la
cuisse (décrite dans la littérature mais
rarement retrouvée).
a
Le reste de l’examen est normal :
– absence de signes lombaires ;
– mobilités actives et passives de la hanches
normales ;
– testing des muscles du membre inférieur
normal ;
– réflexes ostéo-tendineux normaux ;
– bilan sensitif normal en dehors du territoire
du nerf fémoro-cutané.
Clinique
Figures 4a et 4b >
À l’interrogatoire, le patient décrit essentiellement des douleurs de la face antéro-
Test en compression du nerf fémoro-cutané >
en flexion pure (A) et en flexion-abduction >
combinées (B) >
b
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Dans certains cas l’évolution vers une disparition spontanée des signes est possible.
Diagnostic différentiel
Dans ce contexte clinique, un certain nombre de pathologies doivent être éliminées :
– les pathologies lombaires au premier rang
desquelles la lombo-cruralgie ;
– les pathologies de la paroi abdominale :
hernies inguinales, pathologies pariétales
abdominales basses ;
▲ Figure 5
Recherche d’une hypoesthésie ou d’une anesthésie “en raquette” par le test du pique-touche
Bernhardt et Roth décrivent presque simultanément un trouble sensitif de la face
externe de la cuisse en 1895. Correspondant
au territoire du nerf fémoro-cutané, décrivant une zone ovalaire dite en “raquette de
neige”, cette pathologie a été alors dénommée “méralgie paresthésique”.
– les pathologies myotendineuses de la hanche : contracture du psoas, tendinite ou
ténobursite du psoas, tendinopathie du
droit antérieur, du TFL ou du couturier ;
– les pathologies myotendineuses de la
cuisse : ténobursite du moyen fessier, syndrome de la bandelette ilio-tibiale, pathologies musculaires du vaste externe ;
– en cas de doute, un bilan biologique plus
complet doit être programmé à la recherche d’une pathologie générale responsable de la neuropathie (pathologies infectieuse, tumorale, inflammatoire, ou
métabolique).
Conclusion
Traitement et évolution
Le traitement d’une méralgie paresthésique
est un traitement conservateur basé sur :
– l’éviction d’éventuels facteurs irritatifs
quand ils peuvent être détectés : levée des
contractures musculaires, éviction de toute
striction au pli inguinal (port de vêtements
amples), adaptation de la position assise
(en rétroversion), prise en charge de la
surcharge pondérale ;
– le traitement médical basé sur la prise
d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, et si
besoin d’infiltrations locales de corticoïdes
(fig. 6).
En cas d’échec du traitement conservateur, il
est licite d’envisager une neurolyse chirurgicale.
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La méralgie paresthésique de Bernhardt et
Roth est un syndrome canalaire qui mérite
d’être connu car les pathologies de la région
pelvienne et de la cuisse liées au sport sont
fréquentes et diverses.
Malgré une étiologie qui est assez souvent
difficile à cerner, l’évolution est marquée par
une régression totale des signes lorsque le
traitement est correctement instauré.
Associée à d’autres localisations pouvant
faire évoquer une neuropathie périphérique,
cette pathologie doit conduire à rechercher
d’autres étiologies.
En pratique courante, les kinésithérapeutes
du sport pourront ainsi orienter en toute
connaissance de cause les sportifs atteints
Figure 6 ▲
Localisation de l’infiltration du nerf ▲
fémoro-cutané (a) (d’après Kamina et Santini) ▲
d’un syndrome du nerf fémoro-cutané et
parfois intervenir dans leur prophylaxie
(choix vestimentaires, corrections posturales, levées de tensions musculaires).■
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