
La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 6 - juin 2012 | 291
Résumé
La médecine personnalisée est définie comme “une forme de médecine qui utilise les informations moléculaires et
environnementales du patient (gènes, protéines) pour prévenir, diagnostiquer et traiter”. En oncologie, son potentiel
thérapeutique est incontestable. Les avancées technologiques des 10dernières années, en particulier la percée des
technologies à haut débit, ont permis d’identifier une multitude de mutations somatiques et d’autres anomalies
génétiques dans plusieurs types de cancers humains. Cependant, plusieurs problèmes continuent à freiner aujourd’hui
l’implémentation active de la médecine personnalisée. Les différentes classifications moléculaires et les signatures
génétiques pronostiques et prédictives ne sont pas assez robustes pour prédire l’efficacité d’une thérapie ciblée.
Deplus, si le nombre de thérapies ciblées augmente quotidiennement, les résultats des essais cliniques ne s’avèrent
pas satisfaisants. Finalement, la transition vers la médecine personnalisée engendre plusieurs défis incluant la
standar disation des tests moléculaires, l’identification et la validation de biomarqueurs, la stratification des patients,
le coût de la thérapie ciblée, sans compter plusieurs considérations réglementaires et éthiques.
Mots-clés
Biomarqueurs
Thérapies ciblées
Techniques à haut
débit
Hétérogénéité
tumorale
Éthique
Summary
Personalized medicine is
defi ned as “a form of medicine
that uses information about a
person’s genes, proteins, and
environment to prevent, diag-
nose, and treat disease.” It is
generally accepted today that
personalized medicine has
great potential in the treatment
of many types of cancer.
The new high throughput
screening techniques allowed
the identification of several
actionable molecular altera-
tions in different kinds of
cancer and paved the way for
personalized medicine in the
fi eld of oncology. However, the
molecular classifi cations and
prognostic signatures are not
powerful enough to predict the
effi cacy of targeted therapies.
In addition, targeted thera-
peutic agents are increasingly
available for clinical applica-
tions, yet these promising drugs
have produced disappointing
results when tested in clinical
trials, mainly due to the lack
of predictive biomarkers and
appropriate statistical designs.
For a successful transition
towards personalized medicine
in oncology, several challenges,
including the standardization of
molecular screening assays, the
identifi cation and validation of
relevant biomarkers, patient
stratifications in addition to
fi nancial, regulatory and ethical
issues need to be addressed.
Keywords
Biomarkers
Targeted therapy
High throughput screening
techniques
Tumor heterogeneity
Ethics
Les biopsies du tissu tumoral doivent ainsi être
impérativement caractérisées, et la proportion des
cellules tumorales par rapport aux cellules normales
doit être bien établie. Un taux important de cellules
tumorales est indispensable pour pouvoir corréler
les altérations moléculaires identifi ées à la tumeur
elle-même. Dans l’essai BATTLE, première étude
prospective randomisée et achevée qui se fonde
sur l’analyse du profi l moléculaire des patients pour
orienter la décision thérapeutique dans le cancer
du poumon, des échantillons histologiques de plus
de 200 cellules tumorales étaient pris en compte
pour l’identifi cation des biomarqueurs d’intérêt (10).
Dans certains essais nationaux, comme SAFIR01 ou
SHIVA, au moins 50 % de cellules tumorales sont
requises dans l’échantillon.
En réalité, la situation est beaucoup plus complexe.
Plusieurs études de séquençage à haut débit ont
démontré une hétérogénéité intratumorale.
Des biopsies d’un même site tumoral peuvent avoir
des caractéristiques moléculaires signifi cativement
distinctes (11-14). Une hétérogénéité intratumo-
rale concernant l’amplifi cation de HER2 chez des
patientes atteintes de cancer du sein invasif est
corrélée à une diminution de la survie sans progres-
sion. Les variations de l’amplification de HER2
(Human Epidermal growth factor Receptor 2) dans
certains sous-clones de cellules tumorales peuvent
donc être associées à la progression tumorale (14).
Dans une autre étude récente, des analyses géno-
miques de plusieurs biopsies provenant d’un même
carcinome rénal primitif et de différents sites méta-
statiques ont révélé des signatures pronostiques
complètement différentes (13). L’hétérogénéité
intratumorale représente un défi majeur pour la
mise en œuvre de la MP. La caractérisation molé-
culaire de plusieurs biopsies d’une même tumeur
semble être nécessaire pour éviter de sous-estimer
cette hétérogénéité, qui peut expliquer la résistance
à certaines thérapies ciblées. Plusieurs mutations
dans les exons 19 et 21 de l’EGFR (Epidermal Growth
Factor Receptor) détectées dans le cancer bron-
chique non à petites cellules (CBNPC) semblent être
prédictives de la réponse au géfi tinib (15). La muta-
tion T790M de l’EGFR a été corrélée à la résistance
au géfi tinib (16). Dans de rares cas, cette même
mutation, présente dans une population mineure
de cellules tumorales de CBNPC, alors que les autres
cellules tumorales révèlent des mutations sensibles
au géfi tinib, semble pouvoir expliquer pourquoi
les répondeurs potentiels s’avèrent réfractaires au
traitement (12).
Un autre aspect de l’hétérogénéité tumorale est
la variation des caractéristiques moléculaires de
la même tumeur avant et après traitement, et de
la tumeur primitive par rapport à ses métastases.
En effet, une étude récente réalisant le séquen-
çage ciblé de 1 264 gènes impliqués dans le cancer
colorectal a démontré des différences génétiques
signifi catives entre les tumeurs primitives et les
métastases hépatiques (17).
Les analyses génomiques permettent aujourd’hui une
étude exhaustive et spatio-temporelle des anoma-
lies moléculaires de plusieurs biopsies d’une même
tumeur et de ses métastases. La véritable interro-
gation porte sur la faisabilité de toutes ces analyses
dans des délais et des coûts raisonnables afi n de
permettre une décision thérapeutique appropriée.
Identifi cations de biomarqueurs
et transfert vers la clinique
Actuellement, la majorité des études visant la décou-
verte de biomarqueurs sont rétrospectives ; elles sont
utiles pour connaître l’incidence, la prévalence et la
validation clinique des marqueurs d’intérêt, ainsi
que pour l’optimisation des tests (18). L’utilisation
de biomarqueurs en clinique se fonde sur une alté-
ration moléculaire spécifi que (une mutation pilote,
une amplifi cation ou une translocation génique, une
modifi cation épigénétique, etc.) qui n’est souvent
pas suffi sante pour sélectionner la thérapie ciblée
adéquate. En effet, plusieurs altérations moléculaires
sont nécessaires pour l’activation ou l’inhibition
d’une voie de signalisation spécifi que, elle-même
régulée par plusieurs mécanismes de rétrocontrôle
négatif ou positif. Des voies de signalisation alter-
natives sont souvent activées suite à l’utilisation des
thérapies ciblées (1). Les biomarqueurs prédictifs
sont donc indispensables pour pouvoir stratifi er les
patients selon leurs profi ls moléculaires spécifi ques
afin de prédire l’efficacité d’une ou de plusieurs
thérapies ciblées.