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La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 1 - janvier-février 2002
LE GÈNE DU MOIS
a contribution des facteurs héréditaires dans le déve-
loppement d’un cancer est difficile à estimer préci-
sément. Plus de 450 gènes ont été actuellement iden-
tifiés dans diverses études cliniques et épidémiologiques (1).
La plupart de ces syndromes familiaux ont une transmission
autosomique dominante (2) et on estime qu’environ 5 % des
cancers sont causés par une mutation d’un seul gène à forte
pénétrance (3).
En revanche, la composante héréditaire est beaucoup plus dif-
ficile à identifier si la transmission est récessive ou concerne
des gènes à faible pénétrance. Trois études épidémiologiques
scandinaves sont présentées ci-dessous pour leur approche dif-
férente cherchant à quantifier la proportion des cancers avec
une composante héréditaire dans la population générale.
L’INDICE FAMILIAL PAR LOCALISATION DIAGNOSTIQUE
Cette étude cas-témoins suédoise (4) est fondée sur le Registre
national des cancers et le Registre total de la population per-
mettant d’identifier les apparentés du 1er degré (parents, enfants
ou frères et sœurs). Entre 1958 et 1997, 1 173 648 individus ont
été atteints de cancer (le groupe cancer). Chaque patient a été
classé selon la localisation de son cancer, puis apparié à un
sujet du même âge et du même sexe, mais ne présentant pas de
cancer (le groupe témoin). Le nombre d’apparentés du 1er degré
atteint d’un cancer au même site a été comptabilisé pour les
deux groupes. Pour chaque localisation diagnostique, l’indice
familial a été calculé comme le rapport du nombre d’apparentés
du 1er degré dans le groupe cancer sur le nombre d’apparentés
du 1er degré dans le groupe témoin.
Par exemple, parmi les 158 168 cas de cancer du sein, on
dénombre 5 088 cas de cancer du sein chez leurs apparentés du
1er degré pour le groupe cancer contre 3 326 cas de cancer du
sein pour le groupe témoin, ce qui donne un indice familial
pour le cancer du sein de 1,5 (IC 95 % : 1,4-1,6). Les cancers
suivants ont des indices élevés : les tumeurs ophtalmologiques
16,5 (IC 95 % : 2,5-666), le testicule 9 (IC 95 % : 3,2-35), la
maladie de Hodgkin 6,5 (IC 95 % : 2,3-26) et la thyroïde
6,2 (IC 95 % : 3,7-12). Cependant, pour ces cancers peu fré-
quents, il faut noter que les intervalles de confiance sont très
larges, ces chiffres doivent donc être interprétés avec précau-
tion.
L’information la plus remarquable provient de l’indice pour
toutes les localisations anatomiques combinées, qui n’est que
de 1,06 (IC 95 % : 1,05-1,07), ce qui, en nombre absolu, ne
représente sur la période étudiée, que 5 218 patients suédois
avec un diagnostic de cancer qui a un apparenté du 1er degré
atteint du même cancer. Les familles comptant plus d’un cas
de cancer du même type sont donc rares. Cette approche ne
permet pas de distinguer entre les effets de potentiels facteurs
héréditaires et les effets d’une exposition environnementale
commune. Par exemple, l’indice familial pour le cancer du
poumon est de 1,9 (IC 95 % : 1,6-2,4) et représente probable-
ment davantage une habitude commune (le tabagisme) plutôt
que l’expression d’un gène commun favorisant le cancer du
poumon.
L’ANALYSE DES COHORTES DE JUMEAUX
L’étude précédente ne permet pas de distinguer les causes
génétiques des facteurs environnementaux communs aux
membres d’une même famille (mode de vie, infections, etc.).
L’analyse de la concordance des cancers (c’est-à-dire la surve-
nue de cancer de même localisation) survenant chez une paire
de jumeaux monozygotes ou dizygotes permet de quantifier la
composante héréditaire. En effet, si la concordance des cancers
chez les jumeaux monozygotes (avec 100 % de gènes com-
muns) est plus élevée que chez les jumeaux dizygotes (qui ne
partagent en moyenne que 50 % des gènes ségréguant poten-
tiellement avec le phénotype “cancer”), la composante géné-
tique est probablement importante pour ce type de cancer. En
revanche, si cette concordance est identique entre les deux
types de jumeaux, il est probable que la composante environ-
nementale soit la plus importante. Cette hypothèse a été testée
sur les données provenant des registres de jumeaux suédois,
danois et finlandais comprenant 44 788 paires de jumeaux (5).
Un diagnostic de cancer a été posé chez 10 803 individus
parmi 9 512 paires de jumeaux. Néanmoins, compte tenu de la
nécessité statistique d’un nombre minimum de quatre paires de
jumeaux avec le même type de cancer pour pouvoir différen-
cier les effets héréditaires des effets environnementaux, seules
des données sur des cancers fréquents ont pu être générées de
façon fiable. Chez l’ensemble des jumeaux, on a retrouvé un
Carcinogenèse – Quelle est la part des facteurs héréditaires ?
C. Monnerat*
* Service de génétique, Institut Gustave-Roussy, 39, rue Camille Desmoulins,
94805 Villejuif Cedex.
L
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excès de cancers du même type pour les sites estomac, pou-
mon, sein, côlon-rectum et prostate. En comparant l’incidence
de cancer chez les jumeaux monozygotes par rapport aux
jumeaux dizygotes, on ne retrouve une différence d’incidence
significative que pour les cancers colorectaux, les cancers du
sein et les cancers de la prostate (voir tableau I). Cette diffé-
rence significative d’incidence a permis d’estimer pour ces
trois cancers quelle était la contribution des facteurs hérédi-
taires à la survenue de la maladie par rapport aux facteurs
environnementaux (partagés ou non par les jumeaux). La part
héréditaire causant un cancer colorectal était estimée à 35 %
(IC 95 % : 10-48 %), un cancer du sein à 27 % (IC 95 % : 4-41
%) et un cancer de la prostate à 42 % (IC 95 % : 29-50 %). Ces
chiffres sont nettement supérieurs aux estimations antérieures
qui étaient de 5 à 10 % (2). En revanche, pour les cancers
d’autres localisations, la part héréditaire était inférieure à 10 %
ou non significative.
LES CANCERS DE L’ENFANT
Une étude de cinq registres scandinaves s’est intéressée à
l’incidence de cancer chez 42 277 enfants issus de
25 605 parents qui avaient présenté eux-mêmes un cancer dans
leur enfance (6). Sur 284 cas attendus dans la population géné-
rale, 353 cas ont été dénombrés, correspondant à une surinci-
dence de cancers de l’enfant de 1,24 (IC 95 % : 1,12-1,38).
Après exclusion de 56 familles connues pour des syndromes
de prédisposition au cancer (rétinoblastome, tumeur de Wilms,
MEN2a, etc.), l’incidence de cancer de l’enfant rejoignait celle
de la population générale. Malgré une analyse détaillée des
arbres généalogiques de tous ces cas de cancer de l’enfant,
aucun nouveau syndrome de prédisposition au cancer, avec
une transmission autosomique dominante ou récessive, n’a pu
être mis en évidence.
CONCLUSION
Bien que ces trois travaux aient tous une méthodologie et une
population étudiée différentes, ils ont tous les trois inclus un
grand nombre de patients et sont donc très représentatifs de la
population scandinave. Les trois études confirment que le
nombre de cancers du même type avec une incidence familiale
élevée sont rares et qu’il est donc peu probable de découvrir un
grand nombre de nouveaux gènes de prédisposition au cancer
ayant une pénétrance élevée. En particulier, l’étude sur les can-
cers des enfants issus de parents ayant eu un cancer dans leur
enfance n’a pas identifiée de nouveaux syndromes de prédis-
position au cancer (6). En revanche, l’étude sur les jumeaux
suggère que trois cancers fréquents (colorectal, sein, prostate)
auraient une cause (partiellement) héréditaire variant de 20 %
à 40 % (5). L’identification de ces gènes à faible pénétrance,
de leurs interactions entre eux et avec l’environnement repré-
sente un important défi, dont la complexité nécessite le déve-
loppement de nouveaux outils méthodologiques et techniques
(7). Le séquençage complet du génome humain n’en repré-
sente que le premier élément (8).O
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Futreal PA, Kasprzyk A, Birney E, Mullikin JC, Wooster R, Stratton MR.
Cancer and genomics. Nature 2001 ; 409 (6822) : 850-2.
Localisation Monozygote Dizygote
Cancer colorectal 11 % 5 %
Cancer du sein 13 % 9 %
Cancer de la prostate 18 % 3 %
Tableau I. Taux de concordance parmi les paires de jumeaux pour un site.
* Risque cumulatif de développer un cancer de même localisation à l’âge
de 75 ans (d’après [5]).
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