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ci ont, en effet, fait la preuve de leur effi-
cacité dans cette population si spécifique
des femmes enceintes en mésusage d’al-
cool afin qu’elles modifient leur comporte-
ment de consommation (19).
Prise en charge de la femme enceinte
alcoolodépendante (18, 20)
Il faut savoir que chez la femme la sympto-
matologie physique et psychique de l’alcoolo-
dépendance est plus marquée que chez l’hom-
me. Ainsi, les complications somatiques sont
plus précoces et plus sévères, notamment la
cirrhose (21).
•
•La comorbidité psychiatrique (21-23) est
plus fréquente chez la femme alcoolodépen-
dante que chez l’homme. Les pathologies psy-
chiatriques les plus fréquemment associées
sont les épisodes dépressifs, les troubles
anxieux, certains troubles de la personnalité
(personnalité hystérique et borderline) et des
conduites alimentaires. La prévalence de la
dépression chez la femme alcoolodépendante
est trois fois plus élevée que chez la femme
non alcoolique. Cette dépression est aussi plus
souvent primaire, c’est-à-dire débutant avant
la conduite alcoolique. Pour Dayan (21) :
“Cette fréquence de la dépression primaire est
la principale différence entre alcoolisme fémi-
nin et masculin.” En ce qui concerne les
troubles anxieux fréquemment associés, on
retrouve la phobie sociale, le trouble anxieux
généralisé, le syndrome de stress post-trauma-
tique. Un facteur de risque à bien chercher
dans les antécédents est celui de violences phy-
siques et abus sexuels subis pendant l’enfance.
Il est bien évident que cette comorbidité psy-
chiatrique complique la prise en charge de la
femme enceinte alcoolo-dépendante tant sur
le plan du diagnostic que sur celui du choix
des thérapeutiques adaptées. En effet, comme
le souligne Dayan (21) : “Il paraît illusoire, du
fait de la fréquence des alcoolismes secon-
daires chez la femme, d’entreprendre un trai-
tement spécifique de l’alcoolisme, y compris
en période périnatale, sans y adjoindre le trai-
tement des troubles associés…”
•
•La comorbidité addictive : classique-
ment, il y a lieu de rechercher chez la femme
en mésusage d’alcool, une dépendance taba-
gique et un abus ou une dépendance aux
tranquillisants notamment benzodiazépi-
niques. Chez les femmes jeunes, les données
épidémiologiques récentes nous incitent
aussi à rechercher une consommation asso-
ciée de cannabis.
•
•Aspects pharmacologiques et psycho-
thérapeutiques du sevrage.
La SFA dans la conférence de consensus :
Objectifs, indications et modalités du sevrage
du patient alcoolodépendant (20) souligne
que, chez la femme enceinte, le risque de mal-
formations pour le nouveau-né justifie l’indi-
cation impérative d’un sevrage thérapeutique.
Le sevrage en milieu hospitalier est préférable
au sevrage ambulatoire. L’utilisation de ben-
zodiazépines (oxazépam) sur une courte
période (environ dix jours) est préconisée.
Pour l’accompagnement et le maintien de
l’abstinence, la naltrexone et l’acamprosate
n’ont fait l’objet d’aucune étude dans cette
indication et ne peuvent donc être prescrits.
En ce qui concerne le disulfirame, son utili-
sation est formellement contre-indiquée, de
nombreuses études ayant montré sa tératogé-
nicité.
L’accompagnement psychothérapique est
habituel, qu’il s’agisse d’une psychothérapie
de soutien ou d’une psychothérapie d’inspira-
tion analytique ou bien d’une psychothérapie
brève prénatale (21). Dans tous les cas, il est
recommandé que l’accompagnement avant,
pendant, et après la grossesse d’une femme
ayant un mésusage d’alcool prenne en comp-
te l’importance du lien mère-enfant. La pré-
vention de la séparation mère-enfant doit en
effet être une priorité.
•
•Faut-il aller jusqu’à une mesure d’hospi-
talisation sous contrainte ? Brousse (24)
pose une question éthique : dans quelle mesu-
re une femme enceinte qui s’alcoolise ne met-
elle pas en danger l’enfant qu’elle porte ?
Qu’en est-il de son droit, qu’en est-il des
droits de l’embryon et du fœtus ? Peut-on par-
ler de maltraitance à fœtus ? (25). Mais
comme l’écrit Blazy (26) : “Criminaliser la
maltraitance à fœtus ne fait qu’isoler davan-
tage une population en manque de soins médi-
caux et sociaux.” Nous n’avons pas de
réponses claires à apporter à toutes ces inter-
rogations légitimes. Elles dépassent le cadre
nécessairement limité de la thérapeutique et
nous conduisent dans le champ de l’éthique, et
plus généralement dans celui des valeurs
morales de notre société.
Conclusion
L’arrêt de la consommation de boissons alcoo-
lisées est recommandé chez la femme encein-
te à tout moment de la grossesse. Les femmes
enceintes qui continuent de s’alcooliser durant
la grossesse doivent être davantage repérées,
notamment à l’aide de questionnaires de dépis-
tage standardisé et/ou de marqueurs biolo-
giques. L’accès aux soins des femmes
enceintes présentant un mésusage d’alcool doit
être une priorité pour les professionnels de
l’addictologie. Les modalités de sevrage chez
la femme enceinte sont bien établies, de même
que les modalités d’accompagnement. Les
Équipes de liaison et de soins en addictologie
(ELSA) ont un rôle majeur à jouer à la fois
dans le dépistage et l’orientation de ces
femmes enceintes. Ces équipes se doivent de
développer un partenariat durable avec les dif-
férents professionnels médico-psycho-sociaux
des services de maternité, néonatologie, méde-
cine, centres hospitaliers spécialisés, de la
PMI. La mise en place de professionnels réfé-
rents en addictologie (sages-femmes, obstétri-
ciens, pédiatres, puéricultrices…), au sein des
pôles mère-enfant, nous paraît être un objectif
de première intention qui ne peut se concevoir
sans l’engagement des chefs de service
concernés, afin qu’ils puissent l’intégrer dans
leur projet de service.
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