C L’IRM vous montre tout, y compris ce qui n’existe pas !

8 | La Lettre du Sénologue 48 - avril-mai-juin 2010
San Antonio Breast Cancer Symposium 2009
DOSSIER THÉMATIQUE
L’IRM vous montre tout,
y compris ce qui nexiste pas !
MRI shows you all, including what does not exist!
J.R. Garbay*
* Institut Gustave-Roussy, Villejuif.
Cette année, T. King (Memorial S.K. New York,
communication 38) a expliqué l’apport de
l’IRM dans la surveillance du sein controlatéral
après cancer du sein traité. Dans l’année qui suit une
mastectomie initiale, en dehors de toute mutation
avérée et avec peu d’antécédents familiaux, le taux
de mastectomies controlatérales était en augmen-
tation constante : de 7 à 24 % en près de 10 ans dans
cette équipe. Cette augmentation était directement
corrélée à une augmentation des IRM, mettant en
évidence des anomalies non visibles en mammo-écho-
graphie. L’intervention a trouvé majoritairement des
carcinomes in situ ou des carcinomes invasifs de bon
pronostic, en règle générale d’une biologie différente
de la tumeur initiale. L’auteur a omis de rappeler que
ce taux est très discordant avec l’incidence classique
des cancers controlatéraux dans cette situation, qui
est de 1 % par an environ.
L’année dernière à cette même tribune, M. Morrow
avait fortement mis en garde en rappelant l’absence
de bénéfice de l’IRM dans le dépistage du cancer
controlatéral.
Cela me conduit à faire le point sur la place de l’IRM
dans le bilan lésionnel initial, avant d’envisager un
traitement conservateur.
Dans ce bilan initial, l’IRM est capable de montrer
16 % de lésions cancéreuses supplémentaires par
rapport au couple mammo-échographie (1). Le
premier réflexe du chirurgien est de se réjouir de
ce résultat, en se disant que cela va nécessairement
rendre service à ses patientes. Las ! La suite va nous
montrer que non.
Ce que le chirurgien attend de l’IRM en préopératoire
est un meilleur bilan lésionnel, avec le triple espoir
de réduire le taux de réinterventions pour marges
envahies, de réduire celui des récidives locales (RL)
et d’améliorer la détection des lésions controlaté-
rales. Malheureusement, les chiffres sont têtus, ils
nous annoncent une triple déception et pire encore.
Le taux de réinterventions pour marges enva-
hies : dans la seule étude randomisée existante
(2),incluant 1 628 patientes présentant une lésion
unifocale lors du bilan initial, le taux de réinterven-
tions pour marges envahies était de 18,8 % dans le
bras IRM et de 19,3 % en l’absence d’IRM (p = 0,7691).
Létude non randomisée de K.E. Pengel et al. (3)
incluant 355 patientes ne retrouve pas non plus de
réduction du taux de réinterventions avec IRM (14 %
contre 19 % sans IRM [non significatif]). Cela peut
s’expliquer par le caractère souvent microscopique de
l’atteinte des marges, en dessous du seuil de détection
de l’IRM. Les CCIS de bas grade sont aussi souvent
en cause dans ces marges insuffisantes. Or, ils sont
bien mal visualisés par l’IRM.
Le taux des RL. Là encore, les résultats publiés
montrent qu’il n’en est rien. Dans la plus grosse série,
on observe 3 % de RL avec IRM et 4 % de RL sans IRM
à 8 ans (4). L’étude non randomisée de U. Fisher et
al. (5) rapporte moins de RL avec IRM, mais elle est
entièrement biaisée : les patientes ayant eu une IRM
ont des caractéristiques carcinologiques plus favo-
rables et ont reçu davantage de traitements adjuvants.
Ces résultats n’ont donc aucune valeur. L’absence de
bénéfice sur le taux de RL peut s’expliquer par le fait
que la radiothérapie traite efficacement la maladie
plurifocale lorsqu’elle est de petite taille (6). De plus,
la RL est un phénomène plurifactoriel dans lequel
la maladie résiduelle éventuelle n’est que l’un des
éléments. L’agressivité biologique de la tumeur joue
aussi un rôle important.
La détection des lésions controlatérales. En
ce qui concerne ce dernier espoir, le taux de cancer
controlatéral à 8 ans est identique : 6 %, avec ou
sans IRM, dans l’étude de L.J. Solin et al. (4).
Au final, l’IRM naméliore aucun des trois points essen-
tiels que le chirurgien pouvait attendre. En revanche,
“Nous pouvons espérer que,
même si nous n’allons pas vers
là où nous voulons aller,
nous finirons par arriver
là où il faut !”
Douglas Adams
(“Le Guide du voyageur
galactique : H2G2”), 1979
La Lettre du Sénologue 48 - avril-mai-juin 2010 | 9
Résumé
comme elle montre beaucoup plus de lésions cancé-
reuses, elle induit un taux de mastectomies beaucoup
plus important que chez les patientes n’ayant pas
bénéficié de l’IRM. La seule étude randomisée exis-
tante retrouve 7 % de mastectomies dans le bras IRM,
contre 1 % sans IRM (2). Dans toutes les séries, le
taux de conversion supplémentaire en mastectomie
se situe entre 3,6 et 33,3 % (1). Le bénéfice clinique
de ces mastectomies supplémentaires en termes de
survie globale ou de survie sans récidive n’est abso-
lument pas démontré. Il en est de même pour les
24 % de mastectomies controlatérales présentées
par T. King à San Antonio.
On trouve même des publications rapportant des
mastectomies décidées sur la seule IRM, et jugées a
posteriori histologiquement non justifiées (2, 7). Le
lecteur découvre avec consternation des mastecto-
mies réalisées sur des images IRM de plurifocalité sans
preuve biopsique préopératoire ! Comme quoi le non-
respect des règles élémentaires de la chirurgie carci-
nologique peut mener à de vraies catastrophes. L’IRM
peut effectivement tout nous montrer, y compris ce
qui n’existe pas. Cet examen merveilleux est entaché
d’un taux non négligeable de faux positifs. Il peut
s’agir soit de “focis”, qui sont des petites prises de
contraste sans aucune lésion correspondante, soit
de toutes petites lésions bénignes dès lors qu’elle
sont bien vascularisées. Les mastoses fibrokystiques
donnent ainsi de superbes images…
Il faut bien réaliser que, si une patiente n’est pas
capable de lire sa mammographie ou son échogra-
phie, les planches imprimées en couleur de l’IRM sont
au contraire très lisibles. La patiente sera facilement
impressionnée, voire affolée, par les multiples focis
scintillants de son examen…
Le médecin prescripteur ne doit pas oublier qu’au
bout de son IRM se trouve toujours un chirurgien. Or,
un chirurgien prend des décisions binaires : opérer ou
surveiller, faire une mastectomie ou un traitement
conservateur.
Lorsqu’une patiente arrive alarmée à ma consul-
tation, je vais devoir dépenser un temps et une
énergie considérables à lui expliquer ce que sont
les faux positifs d’un examen que j’aurais souhaité
ne voir jamais exister. La répétition de l’exercice
devient vite lassante. Il y a urgence à expliquer aux
collègues prescripteurs les vertus de l’abstinence
dans ce domaine. Il ne faudra pas compter sur le
radiologue pour refuser de pratiquer un examen
qui lui est prescrit...
Aujourd’hui, en pratique, la prescription d’une IRM
en préopératoire doit donc être abordée avec la plus
grande prudence, et décidée au mieux en concerta-
tion pluridisciplinaire.
Le plus dangereux est sûrement de prescrire cette
IRM à mauvais escient. Les indications que je retiens
aujourd’hui en routine sont les lésions lobulaires, les
indications d’oncoplastie et les seins denses. C’est
une attitude pragmatique, partagée par beaucoup,
reposant sur l’expérience.
La difficulté majeure réside dans la possibilité de
contrôler histologiquement de nouvelles images
détectées par cette IRM. Environ une fois sur deux,
l’échographie orientée permettra cette biopsie.
Autrement, il faut pouvoir réaliser une biopsie guidée
par l’IRM, ce qui nest accessible que dans des centres
spécialisés. En l’absence de biopsie, l’IRM aura créé
plus de problèmes qu’elle n’en aura résolus.
Conclusion
Le bénéfice clinique des mastectomies induites par
l’IRM lors du bilan initial d’un petit cancer du sein
ainsi que lors de la surveillance du sein controlatéral
n’est donc absolument pas prouvé à l’heure actuelle.
Le bon sens laisse penser que les patientes présen-
tant des plurifocalités volumineuses tireraient un
bénéfice d’une chirurgie plus large. Mais cette pluri-
focalité n’est-elle pas déjà triée par sa détectabilité
lors du bilan mammo-échographique classique ?
Tout ce que montre l’IRM en plus doit-il vraiment
modifier les indications opératoires ?
La réponse est au cas par cas aujourd’hui. Il y a un
besoin urgent d’autres études. Le problème est que si
l’objectif principal est d’améliorer le taux de récidives
locales ou la survie, comme les événements sont peu
nombreux, il faudra des effectifs énormes : de 6 000
à 14 000 patientes selon les hypothèses statistiques.
Autant dire que ces études ne seront jamais réalisées.
On peut aussi espérer à l’avenir voir apparaître des
produits de contraste plus spécifiques, qui distin-
gueront mieux entre bénin et malin et réduiront le
taux de faux négatifs.
L’imagerie médicale est à l’évidence une des spécialités qui a le plus évolué ces quinze dernières années et
son potentiel innovant reste encore énorme. À nouvelles possibilités nouveaux défis, mais aussi dérapages
possibles.
La place de l’IRM dans le bilan lésionnel initial est sans doute un des exemples les plus éloquents de déra-
page mal contrôlé.
Références
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imaging screening of the contrala-
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diagnosed breast cancer: syste-
matic review and meta-analysis of
incremental cancer detection and
impact on surgical management. J
Clin Oncol 2009;27(33):5640-9.
Mots-clés
IRM
Cancer controlatéral
Chirurgie
Keywords
MRI
Contralateral breast
Surgical
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