Le Canard du Caucase de traduire en français, elle le fait Mensuel francophone libre, indépendant et gratuit • • 3ème année – Numéro 15 – novembre 2014 Sommaire p3 p5 Tranches de vie. La grande guerre dans le Caucase (19141918). p9 p13 Imbroglio divin aux abords du Kazbek. Bande dessinée - Un conte caucasien. Photo Mery François-Alazani. Les ocres de Nekressi. Comité de Rédaction pour ce numéro Mery François-Alazani, Nicolas Guibert, Sophie Tournon. Email:[email protected] Facebook: www.facebook.com/lecanardducaucase Important Le Canard du Caucase se dégage de toute responsabilité quant aux propos tenus dans ces pages. Ceux-ci sont des propos personnels qui n’engagent que leurs auteurs. Page 2 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 Edito BREVES EN VRAC Par Nicolas Guibert. L’insaisissable Canard du Caucase est de retour. Où s’est-il volatilisé tous ces mois ? Parti migrer ? Emplumé dans des histoires de visa ? Nul ne le sait. L’imprévisible palmipède n’en garde pas moins quelques petites habitudes, avec tout d’abord ses quelques cancans d’usage. Brèves et tranches de vie. Puis, à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre, le Canard nous rappelle que cet enfer fut bien mondial, et que le Caucase n’en était pas exempté. Empires Ottoman et Tsariste, deux grands malades en phase terminale, y eurent l’occasion de tirer leur révérence et leurs dernières salves, dans l’agonie. Ensuite notre oiseau file par la mythique route militaire pour rejoindre Kazbegui. De là, clic clac, l’église Sameba sur fond de Mont Kazbek, le cliché dans la boîte, on rentre… A moins que… Le Canard passe le film au révélateur, l’image a beaucoup de chose à nous dire. Pour finir en beauté, le Canard se pare d’une bande dessinée géorgienne. « Une BD géorgienne ? Le Canard fabule ! » Eh bien non, il ne fabule pas. Voyezvous même. Nicolas Guibert Traité de sémantique Les Russes ont proposé le 13 octobre un nouveau traité aux Abkhazes, un traité qui ne dit pas son vrai nom. Un nom qui s’exprime différemment selon la langue : -en russe: Alliance et intégration. -en abkhaze: Alliance et partenariat stratégique. -en géorgien: Annexion. -en ukrainien: Criméesation. La méthode Coué « Rien n’arrêtera l’engagement de la Géorgie vers l’intégration Euro-Atlantique ». « Rien n’arrêtera l’engagement de la Géorgie vers l’intégration Euro-Atlantique ». Je réitère : « Rien n’arrêtera l’engagement de la Géorgie vers l’intégration EuroAtlantique ». Chaque jour, inlassablement, la phrase revient dans la bouche du Alassania est un traître, aventurier, stupide et ambitieux. gouvernement et des leaders géorgiens. Autopersuasion ? Doute ? Imposture ? Fabulation ? Psychose ? Endoctrinement ? Si seulement le bon Dieu avait pu placer la Géorgie plus à gauche sur la carte ! Tout aurait été si simple. Califechvili Tamaz Batirachvili, Tarkhan Batirachvili et Murad Margochvili, trois noms qui sentent bons les khinkalis et le Saperavi. Mais qui sont en fait ces nouvelles ‘stars’ géorgiennes ? a. des chanteurs polyphoniques. b. des joueurs de rugby. c. des danseurs étoile. d. des apprentis califes. Réponse : d. Sakharov d’argent Leyla Yunus, militante distinguée des Droits de l’Homme en Azerbaïdjan, monte sur le podium mais rate la 1ère marche Le pays ne devrait pas être gouverné en coulisse. pour le prix Sakharov. L’Histoire ne retient pas les seconds. Elle croupira en prison, comme (mais pas avec) son mari. Négociateurs d’atmosphère Le président français Hollande a reçu le 27 octobre à l’Elysée ses homologues azerbaïdjanais et arménien pour tenter de relancer les négociations dans le conflit du HautKarabakh, gelé depuis plus de vingt ans. La rencontre s’est déroulée « dans une atmosphère constructive », selon la formule usitée. La même depuis 20 ans. 20 ans que les négociateurs construisent de l’atmosphère. Rien d’autre. Des experts en brassage d’air. Allez hop, du vent ! Dégagez ! Des ventilateurs coûteront moins chers. Margvelachvili rabaisse la fonction présidentielle. Ils veulent détruire un rival politique potentiel, mais ils échoueront. Petit échange entre (ex) amis. Le 4 novembre le Premier Ministre géorgien (à g.) limogeait son populaire ministre de la Défense (à d.). Depuis la coalition au pouvoir risque l’implosion. Page 3 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 TRANCHES DE VIE L’étourneau et le cerisier. Georges Joliani. Je m’approche doucement de la fenêtre. Il est déjà là. Il, c’est l’étourneau qui a pris l’habitude de manger des cerises. Il y a un très beau cerisier juste devant mes fenêtres. Les cerises sont de couleur ivoire, passant doucement au rose. Tous les matins, quand le soleil se lève, en inondant le voisinage de torpeur laiteuse, il est fidèle au rendez-vous. Je sais qu’il me voit, mais il ne fait pas attention. Il s’assied sur sa branche préférée et il commence… - Allô, batono Georges, comment ça va ? Je vous téléphone pour vous dire une chose. Vous voyez le cerisier en face de vos fenêtres ? Il est à moi. C’est mon père qui l’a planté. D’accord ? Donc, tout ce qui est dessus, c’est à moi aussi. Bon allez, bonne journée, je compte sur vous. … En gardant l’équilibre sur une patte, il accroche une cerise avec l’autre patte. Délicatement, sans arracher le fruit de sa tige, il enlève le noyau. Et, dans un geste élégant, il jette le fruit en l’air et l’envoie directement dans son gosier. Et la procédure recommence… - Batono Georges, excusez-moi de vous déranger. Hier je suis passé devant votre maison, et quand je vous ai appelé, je me suis peut-être mal exprimé. En fait, c’est un cerisier familial, quoi. Vous pouvez arracher et manger autant de fruits que vous voulez. Et si quelqu’un vous dit quelque chose, je m’en occupe. Ils sont très bons, cueillez-les et mangez-les, je compte sur vous. … Une fois bien rassasié, il se retourne vers moi et se met à nettoyer soigneusement son bec. Et comme ça, tous les matins. Lui il mange, et moi je le regarde. C’est pratiquement devenu un rituel. Il est six heures, la rue est silencieuse et mon étourneau déguste ses cerises. - Batono Guiorgui, vous n’aimez pas mes cerises ? Alors si vous les aimez, pourquoi ne les mangez-vous pas ? Comment ça, vous n’en avez pas envie ? Vous mangez uniquement quand vous en avez envie ? On n’est pas des animaux quand même ! Bon ben, bonne journée alors… Le carrefour de l’hôpital. Georges Joliani. ‐ Enfin tu es là, rentre, rentre. Je lui passe ma bouteille de vin et elle m’installe dans le salon. Mes deux amis y sont déjà attablés. ‐ ‐ Asseyez-vous. Ne commencez rien sans moi, je vais chercher les fruits dans la cuisine, dit-elle en disparaissant. Je suis furieux, dis-je. Je viens de passer devant ce foutu carrefour près de l’hôpital. Je hais ce croisement, le plus dangereux de la ville. Les voitures déboulent de partout, et je suis sûr que le seul endroit d’où elles ne surgissent pas, c’est du ciel. Ils ne sont même pas foutus de mettre un feu ! Au lieu de ça, ils ont construit un immense hôpital juste à côté, comme pour dire que dès qu’il y aura un accident, on sera là. Vraiment, c’est de l’anti-prévention, typiquement géorgien. Je m’assieds sur un fauteuil libre près de mes amis. ‐ ‐ Je vous avais dit de ne pas commencer sans moi. Voilà les fruits, j’apporte le khatchapouri tout de suite, mais attendez-moi, hein, dit-elle en quittant de nouveau la pièce. Mais non, rétorque mon ami. Tu n’as rien compris, vieux. En réalité, ils ont d’abord construit l’hôpital, mais comme les patients manquaient, ils ont construit un carrefour dangereux juste à côté, pour s’assurer la clientèle. Tu sais bien qu’on est une nation pragmatique. A chaque « problème » sa « solution » ! On sourit tous les trois. Page 4 ‐ ‐ Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 Attention, c’est brûlant ! Il est au fromage frais de la montagne. De quoi vous parlez ? Ah non, les enfants m’appellent. J’arriiiiiiive ! J’en ai pour une minute, je reviens, attendez-moi hein! Et elle nous quitte de nouveau. Mais non, c’est pas du tout ça, nous dit le troisième en roulant un gros morceau de fromage chaud dans sa bouche. C’est tout l’inverse ! Nous ne sommes pas une nation cynique ni rationnelle. Nous sommes des esthètes, voyons ! Ce croisement a été créé uniquement pour savourer en direct la tragédie de la vie. L’hôpital, il suffit de voir son toit métallique en forme de pique géante visible depuis l’aéroport : il n’a que trois étages utilisables sur 10 de construits. Les Géorgiens sont un peuple dramatique par excellence, tout geste est fait uniquement pour sa beauté, dit-il en avalant enfin son morceau de fromage. On sourit de connivence de nouveau. ‐ Ah, vous avez quand même parlé sans moi, dit-elle en rassemblant ses cheveux. Vous parlez de ce carrefour horrible ? Vous savez que le cousin du deuxième mari de Naziko a eu un accident là-bas ? Et il est mort, bien sûr. Sur place, bien entendu. Ils n’ont pas eu le temps de réagir. En plus, ils ignoraient qu’il y avait un hôpital juste à côté… Alors, mon khatchapouri ? Visa, visa, dis-moi qui tu choisiras? Sophie Tournon. Depuis septembre, et même un peu avant, le thème qui préoccupe les expatriés en Géorgie est le nouveau système de contrôle des immigrés. Inspiré du modèle européen et instauré en prévision d'un rapprochement fusionnel à venir, les autorités géorgiennes ont décidé de d'imposer aux étrangers étudiant, travaillant ou passant un long temps en Géorgie d'avoir un visa pour 3 mois consécutifs, plus un permis de séjour s'ils doivent y résider davantage. Problème: l'obtention du sésame n'est pas aisée pour tous. Les obstacles sont de trois sortes, d'après les témoignages recueillis: cas d'incompétences des guichetiers mal formés, de communication défaillante vers les étrangers et d'arbitraire lors de la délivrance du précieux document. Parmi les soucis rencontrés: *la transcription des noms et prénoms (Jean-Charles Martin devenant jéani charléssi martini, par exemple), *le paiement du visa surtaxé par les banques pour raison de sécurité de transfert (40 euros le visa, 15 euros le transfert, 8 euros l'assurance parfois obligatoire), *le document prouvant la location de l'appart payé au noir, comme dans 99,9% des cas de locations en Géorgie (le proprio refusant parfois d'officialiser la location par crainte de taxes, des amis logeant soudainement plein d'étrangers pour dépanner...). Pour l'anecdote, citons le choix de pas mal d'expatriés de faire la demande de la double nationalité, pour eux et/ou leurs enfants (l'année 2014 va connaître un baby boom intéressant)... La com' n'a pas toujours été à la hauteur, la faute aux autorités débutantes, aux ambassades relais embrouillées, aux employeurs peu compréhensifs ou aux universités prises de cours. La palme du pire est à attribuer aux quelques cas scandaleux de racisme éhonté : la couleur de la peau ou le lieu de naissance exotique ne plaisent pas au guichetier qui refuse tout simplement de traiter le dossier... Face aux expatriés (américains) proches des cercles de décision qui se sont fait les relais des problèmes rencontrés, le Premier ministre a présenté ses excuses pour les désagréments subis et a promis de travailler sur ce sujet. En attendant, beaucoup d'expatriés expriment leur mécontentement, voire leur incompréhension face au système de visa, arguant d'une absurdité nuisible au développement de la Géorgie, pays autrefois ouvert, accueillant et jouissant d'une attractivité grandissante, notamment grâce à sa politique d'accueil de tous, bohèmes et investisseurs, tous taxés à 20% et ne jouissant d'aucune politique sociale redistributive. A suivre. Page 5 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 HISTOIRE La grande guerre dans le Caucase (1914-1918). Par Bruno Elie, chercheur indépendant. Ce texte est issu d’une conférence donnée le 15 septembre à Tbilissi, à l’initiative de l’Institut français de Géorgie, à l’occasion de la commémoration du Centenaire de la Première Guerre mondiale. La Grande Guerre, on en parle beaucoup, surtout au moment du centième anniversaire de son début. Mais chacun y voit une guerre différente, celle que son pays a subie : pour les Français, ce sont les batailles des Flandres aux Vosges, pour les Russes, le front germano-russe, de la Baltique à la Roumanie, pour les Serbes, du Vardar au Danube, etc. Les deux protagonistes de la Grande Guerre dans le Caucase, les Empires russe et ottoman ont disparu. Leurs successeurs, l’URSS et la République de Turquie, ont longtemps maintenu dans les oubliettes de l’Histoire, pour l’une les victoires de la Russie impériale, pour l’autre le désastre ottoman de Sarikamis. Il y a pourtant eu un véritable front de plus de 600 km de longueur, de la Mer Noire au Lac d’Ourmiah, sur lequel se sont affrontées des armées de l’ordre de 150 000 hommes de part et d’autre. Le déroulement de la guerre En 1914 les deux Empires ottoman et russe sont encore deux géants mais deux géants malades. La guerre leur sera d’ailleurs fatale : ni l’un ni l’autre n’y survivront. En 1914 ils ont un certain nombre de points communs : ce sont deux régimes autocratiques qui se sont empressés dès l’ouverture du conflit de verrouiller la faible représentation populaire qui existait chez eux. Tous deux ont connu la défaite depuis le début du XXe siècle : Guerres balkaniques de 1912-1913 pour les Ottomans, Guerre russo-japonaise de 1904-1905pour les Russes, avec dans l’un et l’autre cas perte de territoires et de prestige. Tous deux ont aussi traversé un épisode révolutionnaire, « Révolution » de 1908-1909 pour l’Empire ottoman, Révolution de 1905 pour l’Empire russe. Tous deux sont multiethniques et rencontrent des problèmes avec leurs minorités ethniques ou religieuses : Arabes, Arméniens grégoriens, Grecs orthodoxes pour les Ottomans, Musulmans du Caucase et d’Asie Centrale, Polonais catholiques pour les Russes. Tous deux ont des finances en mauvais état. Mais il y a aussi des différences majeures. La première est démographique : l’Empire ottoman ne dépasse pas 24 millions d’habitants, l’empire russe atteint 170 millions d’habitants, avec comme conséquence importante que les Ottomans ne peuvent guère mobiliser plus de 800.000 hommes tandis que les Russes pourraient mobiliser jusqu’à 12 millions d’hommes ! L’Empire ottoman a des ressources agricoles limitées, peu de ressources minérales, très peu de pétrole en exploitation ; l’Empire russe a des ressources quasi-inépuisables en charbon, en fer, en pétrole, en bois, en or… L’Empire ottoman est endetté et ses créanciers se payent eux-mêmes sur le pays sans favoriser son développement tandis que l’endettement de la Russie a servi à financer sa modernisation économique. En conséquence l’Empire ottoman est très peu industrialisé, avec des infrastructures médiocres, alors qu’en Russie l’industrialisation et les infrastructures sont en plein développement. La Russie est depuis le début du XXe siècle dans un système d’alliances et quand elle soutient la Serbie face à l’Autriche, ses alliées, la France et la Grande Bretagne, entrent en guerre à ses côtés. L’Empire ottoman n’est dans aucune alliance, hésite beaucoup. Quelques personnalités l’entraînent finalement vers l’Allemagne. Les buts de guerre aussi sont dissemblables : l’Empire ottoman cherche d’abord à reprendre à la Russie les districts perdus en 1878 (Ardahan, Artvin, Batoum et Kars), ensuite à donner la main aux peuples turco-musulmans de l’Asie Centrale en rêvant de les soulever contre la Russie chrétienne. La Russie convoite Constantinople mais elle s’est laissée persuader par la France que le chemin en passait par Berlin. Il faut d’abord vaincre l’Allemagne. La Grande Bretagne, quant à elle, est fermement décidée à ne pas laisser les Russes arriver seuls à Constantinople. Pour la guerre elle-même, rappelons qu’elle dure pour l’Empire ottoman du 2 novembre 1914 au 30 octobre 1918 (Armistice de Moudros), pour la Russie du 1er août 1914 au 3 mars 1918 (Traité de Brest-Litovsk). La guerre se déroule pour la Russie sur un front énorme, appelé Front oriental, depuis la Finlande jusqu’à la mer Noire et sur un front secondaire de la mer Noire à la Perse. La partie qui nous intéresse se trouve sur ce front secondaire, dans le Caucase, depuis Hopa sur la mer Noire jusqu’à la rive Sud du lac de Van. Pour l’Empire ottoman, elle se déroule Page 6 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 sur de nombreux fronts très divers et séparés les uns des autres : Palestine, Hedjaz et Mésopotamie face à l’Angleterre ; Perse, Caucase, Galicie et Roumanie face à la Russie, Dardanelles et Macédoine face aux Franco-Britanniques. La région est un terrain d’affrontement des deux empires depuis le début du XIXe siècle : campagne de 1828-1829, Guerre de Crimée (1853-1856), campagne de 1877-1878. Physiquement, il s’agit de la zone du Petit Caucase et des plateaux arméniens et Est-anatoliens. Le climat est rude. Il y a 4 à 6 mois d’enneigement, avec jusqu’à 2 mètres de neige au-dessus de 1.500 m. Les communications sont difficiles du fait du relief et du climat mais il y a une différence radicale entre les régions sous administration russe et celles sous administration ottomane. Les Russes, qui ont un réseau national de chemin de fer de 70.000 km, ont construit des voies ferrées reliées à leur réseau général et qui vont jusqu’à la frontière à Batoum, à Sarikamis et face à la Perse à Djoulfa. Le réseau routier principal est praticable aux automobiles et relie toutes les villes de quelque importance (Batoum, Ardahan, Artvin, Erevan, Kars, Oltu) à Tiflis ou Alexandropol. Les Ottomans n’ont aucune voie ferrée à moins de 700 km d’Erzurum (Ulukı la) avec ensuite des routes à peine carrossables ou de simples pistes. En temps de paix leur approvisionnement vient par voie maritime jusqu’à Trébizonde, puis par la seule bonne chaussée qui permet de ravitailler Bayburt, Erzincan et Erzurum, mais depuis le début de la guerre la marine russe surveille les côtes d’Anatolie. Il en résulte une différence majeure dans la capacité de manœuvre des forces : les Russes basculent leurs réserves d’un bout à l’autre du front en trois jours par chemin de fer ; les Ottomans mettent un mois pour faire la même chose. Quand en 1916 les Russes s’enfonceront dans le territoire ottoman, leur avantage diminuera car ils emprunteront les mêmes chemins peu carrossables que les Ottomans. Page 7 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 Au départ les adversaires sont de part et d’autre de la frontière de 1878. Chacun possède une forteresse importante, qui sert d’arsenal et de pivot pour la défense : Kars pour les Russes, Erzurum pour les Ottomans. L’armement des deux forteresses est à peu près équivalent mais Kars est relié à la Russie intérieure par le chemin de fer tandis qu’Erzurum dépend de la seule route vers le port de Trébizonde. En dehors des forces qui gardent les forteresses, il faut comparer les forces mobiles qui peuvent entrer en campagne : du côté russe : infanterie, 100.000 h ; cavalerie, 15.000 h ; artillerie, 256 canons Fantassins ottomans à la halte, Caucase, 1914. de campagne ou de montagne. Il y a en outre 4 « droujiny » arméniennes et 2 géorgiennes, en tout environ 6.000 h. Les unités cosaques constituent la moitié des forces mobiles russes. Du côté ottoman : infanterie, 118.000 h ; cavalerie, 4.500 h ; artillerie, 218 canons, surtout des canons de montagne. Il y a en outre des irréguliers Lazes ou Kurdes, assez peu contrôlables. Les Russes ont l’avantage pour l’artillerie et surtout pour la cavalerie (trois fois plus de cavaliers, en majorité des Cosaques). Les forces constituent du côté russe l’Armée du Caucase à deux corps Volontaires arméniens, 1914. Source Garegin Pasdermadjian. d’armée, du côté ottoman la 3eArmée à trois corps d’armée. La guerre sur le Front du Caucase a connu six phases principales : 1°. Novembre 1914 à janvier 1915. Du côté russe, le Caucase est un front secondaire. Du côté ottoman, il y a des intentions offensives pour reprendre les territoires perdus en 1878. Après quelques combats initiaux à l’avantage des Ottomans près de la frontière (Köprüköy), le Ministre de la GuerreChef d’état-major général, Enver Pacha, a fait planifier une offensive. Il prend le commandement de la 3eArmée en vue d’envelopper les troupes et l’état-major russes qui se trouvent à Sarikamis pour Tranchées russes dans les forêts de Sarikamis. Source Marshall Cavendish Corporation Page 8 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 continuer ensuite vers Kars. Le commandement russe est d’abord surpris mais les troupes russes se défendent. Devant cette résistance et à cause du froid soudain, les soldats ottomans ne peuvent tenir. Le 8 janvier, quand Enver repart pour Constantinople, le désastre est complet. De mai à août 1915 les combats vont se déplacer vers Van, où les Russes délivrent les Arméniens assiégés dans la ville et avancent jusqu’à Mu . A compter du 15 août, le front se stabilise jusqu’à la fin de l’année. 2°. Janvier à février 1916. Le Général Youdenitch, Commandant opérationnel de l’Armée du Caucase, prépare dès l’automne 1915 une offensive pour s’emparer d’Erzurum, la principale place forte ottomane. Prenant l’offensive en janvier, les Russes prennent Erzurum le 11 février. La prise de la plus grande forteresse face à l’Est est un désastre pour les Ottomans. Le 1er mars 1916, à Constantinople, l’état-major ottoman prend la décision de déployer la 2e Armée en renfort au Caucase. Il faut encore qu’elle arrive. 3°. Avril à juillet 1916. Trabzon est prise le 16 avril 1916. C’est un désastre logistique pour la 3e Armée car tous ses approvisionnements transitaient par le port de Trabzon et par la seule bonne route empierrée Trabzon – Bayburt – Erzurum. Youdenitch veut achever la destruction de la 3e Armée avant que la 2e Armée puisse être engagée contre lui. Sa nouvelle offensive débute le 2 juillet, mais l’Armée russe ne peut plus continuer car la logistique ne suit pas sur les mauvaises routes d’Anatolie. 4°. Août à septembre 1916. La 2e Armée ottomane arrive dans sa zone d’action en juin 1916. Le 2 août 1916, les Ottomans reprennent Malazgirt et Ele kirt. Toutefois Youdenitch bascule ses réserves au Sud Est à marches forcées dans une région presque dépourvue de routes. Le 26 septembre l’offensive ottomane est définitivement brisée, les Russes ont repris les positions perdues en août. Fin septembre ce front, qui est en grande partie à plus de 2000 m d’altitude, devient statique avec l’arrivée des premières neiges. Page 9 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 5°. Octobre 1916 à janvier 1918. En 1916 les Ottomans ont perdu environ 100 000 h. sur le front du Caucase. La 3eArmée doit être reconstituée. Il n’est plus question d’offensive. Les pertes russes aussi ont été conséquentes : dans la période de juin à septembre 1916, 50 000 h. ont été mis hors de combat, dont une bonne partie pour maladie. Il fallait utiliser l’hiver pour reconstituer les forces avant une nouvelle offensive. Celle-ci n’aura jamais lieu : la révolution s’est emparée de la Russie à partir de mars 1917. Le Général Youdenitch est relevé de ses fonctions par le Gouvernement provisoire le 15 mai 1917. L’Armée du Caucase se dissout peu à peu. En face, les 2e et 3e Armées ottomanes ne sont pas en état de profiter de l’affaiblissement de l’Armée russe du Caucase : 1917 a été, à la différence d’autres fronts, une année calme sur le front du Caucase. 6°. Février à octobre 1918. Le 7 décembre 1917 le gouvernement bolchevique a signé un cessez-le-feu avec l’Allemagne. Les négociations de paix, auxquelles l’Empire ottoman est partie prenante, sont engagées. Enver Pacha sait que seules les conquêtes effectives seront prises en compte. Le 12 février 1918 les forces ottomanes, réorganisées et renforcées, passent à l’offensive malgré la trêve signée avec les Russes. En face d’eux se trouvent des restes de l’Armée russe, l’armée nationale géorgienne, moins de 10 000 hommes, et l’Armée nationale arménienne, beaucoup plus aguerrie mais comptant seulement environ 20 000 hommes. Trabzon est reprise par les Ottomans le 25 février, Erzurum le 12 mars, Batoum le 14 avril, Kars le 24 avril. A la fin de mai 1918 le 2e Corps caucasien de evki Pacha est à 50 km de Tiflis. La Géorgie, pour éviter l’invasion, se place sous protectorat allemand. Les Ottomans, arrêtés à Sardarabad par les troupes du Général Nazarbekian, contournent Erevan et poursuivent vers l’Est. Ils sont devant Bakou fin juillet. Tout le monde s’inquiète : les Britanniques envoient une colonne, la Dunster Force, à travers la Perse ; les Bolcheviks et les Allemands signent un accord à Berlin (27.08.1918) pour limiter les ambitions turques. Les Bolcheviks reconnaissent l’indépendance de la Géorgie, s’engagent à défendre Bakou et à livrer 25% de la production pétrolière à l’Allemagne. Rien n’y fait, les Britanniques évacuent leur Dunster Force le 15 septembre. Le 16 septembre les Ottomans entrent dans Bakou. Ils continuent le long de la mer Caspienne, remontant par Derbent jusqu’à Petrovsk (Makhatchkala) qu’ils prennent le 8 novembre. A cette date la guerre est déjà finie pour l’Empire ottoman : l’armistice de Moudros a été signé le 30 octobre 1918. Conclusion Depuis la Première Guerre mondiale, le front du Caucase est resté mal connu, même dans la mémoire historique des pays successeurs des Empires qui s’y sont affrontés. La première raison de ce « trou de mémoire » se trouve dans la disparition des deux Empires en question, le russe et l’ottoman, tous deux remplacés par des régimes qui se voulaient radicalement différents et qui ont consciemment remis les pendules historiques à zéro. L’histoire de l’URSS commence en 1917, celle de la République de Turquie en 1923. Les archives militaires de la Première Guerre mondiale ont longtemps été inaccessibles en URSS et le sont encore en bonne partie en Turquie. Cette guerre a pourtant été une vraie guerre, aussi acharnée et totale que sur le front mieux connu de France, limitée toutefois par les ressources relativement restreintes que chacun des belligérants a pu ou voulu accorder à ce théâtre d’opérations. Les Ottomans comme les Russes avaient d’autres fronts qu’ils jugeaient plus importants pour eux. Le feu d’artillerie, de mitrailleuse ou d’avion n’a jamais atteint la puissance qu’il a développée sur le front occidental, pour la raison aussi que le déplacement de pièces lourdes ou l’approvisionnement de grandes quantités de munitions étaient rendus extrêmement difficiles à cause du relief et du manque de routes. Au final, ce conflit s’est déroulé en deux phases distinctes : 1) novembre 1914 à octobre 1917, deux puissances s’opposent, chacune membre d’un des deux camps qui s’affrontent dans le cadre de la guerre mondiale ; 2) de février à novembre 1918, c’est une guerre régionale entre l’Empire ottoman et des Etats caucasiens issus de la désintégration de l’Empire russe. Un siècle plus tard une histoire complète et impartiale de la Grande Guerre dans le Caucase reste encore à écrire. Page 10 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 CARNET DE VOYAGE Imbroglio divin aux abords du Kazbek. Texte et photos de Mery François-Alazani Le village de Ketrissi dans la vallée de Trousso. paysages de Khévie sont ceux qui, en Géorgie, se rapprochent le plus du paysage caucasien archétypal romantique Les et accidenté qui a fasciné et inspiré des sommités littéraires de Russie et d’ailleurs. Le défilé du Darial qui forme l’unique passage naturel du pays reliant le Nord au Sud Caucase raccorde aussi bien les territoires que les imaginaires. Lorsque l’on ne se trouve pas pris en étaux entre ces remparts rocheux aux crêtes affutées, on découvre une région aux lignes plus souples et aux tonalités moins inquiétantes: du vert à perte de vue, des vagues de vert vif qui épousent les irrégularités du relief, du vert concentré au ras du sol façon terrain de golf et des minéraux qui ponctuent de touches de couleur inattendues ces étendues plissées au revêtement uniforme. Peu de flore. Laissons cela à la Svanétie. Ici c’est brut de décoffrage, sans fioritures. La nature mokhévienne se comporte comme une lame de fond anthropophage, elle avale à peu près tout sur son passage. Il reste en conséquence très peu de place pour l’humain dans cette contrée. Les deux coulées de boue qui ont enseveli une dizaine de personnes dans les gorges du Darial ces derniers mois, sanctionnant la construction inconsidérée d’une station hydro-électrique sur le Terek, procèdent de cette même logique. Il faut maîtriser l’art du sur mesure pour vivre en harmonie avec cet habitat souverain. Ainsi on ne sera pas étonnés de rencontrer des autochtones modestes, discrets, avenants, dont le folklore n’est pas ostentatoire, pour ne pas dire presque inexistant. On aura rarement vu des Géorgiens faire montre d’autant d’abnégation. Les églises, aux atours ailleurs si manifestes, se fondent sans ornements et signes distinctifs dans le décor. Sauf une, qui la ramène un peu. Page 11 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 Kazbegui* est une bourgade minimaliste assez représentative du climat régional. Cette petite ville atone est essentiellement un point de ralliement, de rayonnement vers les sentiers de randonnée, pour les alpinistes et autres marcheurs amateurs de grands espaces qui sillonnent la Khévie d’un pas exploratoire. Le seul pôle d’attraction mainstream du coin, c’est l’église Sameba de Guergeti, posée sur une montagne en contrebas de l’imposant et rebondi Mont Kazbek. Sameba qui fait figure de destination incontournable, doit moins sa renommée à sa fonction religieuse qu’à son statut d’icône de carte postale. La Géorgie a certes d’autres attributs que le majestueux panorama que ce site nous offre, néanmoins celui-ci a l’avantage, à moins de trois heures de Tbilissi, d’offrir un dépaysement de proximité dans une province à la beauté sauvage sur laquelle on a déjà un point de vue intéressant depuis l’ancienne route militaire qui la traverse et qui constitue désormais la seule voie de transit vers la puissance coloniale qui étend son empire de l’autre côté du Caucase. Si on laisse de côté les considérations pratiques, les propriétés allégoriques du lieu offrent un champ d’investigation fertile pour tenter de cerner les ressorts de son pouvoir d’attraction. Fort de son ancrage L’église Sameba de Guergeti et le Mont Kazbek mythologique, le Kazbek, qui fut le théâtre d’un châtiment divin, s’est construit une réputation qui transcende les âges. D’aucuns considèrent que c’est sur son haut sommet que Zeus fit enchaîner Prométhée pour le punir d’avoir offert aux humains le feu sacré qu’il avait dérobé aux Dieux. C’est le cas, tout au moins dans la mythologie géorgienne, de son alter-ego Amiran. Depuis que cet édifice chrétien lui fait face, le haut sommet caucasien est l’objet d’une captation spirituelle qui le contraint à partager son voisinage et à sacrifier un peu de son rayonnement. Ce qui séduit l’œil et le cœur, c’est certainement ce singulier rapport d’échelle qui unit cette petite église du 14ème siècle à son environnement. Sameba occupe un mamelon de verdure sur la dernière éminence alpine avant que ne s’élancent dans la perspective les flancs dénudés de l’imposant Kazbek. Lorsqu’on la contemple de loin, depuis Kazbegui, l’église ressemble à une miniature, à un bijou délicat sur lequel les yeux se plissent avec curiosité avant de se poser sur la coiffe neigeuse du volcan dormant, Ararat ou Fujisan géorgien. Les gorges du Darial *L’appellation officielle de Kazbegui est Stepantsminda Page 12 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 Contrairement à ce que ses modestes proportions font mine d’indiquer, Sameba n’a pas de vocation ornementale. Cette petite réalisation à la localisation audacieuse trahit l’ambition démiurgique de ces fiers Caucasiens venus défier les Dieux dans leurs quartiers, avec un Dieu unique comme adjuvant, à la lisière d’une montagne sacrée personnifiant la Nature impérieuse à laquelle leur nouvelle religion les encourage à se mesurer. Cela étant, l’allure discrète du monument, son style dépouillé, sa position de léger retrait, traduisent en contrepoint un soupçon de déférence et tempèrent le caractère frontal de la bravade. On doit sûrement ces marques de retenue aux réminiscences des cultes païens auxquels les ancêtres préchrétiens se livraient vraisemblablement sur ce même site pour honorer ses forces telluriques et encourager l’esprit du lieu à prolonger son repos. Le Kazbek, tantôt offert tantôt dissimulé par les caprices atmosphériques, est pareillement doté d’une morphologie ambivalente avec ses courbes arrondies et sa stature colossale ; à la fois maternel et menaçant, caressant et puissant, ce stratovolcan à la mythologie comminatoire suscite autant l’admiration qu’il commande la méfiance. On sent bien que les Géorgiens se cherchent un peu aux pieds de l’illustre sommet. Plusieurs strates de leur histoire, de leurs croyances, s’y bousculent de façon contradictoire. Ils semblent naviguer entre des polarités contraires, celles qui traversent d’Est en Ouest notre planète et la fracturent schématiquement en deux entités philosophiques. Au croisement des cultures et des paradigmes, le complexe Sameba-Kazbek forme une fratrie tumultueuse qui figure la rencontre de l’orgueil, de l’hubris occidental, et d’une tempérance empreinte d’influences orientales. Ce lieu doit certainement une part subliminale de sa popularité au fait qu’il condense visuellement dans une scénographie expressive les tiraillements spirituels et identitaires qui imprègnent, pour sa grande richesse, ce petit peuple du Caucase. Page 13 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 Page 14 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 CULTURE Bande dessinée – Un conte caucasien. Bande dessinée d’Anuk Beluga. Présentation par Sophie Tournon. Anuk Beluga est une jeune artiste de 28 ans, diplômée de l’Académie des Arts de Tbilissi en architecture et design de l’espace. Comme beaucoup, elle ne travaille pas dans sa spécialisation universitaire. Anuk continue à peindre et dessiner, mais si ses illustrations, délicates et vives, lui permettent une reconnaissance tout public, elle n’a pas pour autant cessé de composer des œuvres plus personnelles et très engagées. La bande dessinée ne fait pas partie de son univers culturel, mais elle en fait depuis toute petite. Ses connaissances reposent sur sa curiosité et son envie d’écrire des histoires, souvent sous forme de tranches de vie personnelles d’une page. La BD est inconnue en Géorgie et de manière générale dans la sphère postsoviétique. Anuk feuillette quelques ouvrages sur Internet, mais n’y trouve que rarement matière à s’extasier. Les auteurs qui lui viennent spontanément en tête lorsque je lui demande des noms sont Shintaro Kago et Moebius, deux auteurs totalement différents, mais dont les personnalités, l’originalité et l’œuvre ne souffrent aucun compromis avec les tendances ‘mainstream’, le cauchemar d’Anuk. Ses préférences sont surtout tournées vers les fanzines faits mains par des collectifs d’artistes engagés. De la BD certes, mais contemporaine, libérée, poétique, militante. Son rêve est d’initier un fanzine en Géorgie autour d’artistes et de poètes, de marier textes et dessins, et d’aborder des sujets politiques et sociaux, à l’instar de ces Lettons qui publient des mini Kus komiksi. Les 4 planches qu’elle nous offre sont inédites. Les thèmes abordés mêlent sérieux, folklore et onirisme. On y retrouve ses thèmes de prédilection : le féminisme combattif, l’enfance cruelle et la liberté individuelle face aux traditions. Son style y est délicat, stylisé et racé, entre art nouveau érotisé, à la Aubrey Beardsley, et la ligne claire chère à la BD classique. Elle se joue des cadres, multiplie les fins détails floraux, inclut des graphismes folkloriques et ose les plans rapprochés suggestifs et les points de vue subjectifs de manière très cinématographique ou manga (au choix). Son réalisme épuré reste toutefois ouvert sur le rêve ou le fantastique, créant une atmosphère singulière, qui lui est propre. Une artiste à suivre assurément… Page 15 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 Page 16 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 Page 17 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 Page 18 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 Page 19 Le Canard du Caucase N°15 - novembre2014 CULTURE/SORTIES Lieu Zoestan (Chez Zoé). Tbilissi, un dimanche soir, 19h00. Le week-end s’achève, le lundi matin hante déjà les têtes. « Allons boire un dernier coup. » On bifurque rue Vakhtang Beridze, et on descend dans une cave toute tbilissienne. Des voix féminines s’élèvent du fond de la cavité. Un ensemble polyphonique de jeunes femmes s’est aventuré hors d’église pour satisfaire un public de comptoir. Sacrilège ? Non, deux prêtres semblent valider et apprécier. Alors on prend un verre de Saperavi, un "Tonini" (panini à la mode géorgienne) et on savoure l’instant affalés dans un sofa. On se dit que c’est rare, c’est chouette et qu’on reviendra. Qu’on en parlera seulement à quelques amis, histoire de ne pas trop ébruiter. Gare aux hordes de touristes. Consulter la page Facebook de Zoestan pour des prochaines dates de concert. Ouvert tous les jours, 16h-01h. Non fumeur jusqu’à 23h ! Expo Rétrospective des œuvres de David Kakabadze Paris, Musée Maillol 17 septembre 2014 – 15 février 2015 L’exposition présente 40 œuvres de cet artiste, dont les collages constructif-décoratifs et les œuvres graphiques de différentes périodes, les peintures en huiles et les aquarelles. Espérons que cette rétrospective sera accompagnée de la réouverture du musée du peintre, dans son appartement de Tbilissi. Ce lieu était magique mais, comme tant d'autres musées-maisons, est méconnu ou délaissé. (PS : Le canard compte bien vous offrir un portrait de cet incomparable artiste protéiforme !) Publication Merab Ratichvili, auteur d'une saga en 2 volumes,"Djouga" et "Iliadi", vient d'être traduit en français. Ses livres sont disponibles à la médiathèque française de Tbilissi. M. Ratichvili, né à Gori en 1959, est un ingénieur géorgien qui a longtemps travaillé et vécu à Moscou. Économiste, entrepreneur, il retourne en Géorgie en 2004, sous M. Saakachvili et se lance dans l'investissement de projets locaux. Faussement accusé en 2007 après être entré en politique en opposition à M. Saakachvili, il est emprisonné et devient l'un des "prisonniers politiques" géorgiens de l'ère Saakachvili défendus par plusieurs ONG. Sa biographie officielle raconte qu'il a mis à profit ses années d'emprisonnement pour écrire des romans, poèmes et nouvelles. Il est libéré en 2013 par le nouveau gouvernement. Sa vie est ainsi un roman en soi. Djouga est le premier volume d'une histoire de politique fiction mettant en scène les descendants de Staline et Trotski, sur fond de club de puissants qui tentent d'organiser le monde dans l'ombre. Le spectre de l'URSS et de la Géorgie contemporaine hante ces romans politico-mystico-complotisto-fiction de plus de 500 pages chacun.