Le Canard du Caucase

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 Le Canard du Caucase
de traduire en français, elle le fait Mensuel francophone libre, indépendant et gratuit
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3ème année – Numéro 15 – novembre 2014
Sommaire
p3
p5
Tranches de vie.
La grande
guerre dans le
Caucase (19141918).
p9
p13
Imbroglio divin
aux abords du
Kazbek.
Bande dessinée
- Un conte
caucasien.
Photo Mery François-Alazani. Les ocres de Nekressi.
Comité de Rédaction pour ce numéro
Mery François-Alazani, Nicolas Guibert, Sophie Tournon.
Email:[email protected]
Facebook: www.facebook.com/lecanardducaucase
Important
Le Canard du Caucase se dégage de toute responsabilité quant
aux propos tenus dans ces pages. Ceux-ci sont des propos
personnels qui n’engagent que leurs auteurs.
Page 2
Le Canard du Caucase
N°15 - novembre2014 Edito
BREVES EN VRAC Par Nicolas Guibert.
L’insaisissable Canard du
Caucase est de retour.
Où s’est-il volatilisé tous
ces mois ? Parti migrer ?
Emplumé dans des
histoires de visa ? Nul ne
le sait.
L’imprévisible palmipède
n’en garde pas moins
quelques
petites
habitudes, avec tout
d’abord ses quelques
cancans d’usage. Brèves
et tranches de vie.
Puis, à l’occasion du
centenaire de la Grande
Guerre, le Canard nous
rappelle que cet enfer fut
bien mondial, et que le
Caucase n’en était pas
exempté.
Empires
Ottoman et Tsariste,
deux grands malades en
phase terminale, y eurent
l’occasion de tirer leur
révérence
et
leurs
dernières salves, dans
l’agonie.
Ensuite notre oiseau file
par la mythique route
militaire pour rejoindre
Kazbegui. De là, clic
clac, l’église Sameba sur
fond de Mont Kazbek, le
cliché dans la boîte, on
rentre… A moins que…
Le Canard passe le film
au révélateur, l’image a
beaucoup de chose à
nous dire.
Pour finir en beauté, le
Canard se pare d’une
bande
dessinée
géorgienne. « Une BD
géorgienne ? Le Canard
fabule ! » Eh bien non, il
ne fabule pas. Voyezvous même.
Nicolas Guibert
Traité de sémantique
Les Russes ont proposé le
13 octobre un nouveau
traité aux Abkhazes, un
traité qui ne dit pas son
vrai nom. Un nom qui
s’exprime différemment
selon la langue :
-en russe: Alliance et
intégration.
-en abkhaze: Alliance et
partenariat stratégique.
-en géorgien: Annexion.
-en ukrainien:
Criméesation.
La méthode Coué
« Rien
n’arrêtera
l’engagement
de
la
Géorgie vers l’intégration
Euro-Atlantique ».
« Rien
n’arrêtera
l’engagement
de
la
Géorgie vers l’intégration
Euro-Atlantique ».
Je
réitère :
« Rien
n’arrêtera l’engagement
de la Géorgie vers
l’intégration
EuroAtlantique ».
Chaque
jour,
inlassablement, la phrase
revient dans la bouche du
Alassania est un traître,
aventurier, stupide et
ambitieux.
gouvernement et des
leaders géorgiens.
Autopersuasion ? Doute ?
Imposture ? Fabulation ?
Psychose ?
Endoctrinement ?
Si seulement le bon Dieu
avait pu placer la Géorgie
plus à gauche sur la carte !
Tout aurait été si simple.
Califechvili
Tamaz
Batirachvili,
Tarkhan Batirachvili et
Murad
Margochvili,
trois noms qui sentent
bons les khinkalis et le
Saperavi. Mais qui sont
en fait ces nouvelles
‘stars’ géorgiennes ?
a. des chanteurs
polyphoniques.
b. des joueurs de rugby.
c. des danseurs étoile.
d. des apprentis califes.
Réponse : d.
Sakharov d’argent
Leyla Yunus, militante
distinguée des Droits de
l’Homme en Azerbaïdjan,
monte sur le podium
mais rate la 1ère marche
Le pays ne devrait
pas être gouverné
en coulisse. pour le prix Sakharov.
L’Histoire ne retient pas
les seconds. Elle croupira
en prison, comme (mais
pas avec) son mari.
Négociateurs
d’atmosphère
Le président français
Hollande a reçu le 27
octobre à l’Elysée ses
homologues
azerbaïdjanais
et
arménien pour tenter de
relancer les négociations
dans le conflit du HautKarabakh, gelé depuis
plus de vingt ans.
La
rencontre
s’est
déroulée
« dans
une
atmosphère
constructive », selon la
formule usitée. La même
depuis 20 ans. 20 ans que
les
négociateurs
construisent
de
l’atmosphère.
Rien
d’autre. Des experts en
brassage d’air. Allez hop,
du vent ! Dégagez ! Des
ventilateurs
coûteront
moins
chers.
Margvelachvili
rabaisse la fonction
présidentielle.
Ils veulent détruire un
rival politique potentiel,
mais ils échoueront.
Petit échange entre (ex) amis. Le 4 novembre le Premier Ministre géorgien (à g.) limogeait
son populaire ministre de la Défense (à d.). Depuis la coalition au pouvoir risque l’implosion.
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Le Canard du Caucase
N°15 - novembre2014 TRANCHES DE VIE
L’étourneau et le cerisier. Georges Joliani.
Je m’approche doucement de la fenêtre. Il est déjà là. Il, c’est l’étourneau qui a
pris l’habitude de manger des cerises. Il y a un très beau cerisier juste devant mes
fenêtres. Les cerises sont de couleur ivoire, passant doucement au rose. Tous les
matins, quand le soleil se lève, en inondant le voisinage de torpeur laiteuse, il est
fidèle au rendez-vous. Je sais qu’il me voit, mais il ne fait pas attention. Il s’assied
sur sa branche préférée et il commence…
- Allô, batono Georges, comment ça va ? Je vous téléphone pour vous dire une
chose. Vous voyez le cerisier en face de vos fenêtres ? Il est à moi. C’est mon
père qui l’a planté. D’accord ? Donc, tout ce qui est dessus, c’est à moi aussi. Bon
allez, bonne journée, je compte sur vous.
… En gardant l’équilibre sur une patte, il accroche une cerise avec l’autre patte. Délicatement, sans arracher le fruit de
sa tige, il enlève le noyau. Et, dans un geste élégant, il jette le fruit en l’air et l’envoie directement dans son gosier. Et la
procédure recommence…
- Batono Georges, excusez-moi de vous déranger. Hier je suis passé devant votre maison, et quand je vous ai appelé, je
me suis peut-être mal exprimé. En fait, c’est un cerisier familial, quoi. Vous pouvez arracher et manger autant de fruits
que vous voulez. Et si quelqu’un vous dit quelque chose, je m’en occupe. Ils sont très bons, cueillez-les et mangez-les,
je compte sur vous.
… Une fois bien rassasié, il se retourne vers moi et se met à nettoyer soigneusement son bec. Et comme ça, tous les
matins. Lui il mange, et moi je le regarde. C’est pratiquement devenu un rituel. Il est six heures, la rue est silencieuse et
mon étourneau déguste ses cerises.
- Batono Guiorgui, vous n’aimez pas mes cerises ? Alors si vous les aimez, pourquoi ne les mangez-vous pas ?
Comment ça, vous n’en avez pas envie ? Vous mangez uniquement quand vous en avez envie ? On n’est pas des
animaux quand même ! Bon ben, bonne journée alors…
Le carrefour de l’hôpital. Georges Joliani.
‐
Enfin tu es là, rentre, rentre.
Je lui passe ma bouteille de vin et elle m’installe dans le salon. Mes deux amis y sont déjà attablés.
‐
‐
Asseyez-vous. Ne commencez rien sans moi, je vais chercher les fruits dans la cuisine, dit-elle en disparaissant.
Je suis furieux, dis-je. Je viens de passer devant ce foutu carrefour près de l’hôpital. Je hais ce croisement, le
plus dangereux de la ville. Les voitures déboulent de partout, et je suis sûr que le seul endroit d’où elles ne
surgissent pas, c’est du ciel. Ils ne sont même pas foutus de mettre un feu ! Au lieu de ça, ils ont construit un
immense hôpital juste à côté, comme pour dire que dès qu’il y aura un accident, on sera là. Vraiment, c’est de
l’anti-prévention, typiquement géorgien.
Je m’assieds sur un fauteuil libre près de mes amis.
‐
‐
Je vous avais dit de ne pas commencer sans moi. Voilà les fruits, j’apporte le khatchapouri tout de suite, mais
attendez-moi, hein, dit-elle en quittant de nouveau la pièce.
Mais non, rétorque mon ami. Tu n’as rien compris, vieux. En réalité, ils ont d’abord construit l’hôpital, mais
comme les patients manquaient, ils ont construit un carrefour dangereux juste à côté, pour s’assurer la clientèle.
Tu sais bien qu’on est une nation pragmatique. A chaque « problème » sa « solution » !
On sourit tous les trois.
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‐
‐
Le Canard du Caucase
N°15 - novembre2014 Attention, c’est brûlant ! Il est au fromage frais de la montagne. De quoi vous
parlez ? Ah non, les enfants m’appellent. J’arriiiiiiive ! J’en ai pour une minute,
je reviens, attendez-moi hein! Et elle nous quitte de nouveau.
Mais non, c’est pas du tout ça, nous dit le troisième en roulant un gros morceau
de fromage chaud dans sa bouche. C’est tout l’inverse ! Nous ne sommes pas
une nation cynique ni rationnelle. Nous sommes des esthètes, voyons ! Ce
croisement a été créé uniquement pour savourer en direct la tragédie de la vie.
L’hôpital, il suffit de voir son toit métallique en forme de pique géante visible
depuis l’aéroport : il n’a que trois étages utilisables sur 10 de construits. Les
Géorgiens sont un peuple dramatique par excellence, tout geste est fait
uniquement pour sa beauté, dit-il en avalant enfin son morceau de fromage.
On sourit de connivence de nouveau.
‐
Ah, vous avez quand même parlé sans moi, dit-elle en rassemblant ses cheveux. Vous parlez de ce carrefour
horrible ? Vous savez que le cousin du deuxième mari de Naziko a eu un accident là-bas ? Et il est mort, bien
sûr. Sur place, bien entendu. Ils n’ont pas eu le temps de réagir. En plus, ils ignoraient qu’il y avait un hôpital
juste à côté… Alors, mon khatchapouri ?
Visa, visa, dis-moi qui tu choisiras? Sophie Tournon.
Depuis septembre, et même un peu avant, le thème qui préoccupe les
expatriés en Géorgie est le nouveau système de contrôle des immigrés.
Inspiré du modèle européen et instauré en prévision d'un rapprochement
fusionnel à venir, les autorités géorgiennes ont décidé de d'imposer aux
étrangers étudiant, travaillant ou passant un long temps en Géorgie d'avoir un
visa pour 3 mois consécutifs, plus un permis de séjour s'ils doivent y résider
davantage. Problème: l'obtention du sésame n'est pas aisée pour tous.
Les obstacles sont de trois sortes, d'après les témoignages recueillis: cas
d'incompétences des guichetiers mal formés, de communication défaillante vers les étrangers et d'arbitraire lors de la
délivrance du précieux document.
Parmi les soucis rencontrés: *la transcription des noms et prénoms (Jean-Charles Martin devenant jéani charléssi
martini, par exemple), *le paiement du visa surtaxé par les banques pour raison de sécurité de transfert (40 euros le visa,
15 euros le transfert, 8 euros l'assurance parfois obligatoire), *le document prouvant la location de l'appart payé au noir,
comme dans 99,9% des cas de locations en Géorgie (le proprio refusant parfois d'officialiser la location par crainte de
taxes, des amis logeant soudainement plein d'étrangers pour dépanner...).
Pour l'anecdote, citons le choix de pas mal d'expatriés de faire la demande de la double nationalité, pour eux et/ou leurs
enfants (l'année 2014 va connaître un baby boom intéressant)... La com' n'a pas toujours été à la hauteur, la faute aux
autorités débutantes, aux ambassades relais embrouillées, aux employeurs peu compréhensifs ou aux universités prises
de cours. La palme du pire est à attribuer aux quelques cas scandaleux de racisme éhonté : la couleur de la peau ou le
lieu de naissance exotique ne plaisent pas au guichetier qui refuse tout simplement de traiter le dossier...
Face aux expatriés (américains) proches des cercles de décision qui se sont fait les relais des problèmes rencontrés, le
Premier ministre a présenté ses excuses pour les désagréments subis et a promis de travailler sur ce sujet. En attendant,
beaucoup d'expatriés expriment leur mécontentement, voire leur incompréhension face au système de visa, arguant
d'une absurdité nuisible au développement de la Géorgie, pays autrefois ouvert, accueillant et jouissant d'une attractivité
grandissante, notamment grâce à sa politique d'accueil de tous, bohèmes et investisseurs, tous taxés à 20% et ne
jouissant d'aucune politique sociale redistributive.
A suivre.
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Le Canard du Caucase
N°15 - novembre2014 HISTOIRE
La grande guerre dans le Caucase (1914-1918). Par Bruno Elie, chercheur indépendant.
Ce texte est issu d’une conférence donnée le 15 septembre à Tbilissi, à l’initiative de l’Institut français de
Géorgie, à l’occasion de la commémoration du Centenaire de la Première Guerre mondiale.
La Grande Guerre, on en parle beaucoup, surtout au moment du centième anniversaire de son début. Mais chacun y
voit une guerre différente, celle que son pays a subie : pour les Français, ce sont les batailles des Flandres aux Vosges,
pour les Russes, le front germano-russe, de la Baltique à la Roumanie, pour les Serbes, du Vardar au Danube, etc.
Les deux protagonistes de la Grande Guerre dans le Caucase, les Empires russe et ottoman ont disparu. Leurs
successeurs, l’URSS et la République de Turquie, ont longtemps maintenu dans les oubliettes de l’Histoire, pour l’une
les victoires de la Russie impériale, pour l’autre le désastre ottoman de Sarikamis.
Il y a pourtant eu un véritable front de plus de 600 km de longueur, de la Mer Noire au Lac d’Ourmiah, sur lequel se
sont affrontées des armées de l’ordre de 150 000 hommes de part et d’autre.
Le déroulement de la guerre
En 1914 les deux Empires ottoman et russe sont encore deux géants mais deux géants malades. La guerre leur sera
d’ailleurs fatale : ni l’un ni l’autre n’y survivront. En 1914 ils ont un certain nombre de points communs : ce sont deux
régimes autocratiques qui se sont empressés dès l’ouverture du conflit de verrouiller la faible représentation populaire
qui existait chez eux. Tous deux ont connu la défaite depuis le début du XXe siècle : Guerres balkaniques de 1912-1913
pour les Ottomans, Guerre russo-japonaise de 1904-1905pour les Russes, avec dans l’un et l’autre cas perte de territoires et
de prestige. Tous deux ont aussi traversé un épisode révolutionnaire, « Révolution » de 1908-1909 pour l’Empire
ottoman, Révolution de 1905 pour l’Empire russe. Tous deux sont multiethniques et rencontrent des problèmes avec
leurs minorités ethniques ou religieuses : Arabes, Arméniens grégoriens, Grecs orthodoxes pour les Ottomans, Musulmans du
Caucase et d’Asie Centrale, Polonais catholiques pour les Russes. Tous deux ont des finances en mauvais état.
Mais il y a aussi des différences majeures. La première est démographique : l’Empire ottoman ne dépasse pas 24
millions d’habitants, l’empire russe atteint 170 millions d’habitants, avec comme conséquence importante que les
Ottomans ne peuvent guère mobiliser plus de 800.000 hommes tandis que les Russes pourraient mobiliser jusqu’à 12
millions d’hommes ! L’Empire ottoman a des ressources agricoles limitées, peu de ressources minérales, très peu de
pétrole en exploitation ; l’Empire russe a des ressources quasi-inépuisables en charbon, en fer, en pétrole, en bois, en
or… L’Empire ottoman est endetté et ses créanciers se payent eux-mêmes sur le pays sans favoriser son développement
tandis que l’endettement de la Russie a servi à financer sa modernisation économique. En conséquence l’Empire
ottoman est très peu industrialisé, avec des infrastructures médiocres, alors qu’en Russie l’industrialisation et les
infrastructures sont en plein développement. La Russie est depuis le début du XXe siècle dans un système d’alliances et
quand elle soutient la Serbie face à l’Autriche, ses alliées, la France et la Grande Bretagne, entrent en guerre à ses côtés.
L’Empire ottoman n’est dans aucune alliance, hésite beaucoup. Quelques personnalités l’entraînent finalement vers
l’Allemagne.
Les buts de guerre aussi sont dissemblables : l’Empire ottoman cherche d’abord à reprendre à la Russie les districts
perdus en 1878 (Ardahan, Artvin, Batoum et Kars), ensuite à donner la main aux peuples turco-musulmans de l’Asie
Centrale en rêvant de les soulever contre la Russie chrétienne. La Russie convoite Constantinople mais elle s’est laissée
persuader par la France que le chemin en passait par Berlin. Il faut d’abord vaincre l’Allemagne. La Grande Bretagne,
quant à elle, est fermement décidée à ne pas laisser les Russes arriver seuls à Constantinople.
Pour la guerre elle-même, rappelons qu’elle dure pour l’Empire ottoman du 2 novembre 1914 au 30 octobre 1918
(Armistice de Moudros), pour la Russie du 1er août 1914 au 3 mars 1918 (Traité de Brest-Litovsk).
La guerre se déroule pour la Russie sur un front énorme, appelé Front oriental, depuis la Finlande jusqu’à la mer Noire
et sur un front secondaire de la mer Noire à la Perse. La partie qui nous intéresse se trouve sur ce front secondaire,
dans le Caucase, depuis Hopa sur la mer Noire jusqu’à la rive Sud du lac de Van. Pour l’Empire ottoman, elle se déroule
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Le Canard du Caucase
N°15 - novembre2014 sur de nombreux fronts très divers et séparés les uns des autres : Palestine, Hedjaz et Mésopotamie face à l’Angleterre ;
Perse, Caucase, Galicie et Roumanie face à la Russie, Dardanelles et Macédoine face aux Franco-Britanniques.
La région est un terrain d’affrontement des deux empires depuis le début du XIXe siècle : campagne de 1828-1829,
Guerre de Crimée (1853-1856), campagne de 1877-1878.
Physiquement, il s’agit de la zone du Petit Caucase et des plateaux arméniens et Est-anatoliens. Le climat est rude. Il y a
4 à 6 mois d’enneigement, avec jusqu’à 2 mètres de neige au-dessus de 1.500 m.
Les communications sont difficiles du fait du relief et du climat mais il y a une différence radicale entre les régions sous
administration russe et celles sous administration ottomane. Les Russes, qui ont un réseau national de chemin de fer de
70.000 km, ont construit des voies ferrées reliées à leur réseau général et qui vont jusqu’à la frontière à Batoum, à
Sarikamis et face à la Perse à Djoulfa. Le réseau routier principal est praticable aux automobiles et relie toutes les villes
de quelque importance (Batoum, Ardahan, Artvin, Erevan, Kars, Oltu) à Tiflis ou Alexandropol. Les Ottomans n’ont
aucune voie ferrée à moins de 700 km d’Erzurum (Ulukı la) avec ensuite des routes à peine carrossables ou de simples
pistes. En temps de paix leur approvisionnement vient par voie maritime jusqu’à Trébizonde, puis par la seule bonne
chaussée qui permet de ravitailler Bayburt, Erzincan et Erzurum, mais depuis le début de la guerre la marine russe
surveille les côtes d’Anatolie. Il en résulte une différence majeure dans la capacité de manœuvre des forces : les Russes
basculent leurs réserves d’un bout à l’autre du front en trois jours par chemin de fer ; les Ottomans mettent un mois
pour faire la même chose. Quand en 1916 les Russes s’enfonceront dans le territoire ottoman, leur avantage diminuera
car ils emprunteront les mêmes chemins peu carrossables que les Ottomans.
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Le Canard du Caucase
N°15 - novembre2014 Au départ les adversaires sont de part et
d’autre de la frontière de 1878. Chacun
possède une forteresse importante, qui
sert d’arsenal et de pivot pour la
défense : Kars pour les Russes, Erzurum
pour les Ottomans. L’armement des deux
forteresses est à peu près équivalent mais
Kars est relié à la Russie intérieure par le
chemin de fer tandis qu’Erzurum dépend
de la seule route vers le port de
Trébizonde.
En dehors des forces qui gardent les
forteresses, il faut comparer les forces
mobiles qui peuvent entrer en campagne :
du côté russe : infanterie, 100.000 h ;
cavalerie, 15.000 h ; artillerie, 256 canons
Fantassins ottomans à la halte, Caucase, 1914. de campagne ou de montagne. Il y a en
outre 4 « droujiny » arméniennes et 2
géorgiennes, en tout environ 6.000 h. Les
unités cosaques constituent la moitié des
forces mobiles russes.
Du côté ottoman : infanterie, 118.000 h ;
cavalerie, 4.500 h ; artillerie, 218 canons,
surtout des canons de montagne. Il y a en
outre des irréguliers Lazes ou Kurdes,
assez peu contrôlables.
Les Russes ont l’avantage pour l’artillerie
et surtout pour la cavalerie (trois fois plus
de cavaliers, en majorité des Cosaques).
Les forces constituent du côté russe
l’Armée du Caucase à deux corps
Volontaires arméniens, 1914. Source Garegin Pasdermadjian. d’armée, du côté ottoman la 3eArmée à
trois corps d’armée.
La guerre sur le Front du Caucase a
connu six phases principales :
1°. Novembre 1914 à janvier 1915.
Du côté russe, le Caucase est un front
secondaire. Du côté ottoman, il y a des
intentions offensives pour reprendre les
territoires perdus en 1878. Après
quelques combats initiaux à l’avantage des
Ottomans près de la frontière
(Köprüköy), le Ministre de la GuerreChef d’état-major général, Enver Pacha, a
fait planifier une offensive. Il prend le
commandement de la 3eArmée en vue
d’envelopper les troupes et l’état-major
russes qui se trouvent à Sarikamis pour
Tranchées russes dans les forêts de Sarikamis. Source Marshall Cavendish
Corporation
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Le Canard du Caucase
N°15 - novembre2014 continuer ensuite vers Kars. Le commandement russe est d’abord surpris mais les troupes russes se défendent. Devant
cette résistance et à cause du froid soudain, les soldats ottomans ne peuvent tenir. Le 8 janvier, quand Enver repart
pour Constantinople, le désastre est complet.
De mai à août 1915 les combats vont se déplacer vers Van, où les Russes délivrent les Arméniens assiégés dans la ville
et avancent jusqu’à Mu . A compter du 15 août, le front se stabilise jusqu’à la fin de l’année.
2°. Janvier à février 1916.
Le Général Youdenitch, Commandant opérationnel de l’Armée du Caucase, prépare dès l’automne 1915 une offensive
pour s’emparer d’Erzurum, la principale place forte ottomane. Prenant l’offensive en janvier, les Russes prennent
Erzurum le 11 février. La prise de la plus grande forteresse face à l’Est est un désastre pour les Ottomans. Le 1er mars
1916, à Constantinople, l’état-major ottoman prend la décision de déployer la 2e Armée en renfort au Caucase. Il faut
encore qu’elle arrive.
3°. Avril à juillet 1916.
Trabzon est prise le 16 avril 1916. C’est un désastre logistique pour la 3e Armée car tous ses approvisionnements
transitaient par le port de Trabzon et par la seule bonne route empierrée Trabzon – Bayburt – Erzurum. Youdenitch
veut achever la destruction de la 3e Armée avant que la 2e Armée puisse être engagée contre lui. Sa nouvelle offensive
débute le 2 juillet, mais l’Armée russe ne peut plus continuer car la logistique ne suit pas sur les mauvaises routes
d’Anatolie.
4°. Août à septembre 1916.
La 2e Armée ottomane arrive dans sa zone d’action en juin 1916. Le 2 août 1916, les Ottomans reprennent Malazgirt et
Ele kirt. Toutefois Youdenitch bascule ses réserves au Sud Est à marches forcées dans une région presque dépourvue
de routes. Le 26 septembre l’offensive ottomane est définitivement brisée, les Russes ont repris les positions perdues en
août. Fin septembre ce front, qui est en grande partie à plus de 2000 m d’altitude, devient statique avec l’arrivée des
premières neiges.
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Le Canard du Caucase
N°15 - novembre2014 5°. Octobre 1916 à janvier 1918.
En 1916 les Ottomans ont perdu environ 100 000 h. sur le front du Caucase. La 3eArmée doit être reconstituée. Il n’est
plus question d’offensive.
Les pertes russes aussi ont été conséquentes : dans la période de juin à septembre 1916, 50 000 h. ont été mis hors de
combat, dont une bonne partie pour maladie. Il fallait utiliser l’hiver pour reconstituer les forces avant une nouvelle
offensive. Celle-ci n’aura jamais lieu : la révolution s’est emparée de la Russie à partir de mars 1917. Le Général
Youdenitch est relevé de ses fonctions par le Gouvernement provisoire le 15 mai 1917. L’Armée du Caucase se dissout
peu à peu.
En face, les 2e et 3e Armées ottomanes ne sont pas en état de profiter de l’affaiblissement de l’Armée russe du Caucase :
1917 a été, à la différence d’autres fronts, une année calme sur le front du Caucase.
6°. Février à octobre 1918.
Le 7 décembre 1917 le gouvernement bolchevique a signé un cessez-le-feu avec l’Allemagne. Les négociations de paix,
auxquelles l’Empire ottoman est partie prenante, sont engagées. Enver Pacha sait que seules les conquêtes effectives
seront prises en compte. Le 12 février 1918 les forces ottomanes, réorganisées et renforcées, passent à l’offensive
malgré la trêve signée avec les Russes. En face d’eux se trouvent des restes de l’Armée russe, l’armée nationale
géorgienne, moins de 10 000 hommes, et l’Armée nationale arménienne, beaucoup plus aguerrie mais comptant
seulement environ 20 000 hommes. Trabzon est reprise par les Ottomans le 25 février, Erzurum le 12 mars, Batoum le
14 avril, Kars le 24 avril. A la fin de mai 1918 le 2e Corps caucasien de evki Pacha est à 50 km de Tiflis. La Géorgie,
pour éviter l’invasion, se place sous protectorat allemand. Les Ottomans, arrêtés à Sardarabad par les troupes du
Général Nazarbekian, contournent Erevan et poursuivent vers l’Est. Ils sont devant Bakou fin juillet.
Tout le monde s’inquiète : les Britanniques envoient une colonne, la Dunster Force, à travers la Perse ; les Bolcheviks et
les Allemands signent un accord à Berlin (27.08.1918) pour limiter les ambitions turques. Les Bolcheviks reconnaissent
l’indépendance de la Géorgie, s’engagent à défendre Bakou et à livrer 25% de la production pétrolière à l’Allemagne.
Rien n’y fait, les Britanniques évacuent leur Dunster Force le 15 septembre. Le 16 septembre les Ottomans entrent dans
Bakou. Ils continuent le long de la mer Caspienne, remontant par Derbent jusqu’à Petrovsk (Makhatchkala) qu’ils
prennent le 8 novembre. A cette date la guerre est déjà finie pour l’Empire ottoman : l’armistice de Moudros a été signé
le 30 octobre 1918.
Conclusion
Depuis la Première Guerre mondiale, le front du Caucase est resté mal connu, même dans la mémoire historique des
pays successeurs des Empires qui s’y sont affrontés. La première raison de ce « trou de mémoire » se trouve dans la
disparition des deux Empires en question, le russe et l’ottoman, tous deux remplacés par des régimes qui se voulaient
radicalement différents et qui ont consciemment remis les pendules historiques à zéro. L’histoire de l’URSS commence
en 1917, celle de la République de Turquie en 1923. Les archives militaires de la Première Guerre mondiale ont
longtemps été inaccessibles en URSS et le sont encore en bonne partie en Turquie.
Cette guerre a pourtant été une vraie guerre, aussi acharnée et totale que sur le front mieux connu de France, limitée
toutefois par les ressources relativement restreintes que chacun des belligérants a pu ou voulu accorder à ce théâtre
d’opérations. Les Ottomans comme les Russes avaient d’autres fronts qu’ils jugeaient plus importants pour eux. Le feu
d’artillerie, de mitrailleuse ou d’avion n’a jamais atteint la puissance qu’il a développée sur le front occidental, pour la
raison aussi que le déplacement de pièces lourdes ou l’approvisionnement de grandes quantités de munitions étaient
rendus extrêmement difficiles à cause du relief et du manque de routes.
Au final, ce conflit s’est déroulé en deux phases distinctes : 1) novembre 1914 à octobre 1917, deux puissances
s’opposent, chacune membre d’un des deux camps qui s’affrontent dans le cadre de la guerre mondiale ; 2) de février à
novembre 1918, c’est une guerre régionale entre l’Empire ottoman et des Etats caucasiens issus de la désintégration de
l’Empire russe. Un siècle plus tard une histoire complète et impartiale de la Grande Guerre dans le Caucase reste encore
à écrire.
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Le Canard du Caucase
N°15 - novembre2014 CARNET DE VOYAGE
Imbroglio divin aux abords du Kazbek. Texte et photos de Mery François-Alazani
Le village de Ketrissi dans la vallée de Trousso.
paysages de Khévie sont ceux qui, en Géorgie, se rapprochent le plus du paysage caucasien archétypal romantique
Les
et accidenté qui a fasciné et inspiré des sommités littéraires de Russie et d’ailleurs. Le défilé du Darial qui forme l’unique
passage naturel du pays reliant le Nord au Sud Caucase raccorde aussi bien les territoires que les imaginaires. Lorsque
l’on ne se trouve pas pris en étaux entre ces remparts rocheux aux crêtes affutées, on découvre une région aux lignes
plus souples et aux tonalités moins inquiétantes: du vert à perte de vue, des vagues de vert vif qui épousent les
irrégularités du relief, du vert concentré au ras du sol façon terrain de golf et des minéraux qui ponctuent de touches de
couleur inattendues ces étendues plissées au revêtement uniforme. Peu de flore. Laissons cela à la Svanétie. Ici c’est brut
de décoffrage, sans fioritures. La nature mokhévienne se comporte comme une lame de fond anthropophage, elle avale
à peu près tout sur son passage. Il reste en conséquence très peu de place pour l’humain dans cette contrée. Les deux
coulées de boue qui ont enseveli une dizaine de personnes dans les gorges du Darial ces derniers mois, sanctionnant la
construction inconsidérée d’une station hydro-électrique sur le Terek, procèdent de cette même logique. Il faut maîtriser
l’art du sur mesure pour vivre en harmonie avec cet habitat souverain. Ainsi on ne sera pas étonnés de rencontrer des
autochtones modestes, discrets, avenants, dont le folklore n’est pas ostentatoire, pour ne pas dire presque inexistant.
On aura rarement vu des Géorgiens faire montre d’autant d’abnégation. Les églises, aux atours ailleurs si manifestes, se
fondent sans ornements et signes distinctifs dans le décor. Sauf une, qui la ramène un peu.
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N°15 - novembre2014 Kazbegui* est une bourgade minimaliste assez
représentative du climat régional. Cette petite ville atone
est essentiellement un point de ralliement, de
rayonnement vers les sentiers de randonnée, pour les
alpinistes et autres marcheurs amateurs de grands espaces
qui sillonnent la Khévie d’un pas exploratoire. Le seul
pôle d’attraction mainstream du coin, c’est l’église Sameba
de Guergeti, posée sur une montagne en contrebas de
l’imposant et rebondi Mont Kazbek.
Sameba qui fait figure de destination incontournable, doit
moins sa renommée à sa fonction religieuse qu’à son
statut d’icône de carte postale. La Géorgie a certes
d’autres attributs que le majestueux panorama que ce site
nous offre, néanmoins celui-ci a l’avantage, à moins de
trois heures de Tbilissi, d’offrir un dépaysement de
proximité dans une province à la beauté sauvage sur
laquelle on a déjà un point de vue intéressant depuis
l’ancienne route militaire qui la traverse et qui constitue
désormais la seule voie de transit vers la puissance
coloniale qui étend son empire de l’autre côté du Caucase.
Si on laisse de côté les considérations pratiques, les
propriétés allégoriques du lieu offrent un champ
d’investigation fertile pour tenter de cerner les ressorts de
son pouvoir d’attraction. Fort de son ancrage
L’église Sameba de Guergeti et le Mont Kazbek
mythologique, le Kazbek, qui fut le théâtre d’un châtiment
divin, s’est construit une réputation qui transcende les âges. D’aucuns
considèrent que c’est sur son haut sommet que
Zeus fit enchaîner Prométhée pour le punir d’avoir offert aux humains le feu sacré qu’il avait dérobé aux Dieux. C’est le
cas, tout au moins dans la mythologie géorgienne, de son alter-ego Amiran. Depuis que cet édifice chrétien lui fait face,
le haut sommet caucasien est l’objet d’une captation spirituelle qui le contraint à partager son voisinage et à sacrifier un
peu de son rayonnement. Ce qui séduit
l’œil et le cœur, c’est certainement ce
singulier rapport d’échelle qui unit
cette petite église du 14ème siècle à son
environnement. Sameba occupe un
mamelon de verdure sur la dernière
éminence alpine avant que ne
s’élancent dans la perspective les flancs
dénudés de l’imposant Kazbek.
Lorsqu’on la contemple de loin, depuis
Kazbegui, l’église ressemble à une
miniature, à un bijou délicat sur lequel
les yeux se plissent avec curiosité avant
de se poser sur la coiffe neigeuse du
volcan dormant, Ararat ou Fujisan
géorgien.
Les gorges du Darial
*L’appellation officielle de Kazbegui est Stepantsminda
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N°15 - novembre2014 Contrairement à ce que ses modestes proportions font mine d’indiquer, Sameba n’a pas de vocation ornementale. Cette
petite réalisation à la localisation audacieuse trahit l’ambition démiurgique de ces fiers Caucasiens venus défier les Dieux
dans leurs quartiers, avec un Dieu unique comme adjuvant, à la lisière d’une montagne sacrée personnifiant la Nature
impérieuse à laquelle leur nouvelle religion les encourage à se mesurer. Cela étant, l’allure discrète du monument, son
style dépouillé, sa position de léger retrait, traduisent en contrepoint un soupçon de déférence et tempèrent le caractère
frontal de la bravade. On doit sûrement ces marques de retenue aux réminiscences des cultes païens auxquels les
ancêtres préchrétiens se livraient vraisemblablement sur ce même site pour honorer ses forces telluriques et encourager
l’esprit du lieu à prolonger son repos. Le Kazbek, tantôt offert tantôt dissimulé par les caprices atmosphériques, est
pareillement doté d’une morphologie ambivalente avec ses courbes arrondies et sa stature colossale ; à la fois maternel
et menaçant, caressant et puissant, ce stratovolcan à la mythologie comminatoire suscite autant l’admiration qu’il
commande la méfiance.
On sent bien que les Géorgiens se cherchent un peu aux pieds de l’illustre sommet. Plusieurs strates de leur histoire, de
leurs croyances, s’y bousculent de façon contradictoire. Ils semblent naviguer entre des polarités contraires, celles qui
traversent d’Est en Ouest notre planète et la fracturent schématiquement en deux entités philosophiques. Au
croisement des cultures et des paradigmes, le complexe Sameba-Kazbek forme une fratrie tumultueuse qui figure la
rencontre de l’orgueil, de l’hubris occidental, et d’une tempérance empreinte d’influences orientales. Ce lieu doit
certainement une part subliminale de sa popularité au fait qu’il condense visuellement dans une scénographie expressive
les tiraillements spirituels et identitaires qui imprègnent, pour sa grande richesse, ce petit peuple du Caucase.
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N°15 - novembre2014 CULTURE
Bande dessinée – Un conte caucasien. Bande dessinée d’Anuk Beluga. Présentation par Sophie Tournon.
Anuk Beluga est une jeune artiste de 28 ans,
diplômée de l’Académie des Arts de Tbilissi en
architecture et design de l’espace. Comme beaucoup,
elle ne travaille pas dans sa spécialisation
universitaire. Anuk continue à peindre et dessiner,
mais si ses illustrations, délicates et vives, lui
permettent une reconnaissance tout public, elle n’a
pas pour autant cessé de composer des œuvres plus
personnelles et très engagées.
La bande dessinée ne fait pas partie de son univers
culturel, mais elle en fait depuis toute petite. Ses
connaissances reposent sur sa curiosité et son envie
d’écrire des histoires, souvent sous forme de tranches
de vie personnelles d’une page. La BD est inconnue
en Géorgie et de manière générale dans la sphère postsoviétique. Anuk feuillette quelques ouvrages sur Internet, mais
n’y trouve que rarement matière à s’extasier. Les auteurs qui lui viennent spontanément en tête lorsque je lui demande
des noms sont Shintaro Kago et Moebius, deux auteurs totalement différents, mais dont les personnalités, l’originalité et
l’œuvre ne souffrent aucun compromis avec les tendances ‘mainstream’, le cauchemar d’Anuk.
Ses préférences sont surtout tournées vers les fanzines faits mains par des collectifs d’artistes engagés. De la BD certes,
mais contemporaine, libérée, poétique, militante. Son rêve est d’initier un fanzine en Géorgie autour d’artistes et de
poètes, de marier textes et dessins, et d’aborder des sujets politiques et sociaux, à l’instar de ces Lettons qui publient des
mini Kus komiksi.
Les 4 planches qu’elle nous offre sont
inédites. Les thèmes abordés mêlent sérieux,
folklore et onirisme. On y retrouve ses
thèmes de prédilection : le féminisme
combattif, l’enfance cruelle et la liberté
individuelle face aux traditions. Son style y
est délicat, stylisé et racé, entre art nouveau
érotisé, à la Aubrey Beardsley, et la ligne
claire chère à la BD classique. Elle se joue
des cadres, multiplie les fins détails floraux,
inclut des graphismes folkloriques et ose les
plans rapprochés suggestifs et les points de
vue
subjectifs
de
manière
très
cinématographique ou manga (au choix). Son
réalisme épuré reste toutefois ouvert sur le
rêve ou le fantastique, créant une atmosphère
singulière, qui lui est propre. Une artiste à
suivre assurément…
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N°15 - novembre2014 CULTURE/SORTIES
Lieu
Zoestan (Chez Zoé).
Tbilissi, un dimanche soir, 19h00. Le week-end s’achève, le
lundi matin hante déjà les têtes. « Allons boire un dernier
coup. » On bifurque rue Vakhtang Beridze, et on descend dans
une cave toute tbilissienne. Des voix féminines s’élèvent du
fond de la cavité. Un ensemble polyphonique de jeunes
femmes s’est aventuré hors d’église pour satisfaire un public de
comptoir. Sacrilège ? Non, deux prêtres semblent valider et
apprécier. Alors on prend un verre de Saperavi, un "Tonini"
(panini à la mode géorgienne) et on savoure l’instant affalés
dans un sofa. On se dit que c’est rare, c’est chouette et qu’on
reviendra. Qu’on en parlera seulement à quelques amis, histoire
de ne pas trop ébruiter. Gare aux hordes de touristes.
Consulter la page Facebook de Zoestan pour des prochaines dates de concert.
Ouvert tous les jours, 16h-01h. Non fumeur jusqu’à 23h !
Expo
Rétrospective des œuvres de David Kakabadze
Paris, Musée Maillol
17 septembre 2014 – 15 février 2015
L’exposition présente 40 œuvres de cet artiste, dont les collages constructif-décoratifs et
les œuvres graphiques de différentes périodes, les peintures en huiles et les aquarelles.
Espérons que cette rétrospective sera accompagnée de la réouverture du musée du
peintre, dans son appartement de Tbilissi. Ce lieu était magique mais, comme tant
d'autres musées-maisons, est méconnu ou délaissé.
(PS : Le canard compte bien vous offrir un portrait de cet incomparable artiste
protéiforme !)
Publication
Merab Ratichvili, auteur d'une saga en 2 volumes,"Djouga" et "Iliadi", vient d'être
traduit en français. Ses livres sont disponibles à la médiathèque française de Tbilissi.
M. Ratichvili, né à Gori en 1959, est un ingénieur géorgien qui a longtemps travaillé et
vécu à Moscou. Économiste, entrepreneur, il retourne en Géorgie en 2004, sous M.
Saakachvili et se lance dans l'investissement de projets locaux. Faussement accusé en
2007 après être entré en politique en opposition à M. Saakachvili, il est emprisonné et
devient l'un des "prisonniers politiques" géorgiens de l'ère Saakachvili défendus par
plusieurs ONG. Sa biographie officielle raconte qu'il a mis à profit ses années
d'emprisonnement pour écrire des romans, poèmes et nouvelles. Il est libéré en 2013
par le nouveau gouvernement. Sa vie est ainsi un roman en soi.
Djouga est le premier volume d'une histoire de politique fiction mettant en scène les
descendants de Staline et Trotski, sur fond de club de puissants qui tentent d'organiser le monde dans l'ombre. Le
spectre de l'URSS et de la Géorgie contemporaine hante ces romans politico-mystico-complotisto-fiction de plus de
500 pages chacun.
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