CANCER DU REIN : les grands débats, les grandes questions dossier TUMEURS LOCALISÉES Tumeurs bilatérales J.M. Ferrière*, J.C. Bernhard*, S. Richard** * Service d’unité urologie, d’andrologie et de transplantation rénale, CHU de Bordeaux. ** Centre expert national cancers rares “PREDIR”, INCa/AP-HP hôpital Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre. Limites de la chirurgie itérative Après une NP, la survenue d’une nouvelle tumeur sur le rein opéré reste une éventualité peu fréquente : 3,7 % des cas, avec un délai moyen de 6 ans (1). La prise en charge pose des problèmes incontestablement difficiles, mais la faisabilité d’une nouvelle chirurgie conservatrice mérite toujours d’être envisagée. À la lumière des très rares séries rapportées, la chirurgie partielle itérative se caractérise par les éléments suivants. ✓ Des difficultés techniques importantes, avec davantage de complications que lors d’une première opération (2), aussi bien au cours de l’opération (plaies vasculaires) qu’après (réinterventions et complications générales), dont le risque dépend de la taille tumorale et, peut-être, du score morphométrique (3). ✓ Des résultats excellents sur le plan carcinologique, avec une survie spécifique de plus de 80 % à 5 ans si une résection tumorale complète a pu être obtenue (4). ✓ Une fonction rénale relativement préservée, avec une chute du débit de filtration glomérulaire (DFG) de 20 %, susceptible de s’améliorer par la suite mais au prix de 12 % de reins perdus dans certaines séries. L’indication d’une nouvelle NP est retenue au terme d’une confrontation uroradiologique (à l’occasion d’une réunion de concertation pluridisciplinaire) lorsque se trouvent réunies les conditions suivantes : • l’absence de lésion à distance décelable ; • une tumeur plutôt exophytique et de localisation antérieure ; • d’autant plus si elle atteint ou dépasse une taille de 4 cm, qui représente la limite raisonnable pour un traitement par radiofréquence ou cryothérapie ; 52 • la faisabilité d’une résection tumorale complète avec préservation du minimum rénal nécessaire (le tiers ou la moitié d’un rein) et des vaisseaux qui l’irriguent ; • tout cela d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un rein unique, qu’il faut préserver à tout prix. L’analyse des images a donc une importance cruciale pour préciser ces différents points : reconstructions sur la console du radiologue ou au moyen de logiciels 3D (OsiriX, VR-Render). De nombreuses questions restent en suspens concernant la place de la robotique (5), celle des inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) en néo-adjuvant et celle des traitements combinés (chirurgie + traitement ablatif). En conclusion, il faut retenir 4 points essentiels : • des difficultés techniques prévisibles, avec un risque de perte du rein ; • un excellent contrôle local ; • la complémentarité des traitements ablatifs ; • l’importance de l’expertise chirurgicale pour ces situations difficiles, qui doivent rester du domaine des centres de référence. Quand adresser le patient à l’oncogénéticien ? Les cancers du rein sont liés à une prédisposition génétique dans 2 à 3 % des cas et la reconnaissance de ces formes héréditaires est essentielle. Un diagnostic précoce permet en effet de mettre en place une surveillance et une prise en charge spécifiques et, lorsque l’anomalie moléculaire (mutation germinale) est identifiée, de proposer un dépistage présymptomatique à la famille du patient. Les tumeurs rénales surviennent souvent 20 à 30 ans plus tôt que les formes sporadiques et sont fréquemment bilatérales et multifocales. Une dizaine d’affections, de transmission autosomique dominante, sont actuellement connues, dont les principales sont les suivantes (6, 7). ✓ La maladie de von Hippel-Lindau (gène suppresseur de tumeur VHL) prédispose au développement de carcinomes rénaux à cellules claires, d’hémangioblastomes du système nerveux central et de la rétine, de phéochromocytomes, de kystes et de tumeurs endocrines du pancréas (8). ✓ Le cancer rénal papillaire héréditaire (proto-oncogène MET) prédispose au développement de carcinomes papillaires de type 1. ✓ La léiomyomatose cutanéo-utérine héréditaire avec cancer rénal (gène suppresseur de tumeur FH) prédispose au développement de carcinomes papillaires de type 2, de léiomyomes cutanés et utérins. ✓ Le syndrome de Birt-Hogg-Dubé (gène suppresseur de tumeur FLCN) prédispose à des tumeurs rénales de type histologique varié (carcinomes chromophobes et tumeurs hybrides oncocytomes-chromophobes surtout), à des fibrofolliculomes cutanés, à des kystes pulmonaires et à des pneumothorax spontanés (9). Les autres causes de prédisposition au cancer du rein comprennent notamment : le cancer rénal à cellules claires familial à gène inconnu ; les translocations constitutionnelles du chromosome 3 ; la sclérose tubéreuse de Bourneville ; le syndrome des paragangliomes héréditaires ; le syndrome de Cowden ; les mutations germinales du gène BAP1. L’urologue est en première ligne dans le traitement des tumeurs rénales qui privilégie la préservation du parenchyme (10). Mais l’association fréquente avec d’autres manifestations cliniques nécessite une Correspondances en Onco-Urologie - Vol. V - no 2 - avril-mai-juin 2014 Tumeurs bilatérales ILLUSTRATION CLINIQUE Rein gauche : tumeur de 10 cm. Rein droit : 3 tumeurs. prise en charge pluridisciplinaire, assurée au mieux par le Réseau national cancers rares “PREDIR” de l’INCa (25 centres régionaux, www.predir.org). En pratique, une consultation d’oncogénétique devrait être proposée à tout patient présentant (7) : • un carcinome à cellules claires précoce (avant l’âge de 50 ans), multiple ou bilatéral ; • un carcinome papillaire (type 1 et type 2), carcinome chromophobe ou tumeur hybride, quel que soit l’âge de découverte ; • une tumeur rénale associée à des antécédents familiaux et/ou des manifestations cliniques évocatrices de l’une des prédispositions héréditaires actuellement connues. L’oncogénéticien prescrira au patient, après recueil de son consentement, l’analyse d’un ou de plusieurs gènes en fonction du type histologique de la tumeur rénale et de l’histoire clinique et familiale. Lorsqu’une mutation causale est identifiée, elle doit être confirmée sur un second prélèvement avant qu’un test génétique puisse être proposé aux apparentés à risque, qui permettra de surveiller les porteurs du gène muté et de rassurer définitivement les personnes indemnes. ■ S. Richard déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. J.M. Ferrière et J.C. Bernhard n’ont pas déclaré leurs éventuels liens d’intérêts. 1. Bernhard JC, Pantuck AJ, Wallerand H et al. Predictive factors 4. Magera JS, Frank I, Lohse CM et al. Analysis of repeat nephron 8. Richard S, Gardie B, Couvé S et al. Von Hippel-Lindau: how for ipsilateral recurrence after nephron-sparing surgery in renal cell carcinoma. Eur Urol 2010;57(6):1080-6. sparing surgery as a treatment option in patients with a solid mass in a renal remnant. J Urol 2008;179(3):853-6. a rare disease illuminates cancer biology. Semin Cancer Biol 2013;23(1):26-37. 2. Liu NW, Khurana K, Sudarshan S et al. Repeat partial 5. Autorino R, Khalifeh A, Laydner H et al. Repeat robot-assisted Références nephrectomy on the solitary kidney: surgical, functional and oncological outcomes. J Urol 2010;183(5):1719-24. partial nephrectomy (RAPN): feasibility and early outcomes. BJU Int 2013;111(5):767-72. 6. Linehan WM, Srinivasan R, Schmidt LS. The genetic basis of kidney cancer: a metabolic disease. Nat Rev Urol 2010;7(5):277-85. dimensions used for an anatomical (PADUA) classification of renal tumours in patients who are candidates for nephron7. Patard JJ, Baumert H, Bensalah K et al. CCAFU recommendaCorrespondances - Vol. V - no 2 - avril-mai-juin 2014renal cancer. Prog Urol 2013;23(Suppl. 2):S177-204. sparing surgery. Eur en UrolOnco-Urologie 2009;56(5):786-93. tions 2013: 3. Ficarra V, Novara G, Secco S et al. Preoperative aspects and 9. Menko FH, van Steensel MA, Giraud S et al. Birt-HoggDubé syndrome: diagnosis and management. Lancet Oncol 2009;10(12):1199-206. 10. Joly D, Méjean A, Corréas JM et al. Progress in nephron sparing therapy for renal cell carcinoma and von Hippel-Lindau disease. J Urol 2011;185(6):2025-60. 53