Ce livre a été rendu possible par un certain nombre de travaux
universitaires récents qui ont complètement renouvelé les
connaissances sur les premières années de l’islam. Les principaux
sont ceux de Michael Cook [1], de l’université de Londres, publié
en 1980, d’Alfred-Louis de Prémare [2], de l’université d’Aix en
Provence en France, publié en 2002, de Patricia Crone [3], de
l’université de Princeton aux Etats-Unis, publiés en 2004,
d’Edouard Marie Gallez [4], de l’université de Strasbourg en
France, publié en 2005, de Christoph Luxenberg, universitaire en
Allemagne, publiés en 2006. Ces avancées dans les résultats de la
recherche historique ont permis de fonder plusieurs constats
solides, dont ce site se fait non pas le découvreur mais le
rapporteur. Lorsqu'il a disparu des écrans pour une raison
inconnue, un capucin impliqué dans le dialogue avec les musulmans
l'a remis en ligne, considérant qu'il apporte des éléments
intéressants pour toute discussion ouverte.
[1] Michael Cook a été professeur d’histoire économique du Proche
Orient à la School of Oriental and African Studies, qui fait
partie de l’université de Londres.
[2] Alfred-Louis de Prémare, mort récemment, était professeur
émérite, historien du monde arabo-islamique, et enseignant
chercheur à l’Institut de recherche et d’études sur le monde arabe
et musulman.
[3] Patricia Crone est professeur d’histoire islamique à
l’Institute for Advanced Study, à Princeton, aux Etats-Unis.
[4] Edouard Marie Gallez est docteur en théologie et en histoire
des religions à l’université de Strasbourg. Sa thèse de doctorat
porte sur les origines de l’islam
2
La Bible et les Evangiles, l’histoire du judaïsme archaïque et de
la première église chrétienne ont été passés au crible de la
critique historique, et toutes les méthodes modernes d’exploration
du passé ont été mises à contribution pour comprendre ce qui s’est
passé, et comment ces textes ont été constitués.
Les mêmes démarches sont maintenant appliquées à l’islam. On peut
se faire une idée de ce qu’elles produiront en regardant leurs
effets sur le judaïsme et le christianisme.
Quelques juifs et quelques chrétiens, particulièrement parmi les
traditionalistes, effrayés de ce que l’usage des méthodes
scientifique pouvait amener, se sont élevés contre leur emploi
dans le domaine religieux. Leur opposition a été vaine : il est
aujourd’hui impossible d’interdire à la science d’appliquer ses
méthodes à quelque domaine que ce soit, et notamment pas à l’étude
historique de la formation des religions. Les craintes exprimées
se sont d’ailleurs montrées excessives. Le judaïsme et le
christianisme ont bien sûr dû changer certaines idées naïves sur
leur formation, mais ces recherches et les découvertes qu’elles
ont produites ont été finalement avantageuses pour ces religions,
car leur histoire est devenue mieux assurée, bien que sur certains
points différente de ce que l’on croyait.
Ce travail commence seulement pour le Coran et pour les débuts de
l’islam. L’exégèse moderne, développée pour l’étude du
christianisme et du judaïsme, a certes été appliquée à l’islam et
au Coran depuis déjà un siècle et demi, mais c’est depuis une
quinzaine d’années seulement que des percées décisives ont été
réalisées, grâce à une pluralité de méthodes nouvelles.
Aujourd’hui, les connaissances sur la formation du Coran et les
débuts de l’islam deviennent ce qu’elles sont depuis longtemps
pour le judaïsme et le christianisme. Naturellement, certains
musulmans s’effraient aujourd’hui, comme des juifs et des
chrétiens se sont effrayés jadis. C’est une réaction naturelle
devant les changements, une réaction que nous partageons tous à
une époque où la rapidité des évolutions devient un torrent qui
emporte bien des symboles chéris dans notre enfance. Il vaut mieux
cependant comprendre les travaux d’aujourd’hui plutôt que refuser
d’en prendre connaissance. Les juifs et les chrétiens tentés par
le refus se sont marginalisés, ceux qui ont accepté l’usage
universel de la science sont entrés dans le monde moderne.
Les musulmans sont aujourd’hui devant le passage que les juifs et
les chrétiens ont dû franchir il y a plusieurs générations. Un
monde nouveau, celui du troisième millénaire, les attend de
1-Les religions dans le monde moderne:
I - Il est difficile de connaître l’histoire des
origines
1-Les religions dans le monde moderne
2-La rançon du succès
3-Les documents historiques
4-Les documents disparus
3
2-La rançon du succès
L’islam, dès ses débuts, a connu un très grand succès militaire :
en 645, une dizaine d’années après la mort de Mahomet, la Syrie,
la Palestine, l’Egypte et ce qui forme aujourd’hui l’Irak et la
Jordanie avaient été envahies et durablement occupées par les
armées musulmanes. Pour surveiller et contrôler leurs conquêtes,
les musulmans ont fondé des villes nouvelles, peuplées d’Arabes
"importés" essentiellement du Hedjaz et de Syrie, telles Koufa et
Bassora en Irak, Fostat en Egypte, en expulsant les populations
qui occupaient les régions choisies, et en transformant le reste
des locaux en tributaires. Au cours du siècle suivant, les
invasions s’étendirent à l’Asie Mineure, l’Afrique du Nord,
l’Espagne, l’Asie Centrale et l’Inde, et de nouvelles villes,
peuplées d’immigrants arabes, Bagdad, Le Caire, Oran, Cordoue et
bien d’autres furent créées au centre de zones dépeuplées à cet
effet.
Le moteur de ces entreprises fut le système d’idées islamique, et
les califes, à l’imitation de Mahomet "le beau modèle", étaient à
la fois des chefs politiques et religieux : la laïcité est
explicitement rejetée par l’islam. La constatation habituelle des
historiens, "l’histoire est écrite par les vainqueurs", est tout à
fait générale, et s’applique aux documents historiques musulmans à
un double titre : d’une part parce qu’ils étaient des vainqueurs,
et, comme tous les vainqueurs du monde, ils ont écrit l’histoire à
leur manière, d’autre part parce que leurs entreprises militaires,
fondées sur un moteur idéologique, avait besoin que ce moteur soit
le plus efficace possible. Les califes, ayant à la fois le pouvoir
politique et le devoir religieux d’intervenir dans le domaine des
idées, ont veillé sur la formation et le contenu de tous les
documents historiques et religieux : le rassemblement des textes
qui constituent le Coran a été décidé et réalisé à l’initiative
des califes, la rédaction de l’histoire de Mahomet a été faite sur
ordre califal (c’est le calife Al Mansûr qui a ordonné la première
rédaction, modifiée par ses successeurs), les hadiths ont été
compilés après plus de 250 ans de tradition orale, et pendant
toute cette période le contrôle des idées et des écrits a été
pratiqué par les califes. De plus, les cinq [1] recueils
principaux ont été déclarés canoniques sous contrôle califal. Les
déviants et les dissidents de l’islam officiel, en particulier les
chiites et les mutazilites, se sont plaints amèrement de la
destruction systématique de leurs textes par les califes. C’est
certes regrettable pour la connaissance de l’histoire, mais ce
n’est en rien différent de ce qui s’est produit dans le reste du
monde. C’est la rançon du succès : plus la victoire est grande,
plus l’écriture de l’histoire est sous la coupe des vainqueurs.
[1] Certaines traditions califales joignent un sixième recueil à
ces cinq.
l’autre côté. Il n’y a pas de raison que les musulmans soient
plusréfractaires à la science que les juifs et les chrétiens ne
l’ontfinalement été.
4
L’islam n’est ni le premier ni le dernier des empires fondés sur
un système d’idées. Tous les empires de cette sorte ont
méthodiquement détruit les documents historiques, non seulement
ceux qui ne leur convenaient pas, mais aussi tous ceux qu’ils ont
pu atteindre, même s’ils paraissaient indifférents. Le plus ancien
exemple est l’empire chinois : entre la fondation de l’empire par
les Zhou, à la fin du douzième siècle avant notre ère, jusqu’à sa
consolidation par Qin Shi Houangdu neuf siècles plus tard, tous
les documents, de quelque nature qu’ils soient, ont fait l’objet
de destruction ou de tentatives de destruction. N’ont subsisté que
deux annales, les Royaumes Combattants et Printemps et Automne, un
texte juridique d’une page, les Punitions de Lu, et des sentences
arbitrales gravées sur bronze, en général en une seule phrase. Le
tout peut tenir dans un livre d’une centaine de pages. Des
traditions orales ont transmis quelques textes mis par écrit des
siècles plus tard. C’est tout ce qui subsiste de près d’un
millénaire de création intellectuelle par l’une des plus grandes
civilisations de la planète.
Les conquérants espagnols en Amérique centrale étaient
essentiellement motivés par l’espoir du butin, mais ils étaient
accompagnés de fondamentalistes chrétiens qui ont détruit tous les
codex mayas et aztèques qu’ils ont pu trouver. Il ne reste presque
rien.
La révolution française, pendant la terreur, en 1793, a tenté de
détruire toute la mémoire historique de la France. Une large
partie des documents historiques a disparu. Si les destructions
n’ont pas été plus étendues, c’est en raison de la faible durée du
pouvoir des Jacobins.
Au vingtième siècle, le socialisme soviétique a agi de même, au
point que Soljenitsyne disait que les Russes étaient devenus "un
peuple sans mémoire". Mao a voulu transformer les Chinois en "une
page blanche". A cet effet, à partir de la Révolution Culturelle
et pendant huit ans, les étudiants chinois en université ont eu
interdiction d’étudier les textes classiques. La seule formation
littéraire autorisée était l’étude des quelques poésies écrites
par Mao. La seule lecture était le petit livre rouge. Un nombre
immense de livres a été brûlé en public, et l’énormité des
destructions culturelles n’a été limitée que par le peu de temps
où Mao a disposé d’un pouvoir absolu.
L’islam a suivi la même pente, car elle est universelle : presque
aucun document original écrit dans les deux cent ans suivant la
mort de Mahomet n’a subsisté, et absolument aucun datant des cent
premières années. Depuis la Chine ancienne jusqu’aux socialismes
soviétique et maoïste, dans tous les régimes où le pouvoir a été
fondé sur un système d’idées, les documents existants sont d’une
part très postérieurs aux faits, et d’autre part rédigés sous le
contrôle du pouvoir politique. Il faut s’en accommoder, car cette
situation est générale : tous les pouvoirs politiques fondés sur
un système d’idées ont utilisé leur pouvoir pour contrôler les
idées, ce qui implique le contrôle des écrits.
3-Les documents historiques
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