La régle d`or fait obstacle à la conversion écologique de notre société

La règle d’or : un obstacle au financement de la transition
écologique de l’économie
La dette publique française atteint le record de 86% du PIB, aussi vertigineux que semble ce
chiffre, ce niveau n’a rien d’exubérant en soit. La dette allemande représente aussi 80% du
PIB et les marchés ne paraissent pas s’en émouvoir outre mesure.
Les taux d’endettement des entreprises françaises et des ménages, en pourcentage de leurs
revenus respectifs, excèdent bien souvent ce chiffre. Un ménage français qui gagne 30 000
euros par an, qui acquiert une petite maison de 80 en banlieue parisienne, pour 300 000
euros, contracte une dette équivalente à 1000% de son revenu annuel, sans que ses créanciers
ne s’en alarment. Dans l’absolu, ce n’est pas le niveau de la dette qui importe mais l’aptitude
des débiteurs à payer leurs mensualités sans se retrouver à découvert.
Or depuis 1974, les dépenses de l’Etat excèdent systématiquement ses recettes : A partir du 15
août les caisses du trésor public sont vides. En 2011, les charges d’intérêt s’élèvent à 54
milliards. C’est devenu le premier poste de dépenses budgétaires du gouvernement, devant
l’éducation nationale. L’Etat doit systématiquement contracter des emprunts pour payer le
coût de sa dette antérieure, si bien qu’elle augmente à un rythme inquiétant. C’est le prélude à
une spirale de surendettement. Il faut impérativement l’enrayer. Néanmoins un retour à
l’équilibre budgétaire à court terme n’est ni nécessaire ni souhaitable. Un strict respect de la
règle d’or pourrait compromettre le financement de la transition écologique de l’économie
que nous appelons de nos vœux.
On peut tenter d’enrayer l’augmentation de la dette de trois manières
différentes :
La pire de toutes, est la baisse des dépenses sociales et des investissements de l’Etat. Cela
provoque une contraction de la consommation et des débouchés des entreprises qui limitent
leur production et licencient, ce qui aggrave encore un peu plus la chute de la demande et du
PIB. La baisse des revenus, des profits et la hausse du chômage provoquent une réduction
généralisée des recettes : de TVA, d’impôt sur le revenu, d’impôt sur les sociétés et de
cotisations sociales ; si bien que les déficits peuvent augmenter. Cette voie a conduit la Grèce
dans le gouffre. C’est le paradoxe de l’austérité. L’Etat français lui-même s’est privé de
substantielles recettes puisqu’en réduisant les crédits d’impôts au développement durable de 1
milliard, il a réduit de 2,5 milliards l’activité de la rénovation énergétique du bâtiment, ce qui
mécaniquement le prive d’un milliard de recettes…
La deuxième manière est un moindre mal : c’est la hausse des impôts. Elle peut avoir un
effet récessif très important si elle pèse essentiellement sur les plus démunis, puisque faute
d’épargne disponible, les pauvres sont obligés de réduire leur consommation pour payer leur
facture fiscale. De ce point de vue, la hausse de la TVA sur les produits de première nécessité,
aurait été une grave erreur.
D’après l’OFCE, en 2012, l’impulsion budgétaire a été négative. L’Etat a augmenté les taxes
et réduit les dépenses d’un montant égal à 1,4% de PIB, qui a provoqué une diminution de
l’activité de 1,7% de PIB et donc une diminution des recettes de 0,8 pts de PIB. Il a perdu
d’une main plus de la moitié de ce qu’il escomptait gagner de l’autre.
1
En revanche l’augmentation des taxes peut être beaucoup moins douloureuse si elle frappe
l’épargne des ménages ou les importations. En effet, une taxe sur l’épargne équivaut à lever
un emprunt obligatoire à taux zéro, en ponctionnant des revenus qui par définition ne sont pas
utilisés. La baisse des capitaux disponibles sur les marchés obligataires peut être compensée
par une augmentation de l’offre de crédits bancaires, si bien que le coût de refinancement des
entreprises peut rester inchangé. Une taxe sur les importations permet d’améliorer la balance
commerciale ce qui a effet positif sur le PIB. L’Etat doit donc prioritairement cibler les hauts
salaires ou les revenus du capital qui sont en grande partie épargnés (dividendes, intérêts
obligataires, plus values mobilières etc.) et taxer les produits en provenance du reste du
monde, notamment le gaz, le pétrole et le charbon, à l’origine de nos émissions de gaz à effet
de serre.
D’après le théorème d’Haavelmo, l’effet récessif d’une baisse des dépenses est donc
beaucoup plus important que l’effet récessif d’une hausse des taxes, puisque cette dernière
siphonne en partie des revenus qui dorment. A fortiori, l’effet négatif d’une hausse
significative des impôts (l’effet multiplicateur est estimé à -0,96 par Bercy) peut être plus que
compensé par l’effet expansif d’une faible augmentation des dépenses (l’effet multiplicateur à
court terme est estimé à 1,3 selon Bercy).
On peut donc en déduire une troisième voie qui permettrait de réduire les déficits et de
sortir de la crise par le haut : il s’agit d’un cocktail savamment dosé d’une hausse substantielle
d’impôts et d’une augmentation modérée des dépenses, notamment des investissements
productifs, qui génèrent à terme de nouveaux revenus. La construction de logements et les
investissements verts font partie de ceux-là.
D’après la cour des comptes, une augmentation de la progressivité de l’impôt sur le revenu
pourrait générer 10 milliards de recettes supplémentaires, la suppression des exonérations
dont bénéficient les revenus du capital prodiguerait à l’Etat 20 milliards et d’après l’ADEME,
l’instauration d’une contribution climat énergie et l’alignement progressif de la fiscalité du
diesel sur l’essence pourraient rapporter 15 milliards d’euros en plus. Au total, l’Etat pourrait
donc se procurer 45 milliards de recettes supplémentaires. Cependant, il est peu probable qu’il
augmente les taxes énergétiques sans offrir de compensation aux agents, via une baisse de la
CSG, ou des cotisations employeurs, d’un montant égal à 10 milliards.
Il est possible de diminuer les déficits sans laminer l’emploi, en augmentant les impôts de 35
milliards et les investissements de 25 milliards, notamment en consacrant 15 à 20 milliards
aux transports collectifs urbains, aux énergies renouvelables et à l’isolation du bâti. Cette
équation permettrait de diminuer dans l’immédiat le déficit public de 10 milliards, soit 0,5%
de PIB, et nos émissions de gaz à effet de serre de 4%. Cette manne budgétaire suffirait
presque à couvrir le déficit des caisses du régime général des retraites (12 milliards).1
Cette politique volontariste nous permettrait de ramener le déficit public sous la barre des 3 %
en 2013 tout en réduisant le chômage. Mais s’il fallait résorber totalement les déficits en
poursuivant dans cette voie, pour ne pas aggraver le chômage, il faudrait augmenter de 10
points de PIB supplémentaires les prélèvements obligatoires, ce qui paraît politiquement
délicat. Cette recette a donc une limite : le consentement à payer l’impôt. On ne peut faire
croître indéfiniment la part des prélèvements obligatoires dans le PIB, qui s’élèvent déjà à
45%, à moins d’augmenter fortement la progressivité de l’impôt.
1 Le déficit de la sécurité sociale s’élevait à 14 milliards en 2011.
2
Si l’on devait annuler nos déficits, les gouvernements conservateurs préféreraient réduire les
dépenses plutôt que d’accepter une hausse des impôts telle qu’elle impliquerait une meilleure
redistribution des richesses. L’adoption de la règle d’or consacrerait le triomphe des libéraux
sur les progressistes, alors même que l’aggravation des finances publiques résulte de
l’effondrement d’un capitalisme financier débridé. Le prix à payer serait alors la persistance
d’un chômage de masse, une économie beaucoup plus cyclique avec une recrudescence de
crises toujours plus importantes.
La règle d’or n’est pas nécessaire et compromet le financement de la transition
écologique
Fort heureusement, il n’est pas nécessaire de résorber totalement les déficits pour
stabiliser le poids de la dette dans le PIB.
Pour que le ratio dette/PIB diminue, il faut que la dette augmente moins vite que le PIB.
Autrement dit, il faut que la part du déficit public dans le PIB soit inférieure à son taux de
croissance en valeur, 2
Déficit/PIB < y+p
Avec y le taux de croissance en volume du PIB et p le taux d’inflation.
Le taux de croissance en valeur est structurellement supérieur à 3,7% puisque l’inflation
oscille autour de 2% /an et que le taux de croissance tendanciel en volume, qui correspond
grosso modo à la somme du taux de croissance démographique (de 0,5%) et des gains de
productivité (1,2%), fluctue autour d’une tendance de 1,7%. Avec un tel niveau de déficit,
l’Etat n’a pas besoin d’emprunter pour rembourser ses dettes antérieures et il peut continuer à
emprunter pour maintenir le niveau de ses dépenses. Autrement dit, l’Etat pourrait reconduire
d’année en année les 15 ou 20 milliards d’euros d’investissements verts nécessaires d’après
ThreeME pour réduire de 30% nos émissions de GES d’ici 2030.
Faute d’avoir une grande certitude sur le taux de croissance tendanciel de l’économie, pour
assurer la soutenabilité de la dette, il aurait mieux valu écrire la règle selon laquelle :
La moyenne annuelle sur 5 ans du taux de déficit public en pourcentage du PIB doit rester
inférieur à la somme de la croissance moyenne du PIB en volume et des prix sur la même
période. Un raisonnement sur 5 ans introduit plus de souplesse pour permettre aux Etats de
mener des politiques contracycliques.
Cette règle simple interdit le surendettement. De facto, elle exclu la possibilité de contracter
un emprunt pour rembourser la charge de la dette antérieure. Cette règle de bonne conduite
s’applique déjà aux collectivités territoriales puisqu’elles doivent obligatoirement couvrir
leurs dépenses de fonctionnement et les charges d’intérêts de la dette par des ressources
propres. Seules les dépenses d’investissement sont financées à crédit. Autrement dit, elles
peuvent emprunter sans limite, dès lors qu’elles peuvent rembourser les intérêts grâce à
l’impôt. Cela signifie que les collectivités locales ont une obligation de respecter la règle
2 La dette augmente moins vite que le PIB si :
(Deficit/PIB).P.PIB< Pt-1.PIBt-1((1+y)(1+p)-1)
(Deficit/PIB). Pt-1.PIBt-1 (1+y)(1+p)< Pt-1.PIBt-1 ((1+y)(1+p)-1)
Deficit/PIB< ((1+y)(1+p)-1)/(1+y)(1+p) ~ y+p
Avec y le taux de croissance du PIB et p le taux d’inflation.
3
du déficit zéro mais sur les seules dépenses de fonctionnement, pas sur les dépenses
d’investissement. Cette règle pourrait parfaitement s’appliquer aux Etats. Elle lui interdirait
de vivre au dessus de ses moyens sans pour autant plomber l’investissement, ni les politiques
de relance, puisque le taux de croissance du PIB et le taux d’inflation augmentent avec le
montant des dépenses publiques.
Une question dès lors se pose : le PIB continuera t’il à croître ? Sinon, la règle évoquée ci-
dessus serait équivalente à la pseudo règle d’or ; si oui, un découplage entre PIB et
émissions de CO2 est –il possible ?
Les simulations du projet de facteur 4 conçu par Negawatt atteste la possibilité d’un
découplage entre PIB et émissions de CO2. La décroissance de notre empreinte écologique et
de la production des biens énergétivores s’accompagne d’une hausse du PIB, pour plusieurs
raisons : 1) un rythme soutenu d’investissement dans l’isolation du bâti, les transports
collectifs et les énergies renouvelables ; 2) une augmentation de l’emploi et donc des revenus
distribués, car l’intensité en main d’œuvre des secteurs sobres est supérieure aux autres 3) une
réduction de la facture énergétique et du déficit de la balance commerciale.
Les effets macroéconomiques du scénario NEGAWATT
D’après le modèle ThreeME, la réalisation du scénario NEGAWATT permettrait à terme une
hausse du PIB de 1,2 % par rapport à ce qu’aurait été son niveau si rien n’avait été fait.
Pourtant l’indice du CO2 passe de 95 en 2013 à 26 en 2050. L’objectif du facteur 4 est atteint,
bine que l’indice du PIB ait doublé sur la période. La décroissance des activités industrielles
et la disparition des centrales thermiques est plus que compensée par l’essor des secteurs
« verts » : isolation du bâti, énergies renouvelables et transport collectifs, et la croissance des
activités sobres en carbone, comme le tertiaire. Le PIB, qui est la somme des revenus
distribués, augmente, car l’emploi est plus élevé. L’intensité en emploi de l’économie est plus
4
forte (la productivité du travail est moins élevée). Le taux de chômage baisse de 0,7 point de
population active. Le déficit public diminue de 1,1 point de PIB et le ratio dette/PIB chute de
presque 14 points de PIB.
Cet exercice montre qu’un découplage entre le PIB et les émissions de CO2 est possible. Cela
signifie que la règle Déficit/PIB < y+p n’est pas équivalente à un déficit zéro à long terme,
même dans le cadre de la mise en œuvre d’une politique draconienne de lutte contre le
changement climatique, qui implique la décroissance de pans entiers des secteurs industriels
et de la consommation de biens manufacturés.
L’adoption d’une règle d’or aveugle reviendrait purement et simplement à interdire à l’Etat
de contracter de nouveaux emprunts. En bref, on lui interdirait de financer les dépenses
d’avenir qui s’avéreront lucratives dans le futur et qui lui permettront de réduire sa dette.
Pourquoi lui demander de payer cash des équipements productifs, comme des écoles, des
hôpitaux, des lignes de tramways, alors qu’il pourrait étaler leur paiement dans le temps et
investir davantage.
Or la lutte contre le changement climatique exigera des investissements massifs, équivalents à
1 point de PIB, comme le préconise le rapport Stern (0,7% pour la France d’après ThreeME).
Ces investissements nous offriront des gains de facture énergétique qui globalement
permettront de couvrir le coût de la dette.
En voulant graver dans le marbre de la constitution l’interdiction des déficits, on
compromettrait la nécessaire transition écologique de notre société. On laminerait
durablement l’emploi. On porterait atteinte à la souveraineté populaire, puisqu’une
constitution n’a pas vocation à dicter au peuple la marche à suivre. Elle doit se contenter
d’organiser les relations et l’équilibre entre les pouvoirs publics. La pseudo règle d’or
éloignerait encore davantage les peuples des institutions européennes en transformant la
Commission européenne en censeur et le conseil des ministres des finances en un club
d’huissiers, chargés de sanctionner les plus pauvres. Une interdiction de découvert,
généralisée et permanente, n’a rien à voir avec la nécessaire coordination de nos politiques
budgétaires. L’Union Européenne a besoin d’une politique d’harmonisation fiscale, décidée à
la majorité qualifiée et approuvée par le parlement européen, pour interdire le dumping
social. Elle a besoin d’une politique budgétaire fédérale, avec des ressources propres, pour
gommer les inégalités et lutter contre le réchauffement climatique.
Certains considèrent que le TSCG est un mal à accepter en compensation de la mise en œuvre
du MES. Or ce mécanisme est à la solidarité ce que le FMI est au développement. Les aides
proposées ne suffiront pas à compenser les effets récessifs dramatiques d’un retour brutal à
l’équilibre budgétaire en période de ralentissement économique. Ces thérapies, qui
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