D O S S I E R Le traitement de la maladie de Menière : actualités et controverses Treatment of Menière’s disease: state of the art and controversies ● D. Bouccara*, A. Bozorg Grayeli*, V. Couloigner**, E. Ferrary*, O. Sterkers* Résumé : La maladie de Menière est rattachée à l’apparition d’un hydrops endolymphatique, mais ses mécanismes physiopathologiques exacts et les modalités de son traitement sont discutés. Le traitement dépend de la sévérité de la maladie et des habitudes propres à chaque pays et à chaque équipe. Le profil du patient peut justifier une prise en charge psychologique spécifique. Différentes classes de médicaments sont utilisées. La rééducation vestibulaire est possible, mais elle impose de préciser le degré de compensation. En l’absence d’amélioration peuvent se discuter successivement : un traitement pressionnel par le dispositif Meniett®, un traitement local par les aminosides avec des protocoles de titration permettant de respecter l’audition, une intervention sur le sac endolymphatique, voire une neurotomie vestibulaire. Seul le suivi individuel prolongé permet de décider, cas par cas, les choix thérapeutiques. Mots-clés : Hydrops endolymphatique - Aminosides - Traitement pressionnel - Meniett®. Summary: Menière’s disease appears to be caused by endolymphatic hydrops, but the exact pathophysiology and treatment of this disease are still discussed. There are different levels for the treatment, depending on the severity of the disease, and on the country uses. More often the psychological status is important to evaluate, and can need a specific approach. Different medicines are used. Vestibular rehabilitation is possible but the evaluation of the level of compensation is necessary. In case of no response to these medical treatments, different treatments can be successively discussed: intermittent pressure therapy using the Meniett® device, endolymphatic sac surgery, chemical labyrinthectomy using aminoglycosides, vestibular neurotomy. An individual follow-up is necessary to decide the most indicated treatment for one patient, at one time. Keywords: Endolymphatic hydrops - Aminoglycoside - Pressure therapy - Meniett®. e traitement de la maladie de Menière reste un sujet d’interrogations et de controverses. En effet, même si les connaissances physiopathologiques progressent, les mécanismes de l’installation de la maladie et du déclenchement des crises restent imprécis. Les modalités thérapeutiques diffèrent d’un pays à l’autre et, dans un même pays, d’une équipe à l’autre. Ainsi, différentes classes médicamenteuses sont utilisées : corticoïdes, diurétiques, agents osmotiques (glycérol), anxiolytiques, bétahistine, vasodilatateurs... avec des résultats similaires sur le contrôle des symptômes. Il est d’ailleurs à noter que, dans certaines études comportant un groupe témoin traité par placebo, la différence d’efficacité entre les deux groupes L n’atteint pas toujours la significativité. Cela est en particulier lié à l’évolution naturelle de la maladie, qui comporte des phases de rémission – voire de guérison – de survenue imprévisible, et à l’impact direct que représente la prise en charge pour une affection volontiers associée à un contexte psychologique particulier (1). Au cours des dernières années, un certain nombre de nouvelles thérapeutiques ont été proposées ou “réactualisées” : traitement pressionnel par Meniett®, aminosides par voie locale. Les formes les plus invalidantes posent quant à elles la question des indications chirurgicales : à quel moment ? Avec quelle technique ? LA MALADIE DE MENIÈRE OU LES MALADIES DE MENIÈRE ? * Service ORL, hôpital Beaujon, AP-HP ; Inserm EMI-U 0112, faculté XavierBichat, Paris. ** Service ORL, hôpitaux Robert-Debré et Necker-Enfants malades (AP-HP) ; Inserm EMI-U 0112, faculté Xavier-Bichat, Paris. 18 Si la description princeps de Prosper Menière ne présente aucune ambiguïté quant aux symptômes de la forme typique, certaines constatations cliniques et physiopathologiques suscitent des interrogations sur l’unicité de cette affection. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 303 - mars-avril 2006 Différentes formes symptomatiques La triade symptomatique caractéristique associe, après une impression de plénitude de l’oreille, une crise vertigineuse, des acouphènes et une surdité de perception, évoluant par crises plus ou moins espacées. Les formes au cours desquelles les symptômes sont dissociés dans le temps sont fréquentes : les signes vestibulaires ou cochléaires peuvent être isolés pendant plusieurs mois ou plusieurs années. Les atteintes bilatérales ont une fréquence diversement évaluée dans la littérature (de 15 % à 60 % [1]). Elles font rechercher des arguments en faveur d’une atteinte autoimmune de l’oreille interne. Les formes de Lermoyez (l’apparition des vertiges s’accompagne d’une amélioration auditive) et de Tumarkin (la brutalité et l’intensité du vertige entraînent une chute) restent relativement rares. La difficulté réelle est de rattacher à la maladie de Menière certains syndromes caractérisés par des vertiges récidivants. Données physiopathologiques Les travaux anatomiques ont mis en évidence la présence de lésions liées à l’hydrops endolymphatique impliqué dans la maladie de Menière. Au cours de l’hydrops apparaissent des anomalies qui expliquent les symptômes : altération du fonctionnement des cellules neurosensorielles, augmentation de la pression endolymphatique et lésions du labyrinthe membraneux. La liste des facteurs favorisants potentiels de l’hydrops est longue : production excessive d’endolymphe, altération de la réabsorption de celle-ci par le sac endolymphatique, déséquilibre ionique, infection virale, anomalie génétique, facteurs diététiques, pathologie auto-immune, allergie... Les mécanismes d’apparition de l’hydrops sont discutés, mais les principales voies de recherche sont une altération du fonctionnement du sac endolymphatique, des anomalies de différentes hormones, dont la prolactine et l’hormone antidiurétique, et enfin des troubles immunitaires. Dans une publication récente, Merchant et al. (2) ont étudié les rochers de patients ayant présenté durant leur vie une maladie de Menière. Dans tous les cas, des lésions caractéristiques de l’hydrops ont été identifiées. Il existait un second groupe de rochers porteurs d’anomalies caractéristiques d’un hydrops mais avec une histoire clinique variable, non liée à une maladie de Menière. Il s’agissait soit d’hydrops secondaires à une autre pathologie otologique, soit d’hydrops idiopathiques, sans symptomatologie typique. Il existe donc une corrélation forte entre les manifestations de la maladie de Menière et les lésions caractéristiques de l’hydrops, même si ce type de lésions peut être constaté dans d’autres circonstances. Quelle stratégie thérapeutique ? Les modalités thérapeutiques de la maladie de Menière peuvent être classées en trois catégories : traitement initial, traitement de seconde intention et traitement “radical” pour les formes résistant aux deux paliers thérapeutiques précédents (figure 1). Le traitement initial comporte habituellement un certain nombre de conseils sur le mode de vie, la limitation des excitants (tabac, Labyrinthectomie Neurotomie vestibulaire Aminosides par voie locale Chirurgie du sac endolymphatique Traitement par pression locale pulsée Traitements médicaux et rééducation Figure 1. Rapport efficacité-risque des traitements proposés aux patients souffrant d’une maladie de Menière. café, etc.) et de la consommation en sel, sans restriction sodée stricte. Il s’accompagne d’une évaluation psychologique qui peut conduire dans certains cas à une prise en charge spécifique. Les classes de médicaments utilisées dans la maladie de Menière sont nombreuses. Les habitudes de prescription varient d’un praticien à l’autre et d’un pays à l’autre. Les diurétiques et les corticoïdes nécessitent un suivi métabolique. Plusieurs auteurs insistent sur l’incidence de l’allergie lors de la maladie de Menière. Il paraît donc utile de la rechercher et, le cas échéant, de la traiter. La rééducation vestibulaire est utile dans les formes où les troubles de l’équilibre sont invalidants et mal contrôlés. Ayant, par définition, un caractère fluctuant, les vertiges doivent être traités par un rééducateur expérimenté, évaluant régulièrement le niveau de la compensation. En l’absence d’amélioration avec ces thérapeutiques, d’autres modalités peuvent être proposées successivement, en fonction de leur efficacité. LE TRAITEMENT PRESSIONNEL Principe et mise en œuvre L’intérêt des traitements pressionnels dans la maladie de Menière a été suggéré par les résultats obtenus avec les aérateurs transtympaniques (3). L’appareil Meniett 20® est de développement récent. Son objectif est de restaurer l’équilibre des pressions liquidiennes de l’oreille interne. Il comporte un générateur portable, de la taille d’un baladeur, facile à transporter et dont la batterie est rechargeable. La procédure comporte deux étapes successives : – la mise en place d’un aérateur transtympanique du côté atteint. Celui-ci permet une amélioration significative des symptômes dans un certain nombre de cas ; – en l’absence d’amélioration par le drain seul, le traitement pressionnel par Meniett 20® est instauré. Le générateur produit des salves de pression pulsée de faible intensité (n’excédant pas 12 cm H2O), transmises vers l’oreille moyenne par l’intermédiaire d’une tubulure puis d’un embout de tympanométrie placé dans le conduit auditif externe (figure 2). La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 303 - mars-avril 2006 19 D O S S I E R LABYRINTHECTOMIE CHIMIQUE Figure 2. Générateur de pression pulsée Meniett®. L’effet de ce traitement serait de favoriser la mise en jeu de mécanismes locaux de régulation pressionnelle. Le patient réalise trois séances quotidiennes d’environ 10 minutes chacune. Les manipulations sont réduites et le maniement de l’appareil est simple. L’effet du traitement (réduction de la fréquence et de la sévérité des crises) apparaît habituellement lors des deux premières semaines. Compte tenu des profils évolutifs différents d’un patient à l’autre, un traitement d’environ trois semaines est souhaitable pour apprécier son efficacité. Résultats obtenus Plusieurs études prospectives, dont certaines multicentriques et randomisées (Meniett 20® versus appareil placebo présentant le même aspect, mais n’engendrant aucune salve pressionnelle), ont été réalisées (4-7). Les principaux résultats obtenus sont : – une bonne tolérance du traitement avec de rares effets secondaires liés au drain transtympanique (otorrhée) ; – un effet favorable du drain transtympanique dans un certain nombre de cas, ne nécessitant pas d’y adjoindre le traitement par l’appareil Meniett 20® ; – une amélioration significative des différents symptômes évalués sur des échelles analogiques visuelles ou des questionnaires, associée à une réduction de la fréquence des crises. Développement actuel en France Une étude clinique multicentrique versus placebo a été réalisée en France, en Belgique et au Luxembourg, dans une vingtaine de centres. Ses résultats définitifs sont en cours d’analyse. Par ailleurs, la distribution commerciale du Meniett 20® ayant commencé, cet appareil est accessible à la location et à la vente, mais sans remboursement par les organismes sociaux. 20 Le principe est de réaliser une destruction massive des cellules ciliées vestibulaires avec le moins d’effets collatéraux possible, en particulier auditifs. Si les premières procédures utilisées à la fin des années 1940 se sont révélées décevantes, avec une absence totale de conservation de l’audition, les protocoles actuels présentent une bonne efficacité sur les troubles de l’équilibre et peu d’effets auditifs. Parmi ces protocoles, il faut distinguer ceux qui comportent des doses fixes de gentamicine – de 36 mg à 210 mg sur des intervalles de temps variables – et ceux qui réalisent une “titration”, la posologie étant adaptée à l’évolution des symptômes et des signes. Dans une étude portant sur 57 cas avec un suivi de deux à quatre ans, Lange et al. (8) montrent que plus de la moitié des patients voient leurs symptômes vestibulaires contrôlés après une seule injection, sans modification de leur audition, les acouphènes étant améliorés dans un cas sur deux. Une méta-analyse réalisée à partir de 226 publications sur le sujet a été faite par deux lecteurs indépendants (9). Les critères d’appréciation recherchés étaient ceux définis par l’American Academy of Otolaryngology Head and Neck Surgery. Seules 15 publications ont été retenues pour l’analyse finale, en raison de leurs qualités méthodologiques. Il s’agissait pour la moitié d’études prospectives et pour l’autre moitié d’études rétrospectives. Aucune étude ne comportait de groupe témoin traité par un placebo. Le nombre total de patients pris en compte pour cette méta-analyse était de 627. Les résultats montrent une hétérogénéité des réponses individuelles. Les vertiges sont complètement contrôlés dans les trois quarts des cas. Le suivi audiométrique ne montre pas d’aggravation notable de la surdité. Il n’a pas été possible de montrer la supériorité de l’un des deux procédés, dose fixe ou titration, à partir de cette analyse. En pratique, le choix d’une titration semble cependant plus adapté, car il permet de suivre précisément la susceptibilité individuelle aux aminosides et de préserver au mieux la fonction auditive. TRAITEMENT CHIRURGICAL Le traitement chirurgical est indiqué dans les maladies de Menière unilatérales, invalidantes et résistant aux modalités thérapeutiques précédentes. Le caractère invalidant de la maladie est défini par le retentissement personnel, social et familial. Il est apprécié de différentes manières : en s’appuyant sur des questionnaires de retentissement et de sévérité comme ceux de l’American Academy ou le Dizziness Handicap Inventory (10), qui n’est pas spécifique de la maladie de Menière, mais aussi sur les arrêts de travail successifs. Un bilan exhaustif (scanner, IRM) est réalisé avant l’intervention. Les trois types de procédure sont : – la décompression du sac endolymphatique : adaptée au rôle supposé du sac dans la physiopathologie de la maladie, elle a l’avantage de préserver les fonctions vestibulaire et auditive, d’être peu invasive et éventuellement renouvelable. Ses inconvénients sont le caractère inconstant de son efficacité et un bénéfice faible dans les formes anciennes de la maladie ; La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 303 - mars-avril 2006 – la neurotomie vestibulaire offre la possibilité d’un traitement radical avec un contrôle des crises vertigineuses. Elle est indiquée dans les formes invalidantes et les crises otolithiques de Tumarkin. Différentes voies d’abord sont utilisées, le plus souvent la voie rétrosigmoïdienne, avec possibilité d’utiliser l’endoscopie dans l’angle pontocérébelleux. Le patient peut présenter des troubles de l’équilibre postopératoires, dont l’intensité et/ou la fréquence sont beaucoup plus faibles que celles des crises vertigineuses préopératoires. Ces troubles sont accessibles à une rééducation vestibulaire, qui permet la compensation de l’aréflexie unilatérale postopératoire. Les risques associés à l’ouverture de l’angle pontocérébelleux (fuite de liquide céphalo-rachidien, méningite) sont faibles. Le bénéfice éventuel sur l’audition a été évoqué par certains auteurs (1) ; – la labyrinthectomie chirurgicale est réservée aux formes invalidantes pour lesquelles une neurotomie n’est pas possible en raison des antécédents ou de l’âge du patient. Elle comporte l’inconvénient de sacrifier l’audition et est donc habituellement réservée aux patients présentant une audition “non utile”. Elle peut être réalisée via le conduit auditif externe. La maladie de Menière reste le sujet de nombreux articles, symposiums et discussions. Ses mécanismes physiopathologiques sont mieux connus et les thérapeutiques les plus récentes, traitement pressionnel et aminosides locaux, permettent de hiérarchiser les indications successives pour un patient donné. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Herman P, Hervé S, Portier F, Tronche S, De Waele C, Tran Ba Huy P. Maladie de Menière. Encycl Med Chir ORL 2003;20-205-A-10:19p. 2. Merchant SN, Adams JC, Nadol JB. Pathophysiology of Menière’s syndrome: are symptoms caused by endolymphatic hydrops? Otol Neurotol 2005; 26:74-81. 3. Montandon P, Guillemin P, Hausler R. Prevention of vertigo in Menière’s syndrome by means of transtympanic ventilation tubes. ORL J Otorhinolaryngol Relat Spec 1988;50:377-81. 4. Ödkvist M, Arlinger S, Billermark E, Densert B, Lindholm S, Wallqvist J. Effects of therapeutic middle ear pressure changes in patients with Menière’s disease. Menière’s disease 1999 – Update, pp 597-603. Proceedings of the 4th International Symposium on Menière’s disease. Paris 1999. Edited by O. Sterkers, E. Ferrary, J.P. Sauvage and P. Tran Ba Huy. Kugler Publications 2000. 5. Densert B, Sass K. Control of symptoms in patients with Menière’s disease using middle ear pressure applications: two years follow-up. Acta Otolaryngol (Stockh) 2001;121:616-21. 6. Gates G, Green D, Tucci D, Telian S. The effects of transtympanic micropressure treatment in people with unilateral Menière’s disease. Arch Otolaryngol Head Neck Surg 2004;130:718-25. 7. Thomsen J, Sass K, Ödkvist M, Arlinger S. Local overpressure treatment reduces vestibular symptoms in patients with Menière’s disease: a clinical, randomized, multicenter, double-blind, placebo-controlled study. Otol Neurotol 2005;26:68-73. 8. Lange G, Maurer J, Mann W. Long-term results after interval therapy with intratympanic gentamicin for Menière’s disease. Laryngoscope 2004;114:102-5. 9. Cohen-Kerem R, Kisilevsky V, Einarson TR et al. Intratympanic gentamicin for Menière’s disease: a meta-analysis. Laryngoscope 2004;114:2085-91. 10. Jacobson GP, Newman CW. The development of the dizziness handicap inventory. Arch Otolaryngol Head Neck Surg 1990;116:424-7. Les articles publiés dans “La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. © janvier 1985 - EDIMARK SAS - Imprimé en France - DIFFERDANGE SAS - 95100 Sannois - Dépôt légal : à parution. Un encart jeté INCA (12 pages) est routé avec ce numéro. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 303 - mars-avril 2006 21