MÉDAILLE FIELDS ET PRIX NEVANLINNA 2002 75
qui sont des fonctions « hautement » périodiques qui apparurent (dans
un contexte complètement différent) en analyse. Le programme de Lan-
glands propose un canevas de telles relations reliant représentations ga-
loisiennes, issues de la théorie des nombres, et formes automorphes, issues
de l’analyse.
Les origines du programme de Langlands sont à rechercher dans l’un
des résultats les plus profonds de la théorie des nombres, la loi de récipro-
cité quadratique, prouvée par Gauss en 1801. Une importante question
en théorie des nombres est en effet la suivante : lorsque l’on divise deux
nombres premiers, dans quelle mesure le reste est-il un carré parfait ? La
loi de réciprocité quadratique révèle un lien remarquable entre deux ques-
tions apparemment sans lien : « le reste de la division de deux nombres
premiers ppar qest-il un carré parfait ? » et « le reste de la division
de qpar pest-il un carré parfait ? ». En dépit de nombreuses preuves
de la loi de réciprocité quadratique (Gauss lui-même en produisit six
différentes), celle-ci demeura un fait mystérieux en théorie des nombres.
D’autres lois de réciprocité qui s’appliquent dans des situations plus gé-
nérales furent découvertes par Teiji Takagi et par Emil Artin dans les an-
nées 1920. L’une des motivations originales du programme de Langlands
était de fournir une compréhension complète des lois de réciprocité qui
s’appliquent dans des contextes encore plus généraux.
La correspondance de Langlands globale prouvée par Lafforgue donne
cette compréhension complète non pas dans le cas des nombres entiers
mais dans celui, plus abstrait, des corps de fonctions. On peut imaginer
de tels objets comme des quotients de polynômes ; ces quotients pou-
vant être ajoutés, soustraits, multipliés et divisés, exactement comme
des nombres rationnels. Lafforgue a établi, pour n’importe quel corps de
fonctions, un lien précis entre la représentation de son groupe de Galois
et les formes automorphes associées à ce corps de fonctions. Son travail
est bâti sur celui de Vladimir Drinfeld (lauréat de la médaille Fields en
1990), qui, lui, avait prouvé un cas particulier de la correspondance de
Langlands dans les années 1970. Lafforgue est ainsi le premier à avoir
compris comment le travail de Drinfeld pouvait être étendu pour donner
une description complète de la correspondance de Langlands dans le cas
des corps de fonctions.
Au cours de son travail, Lafforgue a développé une nouvelle construc-
tion géométrique qui pourrait s’avérer très importante dans le futur.
L’influence de son travail devrait s’étendre à plusieurs autres domaines
des mathématiques.
Laurent Lafforgue est né le 6 novembre 1966 à Antony, France. Il est
diplômé de l’École Normale Supérieure de Paris (1986). Il est devenu
Chargé de Recherche au CNRS en 1990 et a travaillé pendant plusieurs
SMF – Gazette – 94, Octobre 2002