Médaille Fields et Prix Nevanlinna 2002

publicité
PRIX KYOTO
73
– Prix de l’Union des Assurances de Paris (1989) ;
– Docteur honoris causa de l’Université de Genève (1992) ;
– Prix Wolf (1993) ;
– Leroy P. Steele Prize for a Seminal Contribution to Research, American Mathematical Society (1997) ;
– Membre de l’Institut de France, Académie des Sciences (1997) et
Médaille Lobatchewski (1997) ;
– Prix Balzan (1999).
La Gazette a publié deux articles sur l’œuvre de M. Gromov dans les
numéros 76 et 77 : Marcel Berger, Rencontres avec un géomètre. I et II.
Laurent Lafforgue et Vladimir
Voevodsky médaillés Fields 2002,
Madhu Sudan Prix Nevanlinna 2002
Le 20 août 2002, la médaille Fields ainsi que le prix Nevanlinna ont
été décernés. Les lauréats de la médaille Fields sont Laurent Lafforgue
(IHÉS-France) et Vladimir Voevodsky (IAS-États-Unis) ; le lauréat du
prix Nevanlinna est Madhu Sudan (MIT-États-Unis).
Laurent Lafforgue a réalisé un progrès important concernant le programme de Langlands en prouvant la correspondance de Langlands globale pour les corps de fonctions. Son travail se caractérise à la fois par une
formidable puissance technique, de profondes intuitions et une approche
systématique et tenace.
Le programme de Langlands, formulé par Robert P. Langlands pour
la première fois dans une lettre adressée à André Weil en 1967, est une
collection de conjectures. Ces conjectures sont toutes des « prédictions »
très précises sur les liens qui pourraient exister entre divers domaines des
mathématiques. L’influence du programme de Langlands s’est affirmée au
cours des années, et chaque avancée la concernant a été un pas important.
Une des plus spectaculaires confirmations du programme de Langlands
est venue de la preuve du dernier théorème de Fermat par Andrew Wiles
et des travaux liés à cette preuve qui ont suivi, en particulier la preuve
de la conjecture de Taniyama-Shimura-Weil. Cette conjecture établit que
les courbes elliptiques, qui sont des objets possédant des propriétés arithmétiques très profondes, ont des liens étroits avec les formes modulaires,
SMF – Gazette – 94, Octobre 2002
SMF – Gazette – 94, Octobre 2002
MÉDAILLE FIELDS ET PRIX NEVANLINNA 2002
75
qui sont des fonctions « hautement » périodiques qui apparurent (dans
un contexte complètement différent) en analyse. Le programme de Langlands propose un canevas de telles relations reliant représentations galoisiennes, issues de la théorie des nombres, et formes automorphes, issues
de l’analyse.
Les origines du programme de Langlands sont à rechercher dans l’un
des résultats les plus profonds de la théorie des nombres, la loi de réciprocité quadratique, prouvée par Gauss en 1801. Une importante question
en théorie des nombres est en effet la suivante : lorsque l’on divise deux
nombres premiers, dans quelle mesure le reste est-il un carré parfait ? La
loi de réciprocité quadratique révèle un lien remarquable entre deux questions apparemment sans lien : « le reste de la division de deux nombres
premiers p par q est-il un carré parfait ? » et « le reste de la division
de q par p est-il un carré parfait ? ». En dépit de nombreuses preuves
de la loi de réciprocité quadratique (Gauss lui-même en produisit six
différentes), celle-ci demeura un fait mystérieux en théorie des nombres.
D’autres lois de réciprocité qui s’appliquent dans des situations plus générales furent découvertes par Teiji Takagi et par Emil Artin dans les années 1920. L’une des motivations originales du programme de Langlands
était de fournir une compréhension complète des lois de réciprocité qui
s’appliquent dans des contextes encore plus généraux.
La correspondance de Langlands globale prouvée par Lafforgue donne
cette compréhension complète non pas dans le cas des nombres entiers
mais dans celui, plus abstrait, des corps de fonctions. On peut imaginer
de tels objets comme des quotients de polynômes ; ces quotients pouvant être ajoutés, soustraits, multipliés et divisés, exactement comme
des nombres rationnels. Lafforgue a établi, pour n’importe quel corps de
fonctions, un lien précis entre la représentation de son groupe de Galois
et les formes automorphes associées à ce corps de fonctions. Son travail
est bâti sur celui de Vladimir Drinfeld (lauréat de la médaille Fields en
1990), qui, lui, avait prouvé un cas particulier de la correspondance de
Langlands dans les années 1970. Lafforgue est ainsi le premier à avoir
compris comment le travail de Drinfeld pouvait être étendu pour donner
une description complète de la correspondance de Langlands dans le cas
des corps de fonctions.
Au cours de son travail, Lafforgue a développé une nouvelle construction géométrique qui pourrait s’avérer très importante dans le futur.
L’influence de son travail devrait s’étendre à plusieurs autres domaines
des mathématiques.
Laurent Lafforgue est né le 6 novembre 1966 à Antony, France. Il est
diplômé de l’École Normale Supérieure de Paris (1986). Il est devenu
Chargé de Recherche au CNRS en 1990 et a travaillé pendant plusieurs
SMF – Gazette – 94, Octobre 2002
76
INFORMATIONS
années au sein de l’équipe « Arithmétique et Géométrie Algébrique » de
l’Université Paris-Sud, où il a soutenu sa thèse en 1994. En 2000, il est
devenu Professeur permanent à l’Institut des Hautes Études Scientifiques
de Bures-sur-Yvette, France.
La Gazette des Mathématiciens a publié un article (écrit par Gérard
Laumon) sur les travaux de Lafforgue dans le numéro 88.
Vladimir Voevodsky a réalisé l’une des avancées majeures dans le
domaine de la géométrie algébrique de ces dernières décennies en développant de nouvelles théories cohomologiques pour les variétés algébriques.
Son travail se caractérise par son habileté à développer des idées très abstraites avec aisance et à déployer ces idées pour résoudre des problèmes
mathématiques très concrets.
Les travaux de Voevodsky trouvent leurs racines dans les travaux
d’Alexandre Grothendieck (lauréat en 1966 de la médaille Fields), mathématicien profond et original qui s’est beaucoup penché sur la manière
« d’unifier » les différents domaines des mathématiques. Grothendieck
introduisit des objets, qu’il appela motifs, qui sont en quelque sorte une
passerelle entre la théorie des nombres et la géométrie. Les idées de Grothendieck ont eu une influence majeure sur les mathématiques et ont
inspiré de manière décisive les travaux de Voevodsky.
La notion de cohomologie apparut pour la première fois en topologie,
qui peut être schématiquement appelée la « science des formes ». La topologie étudie les propriétés fondamentales qui ne varient pas lorsque les
objets géométriques sont déformés de façon continue (sans les rompre).
Sur un plan très simplifié, la théorie cohomologique fournit un moyen
de réduire un objet topologique en des morceaux plus simples à étudier. Les groupes cohomologiques permettent de coder la manière avec
laquelle il faut « recoller » les morceaux pour retrouver l’objet original.
Il y a plusieurs façons de le réaliser, l’une d’entre elles est appelée cohomologie singulière. Les théories cohomologiques généralisées extraient les
données concernant les propriétés des objets topologiques puis les codent
dans le language des groupes. L’une des plus importantes de ces théories
cohomologiques généralisées, la K-théorie topologique, a été développée
par Michael Atiyah (lauréat de la médaille Fields en 1966). Un des résultats remarquables révèla un lien très fort entre la cohomologie singulière
et la K-théorie topologique.
En géométrie algébrique, les principaux objets étudiés sont les variétés
algébriques, qui sont l’ensemble des solutions d’équations polynomiales.
Les variétés algébriques peuvent être représentées par des objets géométriques comme des courbes ou des surfaces, mais elle sont beaucoup plus
SMF – Gazette – 94, Octobre 2002
MÉDAILLE FIELDS ET PRIX NEVANLINNA 2002
77
« rigides » que les objets topologiques, et donc les théories cohomologiques développées dans le contexte topologique ne sont pas applicables
ici. Depuis environ quarante ans, des mathématiciens ont tenté de fournir
de bonnes théories cohomologiques pour les variétés algébriques ; l’une
des mieux comprises fut la version algébrique de la K-théorie. Une avancée majeure fut réalisée lorsque Voevodsky, partant d’une idée profonde
mais passée un peu inaperçue d’Andrei Suslin, introduisit une théorie
de la « cohomologie motivique ». Par analogie avec le cadre topologique,
il existe une très forte connexion entre la cohomologie motivique et la
K-théorie algébrique. De surcroît Voevodsky proposa un cadre pour décrire beaucoup de nouvelles théories cohomologiques pour les variétés
algébriques. Son travail constitue une avancée majeure dans la voie de
la vision « unifiée » des mathématiques de Grothendieck.
Une des conséquences des résultats de Voevodsky, et l’un de ses principaux titres de gloire, est la résolution de la conjecture de Milnor, qui
depuis trente ans fut l’un des problèmes majeurs dans le domaine de la
K-théorie algébrique. Ce résultat a de nombreuses conséquences frappantes dans plusieurs secteurs, en particulier la cohomologie galoisienne,
les formes quadratiques et la cohomologie des variétés algébriques complexes. Les travaux de Voevodsky devraient avoir un impact très large
sur les mathématiques en autorisant l’utilisation de très puissants outils
de la topologie pour étudier les variétés algébriques.
Vladimir Voevodsky est né le 4 juin 1966 en Russie. Il est diplômé
de l’Université d’État de Moscou. Il a soutenu sa thèse à l’Université
d’Harvard. Il fut invité à l’Institute for Advanced Study de Princeton,
à l’Université d’Harvard et au Max-Planck-Institut für Mathematik de
Bonn, avant de rejoindre la Northwestern University en 1996. En 2002 il
a été nommé professeur permanent à l’Institute for Advanced Study de
Princeton.
Madhu Sudan a obtenu le prix Nevanlinna pour ses travaux dans le
domaine de l’informatique théorique. En particulier dans le domaine de la
théorie des preuves corrigibles de façon probabiliste, dans le domaine de
la non-approximation de certains problèmes d’optimisation et les codes
correcteurs d’erreurs.
Sudan a été un acteur important du développement de la théorie des
preuves corrigibles de façon probabiliste. Étant donnée une preuve d’un
énoncé mathématique, cette théorie offre un moyen de réinterpréter cette
preuve sous une forme où les implications logiques sont codées en suites
de bits qui peuvent ensuite être stockées dans la mémoire d’un ordinateur. Un « vérificateur » peut, en contrôlant seulement certains de ces
SMF – Gazette – 94, Octobre 2002
78
INFORMATIONS
bits, déterminer avec une probabilité forte si la preuve est correcte ou
pas. Ce qui est très surprenant, et pour ainsi dire contraire à l’intuition,
est que le nombre de bits que le « vérificateur » doit contrôler peut être
rendu extrêmement faible. Cette théorie a été développée dans plusieurs
articles par Sudan, S. Arora, U. Feige, S. Goldwasser, C. Lund, L. Lovasz,
R. Motwani, S. Safra, et M. Szegedy. En 2001, ces auteurs ont recu le
prix Gödel de l’Association for Computing Machinery pour ces travaux.
En collaboration avec d’autres chercheurs, Sudan a mené d’importants
travaux sur la compréhension de la « non-approximabilité » des solutions
de certains problèmes. Ce travail est lié à une question fondamentale et
encore ouverte : « P = N P ? ». En schématisant, P est l’ensemble des
problèmes « faciles » à résoudre en utilisant les techniques informatiques
existantes, alors que N P est celui qui contient les problèmes plus « difficiles ». L’adjectif « facile » a une signification technique claire, reliée à
l’efficacité des algorithmes dans la résolution des problèmes. Un problème
fondamentalement difficile dans N P a la propriété suivante : toute « solution » proposée est facilement vérifiable mais aucun algorithme connu
n’est en mesure de produire une « solution ». Certains problèmes de type
N P par exemple concernent la recherche d’une solution optimale pour
un problème combinatoire de ce type : étant donnée une collection finie d’ensembles finis, quelle est la taille maximale d’une sous-collection
telle que deux ensembles pris dans cette sous-collection sont forcément
disjoints ? Sudan et ses collaborateurs ont montré que, pour beaucoup
de problèmes comme celui-là, trouver une solution approchée de la solution optimale est aussi difficile que de trouver la solution optimale.
Ce résultat est intimement lié aux travaux sur les preuves corrigibles
de façon probabiliste. Compte tenu du fait que ce type de problème est
très proche de problèmes quotidiens dans les domaines scientifiques et
techniques, ce résultat est d’un intérêt pratique immense, et aussi d’une
grande importance théorique.
Le troisième axe de recherche dans lequel Sudan s’est illustré est celui
des codes correcteurs d’erreurs. Ces codes jouent un rôle immense dans la
« sécurisation » de tous les types de transmission d’information, depuis
la musique gravée sur un CD jusqu’aux communications sur Internet.
Dans tous les moyens de communication, il existe un certain taux de
« bruit » qui peut altérer la qualité du message transmis. La redondance
est utilisée pour éliminer les erreurs dues au bruit, en codant le message
dans un message plus volumineux. Si le message codé n’a pas subi trop
d’erreurs de transmission, le receveur peut retrouver le message original.
La redondance renchérit le coût de transmission, et l’art de la science des
codes correcteurs d’erreurs est de faire la balance entre la redondance
et l’efficacité. Une classe très utilisée de tels codes est appelée codes
SMF – Gazette – 94, Octobre 2002
MÉDAILLE FIELDS ET PRIX NEVANLINNA 2002
79
de Reed-Solomon qui ont été inventés dans les années 60. Pendant 40
ans on supposait que de tels codes ne pouvaient corriger que certains
types d’erreurs. En créant un nouvel algorithme de décodage, Sudan a
démontré que les codes de Reed-Solomon pouvaient corriger beaucoup
plus d’erreurs que ce que l’on pensait.
Madhu Sudan est né le 12 septembre 1966 à Madras (actuellement
Chennai). Diplômé en Informatique de l’Indian Institute of Technology
de New Delhi (1987), il a soutenu sa thèse à l’Université de Berkeley
(1992). Il est actuellement professeur associé au MIT.
Note : Ces textes sont une traduction des textes de présentation
officiels communiqués au cours du Congrès International des Mathématiciens.
Fabrice Bethuel
Prix Mergier-Bourdeix 2002
Un seul prix Mergier-Bourdeix est décerné chaque année par l’Académie des Sciences et la compétition est ouverte à l’ensemble des disciplines scientifiques couvertes par les sections de l’Académie. C’est le
plus grand des Grands Prix décernés par l’ensemble des sections. Il est
donc peu courant que le lauréat soit un mathématicien. Il vient d’être
décerné à Fabrice Bethuel, Professeur à l’université Pierre et Marie Curie et membre de l’Institut universitaire de France, pour ses découvertes
fondamentales à l’interface entre l’analyse, la topologie, la géométrie et
la physique.
Fabrice Bethuel a, dès sa thèse, obtenu une condition nécessaire et
suffisante pour la densité des fonctions régulières dans des espaces de
Sobolev d’applications entre les boules euclidiennes et une variété riemannienne compacte. Il a de plus précisé, quand cette condition n’est
pas satisfaite, les obstructions à la densité et la taille des singularités
à autoriser pour avoir densité. C’est un résultat remarquable, très souvent cité, déjà un classique et qui a créé tout un domaine de recherches
passionnantes à l’interface de la topologie et de l’analyse.
Fabrice Bethuel s’est ensuite intéressé aux applications harmoniques
(entre variétés) et en particulier à la régularité des applications harmoniques stationnaires, c’est-à-dire qui sont faiblement harmoniques et
points critiques par rapport aux variations sur la variété de départ. Une
application harmonique régulière ou minimisante est stationnaire, mais
la réciproque est fausse. Fabrice Bethuel a montré que la dimension du
SMF – Gazette – 94, Octobre 2002
Téléchargement