L Les soins palliatifs dans l’insuffisance cardiaque MISE AU POINT

MISE AU POINT
24 | La Lettre du Cardiologue n° 442 - février 2011
Les soins palliatifs dans
l’insuffisance cardiaque
Palliative care in chronic heart failure
J.P. Batisse*, J.M. Gomas**
* Service de cardiologie, hôpital de
la Pitié-Salpêtrière, Paris.
** Unité fonctionnelle de la douleur
chronique, soins palliatifs, hôpital
Sainte-Perrine, Paris.
L
a défaillance cardiaque constitue la cause prin-
cipale de la phase terminale des pathologies
cardiaques pour les patients qui ne sont pas morts
prématurément de mort subite (ce qui est le cas de
10 % des patients), que l’atteinte soit congénitale,
ischémique, valvulaire ou myocardique. La survenue
d’un accident cardiaque, au même titre que la décou-
verte d’un cancer, fait brutalement prendre conscience
de la mort. Cela rend l’exercice de la cardiologie parti-
culier tant auprès du patient que de ses proches. Ce
temps où l’on commence à envisager la mort dure
parfois plusieurs années, il fluctue au fil des épisodes
cliniques et justifie lécoute, la présence et la patience
du decin et du personnel soignant, en ville comme
à l’hôpital.
C’est le plus souvent chez le patient âgé que le
problème se pose. Le malade souffre de polypathologie,
il est étique cardiaquedepuis 10, 20, parfois 30 ans,
plusieurs gestes thérapeutiques ont été pratiqués et,
après une coronarographie, il apparaît souvent que seul
le traitement médical reste possible. Cette sentence
est souvent vécue par le malade comme une décision
jorative, même si les études centes montrent l’ef-
ficacité du traitement médical par rapport aux autres
techniques. Il faut alors expliquer.
Nous verrons que si le cure, l’acte technique, est
bien sûr nécessaire, il n’est pas suffisant, le care,
le prendre-soin, étant à ce moment indispensable.
La définition des soins palliatifs a évolué au cours
des 20 dernières années, à la mesure de l’évolution
du regard que la société porte sur eux.
En 1990, l’OMS donnait la définition suivante :
“Les soins palliatifs sont des soins actifs, complets,
donnés aux malades dont l’affection ne répond pas
au traitement curatif. La lutte contre la douleur et
d’autres symptômes et la prise en considération des
problèmes psychologiques, sociaux et spirituels sont
primordiales. Le but des soins palliatifs est d’obtenir
la meilleure qualité de vie pour les malades et leur
famille. Les soins palliatifs affirment la vie et consi-
dèrent la mort comme un processus normal, ils ne
hâtent ni ne retardent la mort…
En France, c’est la loi du 9 juin 1999 qui représente le
tournant législatif majeur : “Les soins palliatifs sont
des soins actifs et continus, pratiqués par une équipe
interdisciplinaire, en institution ou à domicile. Ils
visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance
psychique, à sauvegarder la dignité de la personne
malade et à soutenir son entourage.”
Cette définition, que le législateur a voulue délibé-
rément très élargie, s’applique donc fort logique-
ment à la fin de vie de nos patients en insuffisance
cardiaque terminale.
Quels malades ?
Le décès survient encore fréquemment à l’occasion
d’un accident aigu en milieu hospitalier. Cela n’en-
lève rien à la nécessité d’accompagner le patient
dans la phase qui précède et qui peut se prolonger
plusieurs années.
La survenue d’une défaillance cardiaque est un
événement grave dans la vie des patients. La
mortalité est de 10 % 30 jours après le diagnostic,
de 25 % 1 an après et de 50 % 5 ans après (1, 2). Ces
chiffres, proches de ceux retrouvés en oncologie, sont
influencés par la comorbidité fréquemment associée.
Nous ne parlerons pas de l’insuffisance cardiaque
du patient pouvant bénéficier d’une greffe mais
seulement du patient en fin de vie.
Comment meurent les patients suivis en cardiologie
(tableau) ?
Ces chiffres sont sans prétention statistique, mais on
constate que la cause du cès chez les patients consul-
tant en cardiologie est liée dans 38 % des cas à un
La Lettre du Cardiologue n° 442 - février 2011 | 25
Points forts
»Importance de la relation avec la famille et l’entourage du patient.
»Mise en œuvre de médicaments spécifiques de la dyspnée terminale (morphiniques,
sédatifs, et même scopolamine en cas d’encombrement).
»Envisager la relation de fin de vie dès qu’elle semble réalisable.
Mots-clés
Soins palliatifs
Insuffisance cardiaque
terminale
Mort subite
Accompagnement
Highlights
»
Informations family care-
givers
»
Specifies terminal dyspnea
drugs (morphine, sedative
drugs, scopolamine)
»
Discussion of end-of-life
issues as early as possible
Keywords
Palliative care
Chronic heart failure
Sudden death
Management of end-of-life
issues
cancer, que la mort subite n’est pas rare, et que le décès
par insuffisance cardiaque terminale ne représente que
16 % des cas. La différence avec les statistiques de la
France entière tient à la sélection des patients dont
la moyenne d’âge est plus élevée.
Quels symptômes ?
L’utilisation dans les années 1980 des inhibiteurs de
l’enzyme de conversion dans le traitement de l’insuf-
fisance cardiaque a profondément modifié le profil
des symptômes. La durée de vie s’est allongée. Les
tableaux d’anasarque ont disparu pour faire place à
des patients en bas débit, souvent sur le versant “sec
du traitement, avec une importante asthénie et des
manifestations d’hypotension.
Une étude anglaise réalisée en 1996 sur 600 patients
insuffisants cardiaques à l’aide de questionnaires
portant sur les symptômes adressés à la famille a
montré que dans la dernière année de vie c’est la
douleur qui est citée en premier (78 % des cas), puis
la dyspnée (61 %), la dépression (59 %), les troubles
du sommeil (45 %) et l’anxiété (30 %).
L’asthénie à ce stade est souvent l’un des symptômes
les plus gênants pour le patient. Elle est favorisée par
le bas débit cérébral et les conséquences de l’insuffi-
sance cardiaque sur le débit hépatique et rénal. Elle
est aggravée par les troubles du sommeil, le prurit,
l’anxiété.
L’insuffisance hépatique du foie cardiaque, ou hépatite
ischémique, est liée à la fois à la stase dans le système
porte (le gradient de pression veine porte-veine cave
est très faible) et au bas débit dans l’artère hépatique.
Elle entraîne des lésions graves en situation aiguë,
mais elle a aussi un retentissement dans les situa-
tions chroniques. On constate souvent une élévation
modérée des transaminases, mais aussi une altération
des facteurs de la coagulation qui vient compliquer la
gestion des traitements anticoagulants, et une baisse
de l’albumine qui augmente les œdèmes et l’inconfort.
Les œdèmes sont souvent discrets, il faut les cher-
cher sur la face arrière des cuisses et dans le dos
chez ces patients en décubitus prolongé.
La dénutrition et l’anorexie sont fréquentes, favori-
sées par les conseils diététiques multiples et devenus
inutiles et invivables à ce stade (il faut voir ce qu’il
reste à disposition quand on élimine le sel et la vita-
mine K des repas du cardiaque anorexique…).
Longtemps, le patient exprime peu la dyspnée d’ef-
fort tant il autolimite son activité, mais elle devient
invalidante en fin de vie, favorisée par le subœdème
pulmonaire, les épanchements pleuraux et péri-
tonéaux qui gênent l’ampliation des poumons et
entraînent une polypnée angoissante et la sécheresse
de la bouche. Il faudra parfois évacuer ces épanche-
ments quand ils évoluent rapidement. L’anémie infé-
rieure à 12 g peut avoir un retentissement et il sera
parfois utile de transfuser le patient, prudemment,
en milieu hospitalier. La morphine sera alors d’une
aide précieuse par son effet sur l’œdème bronchique
et l’anxiété : nous y reviendrons.
L’insuffisance rénale, très fréquente, est mixte :
fonctionnelle, due à l’insuffisance cardiaque ;
iatrogène, favorisée par les diurétiques et les
médicaments du système rénine-angiotensine ;
organique, souvent favorisée par l’hypertension
et la néphroangiosclérose.
Elle vient compliquer l’équilibre thérapeutique, néces-
sitant des surveillances biologiques répétées mais
qu’il faudra cependant alléger à l’approche de la fin,
et des ajustements fréquents du traitement.
Les poussées de faillance cardiaque sont souvent liées
à un épisode viral ou bactérien pulmonaire. C’est parfois
Tableau. Comparaison de la mortalité de la population générale en 2006 (Insee) et des chiffres d’un cabinet de cardiologie
parisien de 2006 à 2010 (données personnelles de l’auteur).
Cause du décès France en 2006 Cabinet de cardiologie de 2006 à 2010
(31 décès, sur 6 500 patients)
Tumeur 30 % 38 %
Cardio-cérébrovasculaire
Mort subite
Insuffisance cardiaque
28 %
7 %
6 %
25 %
9 %
16 %
Maladie d’Alzheimer 3 % 16 %
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MISE AU POINT
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aussi à l’occasion d’un nouvel épisode ischémique,
d’une poussée hypertensive ou d’une déstabilisation
du cadre familial : le décès de l’épouse, le départ d’un
enfant ou d’un proche. Le tableau clinique n’est pas
toujours trancet le BNP (brain natriuretic peptide)
pourra confirmer le diagnostic devant l’aggravation de
la dyspnée ou des œdèmes.
Le traitement
Trois volets sont essentiels : le traitement médical
palliatif de la défaillance cardiaque, l’éducation du
patient et de sa famille, l’accompagnement par le
médecin et les soignants.
Le traitement médical palliatif sera à peine abordé
ici. Il faut insister sur deux points :
L’utilisation optimale de la polythérapie : diuré-
tiques + IEC + bêtabloquant et ivabradine + spiro-
nolactone et/ou ARAII, dont chaque étape réduit de
30 % le taux de décès dans les conditions d’utilisa-
tion optimales (études TRACE, SOLVD, MERIT-HF,
RALES et récemment SHIFT), dans la mesure où elle
n’aggrave pas l’inconfort du patient par l’hypoten-
sion, l’hyponatrémie, la bradycardie ou l’asthénie.
L’intérêt du suivi cardiologique. En effet, quel que
soit le stade de la défaillance cardiaque, l’adhésion au
traitement et l’éducation du patient divisent par 2 la
morbi-mortalité, selon l’étude multicentrique Mahler
(3). C’est souligner l’importance d’un suivi efficace dans
le maillage d’un réseau médecin traitant-cardiologue.
L’éducation de l’insuffisant cardiaque est fondamen-
tale, car le patient doit comprendre son traitement
pour saisir l’importance de chaque médication ; il
doit également être informé des effets secondaires
potentiels de chaque classe thérapeutique, et l’achat
d’un pèse-personne de qualité et d’un tensiomètre
avec brassard est nécessaire pour le suivi à domicile,
parfois aussi rentable que la multiplication des BNP.
À tous les stades de la défaillance cardiaque, l’activité
physique est théoriquement un complément indis-
pensable, mais elle sera progressivement diminuée,
suivant l’épuisement du patient (réduite à une montée
d’escalier, à une marche dans un couloir, à une gymnas-
tique, parfois à de simples mouvements répétés dans
le fauteuil ou le lit, sans objectif de performances).
Les relations avec la famille
sont essentielles à ce stade
Parfois c’est le conjoint seul qui assure une veille
attentive et participe à la surveillance de la dyspnée et
des œdèmes. Il faut savoir l’informer de la sévérité de
la maladie sans l’inquiéter, le former à la surveillance
des traitements anticoagulants, à l’utilisation des
traitements nitrés ou des diurétiques et à l’adaptation
d’une diététique équilibrée et, surtout, stable quand
à la quantité de sel. Il doit acquérir un certain savoir,
le médecin et l’équipe soignante étant bien sûr les
garants de cet apprentissage, qui devra être adapté
à chaque personne, à chaque couple, en fonction des
connaissances et de l’anxiété de chacun. Il est diffi-
cile de donner un schéma qui devra être adapté à la
sensibilité du patient et au vécu de la maladie.
Cette participation de l’entourage est fondamen-
tale, en particulier lors des poussées de défaillance
cardiaque. Elle rend possibles des traitements que
le patient ne pourrait plus assurer seul. Elle permet
de le mobiliser, d’assurer une hygiène de vie et une
diététique qu’il est impossible de garantir chez le
malade isolé.
La réadaptation, qui pouvait, avant cette période
palliative, être bien sûr réalisée dans des centres
spécialisés, est plutôt délétère et épuisante dans
ce contexte.
C’est à ce stade que les soins palliatifs prennent
toute leur place, mais leur simple évocation vient,
dans un premier temps, heurter la vision du patient
sur la longue évolution de sa maladie soutenue par
l’espoir sans faille d’une vie prolongée. L’illusion de
la toute-puissance et de la maîtrise sans fin de ce
cœur fragile est brutalement déjouée par la réalité
de l’épuisement du malade et de son état dyspnéique
permanent, et par l’aggravation des œdèmes.
Le travail en collaboration avec le généraliste est ici
essentiel : ajustement des stratégies et cohérence
des discours, pour ne pas induire des contradictions
ou des incompréhensions.
C’est le temps du lâcher-prise progressif des moda-
lités voire des injonctions ! – auparavant habituelles
chez le patient :
acceptation de la diminution de l’exercice
physique, des périodes de décubitus, notamment
chez le patient très âgé ;
tolérance d’écarts de régime, car il faut privilégier
“l’alimentation plaisir” (le sel maudit va redonner
du goût !) ;
diminution des contrôles biologiques, car la
diminution des contraintes techniques est cruciale
pour la qualité de vie dans cette période (ce point
est surtout difficile pour le prescripteur…) ;
au stade ultime : utilisation des morphiniques à
petites doses pour ralentir la tachypnée (on débute
par 3 à 5 mg par voie orale, 2 à 4 fois par jour suivant
l’efficacité sur les symptômes, sans oublier les laxa-
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tifs) et des sédatifs à doses importantes et régulières
devant une angoisse parfois grave car elle survient
alors que le sujet est lucide ;
certaines situations dyspnéiques particulièrement
pénibles, que le patient décrit comme insuppor-
tables, entrent dans le cadre des recommandations
de sédations progressives pour symptômes graves :
ces sédations sont plus faciles à réaliser en milieu
hospitalier, mais la participation d’un généraliste
attentif et d’une bonne équipe d’infirmières rend
cette stratégie également possible à domicile ;
parfois, des patients en grande insuffisance
cardiaque mais “ne lâchant pas prise” restent à la
fois désireux de vivre et désespérés de leur dépen-
dance ; une hospitalisation en unité de soins pallia-
tifs, où l’intensité du soutien relationnel facilitera
la fin de vie, peut alors être justifiée. Ces patients
posent en effet des difficultés logistiques insolubles
aux services d’aigu, car leur durée de vie dépasse
largement les possibilités administratives de ces
services… en termes de durée moyenne de séjour.
Les unités de soins palliatifs voient souvent ces
patients qui, après 3 ou 4 semaines de situation
précaire émaillées d’épisodes de dyspnée terminale
laissant présager un décès imminent, se stabilisent
et poursuivent pendant des mois une vie minimaliste
(lit-fauteuil) ! Ce temps peut parfois leur donner
l’occasion de cheminer vers l’abandon progressif
des activités que leur corps ne peut plus assumer…
mais on devine bien, dans ce contexte, tout le travail
d’accompagnement et de soutien psychologique
nécessaire (4) à ces patients et à leur entourage,
confrontés à une prolongation incompréhensible
de la vie – ralentie – du patient.
Le désir de vie qui persiste par-delà ce myocarde
inefficace : voilà le vrai défi – délicat, et qui exige
une grande humilité – de l’accompagnement du
grand insuffisant cardiaque.
Références
bibliographiques
1. Kannel WB, Belanger AJ. Epide-
miology of heart failure. Am
Heart J 1991;121(3 Pt 1):951-7.
2.  McCarthy M, Lay M,
Addington-Hall J. Dying from
heart disease. J R Coll Physicians
Lond 1996;30:325-328.
3.Komajda M, Lapuerta P,
Hermans N et al. Adherence
to guidelines is a predictor of
outcome in chronic heart failure:
the MAHLER survey. Eur Heart J
2005;26(16):1653-9.
4. Gomas JM. [Pain and palliative
care. Comments by a witness].
Psychol Neuropsychiatr Vieil
2006;4(4):255-60.
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