382 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013
Médecine personnalisée enoncologie digestive :
apportde l’immunologie
en voie de cancérisation, empêchant l’émergence
d’un cancer. Ce concept a, depuis, été intégré dans
la théorie de l’“immunoediting”, prenant en compte
les interactions entre les cellules cancéreuses et les
cellules du système immunitaire, chacune infl uen-
çant et modifi ant le comportement de l’autre. La
pertinence de cette approche immunologique,
étayée par des données expérimentales solides,
s’est confi rmée cliniquement par la démonstration
d’une infl uence majeure de la qualité de l’infi ltrat
immunitaire de la tumeur sur son évolution, et donc
sur le pronostic du patient, ainsi que par les succès
cliniques obtenus avec de nouvelles approches
d’immunothérapie antitumorale (vaccins anti-
tumoraux et biothérapies utilisant des anticorps
monoclonaux bloquant des molécules inhibitrices
de la réponse lymphocytaire T) [12, 13]. Dans de
nombreuses tumeurs solides, comme le cancer
colorectal, une forte infi ltration immunitaire s’est
révélée être associée à une survie prolongée (14).
Ainsi, une forte infi ltration en lymphocytes T CD3+,
T CD8+ cytotoxiques et en T CD45RO+ mémoires,
localisée dans la tumeur et dans le front (ou marge)
d’invasion, est corrélée à une survie sans récidive
et une survie globale prolongées. Ce type d’infi l-
tration est associé à une orientation immunitaire
des lymphocytes T CD4
+
de type 1 (Th1), favorisant
l’activation des lymphocytes T CD8. Ces lympho-
cytes expriment des récepteurs de chimiokines et
des molécules d’adhésion particuliers, qui jouent un
rôle majeur dans la mobilisation de ces cellules au
site tumoral. La confi rmation du rôle pronostique
de la composante immunitaire des tumeurs sur de
larges cohortes rétrospectives a conduit à l’élabo-
ration d’un test simple, puissant et robuste appelé
Immunoscore (I) [15]. Ce test est réalisé par une
technique d’immunohistochimie sur coupe tissu-
laire, couplée à un système d’analyse d’images.
Son principe est la détermination de la densité de
2 populations lymphocytaires (CD3 et CD8) dans la
tumeur et dans le front d’invasion. Les données ainsi
obtenues permettent une cotation de l’Immunoscore
de 0 (I0), refl étant une faible densité des 2 types
de cellules dans les 2 régions, à 4 (I4), refl étant
une forte densité des 2 types de cellules dans les
2 régions. La valeur pronostique de l’Immunoscore
a été démontrée dans le cancer colorectal à tous les
stades de la classifi cation anatomopathologique.
En analyse multivariée, la valeur pronostique de
l’Immunoscore apparaît supérieure à celle fournie
par la classifi cation TNM, et les facteurs constitutifs
du TNM apparaissent dépendants de l’Immu noscore.
De fait, l’analyse combinée des 2 marqueurs pronos-
tiques indique que le score reste le seul facteur
pronostique signifi catif pour la survie sans récidive
et la survie globale. Une validation internationale de
l’Immunoscore est actuellement en cours de réali-
sation dans les cancers coliques, afi n d’intégrer ce
nouveau paramètre pronostique à la classifi cation
TNM des cancers, pour aboutir à une classifi cation
de type TNM-Immune (TNM-I) [16].
La qualité de l’infi ltrat immunitaire intratumoral
pourrait également jouer un rôle de biomarqueur
prédictif de la réponse au traitement. Des données
récentes ont démontré que la radiothérapie et
certaines drogues de chimiothérapie (telles que les
anthracyclines et l’oxaliplatine) induisent une mort
cellulaire immunogène (17). Il est concevable que
la qualité de l’infi ltrat immunitaire intratumoral,
évaluée par l’Immunoscore, puisse infl uencer la
qualité de la réponse à ces thérapies. De plus, la
qualité de l’infi ltration immunitaire intratumorale
pourrait fournir un marqueur prédictif de la réponse
aux nouvelles thérapies antitumorales immuno-
modulatrices. Jusqu’à présent, l’évaluation pronos-
tique se faisait de manière indirecte au travers de
la classifi cation TNM, évaluant le comportement
du cancer. Pour cette raison, son impact est pure-
ment populationnel. L’approche immunitaire permet
pour la première fois d’évaluer les capacités “défen-
sives” du patient. En ce sens, cette approche paraît
être un premier pas vers un concept de médecine
personnalisée où des critères propres à l’individu,
par-delà les données tumorales, seraient placés au
centre d’une réfl exion pronostique et d’orientation
thérapeutique (13).
Conclusion
Ainsi se dessine actuellement une nouvelle prise en
charge des patients, qui prend en compte l’extension
tumorale, des critères moléculaires de la tumeur
et la qualité de la réaction immunitaire in situ,
pour une optimisation du suivi et de la stratégie
thérapeutique des patients à risque de récidive.
Cette approche multidisciplinaire, qui associe une
évaluation de l’individu et de sa tumeur à différentes
échelles macroscopique, microscopique et “nano-
scopiques”, pourrait permettre de proposer au patient,
au moment adéquat, des thérapies plus ciblées et
moins toxiques, dans un contexte de défense immu-
nitaire optimisée, et pouvant être validées selon les
principes méthodologiques actuels. ■
Les auteurs n’ont pas précisé leurs éventuels liens d’intérêts.
Actualités sur
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