expérience de législateur, j’ai senti, même si la chose était
intuitive, inconsciente, les choses basculer lorsque, à
l’Assemblée, il y a maintenant trois ans, nous avons discuté de
la loi sur les délinquants sexuels. J’ai compris qu’à mesure que
les tests se déroulaient, et sans d’ailleurs que leurs auteurs ne
l’aient voulu, le délinquant devenait un malade, le jugement
devenait une prescription, la peine devenait un traitement, et la
récidive, un échec médical. Il est clair que, si l’on entre trop
dans la logique du ‘généticisme’, - on a parlé de gènes de
l’homosexualité, de la pyromanie, de la violence – il est clair,
oui, que plus personne ne sera responsable de ses agissements.
Nous avons là, déjà, un véritable problème éthique avec
l’identification des gènes. Mais, naturellement, lorsqu’on a
identifié les gènes, ou mieux lorsqu’on les a appréciés et que
l’on pense que, peut-être, ils pourraient servir, alors la tenta-
tion est forte de se les approprier. C’est tout le débat de ces
dernières années, à propos des brevets sur les gènes.
Le problème du brevet des gènes, ce n’est, ni plus, ni moins,
que celui de l’appropriation du vivant. A-t-on le droit de breve-
ter un gène humain, en vue de son utilisation dans un traitement
futur ? La chose ne va pas de soi. Elle a tellement peu de sens
que l’on en parle depuis dix ans, sans que personne ne pose
vraiment le problème. Tout simplement parce que l’on n’avait
jamais imaginé breveter la nature, le vivant, et encore moins
l’humain. Et puis, on a, peu à peu, commencé à breveter, qui
une bactérie génétiquement modifiée, parce qu’elle avait la pro-
priété de digérer le mazout des ‘marées noires’, qui, des huîtres
polycloniques, parce qu’elle étaient plus charnues et plus goû-
teuses, qui, une souris transgénique, parce qu’elle représentait
un modèle original de cancer et pouvait être utilisée pour la
recherche sur le cancer… Alors, naturellement, lorsqu’on a
identifié un gène humain, pourquoi ne pas le breveter ?
En 1994, la France a refusé de breveter les gènes humains, En
1998, une directive européenne est allée dans le même sens en
édictant que le corps humain, en tout ou en partie, y compris la
structure de ses gènes, n’est pas brevetable. Mais, elle énon-
çait, en même temps, que tout élément isolé du corps humain,
quand bien même il correspond à une séquence d’un gène, de
tout ou partie, est brevetable. Alors que pour identifier et clo-
ner un gène, il suffit de l’isoler du corps humain, ne serait-ce
que par une prise de sang. Ce qui revient à dire que, après
avoir annoncé un grand principe, on se dépêche d’en organiser
la transgression. Il faut, naturellement, reprendre la discussion,
et s’interroger sur ce que doit protéger un brevet.
On ne manque pas d’arguments contre le brevetage. On ne peut
breveter les gènes qui sont les nôtres, que nous avons reçu de
nos parents et que nous transmettrons. En revanche, qu’à partir
de ces gènes, on mette au point une méthode, un procédé, une
analyse… pour produire une hormone de croissance synthé-
tique, une insuline humaine pour traiter le diabète, alors, oui, il
faut breveter. Ce que je dis là, simplement, naïvement, n’est
pas accepté par tout le monde, ni dans la forme, ni quant au
fond. Il y a une opposition culturelle entre les utilitaristes et les
essentialistes. Pour les essentialistes, personne n’a le droit de
s’approprier la nature, qui préexiste, et, en poussant plus loin le
raisonnement, je ne suis pas sûr que l’on pourrait breveter des
gènes, humains ou non, car ils appartiennent au vivant.
Un argument majeur est que le corps humain ne peut être
l’objet d’un commerce, y compris le gène. Si vous commencez
à breveter le gène, il faudra breveter la cellule dans laquelle il
est introduit ; un ensemble de cellules, constituant un tissu,
sera, alors, brevetable ; un ensemble de tissus constituera un
organe, brevetable, lui aussi… et, demain, se posera la question
d’un homme brevetable ! On ne peut accepter cette démarche.
Autre argument, celui de la recherche. Les chercheurs ont
besoin d’avoir accès à la connaissance, à toute la connaissance,
quelle que soit leur recherche. Ils le peuvent, y compris à la
connaissance brevetée, pour la recherche fondamentale, mais
non pour des recherches appliquées. Je crois que c’est un grave
handicap et que l’humanité a besoin d’une recherche qui ne soit
pas bridée. Le vivant, c’est un patrimoine commun, une matière
commune, et le monopole du savoir confisque l’avenir.
Bien sûr, la recherche coûte de l’argent ; il faut donc un retour
sur investissement. Mais, on s’aperçoit de plus en plus que,
dans toute l’action biologique, il y a, généralement, plus d’une
dizaine de gènes qui interviennent. Et, à partir du moment où
l’on est dans une configuration mettant en cause 5, 10, 15
gènes, si chacun d’entre eux dépend d’un brevet spécifique,
cela devient invivable. Et quand on sait que tout ce qui fait la
valeur ajoutée, c’est le savoir-faire, c’est-à-dire la mise au
point de techniques, de méthodes, de procédés... ce n’est pas
en gardant le monopole de la séquence d’un gène qu’on
s’assure véritablement la maîtrise de la compétition.
Il y a une troisième raison, essentielle : sept pays, aujourd’hui,
sont en mesure d’identifier les gènes. Si sept pays s’appro-
prient le savoir, dont dépendra demain une part importante de
la production industrielle de médicaments ou de produits
agroalimentaires, cela veut dire que tous les autres seront pri-
vés d’avenir. Et cela n’est pas acceptable.
Pour ces raisons, il est donc probable que la question de la bre-
vetabilité des gènes va, petit à petit, s’effilocher, parce qu’on
ne peut l’accepter, tout simplement.
Identification, appropriation, utilisation… L’utilisation, c’est le
marché… Ce que nous faisons depuis très longtemps. Mais, ce
qui complique un peu les choses, aujourd’hui, c’est qu’on utilise
les gènes, les cellules, les tissus. C’est une vague d’espérance
qui est soulevée par ces biotechnologies. Cela va nous permettre
de guérir des maladies jusqu’alors incurables. Oui, il faut y aller,
pour guérir. D’ailleurs, chaque fois qu’il s’est agi de guérir, il
n’y a pas eu tellement de problèmes. Quand on a pris un gène
d’insuline, par exemple, qu’on l’a mis dans une bactérie qui
s’est mise à fabriquer de l’insuline pour aider les diabétiques,
bravo pour l’industrie pharmaceutique. Même chose pour l’hor-
mone de croissance... mieux vaut agir par génie génétique
qu’utiliser les hypophyses, avec les conséquences que l’on sait.
De même, quand on a introduit des gènes humains chez des
animaux... Personne ne voit de problème, à ce niveau, lorsqu’il
s’agit d’œuvrer pour guérir. C’est d’ailleurs dans cette ligne
que l’on a commencé à parler de cellules. Les gènes ne sont pas
très faciles à véhiculer ; en revanche les cellules se manipulent
mieux, et si l’on peut remplacer les cellules anormales et les
cellules vieillissantes par des cellules normales et jeunes, quelle
merveille ! Alors ces cellules jeunes et normales, il faut pouvoir
en disposer, et pouvoir les orienter à volonté, pour donner des
GYNÉCOLOGIE ET SOCIÉTÉ
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La Lettre du Gynécologue - n° 268 - janvier 2002